Elle n'était plus rien, désormais ; ni une meneuse, ni un pilier – et elle doutait encore d'être une amie, un mot qui l'avait écorchée toute son existence, et qui désormais prenait une importance déroutante, à l'aube du plus gros échec de leur histoire.

Numa ne lui faisait plus confiance, Aoife avait disparu, Rivage avait été mordu, d'autres s'étaient enfui dans la nuit, encore ; la Brigade était à leurs trousses, et un âpre goût de fiasco collait au palais de Savage, quand bien même elle avait fait le nécessaire (changer de campement, engueuler Baruch, gratter à la porte que Numa avait gardée close, un refus flagrant de s'adresser à elle maintenant que les choses avaient été dites). On lui en voulait de les avoir jetés dans la gueule du loup – et elle ne pouvait que les trouver stupides, et lâches, de rejeter la faute sur elle, sentant ses nerfs se tendre dangereusement à la moindre incartade.

Elle aussi, souffrait douloureusement des pertes, particulièrement de celle d'Aoife : la brûlure magique qui lui traversait le torse craquelait sa peau à vif, plusieurs jours encore après s'être pris la morsure de ce sort impitoyable. Les soins de Malee n'y pouvaient que peu de choses, et la tritonne était d'autant plus à fleur de peau, dans cet environnement instable – Savage avait repoussé sa baguette, agacée par ses grognements et ses gestes brutaux, et était sortie en trombe de la tente, camouflant comme elle le pouvait cette blessure qui brûlait de plus belle sitôt qu'elle la recouvrait.
Aoife, elle au moins, était redoutablement efficace.

Elle ne dormait que sur une oreille, depuis, sombrant dans un demi-sommeil lorsque la fatigue était trop grande, sursautant au moindre bruit, ou au moindre regain de douleur, sur sa poitrine – d'impressionnantes cernes s'étaient creusées sous ses yeux, dont personne ne s'inquiétait réellement.
Personne. Savage était terriblement seule, et terriblement en colère ; et lorsqu'elle rouvrit les yeux, cette nuit-là, après une heure d'errance entre éveil et rêves vivaces, elle décida de se tourner vers celui qui l'avait soutenue depuis les premiers instants – celui qui aurait pu être son seul ami, maintenant que Numa la punissait en l'évitant comme la peste, et qu'elle avait tenu en respect ces dernières semaines avec sa virulence naturelle.

Elle repoussa la toile de sa tente sans s'annoncer, bien au courant que les sens nouvellement affûtés de Rivage l'aurait prévenu de son arrivée – Savage ne s'était, de plus, pas douchée depuis quelques jours, et elle pouvait sentir ses cheveux graisser sur son front pâle, traversé d'une barre de contrariété tandis qu'elle posait son regard sur le vampire. “What are you doing?“, demanda-t-elle d'une voix bourrue, en lui adressant un regard condescendant, comme si elle le prenait à se curer le nez. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, Savage l'avait secoué au même titre que Baruch, en lui disant qu'il avait été parfaitement, profondément crétin de se faire transformer dans ces conditions, par Baruch.

Cela n'avait rien à voir avec le fait que Rivage, en devenant vampire, avait rejoint le rang des ennemis naturels aux loups – ou peut-être un peu, et peut-être que son odeur, additionnée au parfum légèrement nauséabond des harpies, lui montait désormais désagréablement à la tête.

Riv était toujours un peu confus, son esprit semblait tourner au ralenti et en même temps, il sentait dans son corps une ardeur nouvelle, puissante, qui n'attendait que de pouvoir enfin sortir, se libérer de ses chaines et tout détruire sur son passage. Il avait l'impression de ne plus être lui-même, d'avoir quelque chose d'étranger en son sein, et il ne comprenait pas pourquoi. C'était les loups qui avaient tout ce délire avec la bête furieuse en eux, pas les vampires, les vampires étaient sensés être différents. Peut-être pas tant que ça, au final.

Il avait du mal à s’habituer à tout, ses yeux étaient endoloris de trop bien marcher, sa tête bourdonnait sous l’assault des sons qui ne s’arrêtaient jamais et son estomac se retournait à l’idée de boire du sang, pour lui qui n’avait jamais touché à ne serait-ce qu’un bout de viande, c’était étrange et la satisfaction de s’être bien nourri s’envolait en fumée dès qu’il y pensait un peu trop. Il devait se reposer, il le savait et pourtant il n’y arrivait pas. Il en avait marre aussi, de rester dans le noir à rien faire, à attendre que quelque chose change.

