Le mot “organisation” serait peut être un peu fort pour décrire l’attroupement d’hybrides regroupé sous l’étendard de la NSFW - No Safety For Wizards, lui a-t-on expliqué sous son froncement de sourcils interrogateur. Il n’a pourtant pas fallu bien longtemps à Sofiane, lorsqu’il s’est réveillé le corps endolori et l’esprit embrumé, pour comprendre non seulement ce qu’il s’était déroulé, mais également où il se trouvait. Tout fugitif comme lui n’est pas sans connaître l’existence des campements de résistants éparpillés dans le pays, dont on parle avec admiration ou crainte ; et il fut une époque où Sofiane pensait qu’il n’était qu’une question de temps avant qu’il ne se retrouve à atterrir au coeur de l’un de ces groupuscules. A croire que les années sont passées trop rapidement, suffisamment du moins pour le prendre par surprise lorsqu’il s’est réellement réveillé dans l’une des tentes du camp terroriste, sous le regard d’une demi-Selkie bienveillante lui soufflant des mots rassurants pour calmer la panique qui le prit en ouvrant les yeux.

Un peu plus de deux semaines qu’il se mure dans son silence, observant avec une certaine distance les plans se mettre en place, les hybrides revenir de mission, préparer les suivantes, exploser au visage les uns des autres pour des futilités. Dans les rangs, on parle de s’en prend au gouvernement directement, à l’ASAP, aux sang-purs quels qu’ils soient, à la terre entière, en passant même par l’Ordre du Phénix. C’est Aoife qui lui a expliqué comment la résistance est organisée, son évolution ces dix dernières années - Sweet Rivers, et les événements qui ont menée la NSFW à se désolidariser de l’organisme présenté dans les médias comme les ennemis de l’état. Sofiane a pu entendre se glisser dans son récit une colère sourde et insidieuse, la même qu’il éclater de manière incontrôlée et imprévisible chez ses nouveaux compagnons de fortune. Et si cette haine grondante s’abreuve dans la même source que la sienne, elle n’en demeure pas moins sensiblement différente - bien plus explosive, nerveuse, marquée par ces dix années à se battre dans le vent.

Sofiane peut sentir jusque dans l’air âcre qui épouse le camp de la cellule résistante cette soif de vengeance inassouvie, à laquelle se mêle en vent de panique indéniable. "It’s not always been this way", a précisé Aoife en désignant celle que l’on connaît sous le nom de Savage, et que Sofiane a rapidement repéré comme celle grognant les ordres dans les rangs du groupe d’hybrides. Une tête pensante trop brûlée qui, de la distance confortable et réservée à laquelle le lycanthrope l’observe depuis deux semaines, semble étendre son brasier jusqu’à ses troupes rongées par la fatigue et la rage - un incendie dangereux, que Sofiane peut sentir s’approcher chaque jour.

"He’s awake, you can come in." Il adresse, en guise de remerciement, un simple hochement de la tête à la sorcière qui sort de la tente pour lui céder sa place. Il a lui-même demandé à rencontrer ce Numa qui se perd sur toutes les lèvres autour de lui, un nom que l’on invoque à répétition, autant pour se plaindre de celle qui a pris sa place que, à l’inverse, encenser ses prises d’initiatives. Par curiosité, par besoin de comprendre où il se trouve, par respect également - autant de raisons qui ont poussé Sofiane à demander cette brève audience, ne serait-ce que pour mettre un visage sur ce nom. Trouver des réponses au coeur de l’oeil de la tempête dans laquelle il se trouve. Alors, il repousse d’une main l’épais tissu de l’entrée de la tente pour pénétrer à l’intérieur ; et aussitôt, ses narines sensibles de loup sont assaillis par un mélange insoutenable d’effluves - celles de la peur, de la fatigue, de la mort, proche du parfum qui embaumait l’arène dans laquelle il a mis à terre tant d’opposants qui n’en étaient pas réellement. Sofiane marque une pause en rencontrant le regard du sorcier, assis sur son lit, qui lui adresse un rapide signe de la tête pour l’inviter à s’engouffrer un peu plus sous la tente. Ainsi, il fait quelques pas en avant, ne lâchant pas des yeux Numa - et s’il a été frappé en premier lieu par l’odeur contenue sous les drapées de la tente, Sofiane l’est dans un second temps par la présence notable du demi-Vélane. " ‘Evening", débute-t-il en s’arrêtant face au lit, balayant un instant du regard l’intérieur dans lequel Numa passe vraisemblablement ses journées. "I thought it was time I introduced myself. Thank you for having me, by the way." Ses bras se croisent sous ses sourcils légèrement froncés, une posture confortable et confortante, un réflexe insufflé par les années de solitude à ne profiter que rarement de la présence d’autrui. "But I guess Aoife’s already told you who I am, right?"

