Le sort la tape de plein fouet tel un boulet de canon, une lumière effrayante au coeur de la nuit d’encre. Prise au dépourvu, Hannah n’a que le temps de riposter et de voir s’effondrer l’inconnu encapuchonné, avant de se rattraper de justesse contre le mur de la ruelle autrement déserte. Elle tousse, un filet de sang coule de ses lèvres pour s'étaler sur son menton. Une douleur vive s’insinue dans sa poitrine là où le sortilège l’a atteinte. Sa main se porte à son t-shirt et soulève le tissu en grincement de dents, une horrible tache violacée s’étend déjà sur sa peau. La douleur remonte le long de son cou, cogne violemment contre ses tempes, manque de le faire tomber dans les pommes. NO. Sa main qui n’est pas appuyée contre le mur froid se porte à son bras et le pince avec vigueur. Un choc électrique qui la réveille, empêche ses paupières de s’abaisser comme elles étaient en train de le faire. Sa tête tourne et Hannah est perdue, dans la douleur et la panique.

Elle doit se reprendre.
Réagir.
Agir.

D’une main tremblante, elle sort son moyen de communication sorcier et envoie un message à la première personne à laquelle elle pense pour l’aider. Terry. Need you. Now. Please. Elle n’a pas la force de formuler des phrases complètes, lui indique l’adresse dans un soupir étouffé, elle va mourir. Non, non, non, non. elle ne peut pas mourir. Pas maintenant. Ce serait trop … bête. Dans un brouillard épais, une chape de plomb à la lisière de son esprit, de l’acide dans ses muscles, Hannah s’avance jusqu’au corps endormi de son attaquant. Elle tombe à genoux, deux doigts tremblants viennent se poser sur la nuque du sorcier. Un pouls balbutie contre sa chair. thanks merlin. Incapable de se relever, de réfléchir la sorcière attend une main appuyée contre son torse meurtri, sa respiration s’extirpe avec difficulté de sa gorge. Elle ne pourrait pas transplaner, et marcher jusqu’à son appartement est impossible dans son état actuel. It hurts. It hurts so much. Ses paupière papillonnent, elle est au bord de l’effondrement. Des larmes coulent, les premières depuis des mois. Tout ressort, la frustration, la terreur, le doute. And the pain, so much pain. Ca lui coupe le souffle, ça lui broie les os, ça lui tord l’esprit. Where is Susan? Ce n’est même pas elle qu’elle devait retrouver, c’est la seule pensée qui tourne en boucle dans sa tête. Where is she? Hannah se retient à cette image pour ne pas sombrer, elle doit rester éveillée, on ne sait pas qui pourrait décider d’emprunter cette ruelle peu avenante, et si elle s’évanouit, son corps risque de lâcher.

Et si Terry ne venait pas ? Il est peut-être occupé, elle fait la liste des personnes qu’elle pourrait contacter, mais son esprit se pose encore et toujours sur le visage de Susan, son sourire. Elle a de plus en plus de mal à se concentrer sous l’effet du martèlement incessant entre ses côtes. Faire un sort de soin dans son état serait insensé. Elle ne va pas tenir longtemps.

Ses yeux se ferment.

Quand elle les ouvre à nouveau, Hannah n’est pas certaine du temps qui s’est écoulé, elle est recroquevillée sur le sol, sa main tenant fermement sa baguette, l’autre contre son corps en sueur. Elle veut les fermer encore, ne plus sentir ce trouble atroce. Ne. Plus. Rien. Sentir. Mais une voix qu’elle a l’impression de connaître la fait sursauter. Ses yeux hagards s'ouvrent complètement, tentant de se poser sur le corps qui la surplombent, elle ne voit qu'une ombre floue dans le brouillard de ses larmes et des spasmes qui parcourent son corps affaibli. “Terry?” Un son étouffé, sa voix qu’elle ne reconnaît plus et le goût de fer dans la bouche. “Terry, c’est toi? Aide-moi.” I don’t want to die.

au fond de ses ténèbres, Hannah entend la voix de Terry, des pas qui se rapprochent, une main qui glisse contre sa joue et la tient éveillée quelques secondes de plus. Elle cligne des yeux et rien que ce mouvement lui est difficile, comme des morceaux de verres qui lui arrachent les paupières en même temps qu’une douleur indescriptible lui perce le coeur. Sa main se soulève du sol crasseux de la ruelle et se déposer sur la main de son ami, elle y puise un peu de force en sentant la chaleur contre la froideur qui parcourt son corps de tremblements involontaires. she’s going to die, but at least she’s not alone. Elle était terrifiée quelques temps plus tôt à l’idée que l’on retrouve son corps à peine refroidi sur le bitume de cette impasse, qu’elle meurt à quelque pas d’un égout dans la solitude la plus totale, c’est presque plus inquiétant que l’idée même de perdre la vie pour quelqu’un qui a toujours souhaité être entourée.

