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depression, injuries

Il fait chaud, beaucoup trop chaud sous la pile de couvertures dont Noam ne parvient pas à s’extirper, baignant dans sa propre sueur depuis des heures, des jours, des semaines, peut-être plus - il a perdu le compte depuis un moment. La fièvre a disparu, pourtant il peut sentir son corps bouillonner furieusement, ses blessures le brûler sous leurs bandages trop serrés. C’est lui, qui a demandé à Sam de le saucissonner le plus fort possible, comme lorsqu’il avait dû passer les essais de qualification pour rentrer dans l’équipe de Quidditch avec une entorse au poignet. Si cette technique avait fonctionné à l’époque, peut-être ferait-elle également ses preuves aujourd’hui - étouffer ses blessures pour qu’il ne puisse plus les ressentir et plonger paisiblement dans les cauchemars qui agitent son sommeil.

Naïvement. Les plaies se rappellent à lui à chaque instant, pulsant sous les bandages, lui arrachant à interval régulier des gémissements, grognements, dès qu’il s’allonge sur le torse ou agite un peu trop son bras droit. Et de la même manière qu’il cherche à étouffer sa douleur, Noam s’étouffe lui-même, sous l’amas de couvertures, sous les rasades de Firewhisky qu’il envoie au fond de son gosier dès qu’il s’extirpe de son sommeil terrifiant. Parce qu’avec un peu de chance, de volonté également, peut-être parviendra-t-il à chasser le monstre qu’il devient un peu plus chaque jour en le tuant à grands coups de siestes prolongées et de litres d’alcool pur.

Un faible tournis le prend, lorsqu’il se redresse dans une grimace, forcé à fermer les yeux et à souffler profondément pour endiguer les vagues de douleur et d’alcool remontant jusqu’à ses synapses engourdies. A l’aveugle, il tâtonne de sa main la table de nuit pour y trouver la bouteille de Firewhisky entamée un peu plus tôt, la portant aussitôt à ses lèvres pour se soulager de longues gorgées réconfortantes.

Son cœur se serre en entendant des pas de l’autre côté du rideau qui le sépare du reste de ses camarades de chambre - et il se serre un peu plus en reconnaissant l’odeur d’Elliott, terrifié par cette nouvelle faculté à reconnaître ses camarades par leur fragrance sans même les apercevoir. Et terriblement mal à l’aise, aussi. Si Noam s’est assuré auprès d’Ethan, à son réveil, qu’Elliott était sain et sauf, il a été incapable de lui adresser la parole depuis sa morsure - pas comme s’il était capable de parler à qui que ce soit, à vrai dire, ces derniers temps. Une boule se forme dans son estomac, dès qu’il pense au sorcier, dès qu’il l’entend (le sent), de l’autre côté du rideau. Parce que Elliott était présent ce soir-là, qu’il l’a vu disparaître sous l’ombre - qu’il lui a sauvé la vie, en éjectant la bête et en les ramenant d’urgence à Dagobah.

Parce que Elliott sait ce que Noam est uniquement capable de voir dans ses cauchemars, mais qui ne lui revient que par images trop floues, trop rapides, trop incertaines, dès qu’il ose y penser. Et cette simple pensée lui donne envie de s’enterrer un peu plus dans ses draps et de disparaître sous ces derniers. "Elliott", s’entend-t-il appeler d’une petite voix, son cœur cognant furieusement contre sa cage thoracique. Il n’a aucune idée de ce qu’il est en train de faire, trop empêtré dans les vapeurs naissantes d’alcool dans ses veines. Son regard reste tourné vers la bouteille, qu’il fait tourner nerveusement entre ses mains lorsque le rideau s’ouvre sur le visage de son camarade. "You got a minute?"

Les semaines depuis l’attaque avaient été particulières, entre ça et la réunion de l’Ordre, Elliott n’avait pas eu vraiment le temps de penser à autre chose que tout ce qui était en train de se passer. Evidemment, la loi des séries étant ce qu’elle était, tout arrivait d’un coup après des mois de rien, de vide, pour leur tomber en masse sur la tête. Il était fatigué, franchement désespéré et il se sentait coupable, aussi. C’était ça le plus difficile, sans doute.

