Penelope est en retard. Ou du moins, pas autant à l'heure que d'habitude. Elle est en retard et elle a des cernes un peu plus prononcées que d'ordinaire sous ses yeux cependant bien alertes. Elle n'a pas bien dormi, pas bien du tout, mais elle s'efforce de ne rien en montrer, ordonnant les papiers sur la table de réunion à laquelle s’assiéront bientôt les différents maîtres-chercheurs du Département ainsi que les deux chefs de Bureau d'expérimentation. La réunion de département tombe mal, mais elle est prévue depuis des semaines et ce serait faire preuve d'un manque de professionnalisme grave que de la repousser pour cause de son insomnie. Penelope s'affaire, s'assure que tout est prêt, et bien qu'elle soit en retard selon sa propre éthique, elle est là suffisamment tôt malgré tout pour, qu'après tout ça, elle puisse déposer sur le bureau d'Abbas avant qu'il n'arrive un café bien chaud. Elle retourne ensuite à son propre bureau pour étudier pour la énième fois l'ordre du jour qu'elle connaît par cœur pour l'avoir rédigé elle-même, touillant son chaï d'un bout d'index distrait. Si sa mine concentrée est plus que crédible, son esprit ne peut s'empêcher de voguer à d'autres occupations, ses oreilles tendues vers les bruits de pas des employés qui commencent à arriver au compte-goutte, guettant ceux du Directeur. Elle est aussi impatiente qu'anxieuse à l'idée de se retrouver face à lui. Malgré une nuit solitaire, elle a l'impression de pouvoir encore sentir sur le bout de ses lèvres le goût des siennes. Elle les trempe dans son chaï encore brûlant pour tenter, vainement, de l'effacer, de le sortir de ses pensées au moins le temps de cette journée de travail qui promet déjà d'être interminable. Cinq minutes avant l'heure de la réunion, Abbas débarque enfin et elle se redresse aussitôt, droite comme un i pour l'accueillir, ne sachant trop quoi dire et balbutiant finalement : “ I will go make sure the meeting room is ready and everyone's here. ” Et de le laisser découvrir seul la tasse de café qu'elle lui a amenée.

Penelope n'assiste officiellement aux réunions intra-départementales que pour prendre des notes, mais cela fait déjà un moment que plus personne n'est vraiment dupe. Elle pose des questions, donne subtilement son opinion et mène très franchement la danse en s'assurant que l'ordre du jour est respecté, même si, toujours, elle prend soin de se tourner vers Abbas, de le laisser parler, quoique que ce soit bien souvent ses regards à elle qui dictent si une suggestion est approuvée ou non. Les sujets où elle reste véritablement en retrait sont ceux qui concernent les deux Bureaux secrets qui la rendent des plus mal à l'aise. Elle sent par ailleurs que les deux chefs ne la respectent pas vraiment et préfère ainsi laisser Abbas décider de leur sort. Même en privé elle ne dit presque rien à Abbas à leur sujet et ne les suit pas d'aussi près que les autres recherches. Autant elle est en mesure de gérer seule les sujets de recherche traditionnels du Département des Mystères autant les expérimentations nouvelles la dégoûtent et ne sont que le fruit de l'idéologie actuelle qui de toute façon n'accueillerait pas de bonne grâce l'opinion d'une sang-mêlée. Quoiqu'il en soit, l'objet de ces deux Bureaux sont trop secrets pour être mentionnés même devant les maîtres-chercheurs, aussi les chefs ne sont pas trop invités à discuter sauf en termes très vagues de leurs besoins de matériel ou de personnel. La réunion se déroule comme prévu sans trop de mauvaises surprises et Penelope ne peut réprimer un léger soupir soulagé quand elle peut ordonner ses parchemins et arranger la salle d'un coup de baguette avant d'en sortir sur les talons d'Abbas. Toute la matinée y est passée et beaucoup décident d'aller directement déjeuner.

