L'excitation est à son comble, et Aoife se met à compter les jours jusqu'à la date fatidique: quinze jours, dix jours, cinq jours maintenant. Une énergie nouvelle agite tout le camp de la NSFW. Ils vont faire la Une des journaux, beaucoup des nouveaux membres vont pouvoir participer, et Aoife a promis la dangerosité de ses bombes et de ses potions: elle passe la plupart de ses journées dans la tente-laboratoire, à suivre ses propres recettes et à remplir des fioles, se brûlant le bout des doigts sur les chaudrons mis à sa disposition, aidés par quelques autres membres du camp.
Et même si elle a peur - parce qu'Aoife a toujours peur, de souffrir, de se faire choper, de se faire tuer -, Aoife elle aussi est impatiente. Elle a envie d'oublier le goût amer qui a infesté sa bouche après l'attaque de Lee, elle a envie d'oublier l'échec relatif de chez les Rosier. Elle veut en démordre et se venger, réalise-t-elle. Et quoi de mieux qu'une mission de cette ampleur pour ça? Au coeur même de la société sorcière, là où ils seront tous rassemblés?
À chaque fois qu'elle peaufine la Bombe Inferno avec Egon, ou qu'elle tire à bout de bras avec l'un des pistolets de Rivage, ou qu'elle imagine le carnage qu'ils vont laisser derrière eux, quelque chose en elle se trouve incroyablement satisfait.

À croire que la promesse de pouvoir se lâcher et tout détruire sur leur passage est le moyen idéal pour calmer les ardeurs et les conflits au sein du groupuscule: ce soir-là, tout le monde semble content, rassemblé autour de plusieurs feux de camp dont les flammes n'ont de cesse que de grandir vers le ciel: Aoife soupçonne quelqu'un de les nourrir à coups de baguette. La chaleur du feu est réconfortante, presque gênante par son intensité, mais Aoife n'y pense qu'à moitié, occupée à discuter avec Malee à côté d'elle, s'étouffant parfois sur sa nourriture quand elle rit un peu trop.
Comme souvent lors des soirées où les humeurs sont aussi excitées, certains chahutent, plaisantent un peu trop, finissent par se voler dans les plumes. Les conflits sont généralement réglés entre les intéressés, sous les yeux des autres (Aoife hésitant rarement à parier sur la malheur d'un parti, ayant apparemment le flair plutôt fin pour ce genre de situations - elle s'est faite pas mal d'argent de poche ces dernières semaines, mais ignore encore comment elle va le dépenser).

Mais le ton monte vite, ce soir, tant et si bien que les autres conversations finissent par mourir progressivement alors que les regards se tournent vers le groupe de loups-garous en train de faire le classement des plus braves au plus lâches. Aoife préfère se tenir éloignée des repas des loups à cause de ça justement: leur tendance à dire des idioties et à monter sur leurs grands chevaux pour rien. Mais bon, Malee était assise et Sofiane aussi...
"That boy Sofiane's at the bottom of that list, not me. He ain't even a real wolf anyway: he's one of them pussies who takes that damn wolfsbane potion 'cuz they be scared of their own wolves." Entre le twang texan de Ricky et son apparence affreuse, Aoife a toujours eu envie de lui arracher les yeux en lui disant de se taire; cette impression est renforcée ce soir-là, alors qu'elle tourne son regard bleu vers lui. "Now I ain't no fuckin' pussy who's afraid of ma wolf so pardon ma French, kiddo, but go fuck yourself. - Oh yeah? - Hey!" Aoife s'entend s'écrier sans même s'en rendre compte, et rougit quand le regard des deux loups en train de s'énerver l'un contre l'autre se tournent vers elle - elle sent aussi celui de Sofiane, de l'autre côté du feu, plus pesant encore que les autres. "Don't talk like that. Sofiane's one of us, and he's sitting with us tonight. Clearly you don't know what you're talking about, Ricky, he's as much a wolf as any of you."

