“ No, you can't," répond Abbas immédiatement, non sans douceur. Il comprend, alors. Penelope est presque un peu surprise ; c’est la vérité pourtant, ce qu’il lui propose c’est du vide et personne ne survit rien qu’avec du vide. Et elle n’a pas besoin de ça : du danger que ça représente pour elle, en plus de tout ce qui est déjà cassé et insoutenable dans sa vie. "I can give you..." Il hésite et elle sait pourquoi, c’st parce qu’il n’a rien à lui offrir, rien de plus que ce qui est déjà évident : des baisers en secret, des étreintes aussi, rien de plus. S'il rend les armes c'est tant mieux, il lui rend la tâche plus facile. "I can give you love, and companionship, and time. I can't give you all my time, but I can assure you you'll be on my mind all the time. I can give us a chance... to be something." Le quatrième mot la choque si bien qu’elle en oublie presque d’écouter le reste. Il va l’aimer ? C’est un si grand mot et certainement pas quelque chose qu’elle croyait entendre de nouveau un jour à son égard et encore moins venant de lui. Elle a beaucoup de mal à croire à cela et elle préfèrerait qu'il n'utilise pas ce genre de mots de manière aussi libérale. Il baisse les yeux après qu’elle ait relevé les siens vers lui, les sourcils froncés. Tout ça ne sait que la rendre triste. Ce qu’il décrit ce n’est rien de plus que les ombres, les illusions qu’elle devinait déjà. "I'm sorry," Il a de quoi l’être, mais il n’es pas le seul. Penelope est désolée, elle est responsable et coupable de ce qu'il s'est passé lors de son anniversaire puis ces derniers jours. Elle a du mal à s'expliquer comment elle a pu laisser tout ça se produire, comment elle peut vouloir que ça se reproduise, comment elle a pu elle-même initier cette conversation qui ne peut mener à rien de bon. "I wish things were different, but they aren't. I'll give you everything I can." Le pli entre les sourcils de Penelope est si profond qu’il lui donnerait presque déjà mal à la tête. “ Yeah. ” Elle pousse un soupire, reprend ses baguettes pour jouer avec. “ I see. ” ment-elle à mi-voix. Elle ne sait pas quoi dire, probablement parce qu’il n’y a rien à dire et rien à faire.

Les mots d’Abbas n’aident pas vraiment, mais elle ne s’attendait pas à ce que ce soit le cas. La seule chose qui aurait pu la rassurer aurait été un mensonge et elle n’en veut pas. Quant à ses promesses, elle ne peut s’empêcher de douter. Lui-même admet qu’il n’aura pas beaucoup de temps pour elle, alors quel espèce de companionship pourrait-il vraiment lui offrir ? Une présence à mi-temps tout au plus. Une chance de faire semblant. De l’affection quand ça l’arrangera, du vide le reste du temps. Il ne sera pas là quand elle sera malade, quand elle se sentira trop seule. Elle ne pourra pas compter sur lui. On dit souvent qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné, un principe que Penelope a toujours tenu en haut estime. Et il vaut assurément mieux rester seule quand on l’est déjà, que d'aller s’exposer à un douloureux abandon. Elle ne doute pas, Penelope, qu’elle ne s’habituera que trop facilement à sa présence comme elle l’a déjà fait, après un seul weekend. Elle s’habituera à lui et elle souffrira quand il ne sera pas là — souvent, elle imagine — et puis quand il quittera sa vie pour de bon. Elle observe les dumplings, elle est malade rien qu’à l’idée de manger mais elle se force à en attraper un avec ses baguettes. “ We should eat before it gets cold. ” fait-elle d’une voix plate. Et puis ils ont du travail qui les attend, même si elle ne risque aucune remarque ou procédure disciplinaire vu qu’elle est justement avec son supérieur hiérarchique. Elle se doute bien que ça ne va pas lui plaire qu’elle ne réponde pas à ses propositions, mais si elle cherche à lui répondre là tout de suite elle risque de dire des choses qu'elle regrettera plus tard. “ I need time to think. ” murmure-t-elle après un instant, jouant avec sa bouchée aux légumes avant de finalement croquer dedans sans le moindre appétit. C’est la dernière chose qu’elle devrait demander, du temps pour penser, du temps pour se laisser convaincre, du temps pour s’abandonner. Penelope ne doute pas un seul instant que quoiqu’Abbas puisse être sincère au moins un peu, ils ne peuvent rien être, rien de tangible, rien de vrai, rien qui vaille la peine de la distraction non plus. Elle a un but précis et une vie qui tourne autour de ce dernier, pas vraiment d’amis, pas vraiment d’activité en dehors de son travail. Et elle n'en a pas besoin. Elle ne demande rien de plus désormais que faire quelque chose de bien dans sa vie et apaiser sa conscience et purger ses péchés. Pourquoi irait-elle s’en ajouter d’autres ? “ Sorry. ” Ajoute-t-elle tout bas après s'être éclaircie la gorge maladroitement une fois le dumpling difficilement avalé.
Pourquoi n’arrive-t-elle pas à dire non tout de go comme elle l’a fait en mai ? Elle faiblit, face à lui et elle n’aime pas ça. Elle n’aime pas ça parce qu’il ment quand il lui dit qu’il leur donnera une chance d’être quelque chose. Il ne peut que mentir. Les choses sont ce qu’elles sont que ça leur plaise ou non et ils ne peuvent rien y faire, ou plutôt elle ne peut rien y faire et lui ne voudra rien y faire. Il est marié, ça ne changera jamais. Et même : Penelope pense qu'il aime sa femme, qu'elle soit intéressée par les hommes ou pas. Il ne pourra jamais lui être loyal, fidèle quand bien même il dit qu’il pensera à elle. Il ne pourra jamais être à elle.