Il s’était redressé sur son lit et avait allumé la bougie qui se trouvait à ses côtés d’un coup de baguette rapide. Il avait pris quelques profondes respirations, tentant de se concentrer sur une seule chose, comme Baruch lui avait dit de faire, une odeur ou un son, un seul, histoire de ne pas se perdre dans les méandres de ses sens surdéveloppés. Il devait avoir l’air bien stupide, assis au bord de son lit, à juste respirer, mais Baruch n’avait pas tort, et tout cela aider. Il pouvait se concentrer sur l’odeur de la forêt dans laquelle ils avaient élu campement, sur l’odeur des arbres et la quiétude qui venait avec; ou sur le bruit des hululement des quelques hiboux qui, eux aussi, étaient bien réveillés.  Il fut distrait par une autre odeur, bien moins agréable, une odeur de loup. C’était Sav, ça ne pouvait être qu’elle, les autres loups avaient une odeur bien plus forte, bien plus amère. Ils ne s’étaient pas vraiment parlés, depuis, elle l’avait engueulé, et Riv avait pris ses critiques la tête baissée, ça n’était pas sa faute, il n’aurait jamais pu prévoir que tout cela arriverait, mais il n’avait pas eu la force de se battre, pas contre elle.

Il se tourna vers elle alors qu’elle entrait dans sa tente, les sourcils froncés, le mécontentement à présent perpétuel sur son visage. “What are you doing?” elle lui demanda brusquement. “Nothing I was just … thinking,” ça n’était pas totalement faux. “What’s going on, did you need something?” Il essaya de garder une voix posée, sans grand succès. Sav avait toujours un immense impact sur lui, Riv était toujours amoureux d’elle, rien n’aurait pu changer ça, et la voir ainsi en sachant qu’il allait peut-être vivre des centaines d’années en sachant qu’elle ne partageait pas ses sentiments semblait soudain insupportable.

“Nothing I was just … thinking.” Thinking? Les sourcils de Savage restèrent résolument froncés devant ce passe-temps qui semblait tout sauf être divertissant – particulièrement pour un vampire fraîchement né, en proie à ses instincts et ses sens révélés par la morsure, un chamboulement interne qui, dans sa tête de Halfer qui en avait vu d'autres (et des nouveaux loups, et des nouveaux hémophiles... homovores... bref, vampires), ne laissait pas la place à penser. “What’s going on, did you need something?” Savage avisa la chambre de Riv d'un regard, ignorant sa question pour constater le désordre qui s'y trouvait – en fuyant leur planque, à Murlough, ils avaient récupéré en urgence leurs tentes magiques et les effets qui s'y trouvaient (dont le précieux livre de recettes d'Aoife, quand bien même ceux à même de reproduire ses recettes se comptaient sur les doigts d'une main de troll).

Aucune trace de sang ; une surprise qui contrariait l'odeur ferreuse qui flottait à l'intérieur de l'attente, une effluve dont la source ne faisait aucun doute, à son nez de louve. Ses yeux revinrent à Rivage, ses lèvres pincées en une expression fermée, couronnée de deux sourcils courroucés, tandis qu'elle croisait les bras (à distance de son torse blessé, néanmoins), plantée devant lui en dépit du besoin furieux de son corps de s'asseoir. ”You look fucking awful.” Ses pupilles détaillèrent ses traits pâles et tirés, avec lesquels flirtaient encore sensiblement la mort ; cette dernière n'était jamais loin des vampires, avait-elle pu remarquer à force d'en respirer (bien malgré elle), et la trouver sur le visage de la harpie faisait naître en sa poitrine brûlée un profond sentiment d'inconfort. ”I can't believe you're a bloodsucker now. Baruch's, even...” Sa voix était tranchante, incisive, cherchant à tirer sur la corde sensible du terroriste qu'elle connaissait – la fondation même de leur amitié, qui avait tourné au vinaigre de façon irréversible, semblait-il désormais.

Savage préférait penser que la transformation de Rivage n'avait rien à voir avec l'attaque, et tout avec Baruch, et son impensable manque de self control ; you're three-hundred fucking years old, lui avait-elle craché lorsque Baruch avait ramené un Rivage transformé.
Elle n'était pas responsable, non ; ni de lui, ni d'Aoife et de son incapacité à se défendre.
Ni d'Aoife.