Il lui semble que c’est une terrible idée. Et Sofiane ne s’est certainement pas privé d’exprimer ses grognements dubitatifs auprès de Savage, la tête pensante de cette entreprise suicidaire. Ils vont faire la Une des journaux, beaucoup des jeunes membres de la NSFW vont se mettre en danger, et on a bien fait comprendre à Sofiane que sa présence ne serait pas optionnelle. Il l’attendait sans grand enthousiasme, ce moment où on viendrait le chercher par la peau du cou pour le balancer sur le terrain ; il n’a que trop repoussé sa participation aux activités du groupe, se contentant d’accompagner ici et là pour des missions de ravitaillement. Mais il ne s’agit plus désormais d’aller chasser et piller des réserves de nourriture, mais bien de prouver qu’il n’est pas une bouche supplémentaire inutile et qu’il mérite la couchette qu’il occupe depuis près de deux mois.

C’est une terrible idée. Et pourtant Sofiane se laisse insidieusement gagner par l’excitation qui règne sur le camp à la perspective de frapper un grand coup au visage du gouvernement, de faire entendre leurs rugissements et leur colère aux oreilles de la société, et mordre ceux qui oppressent les sorciers de leur espèce depuis trop longtemps. L’entrain des plus fougueux de la NSFW trouve un écho en lui et vient titiller de ce qu’il cherche à endormir à coup de potions depuis qu’il en a l’occasion. A croire que assommer la bête n’est pas une solution : la colère et la hargne sont siennes, réalise-t-il progressivement. Et Sofiane n’a, de toute façon, plus le choix.

Alors il fait l’effort, ce soir, de manger silencieusement la gamelle qu’on lui a cédée autour du feu en compagnie des autres, passant ses yeux de visage en visage sans vraiment prêter attention à la cacophonie environnante. De l’autre côté des flammes, lui parviennent uniquement avec précision les rires enjoués de Malee et Aoife, sur lesquels Sofiane concentre toute son attention pour ne pas se laisser perturber par les éclats de voix qui lui vrillent les tympans - et l’odeur de loup, partout, tout le temps, qui lui fait tourner la tête depuis deux mois. "That boy Sofiane's at the bottom of that list, not me. He ain't even a real wolf anyway: he's one of them pussies who takes that damn wolfsbane potion 'cuz they be scared of their own wolves." Le silence se fait plus que sensible désormais, toutes les voix tues pour laisser celles des deux loups éclater autour du feu - et Sofiane n’a pas besoin de relever les yeux de sa gamelle pour sentir tous les regards sur lui. Les seuls qui ne lui accordent pas un coup d’oeil sont évidemment Ricky et le louveteau excité à sa gauche, trop occupés à frotter leur égo de loup mal léché au nez des autres, en invoquant son nom, sûrement satisfaits de pouvoir affirmer qu’il est tout en bas de l’échelle lupine sans obtenir la moindre réaction de sa part.

C’est ce que font les loups, Sofiane a-t-il pu remarquer depuis qu’il s’est retrouvé au coeur de la meute désorganisée de la NSFW - se pisser à la gueule et imposer leur supériorité en écrasant les autres. Il a aussi remarqué que ceux qui cherchent à le faire par la parole sont bien souvent les moins à même de prétendre à ce titre ; un loup, un vrai, n’a pas besoin d’aboyer pour faire savoir ce qu’il vaut réellement. Ainsi Sofiane plante son regard vers les deux idiots en posant sa gamelle sur ses genoux, s’essuyant la bouche du revers de la main, la mâchoire serrée malgré lui. "Now I ain't no fuckin' pussy who's afraid of ma wolf so pardon ma French, kiddo, but go fuck yourself. - Oh yeah? - Hey!" Aussitôt, ses yeux se rabattent vers le visage rougi d’Aoife, dont la surprenante intervention attire l’attention du cercle. S’il serrait alors les dents jusqu’alors, Sofiane laisse son regard devenir noir en direction de la demi-Selkie.