Il avait ramené Noam à temps, heureusement, et lui avait sauvé la vie, d’une certaine manière, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était aussi un peu de sa car il était probable qu’il ait été la première cible du loup et pas Noam. Et il se sentait coupable de se sentir coupable et d’être toujours perturbé par tout cela alors qu’il s’en sortait plutôt bien. Amaya disait que c’était normal, qu’il n’avait jamais vécu ça avant, ni même vu quoi que ce soit, et qu’ainsi on ne pouvait pas s’attendre à ce que cette nuit-là ne laisse pas de traces. Et c’était vrai, Elliott avait rencontré des tas de loups, sous leur forme humaine, et s’il avait pu parfois voir un loup sous sa forme lupine du coin de l’oeil à l’Ordre, avant que ceux-ci ne soient envoyés à Sweet River, ça n’avait été que bref et de loin, pas à quelques centimètres de lui, pas une attaque, pas une morsure.

Il essayait de s’occuper, donc, de ne pas trop rester dans la chambre, là où Noam allait franchement mal. Personne n’avait besoin d’être proche pour sentir les effluves de firewhisky ou pour voir sur son visage que quelque chose n’était pas normal. Alors il restait éloigné, parce qu’il ne savait pas trop comment réagir, quoi dire, quoi faire. Non pas qu’il ait eu peur de Noam, non, il avait peur qu’il lui en veuille, qu’il le tienne responsable pour ce qui lui était arrivé, il ne savait pas s’il voulait le voir ou pas, et par mesure de précaution, il supposait que c’était plus simple de partir, de squatter la chambre d’Amaya ou le canapé rafistolé de leur semblant de salon.

Il n’empêchait qu’il ne voulait pas non plus que Noam ait l’impression qu’il l’évite, et il fallait bien qu’il aille dans sa chambre de temps en temps, ne serait-ce que pour récupérer des affaires personnelles. C’était ce qu’il avait fait, ce jour-là, il s’était levé rapidement avant de retourner dans leur chambre quelques heures plus tard, jetant un coup d'œil rapide au rideau qui cachait Noam du reste du monde. Il s'apprêtait à repartir, t-shirt propre en main, quand la voix de Noam s’était faite entendre. Et c’était son nom qu’il avait appelé. “Yeah?” il répondit d’une voix peu convaincue, “You got a minute?”, Noam lui répondit. “Uh- sure,” dit-il avant de poser son t-shirt sur son lit et de pousser le rideau pour découvrir Noam sur son lit, une bouteille entre les mains. “Are you-” il commença avant de se reprendre, lui demander comment il allait serait incroyablement stupide, “do you need something?” il demanda finalement, en lui semblant un petit sourire dénué de joie.

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dépression, idées noires

Affronter le regard de qui que ce soit est devenu trop compliqué pour Noam, qui n’avait auparavant jamais baissé les yeux face à quiconque, trop ridiculement fier pour courber l’échine dans la moindre situation, même lorsqu’il était en tort, prêt à s’enfoncer jusqu’au cou plutôt que de renoncer. Désormais, plonger dans les pupilles de ses compagnons revient à découvrir sur leurs visages cette vague inquiétude, cette pitié désagréable, autant d’expressions qui le renvoient à son état - autant celui dans lequel l’a laissé la bête, que celui dans lequel il sombre progressivement en refusant d’affronter la réalité qui est maintenant sienne.

Aussi remonter ses yeux jusqu’à Elliott est tout bonnement impossible. Il sait déjà ce qu’il va trouver sur ses traits, un reflet de ce qui se glisse déjà dans sa voix, dans son "Uh- sure" sensiblement gêné. Il est évident, et compréhensible, que personne ne veuille avoir affaire à lui, une larve douloureuse à regarder et à tolérer. Et si Noam a toujours été conscient du boulet qu’il représente pour les siens, tout lui apparaît désormais clairement, dans ce brouillard pâteux qu’il s’impose : Elliott aurait dû le laisser disparaître parfaitement sous l’ombre qui a emporté une partie de lui, plutôt que d’imposer le poids de sa nouvelle existence aux Avengers. Il n’avait, au début, pas la clarté d’esprit pour le réaliser, mais, au fur et à mesure que la lune progresse, le plonge dans une détresse plus profonde encore, cela devient une évidence.