Le Directeur et son assistante se suivent, Penelope se demandant si elle devrait simplement récupérer son sac à main et sortir manger afin de le laisser tranquille. Finalement elle le suit jusqu'au pas de la porte de son bureau sans s'être arrêtée pour prendre ses affaires sur le sien.  “ Do you have what you need or will you go buy something? ” demande-t-elle comme elle en a plus ou moins pris l'habitude quoiqu'elle semble plus timide, comme si la question avait aujourd'hui plus de sens qu'auparavant. L'enjeu est plus important.“ Do you have time for a lesson after lunch today? ” poursuit-elle d'une voix un peu plus basse car même si ça n'est pas interdit, ça ne fait pas exactement parti de leurs fonctions non plus que de s'apprendre mutuellement la magie de l'esprit et c'est techniquement du temps de travail qu'ils volent après leur pause déjeuner. Puisqu'elle c'est elle qui tient à jour son agenda elle sait qu'il devrait avoir le temps pour elle, mais elle sait aussi qu'il a parfois des engagements personnels à honorer et dont elle n'est pas au courant. C'est aussi une façon de lui laisser l'opportunité de se dérober s'il n'a pas envie de faire une séance d'occlumencie aujourd'hui. Après tout, la dernière fois qu'il a passé une nuit chez elle, ils ont suspendu ces leçons pendant des semaines… C'était de par son initiative à elle certes, mais il aurait le droit de vouloir en faire de même cette fois-ci.
Elle pour sa part donnerait tout pour savoir à quoi il pense.

Abbas n'a pas croisé Lizzie: ça l'a à la fois contrarié et rassuré. Contrarié de ne pas avoir pu lui dire qu'il était heureux sans elle; rassuré de ne pas avoir pu lui dire qu'il était heureux sans elle. Pour la première fois depuis des lustres, Abbas s'est endormi le coeur léger. Malgré les circonstances terribles du début de weekend, le dur rappel que l'avarice de Zabini et la cruauté de l'humanité n'ont aucune limite, il s'est endormi avec un léger sourire en repensant aux deux derniers jours, à Penelope. Et pour la première fois depuis des années, Abbas a de l'espoir. Qu'un jour, peut-être, l'anormalité cruelle que sont les Battues soit quelque chose appartenant au passé. Et quant au reste... à ça, Abbas n'a pas le temps d'y penser, s'endormant déjà.
Il se réveille un peu en retard, ce qui n'est pas surprenant de sa part. Il se prépare rapidement, prend à peine le temps de passer par la cuisine où seule une tasse de thé vide sur le comptoir lui indique qu'il ne vit pas seul, avant de prendre la cheminée - ordinaire, celle-ci, contrairement à celle de son bureau - pour Londres et le Ministère.

Grosse réunion ce matin, et un début de semaine chargé. Mais ce n'est pas pour cette raison que Abbas est anxieux, à se passer une main nerveuse dans les cheveux comme d'habitude, à refaire le noeud de sa cravate dans l'ascenseur le menant au niveau neuf du Ministère après avoir salué quelques têtes connues. Non, Penelope le rend nerveux. Comment va-t-elle agir? Froide et distante comme en mai? Ou au contraire... il n'ose y croire.
Peut-être devraient-ils faire comme si rien ne s'était passé - ce ne serait pas la première fois qu'Abbas est confronté à ce genre de situations gênantes. Mais il ignore comment il va pouvoir prétendre, quand son coeur semble prêt à se déloger de lui-même de sa poitrine quand il croise enfin le regard de Penelope, qui se lève à son arrivée dans leurs bureaux juxtaposés. Il reste interloqué pendant un bref instant, comme surpris de la trouver là. “ I will go make sure the meeting room is ready and everyone's here. - Thank you, Penelope." Il baisse les yeux, et rentre dans son bureau pour se passer une dernière main dans les cheveux et vérifier qu'il n'y a entre ses dents aucun reste du toast goût cendre qu'il a avalé dans la cheminée en partant.

Il a un très léger sourire en voyant la tasse de café encore fumante qui l'attend sur son bureau, et un peu de la pression qu'il ressentait jusque là, s'évapore.