”That makes us natural enemies now, I guess.” Et elle soutint son regard clair, mettant cette douleur lancinante, dans son torse, à ces mots, sur le compte de la chair craquelée qui lui faisait souffrir le martyr – l'amertume dans sa voix elle, pourtant bien trop audible à son goût.

“You look fucking awful.” Sav avait toujours été douée pour faire des compliments, et il y avait, visiblement, certaines choses que son passage dans l’autre monde n’avait pas changées. Elle l’observait plus intensément qu’elle ne l’avait fait les semaines passées, avec un regard qui trahissait son dégoût à ce qu’il était devenu, et Riv sentit le nœud se resserrer dans sa gorge à cette idée. “Thanks,” il répondit néanmoins en lui lançant un regard appuyé. “I can't believe you're a bloodsucker now. Baruch's, even…” Il avait eu du mal à y croire, lui aussi. Baruch semblait toujours si posé, si en contrôle de tout ce qu’il faisait. Il pouvait encore se revoir, assis sur le sol avec le vampire à ses côtés, il pouvait encore sentir l’incrédulité et l’incompréhension qui l’avaient traversé, parce que cette situation avait semblé si irréelle. Baruch était un mur de contrôle insurmontable, du moins c’était toujours comme ça que Riv l’avait perçu, et pourtant il avait failli, et c’était lui qui en avait fait les frais.

“That makes us natural enemies now, I guess.” - “I guess," répondit-il faiblement, détournant son regard du sien. La fatigue pesait lourdement sur son corps et sur son esprit, et il ne savait pas quoi lui dire. Il n’y avait eu que des obstacles, pour eux, du moins c’est ce dont il avait l’impression, que la vie avait fait en sorte que ça ne fonctionne jamais, de toute façon. Et peut-être que Sav avait eu raison, qu’ils n’auraient jamais dû ne serait-ce que tenter parce que, de toute façon, tout ça n’avait mené à rien. Leur relation avait explosé aussi vite qu’elle s’était officialisée, et les derniers évènements n’étaient sans doute que le point culminant de leur échec.

Il prit une profonde respiration avant de relever les yeux vers elle, humant à plein poumons son odeur qui était à présent si forte, si poignante. “I didn’t want this, you know?” il lui dit comme si ça n’était pas évident qu’il n’avait pas eu le choix dans toute cette histoire. “But I guess you’re right, at least we don’t have to try anymore, yeah? Nature ruled that we were doomed,” il ajouta avec un rire jaune. Une partie de lui ne pouvait s’empêcher de penser que ça lui faisait plaisir au fond, que ça lui offrait l’excuse parfaite de sortir d’une relation dont elle n’avait jamais vraiment voulu, c’était lui qui l’y avait poussée, après tout, et rien de bon n’en était ressorti.

tw: crude language, ableism

“I guess." Savage sentit une bouffée de colère grimper brusquement, enserrant son ventre, sa poitrine, sa gorge sur son passage destructeur. C'était la première fois qu'elle voyait Rivage si faible, si apathique, si loin du révolutionnaire borné et virulent qui l'avait accompagnée toutes ces années ; la vue de son regard terne et las, fuyant le sien, fit exploser une pointe de malaise lancinante dans son torse, qu'étouffa ensuite brusquement le silence.

Il n'y avait que rarement eu de silences, entre eux, leurs rapports mouvementés ponctués de discussions animées, de disputes, de cris puis de baisers, lorsqu'enfin Savage l'avait agrippé par le col pour le faire taire, et laisser rouler sur sa langue toutes les insultes muettes, qui s'étaient cristallisées dans l'échange brusque, presque agressif, au premier abord. Puis les disputes avaient repris, jusqu'à ce qu'enfin Rivage ne commette l'impardonnable : exprimer les sentiments qu'il avait (bêtement, comme le dernier des débiles) développés pour elle.