Un hoquet triste cherche à remonter le long de sa gorge, y reste coincé lorsque Noam porte le goulot de la bouteille à ses lèvres, s’en fait chasser par la morsure incandescente du Firewhisky. "Are you- do you need something?" La spirale du regret progresse en une hélice dans la poitrine de Noam ; il n’aurait sûrement pas dû attirer l’attention de son ami, prétendre ne pas exister de son côté du rideau, comme d’habitude. Mais il peut maintenant sentir son regard sur lui, sa présence sur sa droite, comme pris au piège et incroyablement stupide de l’avoir réclamé dans un soubresaut de solitude et d’anxiété - de culpabilité, également.

"No… No, no, I just-" Just what? Lui dire qu’il s’est réveillé avec l’envie de savoir comment il allait ? Qu’il a besoin d’un contact avec lui, n’importe quoi, pour avoir été présent ce soir-là ? Qu’il a l’impression, derrière l’écran de fumée qu’il installe entre lui et les autres, qu’il n’y a que lui qui peut réellement le comprendre, ou apporter des réponses aux questions qu’il n’ose même pas effleurer ? Qu’il n’arrive même pas à comprendre ce qu’il pourrait bien chercher dans cette conversation déjà stérile ? "Uh, yeah actually, could you-", débute Noam en marmonnant dans sa barbe, ses yeux rougis remontant timidement jusqu’à ceux d’Elliott. Il croise brièvement son regard confus, son sourire peu engageant, avant de revenir à la bouteille entre ses mains. C’est stupide. "No, I don’t know. I don’t know", renonce-t-il dans un soupir, la bouteille retrouvant le chemin de ses lèvres, pour recueillir une nouvelle rasade dans sa bouche, qu’il laisse couler le long de sa gorge. "It’s just, I was thinking you know. And like we haven’t really talked since… since that fucking stupid shit happened, you know? Or maybe..." Il s’interrompt un moment, se mord l’intérieur de la joue, pour finalement relever les yeux vers Elliott, le visage crispé. "Maybe we did? Sorry if I don’t remember."

“No… No, no, I just-" Elliott le regarda sans bouger un instant. Lui et Noam n’avaient jamais été si proches, pas au point qu’il puisse comprendre ce qu’il voulait, ce dont il avait besoin sans qu’il ne lui dise avec des mots. Il ne dit rien. Il ne savait pas quoi dire, de toute façon, il ne savait pas si Noam voulait quelque chose de concret, qu’Elliott lui apporte quelque chose à manger, qu’ils aillent faire un tour dehors ou s’il voulait du soutien d’une manière ou d’une autre. Il n’avait pas vraiment quitter son lit, ces derniers temps, alors toutes ces options semblaient possibles. “Uh, yeah actually, could you-" - “Yeah?” il répondit rapidement, les sourcils légèrement froncés alors que son ancien capitaine s’était de nouveau arrêté en pleine phrase. Elliott ne l’avait jamais connu si hésitant. “No, I don’t know. I don’t know" - “Okay,” il répondit à nouveau, lentement cette fois. Il espérait dans un sens que Noam puisse trouver ses mots, qu’il sache aussi qu’Elliott pourrait être présent, s’il en ressentait le besoin, mais qu’il ne pouvait pas choisir pour lui, ni comprendre pour lui. il n’était pas certain que quiconque en soit capable, d’ailleurs.

"It’s just, I was thinking you know. And like we haven’t really talked since… since that fucking stupid shit happened, you know? Or maybe...Maybe we did? Sorry if I don’t remember." Ils n’avaient pas parlé non, pas plus que le nécessaire, et pas de ça. “No, no, we haven’t,” il confirma à Noam avec un nouveau sourire crispé. Personne n’avait vraiment parlé de ça, pas devant lui en tout cas. Elliott avait bien remarqué que l’atmosphère s’était faite plus lourde, plus pesante, cependant, comme s’ils marchaient tous sur des œufs, essayant de ne pas briser le semblant de quiétude qui régnait sur Dagobah, aussi artificiel fut-il. Elliott lui-même en avait été coupable, il ne savait pas comment aborder le sujet, ni même s’il voulait aborder le sujet. Il ne savait pas non plus si c’était là où Noam voulait en venir, s’il souhaitait en parler. Il ne savait pas vraiment de quoi il se souvenait même, son cerveau avait sans doute fait le travail nécessaire pour occulter une partie de la soirée, garder les images les plus sombres enfermées quelque part, en sécurité. “Do you, uh” il commença lentement, il avait toujours peur de dire quelque chose de mal, quelque chose qui puisse heurter les gens plus qu’autre chose. “Do you want to talk about this? Or anything?” il ajouta rapidement, “if you uh, want to I can- I’m here if you want to .... talk.” God, why was this so fucking awkward.