Deux mois se sont écoulés maintenant depuis qu’il a été frappé en plein coeur, depuis qu’il est tombé plus bas que terre sans pouvoir se relever. Depuis que cette gangrène putride a pris résidence prolongée dans sa chair l’incapacitant la plupart du temps. Il dort, il masque les cris derrière un visage impassible, dissimule la torpeur sous une couche de bienveillance. Alors qu’en réalité, Numa n’est que l’ombre de l’homme qu’il était et ne sert plus à rien si ce n’est à rappeler à tout le monde la dureté du hasard, la mortalité de chacun. l’ironie cruelle de ce monde qui est le leur.

On lui fait des rapports journaliers - enfin dès qu’il n’est pas assommé par les potions créées pour apaiser les stigmates brûlantes - on s’occupe de lui, il se sent infantilisé, inutile, restless. Il prend sur lui, sourit, accueille celleux qui voudraient le voir, le parler, s’assurer de sa santé. Savage et Aoife sont là quasiment tous les jours. Rivage est aux abonnés-absents depuis leur dernier échange. Numa s’occupe comme il peut, il tourne en rond dans sa tente quand personne ne le regarde, fait semblant de ne pas s’être levé quand on vient l’observer. et il agite sa magie du bout des doigts ou de sa baguette,la frustration n’allant qu’en augmentant tandis que sa puissance diminue. Encore. Toujours. Inlassablement. Il s’est mis à la méditation, c’est bien tout ce dont il se sent capable la plupart du temps, regarder en-dedans car il n’a plus la force d’agir au dehors. Et il s’impatiente, et la colère gronde, un nuage sombre glissant entre les failles de son palais mental d’ordinaire inébranlable.

Pourtant, dans le brouillard des jours qui passent et se ressemblent tous, Numa se tient informé de tout ce qu’il se passe. S’il n’est plus le leader proclamé de la NSFW, il en a toujours les réflexes - certains le considèrent sans doute toujours comme tel - et s’intéresse à toutes les évolutions de ce groupe, son mouvement. Les nouveaux et ce qu’on dit d’eux, les tensions, les choix qui sont pris et ce qu’on évite. Cela lui permet de garder un semblant de contrôle à celui qui a toujours tendance à analyser, évaluer, analyser encore, tout préparer dans les moindres détails. Et quand le contrôle lui échappe. alors, il nettoie.

Après ses soins hebdomadaires et la potion amère - pourquoi le sont-elles toutes - qu’il a refusé de prendre pour le moment, on lui indique qu’un nouvel arrivant souhaite le voir. Sofiane. un lycanthrope récupéré lors de la dernière mission fructueuse des siens (une de plus à laquelle il n’a pas pu participer) et dont le patronyme revient souvent sur les lippes d’Aoife. Il acquiesce, la douleur est plus que jamais présente sur son bras, son épaule et à l’intérieur, mais au moins est-il en présence de toutes ses facultés mentales lorsque l’homme fait son entrée, presque timidement, dans sa tente. Numa est assis sur son lit, en tailleur, hoche doucement de la tête pour l’inviter à s’avancer un peu plus et lui sourit. Une calme chaleur se répand dans la pièce et les englobe tous deux. "I thought it was time I introduced myself. Thank you for having me, by the way." “Sofiane. You’re welcome, it’s a pleasure to have you here.” Le sourire s’étend et apaise les traits tirés par les souffrances quotidiennes. Même le plus doux des demi-vélanes ne pourrait masquer complètement les effets de son mal sur sa peau, sur son être. Au moins, le nouveau n’a-t-il pas la (mal)chance de l’avoir connu avant, quand tout allait bien, quand il était encore au mieux de sa forme. "But I guess Aoife’s already told you who I am, right?" Il hoche de nouveau de la tête, Numa lui indique une chaise où s’asseoir, l’invite à prendre ses aises. “She did. But, it’s always nice to put a face on a name, and to finally meet you in person.” Ses yeux se plissent un peu plus alors que son sourire ne faiblit pas. “How’s life with us treating you?”