Le soutien et la présence d’Aoife a été une éclaircie pour Sofiane dès le premier jour, ce n’est un secret pour personne, et il ne cherche absolument pas à s’en cacher. Il y a quelque chose d’étrangement apaisant chez elle, qui le pousse à chercher sa compagnie, plus que celle du reste de ses compagnons de fortune. Sofiane apprécie Aoife, beaucoup, un peu trop se dit-il parfois - alors sa voix résonnant pour le secourir d’une situation où elle n’est ni la bienvenue, ni légitime à s’exprimer, lui glace le sang et lui fait l’effet d’une innommable trahison. "Don't talk like that. Sofiane's one of us, and he's sitting with us tonight. Clearly you don't know what you're talking about, Ricky, he's as much a wolf as any of you." Parce que tous les maudits autour du feu savent qu’en intervenant en son nom, la demi-Selkie donne aussitôt raison aux deux loups, qui déjà se fendent d’un sourire moqueur en sa direction. Alors il ne leur laisse pas le temps de rebondir, pour gronder, d’une voix plus rauque et sèche qu’anticipé : ”You have no idea what you’re talking about, Aoife.” Lorsqu’il se lève finalement, Sofiane tourne son regard vers Ricky et le louveteau - un regard assassin, mordant, où brille au fond de ses pupilles celles du loup. ”Got something to say for yourself, lad?” Et si le plus jeune finit par baisser les yeux sans un mot, sûrement à la recherche de sa fierté et de sa langue, Ricky, lui, maintient sans mal ses prunelles sombres.

C’est un combat perdu d’avance, un combat que Sofiane n’a pas envie de mener. Alors il pousse un grognement, roulant au fond de sa gorge, avant de se détourner du groupe après un dernier regard pour Aoife, et de s’éloigner, les mains dans les poches et le coeur battant jusque dans ses tempes.

Le silence qui s'abat sur leur petit feu de camp, bien loin de l'agitement des autres feux à proximité, donne pendant un bref instant l'impression erronnée à Aoife qu'elle a eu raison d'intervenir. C'est plus fort qu'elle, et plutôt surprenant d'ailleurs: elle se sent parfois obligée de l'ouvrir, comme si trop de temps passé à tout enfermer au plus profond d'elle n'était pas si facile ou sain que ça, et comme si tous ces non-dits finissaient toujours par sortir, qu'on le veuille ou non.
C'est seulement quand elle voit les sourires moqueurs qui viennent éclairer les deux visages des impertinents qu'Aoife, en rougissant, réalise qu'elle a, peut-être, fait une énorme et grossière erreur.

Aussitôt, ses yeux bleus viennent chercher ceux de Sofiane, espérant y voir une lueur de reconnaissance. Le trou noir qu'elle y trouve lui donne l'impression de lui voler tout l'air du monde: pendant un bref instant, Aoife ne peut plus respirer. ”You have no idea what you’re talking about, Aoife.” Ses grands yeux papillonnent, alors qu'elle l'observe se lever, la bouche ouverte. Surprise, déçue, vexée et blessée par le ton sec et vindicatif de Sofiane, un phénomène qu'elle a pu observer quand il s'adressait aux autres, mais jamais à elle. Après tout, au fil des semaines, ils se sont rapprochés... pas tant que ça, mais un peu tout de même, suffisamment pour qu'elle ait un jour surpris un sourire fleurir sur ses lèvres - une seule et unique fois, qui s'est répétée en boucle dans son esprit pendant de nombreux jours, après coup. Il n'est pas vraiment un ami, ce serait prématuré de dire cela... un allié, à la rigueur. Quelqu'un qu'elle admire, qu'elle aime bien, qu'elle regarde à la dérobée quand elle pense que personne ne la voit, dont elle parle avec entrain quand elle pense que personne ne comprend ce qu'il se passe dans sa tête et dans son coeur - comme si elle n'était pas un livre ouvert toujours sur la même page, ses émotions intenses écrites à la surface de sa peau pour quiconque la connaissant bien.

Aoife sent un poids tomber dans son estomac, et déglutit difficilement en observant Ricky décocher une dernière provocation, et Sofiane se détourner sans un mot, son grognement de loup mal léché plus parlant que n'importe quelle phrase. Il n'a pas envie d'être ici, n'a jamais voulu l'être - tout le monde sait qu'il n'est qu'un participant réticent aux activités de la NSFW, et qu'ils ont failli ne pas le ramener lorsqu'ils ont trouvé son corps inconscient dans le sous-sol du Dancing Phoenix. C'est Aoife qui a plaidoyé auprès de Diana pour qu'ils le ramènent, Aoife qui s'est occupée de lui ensuite, et Aoife à qui il tourne le dos en s'éloignant après un dernier regard noir qui lui fait l'effet d'un coup de tonnerre.
Aoife se sent déjà en train de se recroqueviller au plus profond d'elle-même, l'envie de pleurer s'abattant sur elle comme une vague. Quand elle se lève, elle jette un regard à Malee pour lui dire qu'elle sera dans leur tente, et de lui laisser quelques temps avant de la rejoindre. Aoife préfère panser ses plaies seule, de préférence avec un livre à lire jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au moment où ses yeux se ferment d'eux-mêmes, piqués de larmes et de fatigue, et que le sommeil et l'oubli l'enveloppent toute entière comme deux amantes possessives et jalouses.

