Peut-être que sa gueule ne leur revenait pas. Peut-être qu’elle criait trop fort. Depuis sa naissance, elle passe trop de temps à y réfléchir, à se retourner le cerveau pour comprendre où elle a bien pu merder, à peine le premier souffle pris. Elle a fini par abandonner, depuis, tente de ne plus y penser. Mais ça reste là, dans un coin de son esprit, ça refuse bien de la lâcher, même si elle fait tout pour l’ignorer, se faire à cette vie qu’on lui a donné. Après tout, elle aurait pu être moins chanceuse. Récupérée par une Médicomage, plutôt que laissée à l’orphelinat, elle est sauvée d’une enfance tiraillée entre plusieurs foyers et des enfants aussi perdus qu’elle.

C’est chez les Marsh qu’elle atterrit, chez eux qu’elle fait son nid. Sa mère adoptive n’est plus toute jeune, a fait son temps, prouvé à mainte fois à sa famille qu’elle ne voulait pas de mari, préférait la vie de célibataire. Elle défie les normes si ça lui chante, ne renie pas pour autant la notion de famille, souhaite élever un enfant aussi bien qu’un couple le voudrait. Et pourquoi pas, après tout ? Rena y vit une enfance heureuse, dans ce foyer qu’elle partage à deux. Elle grandit comme n’importe quelle enfant de son âge, avec la vivacité qui la caractérise, la curiosité qui ne lui fait pas défaut.



Son entrée à Poudlard est aussi déchirante qu’exaltante. Enfin, elle s’envole du nid, excitée à l’idée de découvrir ce monde. Mais l’idée de laisser sa mère seule avec elle-même, d’en être séparée autant de temps, lui fait bien mal au cœur. C’est compliqué de s’y faire, il lui faut un temps avant de s’adapter à cette nouvelle vie, mais finalement, elle s’y plait bien, à Poudlard, y forge son nid, dans la maison Poufsouffle. Elle n’est peut-être pas la plus assidue, sûrement pas la plus sérieuse, oui les cours l’ennuient beaucoup. Mais elle y trouve un terrain de jeu grandiose, se nourrit de ses expériences sociales, se plait bien trop auprès de ses camarades.

Pourtant, il faut bien se l’avouer, sa scolarité ne se fait pas sans heurts. Sa première année est rythmée par les passages du monstre de la chambre des secrets dans les couloirs, les accidents qui s’accumulent jusqu’à faire régner un climat tendu dans l’école. Sa deuxième année n’arrange rien, lorsque l’école entière craint l’irruption d’un prisonnier d’Azkaban dans l’école. La tension qui règne est pourtant félicité plus tard, lors du Tournoi des Trois Sorciers, où elle est bien la première à se lever pour encourager le champion de sa maison – quand bien même il l’empêche de devenir attrapeuse, ce saligaud. Elle se passionne pour tout, Rena, s’amuse d’un rien. Elle fait son nid dans la maison Poufsouffle, y trouve sa place, se plait auprès de ses camarades et des cuisines, profite de chaque instant.

Les années suivantes – toujours entachées des drames qui sévissent à Poudlard – ne la laissent guère indifférente. Nouvellement introduite dans l’équipe de Quidditch de sa maison, elle remplace un défunt, s’alourdit la conscience comme attrapeuse, à la place d’un héros. La même année, elle s’implique dans l’AD, fait partie de ces élèves prêts à se dissimuler dans l’ombre pour une cause qui les dépasse encore. Elle n’est pas seulement là pour apprendre au détriment d’un professeur, mais aime surtout l’idée d’une rébellion dissimulée. Mais elle n’est pas prête à ce qui suit, au véritable combat qui se joue dans l’ombre. Inconsciente de ce qui se trame réellement, elle ne voit rien venir, ni la disparition d’Harry, ni l’avènement d’un nouveau gouvernement, subit sans comprendre, se trouve bien bête, elle et son arrogance d’adolescente. Elle vit sa vie sans être sûre de la marche à suivre, continue d’avancer, percluse de doutes, continue pourtant de voir un refuge en Poudlard. Prend de l’assurance, passée capitaine de l’équipe de Quidditch de Poufsouffle, continue d’œuvre pour l’AD, en toute discrétion, révoltée, et en même temps abasourdie. Elle a besoin de se raccrocher à un mouvement, à des gens, pour ne pas perdre pieds, pour se convaincre de la réalité de la chose. Qu’elle n’est pas folle, que ce n’est pas normal. Et en même temps, que peuvent-ils y faire ?


