tw: crude language

Travis n'est pas tout à fait sûr de ce qu'on attend exactement de lui. Il sait que même si Shae est tout à fait capable de se protéger elle-même, elle a aussi besoin d'un garde du corps lors de la sortie mondaine occasionnelle; il sait aussi que sa position privilégiée en tant que fils bâtard issue d'une grande familla britannique pourrait aider, même s'il lui faut encore entrer en contact avec sa famille paternelle pour fignoler tout ça.
Il sait, aussi, qu'il est obligé de porter une cravate et de se rendre au "Ministère de la Magie" (quel nom...) à peu près tous les jours de semaine, pour s'asseoir à son petit bureau, et attendre patiemment que l'aiguille penche vers cinq heures du soir. Puis il est enfin libre de faire ce qu'il désire, à condition de ne pas trop attirer l'attention - un paradoxe pour lui, mais peu importe. Ce que Son Excellence l'Ambassadrice Shae ignore, ne peut pas lui nuire.

Il n'empêche qu'on s'embête vite, enfermé dans dix mètres carrés, à regarder les rendez-vous de Shae défiler sans pouvoir écouter aux portes - pas folle, l'ambassadrice les a fait renforcer de runes et de magie, bien au courant du fait que Travis, avec sa perception élevée grace à la jade, pourrait entendre une souris en train de se gratter le nez à l'autre bout du Département de la Coopération Magique Internationale si il en avait envie.
"By the gods, Kehn, if you don't stop fidgeting now." Travis jette un regard peu amène à Wenruxian, sa collègue, qui a pourtant l'air de se faire chier comme un rat mort tout comme lui. "Then what? You wanna fucking go, Wen? I'll lay you down in a second. - In your dreams, halfbreed. - Like a fucking broken record. You're exactly like you were back at the Academy: the same self-righteous bitch with a broomstick stuck up her ass."

Wen ouvre la bouche pour répondre, mais ils sont interrompus par la porte du bureau de l'Ambassadrice qui s'ouvre brusquement et par Shae qui dit au revoir à son rendez-vous de quinze heures avec un grand sourire et une poignée de mains ferme. Une fois que l'homme dégarni a quitté l'antichambre où se trouvent Travis et Wen, le sourire disparaît du visage de l'ambassadrice alors qu'elle les foudroie tous les deux du regard. "What was that? - She started it. - He started it. - No matter. Kehn, go fetch some tea and coffee for us. Wen, come in, there's something I'd like for us to discuss. - Gladly, Kaul-jen." Wen se lève d'un bond, en adressant à Travis un regard noir, auquel il répond pas une grimace peu amène. Quand la porte se referme, il pousse un long soupir, se passe une main dans les cheveux, et contemple un instant le plafond du bureau en se demandant combien de temps il lui faudrait pour sauter dans l'avion en direction de Macau le plus proche, avant de se raviser et de se lever pour quitter le bureau en attrapant une boîte de thé sur l'étagère, ainsi qu'une bouillore traditionnelle en fonte, qu'il fait toutes les deux flotter derrière lui d'un sort.

On leur a rapidement fait visiter les locaux de la Coopération Magique Internationale, et ils ont très vite compris que l'ambassade kekonaise était la plus petite d'entre toutes. D'après la rumeur, les américains auraient leur propre salon et plusieurs bureaux et salles d'études, idem pour les français. Eux n'ont que deux bureaux, l'un à côté de l'autre, et certainement pas de quoi faire un thé décent: ils sont donc obligés de tout préparer dans la zone communale (mais n'ont jamais osé taper dans ce que les brits appellent l'Earl Grey: ça pue).
Comme toujours, en passant, Travis jette quelques coups d'oeil dans les bureaux devant lesquels il passe, les mains enfoncées dans les poches, traînant sa silhouette imposante entre les autres corps à grand mal: il est plutôt évident qu'il n'a rien à faire ici, et que lui-même se pose bien des questions sur sa présence. Il arrive rapidement à la petite pièce où il met de l'eau à chauffer dans la bouilloire. Comme il est tout seul, il en profite aussi pour fouiner dans toutes les boîtes qui y traînent, grimaçant à chaque fois que c'est du thé, et enfonçant son doigt dans la boîte de sucre pour y goûter après s'être assuré qu'il était seul.