La réunion est longue, et chiante. Même si Abbas s'est vite accomodé de son travail, il n'en reste pas moins... incompétent et way over his head. Heureusement que Penelope est là, attentive et intelligente comme toujours, lui donnant des pointers qui lui permettent de ne pas passer pour un imbécile fini auprès de ses employés (quoiqu'il surprenne le regard entendu et agacé échangé entre Rosier et Willingham à un moment). Abbas se fait parfois la réflexion que tout serait nettement plus simple si on le laissait utiliser de sa Légilimancie sur tout le monde. Au moins, il saurait bien tout ce qu'il se passe dans son département, et tout le monde serait d'accord... mais ce ne serait pas très éthique.
Mais l'éthique n'existe pas dans cet endroit que le soleil ne touche pas; Abbas s'en souvient à chaque fois qu'un dossier est évoqué à demi-mot, que Rosier ou Willingham, à la tête de leurs bureaux d'expérimentation respectifs, mentionnent ce qui ne peut être expliqué face aux autres.
Abbas s'en sort avec un mal de tête et un froncement de sourcil imprimé sur le front, prenant le chemin de son bureau en conservant son air perplexe. La réunion a duré une heure de plus que prévu, ce qui le met légèrement en retard sur ce qu'il avait prévu ce matin...

Il entend les pas de Penelope dans son dos, et la surprend sur le pas de la porte de son bureau quand il se retourne pour la regarder partir. Mais elle reste là où elle est, et Abbas se sent fondre face à son regard sombre. “ Do you have what you need or will you go buy something? ” Il secoue légèrement la tête. Il se contente généralement d'un sandwich préparé à la va-vite le matin même, quitte à avoir faim plus tard. Ce matin, il n'avait pas le temps. Et franchement la flemme. "I was thinking of getting dumplings." Il y a un petit dumpling bar près du Ministère, un restaurant sorcier caché dans une lane entre deux grands bâtiments administratifs; c'est là qu'ils sont allés le jour de l'anniversaire de Penelope.
“ Do you have time for a lesson after lunch today? ” Il cligne des yeux et s'approche, ses sourcils très légèrement froncés, toujours. C'est elle qui a demandé à arrêter, après son anniversaire justement, après qu'ils aient couché ensemble. Cette fois-ci, ils n'ont pas eu cette chance (à la grande déception de Abbas), mais ils se sont embrassés, des dizaines de fois, des centaines de fois. Il s'approche de quelques pas, jusqu'à ce qu'ils soient face à face, et il tend la main. Un geste rapide, mais tendre, alors qu'il effleure son coude du bout des doigts, une caresse aussi futile que timide. "You tell me," lui répond-t-il simplement. Elle est après tout son assistante, c'est elle qui contrôle son emploi du temps; et c'est elle aussi qui ponctue leur relation. Il le lui a dit, hier, quand ils s'embrassaient, qu'ils procéderaient à son rythme, comme elle veut... du moment qu'ils procèdent, qu'ils continuent, qu'ils se donnent une chance, Abbas peut s'accomoder de tout. "We trained yesterday and we shouldn't be overzealous," lui rappelle-t-il d'une voix douce. "If you feel ready, so do I." Il pince des lèvres, les caresse du bout de la langue en regardant rapidement celle de Penelope; et puis, rapidement, détourne de nouveau les yeux vers les siens. "Come to lunch with me." L'ordre est tendre, une proposition pleine de confiance en apparence, mais pleine de doutes en réalité: il ne sait jamais trop sur quel pied danser, avec elle, malgré tous les espoirs qu'il laisse reposer sur ses épaules et ses beaux yeux dans lesquels il se perdrait volontiers.