1999 sonne la fin de vie du dernier rempart contre le monde qu’il lui restait. Alors qu’elle pensait toujours pouvoir se raccrocher à sa mère au moins, la dragoncelle la rattrape, s’implante trop profondément pour être soignée. Il n’y a aucun espoir. La fin d’année est rude, elle vit dans l’attente et l’appréhension, sans savoir vraiment quel verdict va tomber. Elle est de plus en plus dissipée, en oublie le Quidditch et ses autres responsabilités. Le monde peut bien partir en cendres qu’elle s’en moquerait bien. Sa mère risque de mourir, et c’est bien la chose la plus importante qui soit, à ses yeux. Celle-ci décède peu avant ses examens de fin d’étude, et elle envoie tout bouler, ne cherche pas à sa raccrocher au radeau, elle qui n’avait déjà guère d’espoirs. Le régime de terreur et son peu d’appétit pour les études n’aident en rien à la maintenir.

Sa véritable vie d’adulte autonome commence en réglant des papiers, encaissant un maigre héritage. Des formalités qui la dépassent, nourrissent sa colère, lui semble si impersonnelle alors que le deuil s’ancre dans son cœur. A nouveau orpheline, elle est perdue dans le monde qui lui semble soudain bien trop grand pour elle. Dépassée par la situation, elle cherche seulement à survivre, à trouver un semblant de rationalité. Elle ne sait plus à quoi se raccrocher, erre un peu au hasard. Elle accumule les petits boulots sans grande prétention, n’a plus guère d’ambition. Le rêve d’enfant persiste dans un coin de sa conscience, et elle trouve seulement la force de passer quelques sélections chaque fois que l’occasion se présente, sans jamais être engagé par une équipe de Quidditch.

2001 : Les restes de l’AD et de cette rébellion qui l’anime demeure. On parvient à la faire espérer, à la faire croire en une cause et elle intègre l’Ordre du Phénix sous le pseudonyme de Margay, petit félin menacé et menaçant. Elle se fait roublarde et discrète, Rena, procure informations et denrées dans le besoin, s’infiltre partout, petite bête discrète et curieuse qui joue bien les agents aux longues oreilles. On ne fait guère attention aux employés zélés, et elle joue bien le rôle de ceux qu’il vaut mieux ignorer.

Aout 2003 : Après de longues années à trimer, tenter, sans jamais rien ne lâcher, une équipe de Quidditch accepte de la prendre dans ses rangs. Ses années glorieuses au sein de sa maison commencent à remonter et elle ne s’étonne guère de finir remplaçante, reléguée au banc de touche, à attendre les malheurs de ses coéquipiers pour pouvoir briller sur le terrain. Finalement, elle n’aura jamais l’occasion de jouer un seul match, mais elle est encore si jeune et plein d’espoir, qu’elle ne doute pas un seul instant que son tour viendra. Quelle cruelle erreur…


Novembre 2003 : Alors même qu’elle commençait à y croire, en ses rêves, tout s’effrite entre ses doigts. L’attaque de Wolverhampton sonne la fin de tout, pour elle. Dans le chaos qui s’ensuit, au milieu des cris et des jets de sortilèges, elle parvient à s’en sortir, sans savoir vraiment comment, s’attribue une bonne étoile au cœur de son malheur. Mais peut-être bien qu’elle aurait préféré y rester, après tout. Que ç’aurait mieux valu à ce genre de destin. Elle a fui seule, dans la nuit noire, armée de sa seule baguette. N’a rien vu venir, n’a rien pu faire. Toute tentative de défense est vaine, lorsque le loup s’abat. Fenrir ne lui a laissé aucune chance, lui a retiré tout choix, une fois qu’il l’a déclaré des siens.