Il a l'index enfoncé dans la bouche quand il se retourne et croise le regard sombre d'une employée. On lui a fait un tour de bienvenues, et il ne se souvient plus de son nom, mais il croit qu'elle est plutôt importante (à moins qu'il la confonde, ce qui ne serait pas surprenant: ils se ressemblent un peu tous, quand même, de ce côté-ci du monde). Son doigt ressort de sa bouche dans un plop sonore et il lui offre un grand sourire en reposant la boîte de sucre à sa place après l'avoir refermée. "Hello. Sorry, I was just trying out the sugar. I'm the sugar inspector." Un énorme sourire vient fendre son visage (il espère qu'elle ne va pas appeler la sécurité) alors qu'il lui fait pleinement face, prenant toute la place avec ses épaules de titan dans la petite pièce. "Just kidding, I work for the kekonese embassy. I don't think I've seen you around?" Le naturel désarmant de Travis est plutôt utile dans certaines situations, surtout quand il n'a pas envie de retourner se tourner les pouces dans son bureau en comptant les minutes qui passent.

Le petit rire tant plaisant que stupéfait qui s'échappe d'entre les lèvres de la femme en face de lui, rassure un peu Travis. Il a souvent l'impression d'être en décalage avec le reste du monde, surtout depuis qu'il est arrivé en Angleterre: les interactions humaines et physiques sont différentes ici, et même sa belle gueule ne peut pas aisément rattraper toutes les bourdes qu'il a pu faire depuis son arrivée. "No, I don’t think we’ve met either. Gina Marsh. I’m an interpreter from the Department, four or five doors further in the corridor." Travis hoche la tête, essayant d'ancrer le prénom et le nom dans un coin de sa tête. Plutôt physionomiste après avoir passé des années à travailler dans des casinos où il était vital de se souvenir des têtes des flambeurs comme des arnaqueurs, il a toujours eu plus de mal à parfaitement retenir les noms et prénoms d'autrui. "Very nice to meet you, Gina Marsh. My name's Travis." Même si on lui a dit, qu'apparemment, le nom de Fawley avait une quelconque valeur au Ministère et dans ces terres maussades, Travis est toujours peu enclin à le donner si facilement. À l'époque où il a commencé à utiliser le nom de son père, c'était simplement pour ne pas attirer l'attention et s'arroger, avec un nom occidental, une simple couverture afin que ses réfractaires perdent sa trace. "But my friends call me Trav," prétend-t-il avec un clignement d'oeil amusé.

Il la regarde se mettre à faire du café, et se souvient de sa propre mission: l'eau est toujours en train de chauffer, alors il ouvre la boîte emportée de son bureau avec lui pour jeter quelques feuilles de thé au fond de la bouilloire elle aussi ramenée avec lui. "If you don’t mind me asking, what is it that you do on behalf on the kekonese delegation, then? Apart from intelligence on sweeteners in the coffee room, obviously... -which might take you some time since I’m afraid you probably missed the honey spot, in the other cupboard." Travis arque les sourcils en suivant son doigt du regard. "The honey spot?" Il sourit en coin - ce n'est pas pour rien que son gardien est un ours, lui-même se considère bien similaire à ces animaux protecteurs et imposants. "Well I can't leave that un-tested. Or un-tasted for that matter." Plutôt fier de son léger jeu de mot, il s'approche tranquillement du placard en question, l'ouvre d'un mouvement magique de la main.

