Caesar a le même sourire plaqué sur les lèvres depuis des heures, et pourtant il ne faiblit pas. Il y est habitué, pourtant, animal social jeté dans les pattes de la haute société sorcière dès qu'il a été en âge de tenir une conversation entière sans se ridiculiser. Mais entre les voyages - ils sont rentrés de Séoul la veille, après y être restés trois jours à peine - et les longs moments passés soit à aider Benjamin et Celyn avec les préparations de dernière minute, soit à accueillir et faire plaisir aux invités, commencent à se faire sentir, et à peser sur ses épaules de plus en plus.
La cérémonie en Corée a été bouclée, entre deux longs repas obséquieux avec sa belle-famille et la famille de sa mère, et maintenant vient la tâche difficile de cette fois recevoir les félicitations de leurs collègues, amis et voisins qui vivent en Angleterre. Exactement les mêmes personnes qu'il y a cinq mois, lors de l'enterrement, cette fois-ci réunis pour des circonstances plus heureuses, quoiqu'à même plus réjouissantes.

Malgré le temps qu'ils ont enfin pu passer ensemble, seuls, Caesar fuit sa femme comme la peste et se jette sur la moindre raison de ne pas rester avec elle, même quand Benjamin lui dit gentiment qu'il ne travaille pas encore pour Rosier Events - ça viendra après le mariage, lorsqu'il sera correctement installé à Potter's End dans la maison offerte par Celyn - et qu'il n'a pas besoin de s'angoisser à l'idée d'organiser sa propre réception. Ce que Benjamin ne comprend pas, c'est que des mois entiers d'inactivité ont rendu Caesar fébrile - d'une manière qu'il n'a jamais été avant - et facilement submergé face à toute tâche à accomplir. C'est encore pire depuis qu'il a été viré de sa propre compagnie par Zabini, encore pire depuis l'ouverture du spectacle qui s'est véritablement fait sans lui malgré les apparences, encore pire depuis que Benjamin lui a promis qu'une place l'attendait à Rosier Events.

Mais toujours, gentiment, on le met de côté, on lui dit de profiter, que même si c'est un mariage arrangé, c'est tout de même un évènement heureux qui n'arrive qu'une seule fois dans une vie. Ca ne sert à rien de faire la tête, du coup Caesar se contente simplement de se faire tout petit, et d'aller là où on lui dit d'aller, sans trop se poser de questions.
Quand la réception commence enfin, lui et Irene ont la dure tâche d'accuellir chaque invité, de s'extasier devant chaque cadeau encore emballé, et de faire front à deux pour recevoir félicitations et conseils bien avisés. Les invités ont été triés sur le volet, et Caesar les connait tous; pourtant, il ne voit aucun visage qu'il a véritablement envie de voir.

Quand Karim se plante devant lui, il sait qu'il aurait dû s'y attendre - il a vu son nom sur la liste des invités -, mais il sent tout de même son coeur tomber dans sa poitrine. Qu'il soit accompagné de sa femme enceinte jusqu'aux dents, et qu'il le prenne dans ses bras avec chaleur pour le féliciter tout en roucoulant des absurdités à Irene, laisse Caesar de marbre.
Après coup, quand il en a fini avec les invités, Caesar attrape en passant sa première coupe de champagne sur le plateau porté par un employé engagé par Rosier Events, en ignorant le regard d'avertissement de Celyn.
Ca va être une très longue soirée.

Le voyage avait, comme prévu, été une torture : des chaleurs étourdissantes pour un mois de mai les avait accueillis, à Séoul, et les derniers préparatifs avaient dû être effectués au détriment de sa fatigue et de son malaise (Celyn avait, comme toujours lorsqu'il se déplaçait à l'étranger, passé les premières heures suivant son premier repas à le régurgiter, sous les regards inquiets de Benjamin, à qui il avait assuré que tout irait bien, sitôt qu'il aurait l'assurance de pouvoir ingérer une potion adaptée).

La cérémonie, en soi, avait été l'apothéose de son mal être : il pouvait sentir sa peau coller, sous le riche costume traditionnel qu'il avait enfilé, à la place de son père, pour accueillir les invités venus féliciter le marié. Benjamin l'avait fait asseoir au bout d'un moment, en voyant son teint virer aussi blanc que la chemise intérieure de son hanbok, et Celyn avait suivi l'échange des vœux lui-même en sentant de prodigieux vertiges l'assaillir, aggravant ses sueurs froides, qu'il devait régulièrement éponger sur sa nuque brûlante.

Caesar avait été parfait, Irene irréprochable, tous deux sublimes dans leurs hanbok ; le sourire éclatant de Kaz disparaissait sitôt qu'il croisait le regard de son frère, et Celyn détournait tout aussi rapidement les yeux, pour échapper à la brûlure âpre du mépris de son cadet. Ils échangèrent le moins de mots possibles avant et pendant le mariage, et Celyn fut soulagé de constater en se levant, le jour suivant, que Caesar était avec Irene, et le serait désormais chaque jour de son existence.
Il restait encore une modalité, avant de pouvoir confier son frère à sa belle-soeur, et de clore ce chapitre douloureux où flottait ce froid pénible, que personne chez Rosier n'était enclin à briser vraiment.
Car il aurait fallu parler de leurs émotions, encore vives, d'autres piques criblant leurs cœurs, du vide, de leurs parents – à quel point ils auraient aimé être là, à quel point ils auraient été fiers et comblés, une larme à l'oeil en envoyant leur premier fils perpétuer leur lignée.

Aux félicitations de mariage s'étaient, sur place, mêlées de discrètes condoléances de connaissances éloignées.

Rentrer avait été un soulagement certain, et Celyn avait fait appeler son acupuncteur aussitôt qu'il fût rentré chez sa tante ; ce dernier, devant son état maladif, lui avait fortement déconseillé de se tenir à la dernière partie du programme. Buté, le Rosier avait insisté jusqu'à obtenir son traitement ; ce n'était que l'affaire d'une réception, plus modeste que l'union grandiose de Séoul, et peu de monde, ici, s'attendait à ce qu'il remplace entièrement Aloysius.

Ils savent, ici. Tu n'as pas les épaules pour notre héritage.

Il avait passé le costume qu'il avait fait tailler, pour l'occasion – des roses brodées sur les manches, s'ouvrant et se fermant selon la lumière, le bruit, l'environnement entourant leur porteur ; de quoi faire honneur à leur nom, sans pour autant éclipser le costume de Caesar, qu'il considéra, en silence, lorsqu'ils se retrouvèrent.
Les félicitations restèrent coincées dans sa gorge, et Celyn détourna le regard avant qu'il ne trahisse les émotions lourdes qui le traversaient.

Il resta légèrement à l'écart, durant la réception, épaulant Ben dans les directives, sentant la sueur fiévreuse lui revenir, qu'il épongea tout aussi discrètement à l'écart des regards ; c'était l'une de ses premières apparitions publiques, et il s'avéra qu'on lui démontra un intérêt particulier, déplacé au vu des circonstances – il s'agissait du mariage de son frère, et son état de fatigue avancé l'empêchait d'être aussi vif qu'il l'aurait souhaité, le faisant s'excuser régulièrement avec de fallacieux prétextes.

Il resta un peu plus longtemps, auprès d'Ezekiel, lorsque ce dernier vint les saluer avec Benjamin, coulant un regard à Caesar lorsque ce dernier s'empara d'un verre d'alcool – une autre mauvaise idée, dont il se détourna pour reporter son attention sur son propre verre de thé glacé.
Ce n'était plus de son fait, désormais ; et Celyn était épuisé.