Savage bouillonnait, face à cette indifférence marquée qui n'en était pas vraiment – elle voulait qu'il se mette en colère, qu'il s'énerve avec elle, qu'ils se retrouvent en s'écharpant comme avant (avant que tout ne dégénère, et que Savage ne voie leurs existences descendre en flamme suite à une série de décisions qu'elle avait prises). ”You're a coward”, lâcha-t-elle sans ambages, dans l'espoir de le sortir de cette apathie qui la terrifiait autant qu'elle la révulsait. Elle ne voulait rien avoir à faire avec les maillons faibles de leur organisation sur le déclin, et tout signe de faiblesse, même chez Rivage dont elle s'était gorgé du courage et de la détermination durant si longtemps, aurait été fatal à leur rapport – de plus, Rivage était un vampire, désormais, détenteur d'une force physique et de sens affûtés dépassant les siens. Gâcher de tels atouts lui aurait retourné l'estomac. “I didn’t want this, you know?” ”No shit”, lâcha-t-elle avec la même agressivité acide dont elle l'arrosait depuis qu'elle avait pénétré la tente. “But I guess you’re right, at least we don’t have to try anymore, yeah? Nature ruled that we were doomed.”

Sur le fond du rire sans joie de Rivage, Savage sentit une déflagration vive lui brûler le torse ; la douleur mordant sa chair et sa peau s'incrustant jusque dans son cœur perclus d'émotions tumultueuses dont elle n'avait pu se débarrasser depuis leur attaque. ”You doomed us in the first place”, gronda-t-elle en s'approchant, chassant son rire en agrippant brusquement son col – peu importait s'il pouvait sentir à cette distance l'odeur de brûlé qui émanait perpétuellement des craquèlements scindant sa peau, ”you're behaving like a fucking quitter, and because of what? Because I didn't say I loved you too? What kind of fucking childish bullshit is that? Look around us.”

Pas de geste pour désigner le bourbier où ils se trouvaient, ni l'implacable pressentiment qui plombait Savage depuis qu'ils avaient quitté la fête en catastrophe – elle avait planté son regard dans le sien, le harponnant de toute sa colère et de sa crainte. ”Aoife's gone, Chaghan's gone, Numa is in deep shit, you're a fucking vampire.” Ses doigts s'enfoncèrent dans son cou, sans douceur, sa poigne mue par le désespoir qui grondait en elle. ”I need you to stop acting like a fucking weakling, get your shit together. They're coming at us.” Et elle déglutit avec difficulté, avant d'ajouter, un ton plus bas, quelques syllabes qui lui écorchèrent la bouche : ”We need you. I need you, Riv.” La tempête fondait sur eux, et Savage cherchait à accrocher la seule ancre qui lui restait, dans le chaos : l'un des rares amis qu'elle avait jamais eus, et qu'elle ne pouvait se résoudre de perdre si facilement.

“You doomed us in the first place” Sav gronda sans attendre, agrippant son cou d’un geste brusque, comme si elle voulait le frapper, le faire taire, comme toujours, lorsqu’ils parlaient de ces choses là. “Fuck you, I didn’t,” il lui répondit, faiblement, comme s’il n’y croyait pas vraiment. Parce qu’ils étaient tous les deux en tort, d’une façon ou d’une autre, mais c’était difficile pour lui d’accepter de s’être révélé si vulnérable, si entier, à quelqu’un qui était incapable de lui rendre quoi que ce soit. “you're behaving like a fucking quitter, and because of what? Because I didn't say I loved you too? What kind of fucking childish bullshit is that? Look around us - Aoife's gone, Chaghan's gone, Numa is in deep shit, you're a fucking vampire” Riv la regarda sans rien dire. Il savait tout ça, il en était parfaitement conscient, tout comme il était conscient de sa faiblesse, de son inutilité, parce qu’il n’avait pas pu faire grand chose ces derniers jours, parce qu’il était faible, physiquement et mentalement épuisé, parce qu’il aurait eu besoin qu’Aoife soit là et qu’elle ne l’était pas, qu’elle avait été capturée et qu’ils ne savaient même pas si elle était encore vivante. “I need you to stop acting like a fucking weakling, get your shit together. They're coming at us.” - “You think I don’t know that?” La menace pesait lourdement sur eux, sur eux tous. Chaque craquement, chaque bruit non immédiatement identifié créait en eux une angoisse infinie, une angoisse qui n’arrivait pas à se calmer, peu importe ce qu’ils essayaient de faire.