"How about you try and guess, Mrs Gina Marsh?" propose-t-il en attrapant un pot à la couleur douteuse et en l'ouvrant pour le renifler avec un air curieux qui se transforme bien vite en grimace. "A. I am the bastard son of the ambassador with a sweet tooth." Il repose le premier pot en secouant la tête, va en chercher un autre à l'air moins suspect, l'ouvrant sans mal et le laissant indifférent. "B. I am a kekonese prince looking for a fair maiden to copulate and have a dozen beautiful children with." Travis attrape un nouveau pot et cette fois a du mal à l'ouvrir. "And C..." Il grogne en sentant ses énormes biceps se contracter dans sa chemise qui lui semble désormais bien petite, avant de s'avancer vers Gina Marsh et de lui tendre le pot de miel. "Could you open that for me?" lui demande-t-il avec un sourire. "C. I'm a newfound diplomat who has no idea what he's doing here and who's tired of watching paint dry in his little boring office."

Gina Marsh attrape le pot tendu et Travis la regarde, avec grande surprise, sortir une cuillère d’un tiroir pour faire sauter le couvercle récalcitrant. Il rit, ravi, en le reprenant d’un air ahuri. “Wow!” Il n’y aurait lui-même jamais pensé: il aurait fini par faire exploser la partie supérieure du pot pour pouvoir récupérer son précieux contenu, morceaux de verre enfoncés dans la main en prime (non pas que cela lui soit déjà arrivé avec de la pâte à tartiner à la noisette moldue mais…). "Here you go. I’d be careful with that, actually, I’m not sure of how long it’s been here." Il rit d’autant plus en l’entendant, avant d’approcher le pot de son nez de limier, grimaçant sitôt qu’il peut le renifler. “Oh. Right.” Même lui, quelqu’un qui n’a pas l’estomac fragile et qui se qualifie avec grand plaisir d’aventurier des saveurs les plus improbables, doit bien avouer qu’il n’a absolument aucune envie de se laisser tenter par l’expérience qui lui semble dangereuse…

"So A, illegitimate son ; B. Prince : C. bored diplomat…” Travis sourit en hochant la tête, rebouchant sagement le pot en le reposant sur le comptoir. “Can I be bold and say it’s either all three of these, or none of these? Let’s even say it must be all true. I mean, these all look very legit to me, and with all due respect, I’m not sure you’ve conjured the number of twelve children out of thin air." Travis arque les sourcils, légèrement pris au dépourvu par la vivacité d’esprit de la femme face à lui, avant de rire franchement. Il fait tout en grand, en gros, en vrai, et ce rire l’agite tout entier, lui faisant arquer le dos et poser une main sur son torse comme si il en avait mal au coeur. "So, Travis, tell me: how close am I to being Merlock Dolmes? - Hey, I got that reference!” se réjouit-il avec plaisir en pointant le doigt vers elle. “I’m disappointed to admit that I’m nothing but a bored diplomat.” Ce n’est pas exactement vrai, pourtant; fils bâtard d’Alan Fawley, premier fils de la soeur d’un chef de clan kekonais, il pourrait prétendre aux trois titres énoncés sans mal. Mais plonger dans les affres difficiles et douloureux de sa relation avec sa famille n’est pas un exercice auquel il a envie de s’adonner avec Gina Marsh - du moins pour le moment.

Il lui adresse un sourire ravi en finissant de préparer son thé, en gardant une distance respectable du pot de miel vaseux par mesure de précaution. “You are very quick-witted,” la complimente-t-il d’un ton chaleureux. “Are you a diplomat too? Your accent hints that you are from across the pond. Where from? I’ve been in all kinds of places, but I am unsure I have seen someone as exquisite as you before,” enchaîne-t-il avec un ton plus mielleux encore que tous les pots posés sur l’étagère, exagérément grandiloquent en espérant lui faire comprendre qu’il tente plus de la faire rire que de véritablement la séduire.

Travis est soulagé de voir que Gina ne va pas s'offusquer de ses manières romanesques quand elle sourit légèrement à son adresse, lui tirant à lui aussi un léger rictus. “Why, thank you kind sir. Indeed, you’ve got quite the ear: I was born across the Atlantic Ocean, in the fair New York City.” Il hoche la tête, en se remémorant les quelques fois qu'il a passé à The Big Apple comme on l'appelle - si il a apprécie la ville en elle-même, les new-yorkais lui ont laissé une mauvaise impression, trop clinquants, trop obsédés par le fric et le pouvoir.