Penelope se souvient très bien du bar à dumplings, coincé entre deux grands bâtiments, ne payant pas de mine vu de l’extérieur, mais très cosy, très sympa, très bon surtout. Abbas leur avait réservé une table et ils avaient dîné là le soir de son anniversaire après qu’elle ait passé la journée chez elle puisqu’il lui avait offert un jour de congé. Elle se souvient très bien que la nourriture était délicieuse, et la conversation meilleure encore, en dépit de la déprime qui alourdissait le cœur de la nouvellement trentenaire. Elle n’avait pas compris pourquoi il avait voulu rendre sa journée spéciale, pourquoi il s’embêtait à dîner avec elle, mais dans sa triste solitude elle n’avait pas voulu trop se poser de question. Surtout qu’elle s’était fait la réflexion qu’elle se sentait avec lui bien plus comprise et entendue qu’elle n’aurait jamais cru l’être de nouveau, surtout pas avec un Death Eater. Le rappel de cette soirée de mai où tout a changé pour eux, devrait peut-être la faire reculer, mais pour une fois la culpabilité se fait moins entendre que l’espoir. L’espoir tout simple et bête que s’il est là à dire qu’il a bien envie de manger des dumplings aujourd’hui, c’est qu’il voudrait qu’ils y aillent ensemble de nouveau.
Elle n’ose pas demander et s’enquérit plutôt de leurs sessions de magie de l’esprit, un peu surprise quand elle le voit approcher, ses sourcils froncés lui envoyant des signaux mitigés. Quand il lève la main, elle s’immobilise tant qu’elle cesse même de respirer un instant alors qu’il effleure tout doucement sans un mot, sans une explication, juste la peau de son coude qui frémit au contact de ses doigts. " You tell me, " ce n’est pas un oui net et précis, mais c’est tout comme, elle pense. " We trained yesterday and we shouldn't be overzealous, " elle ne croit pas imaginer la douceur dans sa voix, comme celle avec laquelle il l’a effleuré un instant plus tôt. Serait-il aussi timide qu’elle ? " If you feel ready, so do I. " Un instant, Penelope se demande s’ils parlent encore de la même chose ou plutôt, si depuis le début il n’y a pas deux sens à leur conversation. Seulement pour Penelope les sentiments ne sont pas les mêmes, la décision pas aussi claire selon que l’on parle des sessions d’occlumencie et de légilimencie ou d’autre chose. Ses yeux sombres observent le mouvement de ses lèvres et celui du bout de sa langue qui vient mensuellement les effleurer dans un geste pourtant sûrement rien de plus que machinal. Elle a du mal à se concentrer, se contentant de hocher la tête doucement. C'est important qu'ils s'entraînent, qu'ils tiennent leur promesse de faire bouger les choses. De ça au moins elle est certaine. " Come to lunch with me. " Leurs regards se trouvent et s’accrochent et il pourrait alors se passer une seconde ou des milliers tant ils semblent échanger sans rien dire. Le hochement de tête de Penelope est lent, mais pas hésitant. “ Alright. ” Et si sa réponse est simple, l’enthousiasme timide dans sa voix n’est pas feint. Ils conviennent de travailler une petite demi-heure avant d’y aller, pour éviter également que le restaurant ne soit bondé et avoir à attendre pour une table. Penelope préfère de toute façon les endroits un peu reclus et puis, même s’ils n’en ont jamais parlé, elle sait qu’avec lui il vaut mieux qu’ils n’aillent jamais dans des lieux trop fréquentés.