Si on lui avait demandé quelle mort elle s’imaginait avant l’Ordre, Hannah aurait répondu “vieille et dans mon sommeil, assise sur mon fauteuil sous le porche, un plaid sur les genoux.” Bien sûr, en rejoignant la Résistance elle avait pensé à la possibilité de perdre la vie durant une mission, y avait cru pas très éloignée dans la Serre des Greengrass, mais s’était alors dit qu’elle serait auprès des siens, dans un duel à côté de Susan, attrapée par le gouvernement alors qu’elle était avec Ernie, pas ainsi, seule prise sur le fait de son espionnage, un sort inébranlable. Sans personne pour partager ses derniers instants. Mais Terry est là maintenant, tout va bien aller. Et s’il ne peut la secourir au moins sera-t-il à ses côtés lorsque son dernier souffle s’échappera ses lèvres ensanglantées. Sur cette pensée étrangement réconfortante, la sorcière voit ses paupières se fermer à nouveau et l’endormissement à portée de main. Il suffit juste d’accepter son sort, quand elle sombre, alors la douleur n’est plus aussi intense. Ca fait si mal de respirer, pourquoi ne pas juste arrêter. Ce serait si facile. Perdre la vie en se battant, la main de son ami contre sa joue, un petit bout de tendresse qu’elle emporterait avec elle là-haut. Oui voilà, juste arrêter……

La voix de Terry la réveille brusquement. Des questions qu’elle n’entend qu’à moitié en fronçant des sourcils. “Comment ?” Elle demande la bouche pâteuse, en cherchant difficilement à fixer son regard flou sur le visage de Terrence, elle le voit comme de loin, c’est presque comme si elle n’était pas dans son corps, c’est presque comme si elle le voyait à travers un rideau de pluie, ses larmes peut-être ? Elle ne sent rien d’autre que la vive palpitation de son myocarde contre sa poitrine, et ces impulsions électriques qui lui tirent des grincements et des minables geignements de douleur. concentre toi sur sa voix, elle essaie mais c’est si difficile. Elle a mal à la tête, elle a mal partout. “Qui ?” De qui est-ce qu’il lui parle ? Elle était toute seule. Il n’y avait personne avec elle, pourquoi cette question ? Lui revient alors l’homme non identifié stupéfié à quelques mètres. Et elle secoue de la tête à la négative. Ne trouve pas la force de faire de longues phrases. Hannah tousse à nouveau, sa respiration s’échappant de son nez en un sifflement qui ne signifie rien de bon, en tant que médicomage, elle est bien placée pour le savoir. Il continue de lui poser des questions, alors qu’elle veut juste dormir, mais pourtant sa voix et sa présence suffisent à la maintenir éveillée et elle tente une réponse qui sort bien faiblement “J’étais … seule…. C’est … lui”. lui qui lui a jeté le sort, lui qui travaille pour le gouvernement et qui va sans doute la dénoncer s’il se réveille un jour. “Pars pas.” Ne me laisse pas. j’ai trop besoin de toi. Sa main se referme avec toute la force dont elle est capable sur le poignet de son ami, une requête muette. Elle a un tout petit peu moins peur avec lui, mais en réalité Hannah reste effrayée. “Il… est mort ?” Qu’elle arrive finalement à lui demander. Perdue entre le soulagement que cela serait et l’angoisse d’avoir oté la vie à quelqu’un, elle qui s’est toujours battue pour en sauver.

