Cette longue période de flou ne semble pas vraiment vouloir devenir plus claire, aucun souvenir fulgurant ne semble vouloir lui revenir, même au point de ne pas savoir qui lui a lancé cet Oubliette, mais en tout cas Seamus se dit que le travail a vraiment été remarquable. Encore plus lorsque des fois Fleur semble lui parler de missions ou de bêtises qu’il aurait fait sous sa surveillance et qu’elle a été bien trop gentille avec lui, des remontrances qui se terminent souvent par Seamus qui vient prendre la blonde dans ses bras sans vraiment lui laisser le choix et juste la câliner quelques secondes. Peut-être que c’est lui qui en a le plus besoin, finalement, de ce genre de contacts, même s’il ne veut pas se l’avouer et préfère faire comme si c’était le reste du monde qui dépendait de ses gestes. Stupide. Dans tous les cas, rien ne semble vouloir refaire surface, même lorsque Fleur marmonne des choses qui devraient lui redonner des flashbacks, ou qu’elle le regarde avec une certaine tristesse comme si elle ne cautionnait pas cette histoire.
Et puis il y a cette longue période aussi à traîner au sein d’une des planques du cercle trois et à se faire chier comme un rat mort, un truc qui lui donne envie de rouler des yeux d’une force phénoménale. Il pourrait se bouger, Seamus, et se décider à voir Dean, peut-être, même si la peur intensive de son jugement le cloue sur place, d’autant plus lorsqu’il apprendra que ça fait bien longtemps que Seamus est de retour et qu’il a fait n’importe quoi pendant tellement longtemps avant de se décider à le voir. Peut-être. Ou peut-être pas. Peut-être que Seamus a juste besoin de renouer un peu plus avec le passé, de s’engouffrer davantage dans l’espace de conneries intensives qu’il apprécie tant, peut-être qu’il devrait juste perdre un peu plus de temps et se balader en Irlande.
“Fucking idiot,” qu’il grince entre ses dents alors qu’il s’avance au plus proche de la résidence et se rend compte qu’aucun sortilège ne protège la demeure mais qu’il s’agit bien d’un putain de manoir et que jamais cet enfoiré de Bagshot l’aurait invité à passer un été. Seamus sort sa baguette alors et fait apparaître un bouquet de fleurs, un des plus beaux qu’il a jamais fait apparaître en plus, et se dirige vers la porte avec une assurance et une stupidité qui lui sont toutes particulières. Son doigt vient presser la sonnette en se demandant bien comment amener les choses, se disant presque que le fait d’avoir tellement changé et que les images de sa tête mise à prix sont si vieilles qu’il ne devrait pas s’inquiéter. Non. Et puis, il est irlandais, c’est charmant, un irlandais, non ?
Et la porte s’ouvre, sur la silhouette d’une femme qui pourrait être n’importe qui s’il n’y avait pas quelque chose dans son regard qui lui disait Boris, et aussitôt un sourire de chat étire les lèvres de Seamus. “Madame Bagshot? Quel plaisir, vous êtes ravissante, je me permettais de venir rendre visite à Boris, apparemment il serait libre à cette heure.” Il est sûr que son audace paiera. “Pour vous,” rajoute-t-il toujours avec ce sourire un brin charmeur aux lèvres alors qu’il tend les fleurs vers la mère de Boris. Il en revient pas d’avoir même essayé d’avoir l’air plus que polish pour cette mascarade.
Cette petite fantaisie m’a été proposé par Bagshot mère.

Si la bâtisse Bagshot n’est pas protégée, on ne peut pas en dire autant du bureau de ton père. A croire qu’il n’avait pas fait poser de runes protectrices autour des jardins à l’abandon pour donner l’impression qu’il était un honnête citoyen sans aucune affaire à se reprocher. Ou peut-être que le jardin et les murs étaient si délabrés qu’on pouvait se dire que plus personne ne vivait ici depuis longtemps.
Tu dépasses la porte verrouillée du bureau de ton père sans n’y prêter plus aucune attention. Sur ton passage, les portraits des anciens s’offusquent en t’observant déambuler à l’étage, le visage recouvert d’un épais onguent verdâtre, les cheveux enroulés dans une serviette de bain.