Sauf qu'au final, aucun mot ne sort quand elle croise le regard de Malee, et ce n'est pas vers sa tente que ses pieds se tournent mais vers Sofiane. Elle ignore les railleries et autres commentaires désobligeants que glissent les loups à son égard quand elle passe devant eux, et s'arrête seulement quand elle n'a pas le choix: une main qui entoure son bras avec force, et les yeux sombres de Ricky enfoncés dans les siens quand elle cherche son propriétaire du regard. "I think you should let him be, blondie."
Face à son sourire méprisant et ses yeux la dévisageant, Aoife se rend compte qu'elle est en colère. Et quelque part, elle est toujours en colère, au fond d'elle, là où personne ne peut le voir. En colère contre tous les ennemis de la NSFW, en colère contre l'Ordre, en colère contre le Gouvernement qui l'a condamnée à cette vie de fugitive, en colère contre Numa qui ne va pas mieux, en colère contre Sav qui n'en fait qu'à sa tête, et en colère contre Sofiane qui crache sur la seule main tendue vers lui. "Let me go," siffle-t-elle à l'adresse de Ricky, qui la relâche en étirant son sourire et après un instant de pause. "So you do want to jump on that brown guy's dick." L'idée que les propos de Sav aient pu remonter jusqu'aux oreilles de Ricky, et des autres devine-t-elle à leurs rires moqueurs, la fait rougir jusqu'au bout des oreilles, des patchs roses apparaissant immédiatement sur ses joues, mélange de fureur et de honte. Elle se demande combien de paris courent sur son dos...
Aoife abat ses deux mains à plat sur la poitrine de Ricky et le pousse sèchement en arrière, pas assez fort pour le renverser, mais assez brusquement pour le faire reculer de deux pas maladroits - elle n'est pas du genre à se tourner vers les agressions physiques, et les yeux éberlués qu'on pose sur elle la remplissent d'un semblant de fierté. "Get lost, Ricky." Et en se mordant les lèvres, elle se détourne pour trotter jusqu'à Sofiane, angoissé à l'idée de le perdre.

Elle s'attendrait presque à ce qu'il ait transplané et disparu dans la nature et, réalise-t-elle, c'est de ça qu'elle a peur: que cette soirée ait été de trop, et qu'il s'en aille, disparaisse à jamais dans les ténèbres qui l'ont enveloppé quand il s'est éloigné du feu. Où irait-il? A-t-il seulement un endroit où aller? Aoife l'ignore, et ne le saura jamais: après quelques pas, ses yeux s'habituent à l'obscurité, et elle peut voir sans mal la silhouette de Sofiane se découper un peu plus loin, taciturne et distante. "Sofiane!" Elle est à bout de souffle quand elle arrive à son niveau, le contournant pour lui faire face et arrêter sa marche vindicative l'éloignant du reste du camp - l'éloignant d'elle. "Where are you going?." Elle déglutit en passant une main nerveuse dans ses cheveux, les ramenant derrière une oreille. "I'm sorry, I didn't mean to..." Elle ne finit pas sa phrase en réalisant qu'elle n'est qu'à moitié honnête - qu'elle s'excuse plus parce qu'elle est terrifiée à l'idée de le voir partir, plutôt que parce qu'elle se sent véritablement coupable. Embarrassée, peut-être, vexée, certainement, coupable, pas du tout. "Wh-what do you want me to do, when you let them walk all over you like that? It's so unfair and- you're so unfair, I'm only trying to help!"