Travailler pour Rosemary Rowle, c’est devoir faire des heures supplémentaires, c’est de refaire des plans au complet alors que la date de tombée est dans quelques heures, c’est de modifier des détails selon ses humeurs, c’est de courir partout en ville pour obtenir des permis, des matériaux, des échantillons, voir des clients, c’est se faire appeler à toutes heures du jour pour répondre à ses besoins et pourtant, Padma ne changerait pas son métier pour rien au monde. Elle en bave avec sa patronne, mais elle sait qu’elle a de la chance de travailler pour elle alors qu’elle n’a a priori aucune formation. La belle doit encore faire ses marques et démontrer à Rosemary qu’elle a raison de lui faire confiance. Alors elle fait tout ce qu’elle lui demande. Ça peut sembler exagéré, voir soumis et probablement que plusieurs auraient déjà démissionnés à sa place, mais c’est ce qui l’aide à maintenir le cap et à ne pas perdre les pédales. La jeune femme est donc entrain de redessiner le plan d’une chambre à coucher d’un couple de nouveaux mariés qui change d’idée comme de sous-vêtements. La soirée est déjà bien entamée, mais elle leur a promis de leur présenter quelque chose le lendemain. Elle se dit qu’elle aurait peut-être dû se donner au moins une autre journée, vu la montagne de tâches qui l’attend déjà, mais elle a voulu leur faire plaisir.

Concentrée, elle sursaute légèrement lorsqu’on toque à sa porte. Elle soupire en se demandant qui peut bien la déranger à cette heure. Elle sait que ce n’est pas Mengwu puisqu’il travaille toute la nuit au casino, elle attend d’ailleurs qu’il lui envoie un message lors de sa pause. Elle se lève et s’essuie les mains tâchées d’encre sur une serviette. Par précaution, elle regarde par le judas, mais n’aperçoit qu’une masse de cheveux bruns. Elle peut dire qu’il s’agit d’un homme, sans savoir qui exactement. Elle débarre la serrure puis ouvre. Et elle fige. Elle cligne plusieurs fois des paupières pour s’assurer qu’elle ne rêve pas. Elle ne s’y attendait pas. En vrai, Padma s’est faite à l’idée depuis un long moment qu’elle ne recroiserait sans doute plus la route de Terrence Boot. Et pourtant, il est bien là devant elle. "Terry? " Aussitôt, un tas de scénarios s’impose à elle. Elle se voit lui crier dessus et lui fermer la porte sèchement, elle se voit le prendre dans ses bras, elle se voit l’envoyer promener et lui dire ses quatre vérités, elle se voit lui sauter au cou et l’embrasser avec fougue, elle se voit pleurer, elle se voit perdre connaissance, elle se voit l’ignorer. Mais, l’homme ne lui donne pas la chance de réagir d’une façon ou d’une autre. Il la coupe avant même qu’elle ne sache elle-même comment elle doit agir devant cette apparition soudaine qu’elle n’espérait plus. "Qu-quoi? Hannah? Qu’est-ce qui se passe?" Son cœur se met subitement à battre d’appréhension. Des centaines de question traversent son esprit constamment en ébullition. Pourquoi est-il là? Depuis quand voit-il Hannah? Pourquoi la blonde ne lui a rien dit? Mais, la brune n’a pas le temps de trouver les réponses, Terry est déjà reparti et son air grave n’est pas passé inaperçu. Quelque chose est arrivé à sa voisine et c’est le plus important pour le moment, même si elle se doute qu’elle ne peut pas taire toutes les émotions qui s’entrechoquent en elle à ce moment. La joie de revoir son meilleur ami après tant d’années de silence, la tristesse de se rendre compte qu’il lui a manqué, la surprise de le voir là, la colère qui fait remonter la cause de ses problèmes, l’amertume des torts qu’il a pu lui causer, le soulagement de voir qu’il semble bien, la curiosité de savoir ce qu’il devient, mais aussi, l’appréhension de découvrir l’état de son amie, la peur de découvrir le pourquoi et le doute quant à son rôle dans cette situation.

Elle suit Terry jusque dans l’appartement voisin et elle lâche un petit cri aigu en portant ses mains à sa bouche en apercevant le corps allongé et blessé de l’ancienne poufsouffle. Son cœur se contracte"Hannah! C’est Padma. Tout va bien." Elle n’en a aucune idée. Elle dit seulement ça pour la rassurer et se rassurer. La panique se mêle à tout le reste et son souffle se coupe à la demande de Terry. "La soigner? Mais non…je ne peux pas. Je ne suis pas médicomage. Je sais que tu m’as toujours vu dans ce domaine, mais c’est pas le chemin que j’ai suivi. Je suis architecte Terry, je ne suis pas…je ne peux pas…Il faut l’emmener à St-Mungo!" C’est la seule chose à faire. La seule solution. La meilleure. Il ne peut pas mettre la vie de leur amie entre ses mains, c’est injuste.