“We need you. I need you, Riv.” Elle lui dit et Riv put déceler au son de sa voix que c’était le plus qu’elle ne pourrait jamais faire, et peut-être qu’il était égoïste et peut-être qu’il ne pouvait pas former de pensée cohérente, peut-être que son esprit était trop pris par elle, par son odeur qui pénétrait ses narines et lui faisait tourner la tête, halfer, wounds, blood et le mettait dans une colère plus intense qu’il n’aurait pu le prévoir. “I’ve been turned a few days ago, days Sav, not months, not years, why can’t you give me a fucking break?” Il énonça fermement, la repoussant d’une main contre son torse. “What do you want me to do, exactly?” Il lui demanda, “You want me to fight and do shit, I can barely fucking stand up, I can’t- I can’t do anything, my mind is going against me, my body is going against me and I don’t know how to fix it,” le désespoir était à présent palpable dans sa propre voix. “And you know what, anyway? Everything I ever did and everything I’ll ever do will never be enough for you,” il lâcha avec un petit rire amer. “You think I’m weak because I have feelings or at least because I can talk about them,” il ajouta rapidement, “because there’s no way you’d be here right now if you truly didn’t give a shit about me; you think I’m weak because I’m a newborn vampire and I’m not acting all put together and shit like Baruch and all the others who have hundreds of years of experience and-” Il pouvait sentir le sentiment d’injustice lui brûler les entrailles. “I’m sorry Sav and trust me, I hate this as much as you fucking do, I hate being stuck here and I hate not doing anything and I wish Baruch would have just killed me.” Sa voix se brisa dans le silence de la pièce avant qu’il ne repose son regard dans celui de Sav. “So, tell me if you know something that I could do, really, because I ran out of options.”

tw: crude language, mention de violence

“I’ve been turned a few days ago, days Sav, not months, not years, why can’t you give me a fucking break?” Savage ouvrit la bouche pour l'interrompre, lorsque Rivage pressa sa main en plein cœur de ses craquelures suintantes. ”Fuck”, éructa-t-elle en refermant ses doigts sur le tissu de son vêtement pour l'en détacher inutilement de son torse blessé – l'explosion de douleur retentit depuis la surface de sa peau jusqu'entre ses côtes, une lumière blanche et crue éclatant sa vue et son ouïe, arrachant ses sens pour mieux les greffer à la violence de cette souffrance lui transperçant les poumons et le cœur.

Fuck. Une chaleur violente lui étouffait le buste, envahissant son crâne vacillant sous l'impact ; ses doigts tremblants refermés sur un métal solide lui indiquèrent qu'elle s'était raccrochée au mobilier de fortune de la tente, aménagée un maximum de par l'état convalescent de Rivage – une chaise était tout l'avantage matériel dont avait hérité le nouveau vampire, et cet éclair de lucidité incongru aurait pu lui tirer un rire malade si toutes ses forces n'avaient pas été réquisitionnées pour contrer le malaise qui guettait sous l'élan lancinant lui brûlant le buste. Fuck, elle aurait dû cramer la gueule à ce fils de chien jusqu'à lui faire fondre le visage – elle cligna férocement des yeux, sa respiration lourde et saccadée sous l'impact, prit conscience, cette fois, qu'elle était assise sur la chaise encombrée, au détriment des vêtements et des livres qui s'y trouvaient. ”– know what, anyway? Everything I ever did and everything I’ll ever do will never be enough for you.” Elle redressa la tête vers Rivage, sa voix perçant à travers la brume étouffante de son mal. “You think I’m weak because I have feelings or at least because I can talk about them, because there’s no way you’d be here right now if you truly didn’t give a shit about me...” La voix de Rivage se perdit dans le sifflement aigu de ses oreilles ; Savage cilla des yeux pour éclaircis ses sens brouillés par la douleur, retenant difficilement son estomac cherchant à remonter jusqu'à sa gorge. C'était comme revivre l'impact à chaque contact ; et à chaque fois Savage se rappelait qu'elle avait survécu au premier choc, et qu'elle survivrait donc à ces échos, aussi douloureux soient-ils. “I’m sorry Sav and trust me, I hate this as much as you fucking do, I hate being stuck here and I hate not doing anything and I wish Baruch would have just killed me.”

”Don't say stupid shit”, siffla-t-elle en sentant une sueur froide se cristalliser sur sa poitrine brûlante. “So, tell me if you know something that I could do, really, because I ran out of options.” ”Move.” Ses phalanges blanchies relâchèrent leur prise, et Savage se leva à peine pour se rasseoir immédiatement sur le lit, se laissant glisser dans un grognement sur un coude, son dos contre le voile de la tente solidifié en un mur. ”Check this fucking thing”, elle relâcha difficilement son t-shirt maculé, repoussant le vertige qui lui avait assailli le crâne en se déplaçant, pour tirer sur son col, dégageant son cou pour lui laisser voir la croûte rouge et noire, une crevasse brûlée où semblait couler un filet de lave à même sa peau. Le risque était moindre, quant à Rivage : sa blessure n'était pas fraîche, et puait le brûlé jusqu'à la dégoûter elle-même de sa propre odeur. ”Malee can't do shit, Aoife,'s gone,” fit-elle en guettant la réaction de son camarade, le souffle court et le front brillant, ”can't your alchemy shit help at all?” De quoi l'occuper, comme il venait de lui réclamer en geignant.