Ses pas le portent sans que Sofiane ne puisse rien y faire, guidé par son corps qui cherche à l’éloigner rapidement du champ des voix et rires encore audibles malgré la distance. Des années qu’il vit avec les sens affûtés par la bête qui sommeille en lui, et pourtant, depuis quelques mois, ils lui semblent insupportables, ce malgré les quelques doses de potion tue-loup qu’il s’autorise - ce soir, ils sont étouffants et ravageurs, une brûlure qui lui vrille les tympans et les narines et le laisse étourdi, presque ivre sous ce trop plein de sensations malvenues. Il a vécu en pleine ville si longtemps, et jamais la vie n’a été aussi grouillante, bruyante, odorante, agressive qu’au beau milieu de nulle part en Irlande du Nord. L’accumulation l’assaille et le prend la gorge, alimente un peu plus sa rage et sa fuite - autant celle quotidienne que celle qui le pousse à dépasser les dernières tentes pour se diriger sans réfléchir vers la forêt, comme appelé par la végétation plongée dans l’obscurité et le calme apaisant de la nature.

Sofiane fuit, mais il n’a aucun endroit où aller, personne vers qui se tourner - comme toujours, englouti par cette solitude aussi poisseuse que confortable. Sauf que sur cette toile solitaire, désormais, se dresse les regards des loups, leur présence encerclant la sienne, les voix des autres hybrides qui partagent son quotidien, et l’expression estomaquée d’Aoife lorsqu’il s’est détourné d’elle. Sofiane ferme les yeux une seconde, pour chasser ceux d’un bleu trop profond de la demi-Selkie, arrondis, plantés dans les siens, les images en boucle dans son esprit agité. "Fuck." Plutôt que d’y trouver l’ancre salvatrice qui lui permet de rester à la surface depuis qu’il s’est réveillé sous le regard bienveillant d’Aoife, Sofiane voit sa frustration grandir de manière affolante ; à nouveau, il gronde - pour lui-même, cette fois.

"Sofiane!" Sans un regard pour l’ombre qu’il sent s’approcher dans son dos, Sofiane poursuit sa marche rapide et instinctive hors du camp, la mâchoire et les poings serrés. Aoife est la dernière personne qu’il a envie de voir en cet instant précis, un comble quand sa présence lui permet habituellement de trouver un semblant de positif au coeur de sa nouvelle vie. Et c’est précisément la raison pour laquelle il refuse de lui faire face : la perspective que l’unique, et premier être qui lui apporte une once de soutien et d’empathie depuis trop longtemps devienne l’un des objets de la rage tarie dans ses entrailles, est tout bonnement insoutenable. "Where are you going?" Sofiane fait un pas en arrière, le visage fermé, lorsque Aoife se plante devant lui à bout de souffle et les traits qu’il peut deviner rougis même dans l’obscurité. Il la détaille un instant, sans lui répondre, suivant nerveusement du regard le mouvement de sa main ramenant ses cheveux derrière son oreille. "I'm sorry, I didn't mean to..." Ses yeux reviennent dans les siens, pour y lire une confusion évidente et désarçonnante, la même qu’elle lui a adressé un peu plus tôt - une forme d’alarme paniquée, qui se ressent jusque dans l’odeur salée qui émane de sa peau laiteuse. "Wh-what do you want me to do, when you let them walk all over you like that? It's so unfair and- you're so unfair, I'm only trying to help!"

Sofiane n’a jamais eu besoin d’aide, et il réalise tout juste qu’il s’est baigné dans celle offerte généreusement par la sorcière dès le premier jour, comme une prise hasardeuse pour garder la tête hors de l’eau. Aveuglé par le rappel de sa position par les autres loups, il ne parvient alors qu’à ressentir le goût amer de l’intervention d’Aoife, l’écrasant un peu plus aux pieds d’une meute éclectique où il ne trouvera jamais sa place - une souffrance nouvelle pour le loup qui lui déchire la poitrine de l’intérieur. "You are not helping." Les mots lui échappent dans une voix basse et grondante, les sourcils froncés au-dessus de ses pupilles sombres. "This did not help in any way, Aoife." Au fur et à mesure que Sofiane laisse sa voix rauque filer entre ses lèvres, il peut sentir la déchirure se faire plus grande dans son torse - provoquée par la colère, la honte, la peur, la bête. Un souffle à l’arrière de son crâne le raisonne pourtant : Aoife n’est pas la réelle cause de sa frustration. Mais Sofiane le chasse - c’est Aoife qui est en face de lui, qui le retient. "You only proved them right, that’s what you did." Une profonde inspiration lui permet de calmer, ne serait-ce qu’un peu, le rythme effréné de son coeur et de sa respiration. He's as much a wolf as any of you. Il cherche à invoquer la patience suffisante pour lui expliquer la nature de cette insulte, mais il est simplement capable de gronder : "You are not a wolf. Don’t ever act like one again."