Depuis un brouillard opaque et étouffant, Hannah perçoit des bribes de conversation - une plus grave que l’autre - et des mains qui la saisissent et la maintiennent contre un corps chaud alors qu’elle entend le zapzap du transplanage. Ou peut-être que c’est dans l’autre sens ? D’abord les mains, ensuite les voix ? Et à un moment on l’allonge, mais est-ce que c’est avant ou après les voix ? Hannah ne sait pas, Hannah ne sait plus. Ses yeux papillonnent, mais elle ne voit rien, sa main tremblante se porte à son visage mais la sensation lui paraît étrange. Peut-être que ce n'est pas sa main qui la touche ? Hannah ne sait pas.

Terry. Il y avait Terry. “Terhmph ?” essaie-t-elle d’appeler, mais sa voix se coince dans sa gorge, le son à peine un gémissement ; oh elle a mal aux poumons et au niveau du cœur. Ça se soulève avec difficulté et ça bat avec un rythme effréné. Il faudrait faire un magiscan, étudier ce qu’il s’est passé. Que s’est-il passé d’ailleurs ? Hannah ne sait plus.

Des mots traversent la nappe obscure qui la retient prisonnière, dénués de sens et de cohérence. “Hannah” oui c’est elle, “St Mungo’s” non danger, “aide” aide, oui de l’aide. “Architecte”, pourquoi une architecte ? Elle voudrait se redresser et prendre la parole. Hannah connaît la marche à suivre, mais ses mains glissent sur le tissu - un tissu qu’elle connaît, est-elle chez elle ? Des pas qui s’avancent, une voix qui s’enroule autour d’elle, la blessée s’en saisit et s’y accroche ; suit la voix, tiens-toi éloignée du brouillard. « Hann..., P.. est là, elle va ... avec toi ok ? » Clignant des yeux, Hannah opine faiblement du chef, ou du moins tente-t-elle. Mais tout est désynchronisé, elle veut tendre la main et celle-ci tombe dans la vide, ouvrir la bouche mais ferme les yeux. Oh ça fait mal. P… P… c’est qui ça P ? Terry, ne pars pas! La supplique meurt avant d’avoir pu exister.

Le zapzap encore. Ou bien c’est celui d’avant ? Il l’a laissé ? Toute seule ? NON. Focus Hannah. Get a grip damn. Il y a quelqu’un, P, architecte, amie, amie. Les pièces du puzzle s’assemblent. “Padma, c’esttt … to-i?” les mots sortent comme un pâté de sa bouche mais au moins ne prennent-ils pas forme que dans sa tête. Pourquoi Padma ? Et qui d’autre ? Pas le choix. Si elle avait pas si mal, elle s’en voudrait d’emmener une nouvelle personne dans sa chute. Mais la douleur est intense, ça brûle et ça pique à la fois, et ça gratte. Sa main se porte à sa poitrine, ses ongles s’enfoncent dans la cape et tentent d’atteindre la chair. C’est pire, c’est pire. Stop. “P-Padma… Tttrousse.” une main qui se tend vaguement en direction de la cuisine, ou de la salle de bain. D’un endroit où la sorcière pourra trouver sa valise avec des onguents, des potions et tout un tas de trucs qui pourrait la sauver. Ou la tuer. Au point où on en est.

Pourquoi elle ne voit rien ? Hannah ne sait pas. Et cette pensée l’obsède un temps, mais son esprit n’arrive à se fixer sur rien plus d’une demi-seconde. Qu’est-ce qu’une demi-seconde ? Ah ça fait mal. zapzap. Non c’était avant ça. La lumière vive et le coup violent en plein torse aussi. Elle a peur au milieu de ces ténèbres qui ne font que grandir et grandir et grandir en même temps que la douleur. Son champ de vision n’est réduit qu’à cette tache sur sa peau qui brûle et consume tout le reste. Et le noir.