La suite, elle aurait bien préféré l’oublier. Cette meute est devenue la sienne sans qu’elle ne le veuille vraiment. On lui impose un nouveau mode de vie, une famille qu’elle honni. Elle n’aime rien tant que tenter de s’enfuir, chercher la moindre faille dans le système pour échapper à l’attention de son père ou de ses grands frères – elle ne cautionne pas ces titres qu’ils s’accordent, cette importance qu’ils se donnent par rapport à elle. Elle est trop vieille pour être aussi facilement malléable que les jeunes loups que Fenrir créent habituellement, ne se départit pas de la rébellion qui brille dans ces deux grands yeux sombres. Endure chaque jour sans s’imaginer d’avenir entre les caravanes crasseuses.

2004 : Il aurait au moins pu lui faire cette fleur. De ne pas la déclarer, la laisser espérer l’anonymat. Mais Fenrir la condamne une nouvelle fois en forçant le recensement. L’humanité disparait sous le terrible tatouage qui lui pique la nuque, une fois devenue hound. Elle n’est plus qu’une bête sauvage, un animal en cage, que les sorciers se font forts de contrôler. Contre toute attente, sa handler n’a pas été si terrible. Elle se serait attendue à pire, se contente d’endurer en silence, le regard noir, sans pour autant baisser les yeux. Jamais. Elle ne se reconnait plus dans le monstre obéissant qu’on a créé, dans le loup bien dressé qu’on voit en elle. Cherche encore une parcelle d’humanité, un bout d’elle-même, sans être sûre de le trouver. Elle est une étrangère dans son propre corps, dédaigne cette vie qui lui a échu. L’enfant enjouée, vive et souriante – que les années du nouveau gouvernement avaient déjà bien amoché – est définitivement oubliée, piétinée, fracassée. Ne reste qu’une ombre, un résidu d’individu.

Quand bien même ses liens avec l’Ordre du Phénix ont été coupé par la force des événements – et un certain ressentiment, il faut bien se l’avouer, qu’elle s’est sentie abandonnée – la germe de rébellion n’a pas faiblit, n’a fait que grandir au fond de son crâne, empoisonner sa psyché. A chaque coup donné, l’envie de le rendre est décuplée. Elle fomente son projet dans son coin, ne laisse rien au hasard réfléchit bien avant de s’engager dans quoi que ce soit. Peu à peu, elle rassemble ressources et aides, son schéma se fait plus clair, plus précis. Faire sauter le département de la justice magique. Ambitieux projet, dont elle ne démord pas pour autant, dans le fond de son cerveau retord.

Juillet 2006 : L’année où tout se précipite. Nouveau décret, qu’elle est bien obligée de respecter, puisque Fenrir l’a recensé. Un tatouage disgracieux lui dévore la joue et elle doit le porter comme si de rien n’était, en subir la brûlure cuisante, le rappel amer de sa réalité. La moindre surface réfléchissante se fait grand ennemi, et elle redoute chaque fois de croiser son propre regard, de se dévisager et de s’attarder sur l’encre qui marbre sa peau. Sa détermination à faire sauter un foutu bâtiment s’accroit, se définit de plus en plus, et elle en vient presque à penser qu’elle pourrait voir le bout de cette idée.

Octobre 2006 : Il a bien fallu pourtant qu’on retrouve sa trace, qu’on découvre ses petits projets, d’une manière ou d’un autre. Elle ne sait bien comment, si elle doit blâmer sa Handler, un quelconque informateur anonyme, ses liens avec l’Ordre du Phénix, ou bien seulement sa propre bêtise. Mais le fait est là. Alors qu’elle pensait avoir déjà touché le fond, on lui prouve qu’on peut bien encore la priver de quelque chose, que le système trouvera toujours un moyen de la punir d’une manière plus cruelle encore. Envoyée aux battues, elle y trouve un nouvel enfer, un monde qu’elle n’aurait jamais cru connaitre. Elle ne se serait jamais doutée de pareille cruauté. Et pourtant, rien ne l’a empêché de relever le menton, de ne surtout pas se laisser faire par le destin. Elle ne compte pas crever là, quand bien même c’est le sort qu’on semble réserver aux prisonniers de Gracefield, se donner les moyens de s’en sortir, quoi qu’il en coûte.