Aoife se justifie trop, et elle sait que sa frustration parle plus que sa raison, ce qui enfonce encore plus profondément son sentiment de malaise et de mal-être, provoqué par le regard noir que Sofiane lui a adressé. C'est tellement stupide, et une part d'elle sait qu'elle ne devrait pas se laisser atteindre comme ça. Que Sofiane ne lui doit rien du tout, et que c'est pareil pour elle: il ne lui a jamais demandé de l'aide, ne lui a jamais demandé de le protéger, de prendre sa défense, ou même de s'intéresser à lui.
Mais c'est de sa faute à lui, aussi, avec ses grands yeux clairs, qui l'ont transpercée de part et d'autre quand il s'est réveillé sur le lit de camp de la tente infirmerie d'appoint de la NSFW.

Elle voulait juste bien faire, l'aider, comme elle l'a fait pendant des semaines, et le voir réagir comme ça, devant tout le monde en plus... en plus d'être frustrant, c'est blessant, à en devenir folle. Comme toujours, elle fait tout de travers, et ne finit que par heurter ceux qu'elle a envie de protéger - elle n'est pas assez. Assez forte pour être véritablement utile, ou assez intelligente, apparemment, pour comprendre exactement ce dont Sofiane a besoin. Une chose est sûre, en tous cas: il n'a pas l'air d'avoir besoin d'elle, et ce constat est bien plus douloureux que prévu.
Elle pensait pourtant que... Peu importe. "You are not helping." Aoife cligne furieusement des yeux, bouche ouverte, accusant le coup à grand mal, le dévisageant en le suppliant presque de sourire, de lui pardonner - de faire quelque chose, n'importe quoi, plutôt que de la regarder comme ça. "This did not help in any way, Aoife." Ses lèvres articulent des mots silencieux, avant de se refermer autour de son prénom: "But Sofiane, I-- - You only proved them right, that’s what you did."

Elle ouvre de grands yeux, surprise et, surtout, en colère. Contre lui, véritablement contre lui cette fois. "You are not a wolf. Don’t ever act like one again. - Maybe if you were acting like one, then I wouldn't have to," siffle-t-elle en retour, piquée à vif. "I'm only trying to help you, Sofiane. Trying! But you'd rather roll onto your back, throat out, and let them walk all over you. You've been proving them right ever since you came aboard." Elle sait que c'est injuste mais, dans la colère, ses mots dépassent sa pensée - de très loin. Au contraire, elle a toujours trouvé Sofiane plus loup que les autres, peu intéressé par leurs idioties bruyantes... "You've been pushing everyone away and now you're pushing me away." Malgré elle, Aoife sent sa voix craquer - la pression devient trop forte, son sentiment d'injustice trop puissant et sa vexation trop omniprésente. "Maybe that's all you've ever known, or maybe that's your only way to deal with all of this." Elle fait un mouvement de la main en direction du camp de fortune de la NSFW. "But in any case, this isn't fair."

Sauf que la vie est injuste, les hybrides le savent mieux que tout le monde. Aoife s'arrête, reprend son souffle, passant une langue anxieuse sur ses lèvres, dévisageant Sofiane comme pour graver ses traits dans son esprit. "Is that really what you want?" Cette fois, sa voix se brise, s'étrangle sur une émotion trop intense et dissonnante, qui lui donne envie de s'enterrer six pieds sous terre de honte - on dirait presque le début d'un sanglot, dû une sensation brûlante et embarrassante de désespoir profond. "To not let anyone in, no matter how hard they try?"