“Move” Sav lui répondit d’un ton sec. C’était le premier mot qu’elle avait prononcé qu’il avait vraiment entendu, depuis un moment, le reste s’était perdu dans tout ce que lui avait à dire. Il l’observa, confus, se lever puis se rassoir presque dans le même geste, sans comprendre ce qu’elle cherchait à faire, ce qu’elle faisait. Le question lui brûlait les lèvres mais il la garda pour lui. Peut-être qu’il n’avait réellement pas écouté, peut-être qu’elle essayait de lui dire quelque chose depuis tout ce temps et qu’il n’avait pensé qu’à lui, qu’à sa propre douleur, aussi intense soit-elle.

“Check this fucking thing,” elle dit enfin et il ne put que garder ses yeux fixés sur elle alors qu’elle dégageait le tissu de son torse, laissant apparaître une blessure qui lui coupa le souffle avant de l’assaillir de plein fouet. Il ne put contrôler la grimace qui prit place sur ses traits ni le “shit” soufflé qui lui échappa. Il n’avait rien vu venir, pas vraiment. C’était comme si tous ses sens s’étaient concentrés sur ce qu’il reconnaissait en tant que Sav, son odeur devenue familière, ancrée en lui comme tout ce qui touchait à elle l’était, comme s’il n’avait pas voulu voir ce qui était pourtant devant son nez.

Il s’approcha légèrement, sa respiration légère, comme pour ne pas sentir l’odeur de brûlé qui prenait de plus en plus d’ampleur. Maintenant qu’il l’avait vue, maintenant qu’il l’avait sentie, c’était la seule chose vers laquelle son esprit semblait vouloir se tourner. Il en aurait presque sourit, au vu de l’ironie de cette situation, lui qui avait tant essayé de contrôler ses sens, de ne se concentrer que sur une seule et unique chose. Il en avait été incapable, jusqu’à maintenant. “Malee can't do shit, Aoife,'s gone - can't your alchemy shit help at all?” Il réfléchit un instant, se passant une main froide sur le visage. Riv n’était pas mauvais en alchimie, mais il était loin d’être aussi bon qu’Aoife l'était et il savait que la moindre erreur pourrait lui coûter bien plus qu’une vilaine blessure. Mais Aoife n’était plus là, quels choix leur restait-il ? “I’m … not sure,” il lui murmura faiblement. “I could try to speed up the healing but depending on the kind of magic that’s in there it might do nothing at all.” C’était faisable, il supposait, mais les chances de réussite étaient faibles. “We co- I could try to push the infection or whatever out but that’s … that’s a lot riskier and I- I’d need to, like, research this shit.” Il ne voulait pas la décevoir, pas encore une fois, mais elle semblait lui demander l’impossible et il n’était pas sûr de vouloir tout essayer, cette fois-ci, tant ces choses là étaient risquées.

tw: blessure, angst

La peur suintait de ses gestes mesurés, d'une précaution qu'elle ne lui connaissait pas - elle aurait aimé le voir sortir les crocs plutôt que de les planquer comme un vampire de trois semaines (ils n'avaient pas le temps) et Rivage et elle avaient lié grâce à leurs caractères explosifs, vindicatifs ; il était douloureux d'imaginer que Rivage avait définitivement perdu culot qui l'avait propulsé dans les faveurs de la Halfer. "I’m … not sure." "You're what?" le reprit-elle d'une voix forte, couvrant le murmure ridicule du harpie - du vampire. Il puait doublement, maintenant ; Savage fronça le nez, s'acharnant à trouver dans le regard fuyant de son ancien amant, ancien ami, ancien bras droit, tout ce qu'elle abhorrait chez autrui. Il suffisait de se concentrer sur sa hargne, et les dernières idioties en date qu'il lui avait balancées - et pourtant Diana peinait à creuser plus loin que cette colère douloureuse, sans fondement, qui lui labourait le torse. "I could try to speed up the healing but depending on the kind of magic that’s in there it might do nothing at all." Les sourcils de Savage retombèrent sous la perspective d'une solution ; might, c'est qu'il y avait une chance, un espoir plus grand que ce à quoi elle s'était résolue depuis des jours - la douleur, puis la mort, car elle n'était pas certaine de réussir à endiguer, seule, le feu qui lui dévorait la chair. "We co- I could try to push the infection or whatever out but that’s … that’s a lot riskier and I- I’d need to, like, research this shit."