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"No, no, we haven’t − Oh okay, cool", répond aussitôt Noam, presque dans un soupir de soulagement. Il n’a jamais été du genre à laisser l’alcool ronger ses souvenirs ; au contraire, il s’est même toujours vanté d’être une grosse caisse, de ceux capables d’encaisser des quantités déraisonnables de whisky ou autre liqueur sans perdre la moindre seconde de ses soirées le lendemain matin, autant qu’il a toujours récupéré rapidement au réveil, son organisme habitué à ce poison qu’il injecte quotidiennement dans ses veines depuis des années. Désormais, c’est comme si son corps devait réapprendre à digérer sa vieille amie - même cette constance échappe à son contrôle, et le fait se sentir un peu plus étranger dans sa propre peau. Et Noam a honte, terriblement honte, autant qu’il s’en fout, de ne plus se rappeler ses soirées et de ses journées ; mieux vaut ça que de vivre éveillé.

Pourtant, il n’aurait aimé que sa mémoire en dents de scie efface cette conversation avec Elliott : elle est bien trop importante pour lui être dérobée. Mais elle était bien plus simple à démarrer dans le secret de son esprit, quand son ami se trouvait de l’autre côté du rideau et qu’il ne le fixait pas de ses deux grands yeux bruns. Noam peut presque sentir son regard sur lui, et un frisson cavale le long de sa peau rendue moite par la sueur dans laquelle il baigne constamment - jusqu’à ce qu’on le traîne sous la douche avant de changer ses bandages, des occurrences qu’il trouve trop récurrentes, et qui se révèlent parfois compliquées, quand il est trop imbibé et refuse de quitter son lit, ou tout simplement qu’on le touche. Même le toucher d’Ethan lui est devenu insupportable - Ethan. A cette simple pensée, la bouteille entre ses mains retrouve le chemin de ses lèvres, une nouvelle gorgée pour dégager de son esprit ces remous qu’il ne veut affronter pour l’instant.

"Do you, uh-" Le regard de Noam s’aventure jusqu’à la silhouette d’Elliott, droite comme un piquet à sa droite, sans néanmoins remonter jusqu’à ses yeux. "Do you want to talk about this? Or anything? if you uh, want to I can- I’m here if you want to .... talk. − Shit man, yeah I do. Fuck, thanks, I had no idea how to bring this up", déclare brusquement Noam, sans vraiment préciser à quoi réfère son I do, ce dont il veut parler réellement. Cette fois-ci, ses pupilles claires osent enfin grimper jusqu’au visage d’Elliott, dans cette phrase maladroite qui s’empresse de filer entre ses lèvres entrouvertes, la plupart de ses mots mangés dans sa prononciation légèrement engourdie par l’alcool. Il voit bien que son compagnon de fortune est gêné, qu’il ne sait pas sur quel pied danser - mais comme ils peuvent tous l’être désormais, avec lui.

Alors Noam ignore cette gêne en détournant de nouveau le regard pour regarder le fond ambré de sa bouteille. "It’s just, you know, I’m having like the worst nightmares every fucking night, and I- I see everything. But I see it, like, not from my point of view you know. Like I’m just standing there, and I’m- I’m watching. I’m watching myself getting all fucked up and it hurts like a bitch and I’m just not moving." Il n’a aucune idée de où il va avec ce récit qu’il n’a partagé avec personne - à l’exception d’Ethan, évidemment, qui a entendu ces mauvais rêves plus d’une fois. Il sait juste qu’il a besoin de le sortir de son système, car il s’agit des seuls réels souvenirs qu’il a de cette nuit, que son cerveau s’amuse à lui faire revivre dès qu’il s’autorise à dormir. "That’s all I have. That’s all I fucking remember, and, I don’t know, you know, you were there and… Shit, I don’t even fucking know what I want to know, but maybe, like, maybe you remember more than that? Like, what actually happened and all that", conclut-il, le souffle court lorsqu’il regarde Elliott avec les yeux rougis par les larmes qui y sont montées.