Tandis que le tourbillon furieux remonte le long de ses entrailles, Sofiane serre la mâchoire pour l’endiguer et le garder au plus profond de lui-même, là où un vent contraire souffle. Parce qu’il n’a pas envie de tourner ce visage vers Aoife, de toutes les personnes qui composent sa vie désormais ; il s’en rend compte, lorsqu’il accuse le regard colérique qu’elle lui offre en retour, une lueur qu’il ne lui semble jamais avoir vraiment observée. Il le sentirait presque, l’incendie dormant sous la peau d’Aoife, prêt à tout ravager sur son passage, qui file entre ses lèvres pour le brûler en plein visage. "Maybe if you were acting like one, then I wouldn't have to." C’est à son tour d’écarquiller les yeux sous ses sourcils froncés, dévisageant la demi-Selkie de la tête aux pieds à son attaque virulente qui lui siffle les oreilles. Il reste un moment sonné, absolument abasourdi d’entendre de tels propos dans la bouche d’Aoife - un peu plus, elle l’enfonce dans sa frustration, continuant à s’exprimer sur un sujet qu’elle ne connaît visiblement pas. "I'm only trying to help you, Sofiane. Trying! But you'd rather roll onto your back, throat out, and let them walk all over you. You've been proving them right ever since you came aboard." Qu’elle ne connait définitivement pas.

Pourtant les mots d’Aoife trouvent un écho en lui, fait résonner le grognement du loup au fond de cage thoracique, où il est fermement maintenu depuis quelques mois - trop longtemps. Être ainsi mis face à une réalité qui le ronge de l’intérieur, qu’il peine à affronter au quotidien, le pique à vif et le laisse muet. C’est un fait que personne n’ignore à la NSFW, son intégration dans la meute n’est pas un long fleuve tranquille, les instincts du loup solitaire plus forts que le reste, et le poussant à se tenir à l’écart pour ne pas laisser la bête agir comme elle l’a toujours fait face aux autres hybrides de son espèce : en se jetant à leur gueule, en frappant jusqu’à les laisser immobiles au sol. Ce n’est plus une solution ; aussi Sofiane réapprend avec peine à trouver un équilibre incertain et vacillant, à trouver sa place malgré lui. Et peut-être que sa place est tout en bas de l’échelle, comme l’a souligné Ricky, autant par ses mots qu’en soutenant sans mal son regard plus tôt.

"You've been pushing everyone away and now you're pushing me away. Maybe that's all you've ever known, or maybe that's your only way to deal with all of this. But in any case, this isn't fair." Déjà la colère d’Aoife semble s’amenuiser pour laisser place à une frustration sensible lorsque sa voix se brise et qu’une lueur plus agitée encore se glisse dans son regard ; et Sofiane inspire profondément, la dévisageant toujours de cette expression dure et figée. Voir Aoife dans cet état est intenable - en être la cause le fait furieusement bouillonner. Les deux constats s'entrechoquent, explosent en une seule et même conclusion : il a laissé la sorcière s'immiscer jusque sous sa peau, un soft spot face auquel libérer son tourment est aussi aisé que insupportable. "Is that really what you want? To not let anyone in, no matter how hard they try? −  It’s not a matter of letting people in or not." Of course it is. Sofiane fait un nouveau pas en arrière, traversé par le hoquet triste qui file entre les lèvres d’Aoife, par sa voix brisée et le regard indéniablement triste qu’elle lui porte.

De nouveau, sa mâchoire se contracte, en même temps que son poing contre sa hanche, bête réflexe de son corps incapable de trouver un équilibre entre le souffle brûlant des accusations d’Aoife et l’envie mordante de mettre un terme à cette discussion trop intense et douloureuse sur tous les plans. ”What am I supposed to do, Aoife, to be a real wolf? Barking at weaklings? To beat them up to prove I’m not at the bottom of the list? Is that how real wolves act, Aoife? Is that what you want to see? So people like you can get an actual proof we really are beasts tearing each other apart?" Il s’est avancé petit à petit, lui faisant face en agitant une main ferme pour rythmer ses paroles grondantes et soufflées d’une voix sourde. Do I have to be Rabid to be a real wolf? L’idée fait remonter une bile acide dans sa gorge, dévorant son dégoût pour lui-même, autant que pour l’étroite opinion des loups que lui jette Aoife au visage. ”I’m not like ‘em, I know better than throwing petty fights to show off my fangs. And this, you should know." Ses mots dépassent sa pensée - comment pourrait-elle vraiment savoir ? Elle a beau avoir passé ces deux derniers mois à ses côtés, elle n’a pu apercevoir que le peu qu’il a daigné lui offrir - leur offrir, à elle et aux autres. Pourtant Sofiane aimerait, espérait peut-être, qu’elle sache, qu’elle voit plus que ce que le reste de leur meute éclectique est capable d’apercevoir. Alors sa voix retombe dans un soupir, sa main remontant jusqu’à ses paupières qu’il masse une seconde avant de les libérer pour raccrocher le regard clair d’Aoife. ”I want to let you in, I’m trying. But you have to let me find my place myself."