“My father was a Brit, so I decided to come and work here some twenty years ago. As for my looks, they’re my mother’s, from India. But no, I’m afraid being a diplomat is not my daydream job. Too many trips, and I’m quite sedentary, as a matter of fact. Besides, I’m much more comfortable with translating documents for your lot, than negotiating for hours.” Il est surpris de l'entendre ainsi parler d'elle, mais de manière plaisante. "Fascinating," dit-il sincèrement. Il a plutôt été du genre à bouger partout, se lassant rapidement des villes et des chambres d'hôtel investies le temps d'un casse, d'un weekend, de quelques mois - il ne peut pas s'imaginer rester dans le même endroit indéfiniment. "To each their own. And I'm sure we'd be positively lost without you and your work." Il n'en a pas grande idée, mais si elle est là et est restée à ce poste pendant des années, il doit y avoir une raison.

“If you don’t mind me asking, how long have you been here? Do you know many people in London, by the way? - It's been a couple of weeks now, I'm still getting used to the weather." Il lui offre un large sourire. Rien de plus chiant que de parler météo autour d'un café, mais il a vite compris que c'était une habitude britannique - il espère qu'elle ne lui en voudra pas de se calquer sur les usages locaux. "I have family here, so I hear. The Fawleys. They seem to be a pretty big deal here, something about being pureblood?" Il y a une désinvolture sensible dans le ton de sa voix - alors que tout le monde semble obsédé par la valeur du sang, par ici, Travis ne ressent qu'un profond désintérêt méprisant pour ces idées suprémacistes qui ne sont même pas correctes. "But I'm always happy to meet new people." Il lui adresse un clin d'oeil. "And if you have any recommandations as to where I should go and who I should be introduced to, then I'd be more than happy to hear them. You seem like you're a woman of good taste and culture."

Le léger rire qui s'échappe d'entre les lèvres de Gina arrache un énième sourire en coin à Travis - il y a parfois rien de plus agréable que de faire rire une jolie femme. “Why, Travis, you’re way too kind. ‘Tell you what: I’m probably gonna have to go back to work soon enough, once my cup is empty I mean, but if you’re ever in the mood for going out and have a drink, just send me an owl come find me in my office and I’ll try and show you around." Les yeux de Travis se plissent en l'entendant et il hoche la tête, laissant tranquillement ses pensées s'évader vers quelques potentiels sens cachés à ses mots. "Sounds like a plan." Il n'oubliera pas son invitation de sitôt, peu importe ce qu'elle veut bien dire par là.

“But you still can go and visit St Mungo’s without me, and without even being ill or so. The cloister is magnificent, but I recommend you go there when the sun is out, otherwise it’s just going to make you feel depressed…" Il a entendu parler de l'hôpital sorcier local, apparemment l'unique du territoire (un concept qu'il a du mal à vraiment appréhender) - savoir où aller lorsqu'on est un hot-blooded Kekonese est très important. Ils ont une sacrée tendance à finir dans les ennuis les plus épineux et violents... ou à se foutre mutuellement sur la gueule à la moindre chance.

Le sourire de Travis laisse scintiller quelques dents blanches et il hoche la tête, balayant les alentours d'un coup d'oeil pour vérifier qu'il n'oublie rien. Il se déplace pour remettre à leurs places les pots de miel et de sucre qu'il a déplacé, et attrape la bouilloire désormais pleine d'eau bouillonnante et d'où s'échappe le fumet délicieux d'un thé de haute qualité. "I didn't know that hanging out in sickhouses was in fashion in Britain," s'esclaffe-t-il avant de se tourner vers elle. Il s'incline rapidement, mais pas trop, en signe de respect. "Thank you for the breakroom chatter, Mrs Gina Marsh. I shall hope to see you around so that you may make my days brighter with your smile." Il en roucoulerait presque, son visage fendu d'un énième sourire impossible. Un dernier clignement d'yeux et un dernier hochement de tête et il s'éclipse en sifflotant, le coeur soudain un peu plus léger.