Savage se redressa en serrant les dents, s'appuyant sur le matelas en ignorant la sueur froide imprégnant son front. Stop moving around, you'll drop dead at some point. "Riskier how?" fit-elle en faisant face à Rivage, s'approchant de lui en tâchant d'ignorer la puanteur de son corps - pour mieux se rendre compte que l'odeur infecte qu'elle sentait, depuis le début, était celle des blessures suintant une magie obscure et vorace. "I'm not even sure I'm healing at this point, ugh," fit-elle sur un souffle en sentant la tête lui tourner, se retenant à l'épaule de Rivage. Inspire, expire, you've gone through worse. Elle déglutit difficilement pour faire passer le malaise, et ses yeux revinrent s'ancrer à ceux de Rivage. "Let's try the healing shit, we don't have time for research. Can you do this now?" I won't last long, se retint-elle de dire, en sondant son regard, ses doigts s'enroulant autour de son épaule en une prise plus désespérée qu'elle ne l'aurait voulu.

"Riskier how?" Sav lui demanda et Riv lui lança un regard quelque peu désespéré. Il y avait probablement de raisons qui faisaient de ce qu’elle lui demandait une chose risquée que l’inverse. Il ne saurait même pas par où commencer pour lui expliquer tout ce qui pourrait ne pas fonctionner et rendre les choses encore pires qu'elles ne l’étaient déjà. “I- so many ways,” il finit par répondre, incertain et maladroit. C’était le genre de réponses que Sav détestait par-dessus tout et il le savait mieux que quiconque. “It could make the infection worse, it could- it could you, this is not, it’s dangerous,” il expliqua rapidement, essayant de justifier l’inconfort qui avait soudainement pris place dans ses tripes. Il n’y avait rien d’aisé à l’alchimie, les rares alchimistes à qui il avait pu parler, ceux qui s’y connaissaient vraiment, le lui avaient dit et répété. C’était dangereux, bien plus dangereux que de la simple magie, bien plus instable.

“I'm not even sure I'm healing at this point, ugh,” Sav lui dit en s’accrochant à lui et d’instinct, ses propres mains agrippèrent sa taille pour le retenir. Comme si leur discussion avait rendu les choses plus réelles, l’odeur qui émanait de ses blessures semblait plus forte, omniprésente à tel point qu’une partie de Riv le suppliait de quitter cet endroit, de ne plus s’exposer à quelque chose de si profondément mauvais.

“Let's try the healing shit, we don't have time for research. Can you do this now?” - “I- I shouldn’t,” il répondit faiblement. Les yeux de Sav étaient venus se poser sur lui à nouveau, et Riv fut surpris d’y voir une détresse qu’il n’avait que rarement vue auparavant. Riv détestait ce genre de questions. Tout le monde pouvait toujours essayer, la question était de savoir si essayer était une bonne idée, si essayer n’allait pas causer plus de mal que de bien. Quelque temps avant, il n’aurait pas hésité, pour quelqu’un d’autre, il n’aurait sans doute pas hésité non plus. Mais c’était maintenant, c’était Sav et il ne se pardonnerait jamais s’il lui faisait du mal et elle ne lui pardonnerait jamais de ne pas avoir essayé. C’était une situation impossible.

“Okay, okay,” il murmura finalement. “Take your shirt off,” il lui intima, s’éloignant quelques instants afin de récupérer une des craies magiques qui trainait toujours à portée de main. Il revint vers elle, ravala un nouveau haut le cœur et prit une grande respiration avant de commencer à tracer un cercle aussi précis que possible. Il essaya de garder son attention centrée sur son intention, comme on le lui avait appris. Il put peu à peu sentir l’énergie passer entre son corps et le sien, faible et lointaine mais présente. Ils restèrent ainsi quelques minutes. “I’m not sure that did anything,” il murmura en la direction de Sav, “do you feel any different?”