“It’s not a matter of letting people in or not." Sauf qu’évidemment que c’est le cas, et Aoife pense qu’ils le savent tous les deux. Comme pour encore mieux se contredire, Sofiane fait un pas en arrière - non pas vers le camp dans son dos, non, mais loin d’elle. Peut-être que c’est comme elle l’a dit, peut-être qu’il ne sait rien faire d’autre, qu’il n’a jamais rien connu d’autre, qu’il ne veut rien connaître d’autre: qu’après toutes ces années à avoir été seul, il a appris à aimer cette condition et à s’y réfugier sans laisser quiconque venir l’aider.
Et Aoife aimerait tellement lui montrer la vérité à laquelle tous les hybrides sont confrontés, tôt ou tard. Qu’ils ne survivront jamais seuls, que même les non-lycans ont besoin d’une groupe, d’une meute, de gens vers qui se tourner. Parce qu’ils ne seront jamais entièrement acceptés par la société sorcière, parce qu’ils seront toujours regardés de travers, rejetés, mis sur le côté, et que c’est qu’en s’entraidant qu’ils pourront avancer, ensemble. Elle aimerait tellement insister, lui prendre la main, lui parler, calmer la colère qui bat encore à sa tempe et dans sa gorge, ravaler les larmes dangereuses qui commencent à envahir ses grands yeux bleus; mais rien ne vient. Elle n’a pas la force de Savage, ou la détermination de Rivage, ou la droiture de Numa - à vrai dire, à côté d’eux, Aoife n’est rien.

Rien. C’est exactement ce qu’elle ressent sous le regard incendiaire de Sofiane, son recul et la colère qu’elle lit partout sur lui. ”What am I supposed to do, Aoife, to be a real wolf? Barking at weaklings? To beat them up to prove I’m not at the bottom of the list? Is that how real wolves act, Aoife? Is that what you want to see? So people like you can get an actual proof we really are beasts tearing each other apart?" Ses propos la prennent complètement de court, et ses yeux sont désormais véritablement envahis de larmes alors qu’il s’avance vers elle, la faisant se renfrogner malgré elle. “I’ve never thought--” commence-t-elle à mentir, étouffée par sa culpabilité et la violence du regard clair comme la roche de Sofiane posé sur elle.. ”I’m not like ‘em, I know better than throwing petty fights to show off my fangs. And this, you should know." Aoife ne sait plus ce qu’elle est sensée croire. Elle devrait savoir qu’il vaut mieux que ça, et en même temps il ne lui a jamais laissé la place d’apprendre à le connaître; ou alors devrait-elle mieux comprendre cette hiérarchie lupine, alors qu’il se fait un malin plaisir de lui rappeler qu’elle n’en fera jamais partie?

Même si l’énervement de Sofiane semble retomber, Aoife baisse les yeux sur son torse, embarrassée et essayant de retenir les sanglots qui menacent déjà de la casser en deux. ”I want to let you in, I’m trying. But you have to let me find my place myself." Aoife se mord l’intérieur de la lèvre jusqu’à ce qu’un goût amer et métallique s’y répande, puis secoue la tête avec véhémence, faisant voler deux mèches de cheveux blonds. “Fine, then.” Malgré sa voix chevrotante où percent déjà quelques larmes, son ton est incisif et presque acerbe. Elle garde les yeux rivés sur le t-shirt de Sofiane pendant quelques instants avant de les relever, brûlants de larmes déjà en train de couler, vers lui. “Do your thing. What do I know anyway, if I’m nothing but a good-for-nothing clueless non-wolf to you? Maybe I thought you were different.” Et c’est ça, qui fait le plus mal, peut-être - que même Sofiane la pense molle et stupide, incapable apparemment de faire le tri entre ses sentiments et l’injustice criante du comportement des autres loups envers lui.
Aoife renifle, se passe une main rapide sur les yeux et puis le contourne pour filer vers le camp, laissant les sanglots lui encombre la gorge et la poitrine seulement quand elle est suffisamment éloignée pour que Sofiane ne puisse pas l’entendre - comme si elle pouvait le tromper, après tout ce qu’elle vient de lui montrer.