Tu revenais d’une mission avec Ulrike. Rien de bien périlleux, mais plutôt bien salissant, pour ne pas dire que tu t’étais ramassé dans une bouse de troll et que Kalen Yaxley avait refusé que tu reviennes au Ministère dans cet état ; il avait déjà bien de la peine à maintenir vos bureaux propres à cause des loups-garou, alors si les vampires s’y mettaient aussi, ça n’aurait pas été étonnant qu’il se ramène avec un équivalent sorcier du karcher. Bah, tu ne t’étais pas fait prier pour rentrer chez toi à une heure décente, pour une fois. Ulrike était une Handler zélée, aussi, elle se portait toujours volontaire pour faire des heures supplémentaires (tu étais persuadé qu’elle faisait ça juste pour te faire chier…).
Tu avais donc profité de quelques heures de rab pour te tartiner avec des onguents pour la peau, ta boule de cristal suspendue dans les airs, tandis que tu racontais à Millicent Bulstrode que la salive de vampire ferait un super ingrédient pour de l’anti-âge (tu ne te gênerais pas pour soumettre l’idée à Sienna, d’ailleurs).

Tu te vois déjà en train de passer la soirée à siroter du O+ devant le dernier épisode d’une cristal-réalité, lorsque la voix de ta mère s’élève du rez-de-chaussée. Tout d’abord, tu n’y prêtes pas attention, comme à ton habitude, pour ne pas dire que tu n’adressais quasiment plus la parole à aucun de tes deux parents (même si ton père était exceptionnellement là). Mais la voix insiste et tu lâches ton bout de coton, jeté avec fièvre dans le lavabo. Telle une adolescente interrompue dans sa routine pré-bal de fin d’année, tu sors de la salle de bain, descends les escaliers, avachi sur la rampe, afin de montrer ta mauvaise foi. Pourquoi elle tient un bouquet de fleurs ? « Qu’est-ce qu’il y a, enc- »

Le sourire mutin de Seamus te coupe le sifflet. « Dis bonsoir, Boris, ce n’est pas tous les jours qu’un petit camarade vient te voir. » Et ta mère de planter son oeil aussi transparent que le tien sur l’intrus. « Comment avez-vous dit que vous vous appeliez ? »
C’est qu’elle a l’air ravie, en plus ! A se recoiffer discrètement, s’essayant même à un sourire un peu faiblard (elle a perdu l’habitude, à force de toujours porter son regard désolé et ses lèvres pincées). Toi, en revanche, on dirait que tu viens d’avaler cul-sec un gobelet de sang de harpie. Dévalant les dernières marches, une main agrippée sur le col de ton peignoir, l’autre attrapant le bras de Seamus, tu siffles « On s’en fout de comment il s’appelle, parce que de toute façon, il ne reste p- » « Vous resterez bien dîner ? »

Ah bah ça, c’est la meilleure. Au fond du couloir, les pieds comme fichés dans le parquet, c’est ton père qui, à présent, fout son grain de sel. Ça te fait presque bizarre de le voir de nouveau, ou c’est peut-être simplement qu’il te ressemble comme deux gouttes d’eau et quelques décennies en plus dans les dents. Il t’aura suffi de ce court instant, figé juste devant la porte, Seamus louchant sûrement dans ton décolleté, pour que, l’un comme l’autre, tes parents closent le débat. « C’est une idée splendide, très cher ; cela fait des siècles que nous n'avons pas eu de dîner à trois ! » chantonne ta mère, feignant être encore sur la même longueur d’onde que son mari figurant un peu trop souvent aux abonnés absents. « Boris, fais faire le tour du propriétaire à ton petit ami » Parce qu’il était petit, hein, littéralement. « et profites-en pour enfiler une tenue décente ! Vous l’aiderez à choisir, jeune homme » qu’elle propose même à Seamus qui doit frémir d’impatience. « Ces temps-ci, il ne porte que du noir ; c’est d’un lugubre ! »

« Suis-moi… » que tu es contraint de sommer ton fantôme personnel, en grimpant les marches quatre à quatre devant lui. « Et essaye même pas d’mater sous ma robe de chambre, ou c’est toi que je bouffe au dîner ! »