À l’heure convenue et pas une minute plus tard Penelope vient toquer à la porte d’Abbas, son sac à la main, un châle inutile sur les épaules. Il fait bon aujourd’hui, très bon même, c’est une belle journée d’été à l’anglaise même si l’absence de fenêtre dans leurs locaux ne permet pas de s’en apercevoir. Ils marchent en silence jusqu’aux ascenseurs, l’anxiété de Penelope un peu calmée mais leur échange précédent, mais pas totalement non plus. Ils vont déjeuner ensemble, ça ne veut rien dire. Ils retournent au même restaurant qu’à la veille de leur première fois, aussi. Mais ça pourrait être pour mieux clôturer quelque chose qui n’aurait jamais dû voir le jour. Oui, mais il l’a touchée. Et puis leurs regards… Si elle avait encore des amies avec lesquelles parler de ces choses-là — comme elle n’en avait déjà pas vraiment à Hogwarts — elle se doute bien que l’on se moquerait d’elle, à agrandir et romanciser des tous petits gestes. À mesure qu’ils marchent à l’extérieur du Ministère dans les ruelles moldues qui mènent au restaurant sorcier, elle se sent se détendre, comme à chaque fois qu’elle quitte les locaux du Gouvernement tant haï. Elle le suit même si elle se souvient tout aussi bien du chemin. Elle a mille questions en tête et aucune qui n’ose s’échapper de ses lèvres jusqu’à être installés à une table, dans un coin du restaurant. Elle l’observe lui bien plus que le menu alors qu’ils passent commandent rapidement avant qu’enfin leurs yeux ne se retrouvent pour ne plus se lâcher. Penelope n’est qu’une apprentie en légilimencie, elle fait ses preuves, mais elle est loin d’avoir atteint son niveau à lui, connu pour être capable de lire les pensées des autres d’un seul regard. Pas les siennes, jamais plus les siennes, déjà parce qu’elle est trop bonne occlumens pour se faire avoir de nouveau, ensuite parce que leur confiance tacite repose aussi sur cette promesse non-dite. “ I have not been here since… ” elle ne pense pas avoir besoin de finir sa phrase pour qu’il puisse comprendre la référence, abaissant brièvement les yeux, ses cils noirs traçant de fines ombres sur ses pommettes. “ Did uh did you sleep well? ” Elle rosit rien qu’à poser cette question pourtant d’apparence innocente, mais c’est qu’elle-même n’a pas très bien dormi du tout. Après des mois interminables de solitude, Penelope s’y pensait habituée, mais la veille, ses bras lui ont manqué, comme si ce n’était déjà plus naturel pour elle de dormir seule.  “ I mean… ” Elle voudrait lui demander s’il a dormi seul. Probablement pas. Elle voudrait lui demander si sa femme a senti l’odeur de Penelope sur lui. Elle voudrait lui demander s’il s’en est caché. Elle voudrait surtout savoir ce que tout cela, ce qu’ils ont fait, signifie pour lui. Finalement, elle pince les lèvres pour ne pas plus s'enfoncer.

Penelope approuve. Les trente minutes qui suivent sont une véritable torture: Abbas, même si il en a envie, peine énormément à accomplir quoique ce soit de notable, tant il attend le moment où l'aiguille de l'holorge sera sur le bon chiffre avec impatience. Que vont-ils faire...? Manger, bien entendu, mais... parler de quoi? Se toucher? Il ne cesse de pincer des lèvres en levant un regard agacé en direction de l'horloge, comme si il allait la faire aller plus vite des yeux, déçu quand ça ne fonctionne pas.
A l'heure dite, Abbas saute sur ses pieds comme si il était assis sur un ressort depuis tout ce temps, et se présente à la porte de son bureau derrière laquelle Penelope l'attend, après y avoir toqué juste avant qu'il ne l'ouvre.
Ils sortent ensemble du département, puis du Ministère, et marchent un peu dans le monde moldu jusqu'à trouver la bâtisse, déguisée en local inintéressant pour commun des mortels. Mais quand ils pénètrent dans le restaurant, passant à travers un rideaux de perles de toutes les couleurs, ils sont accueillis par une délicieuse odeur de nourriture ainsi qu'un serveur souriant à qui Abbas demande une table près d'une fenêtre. Comme toujours, alors qu'ils slaloment entre les petites tables trop proches les unes des l'autres puis s'asseyent l'un face à l'autre, leurs genoux se touchant presque sous la table, Abbas laisse ses yeux s'écarer sur la décoration colorée et bigarrée de l'endroit. Il n'y est pas retourné depuis la dernière fois où ils y étaient ensemble, il ne sait pas trop pourquoi.

Contrairement à cette fois-là, il ne commande pas pour elle et la laisse faire, se contenant quant à lui d'une soupe et d'une petite assiette de dumplings. Il n'a jamais été quelqu'un ayant trop d'appétit, mais il peut faire un effort pour ce restaurant délicieux... Les menus sont rendus au serveur qui s'esquive, puis ils sont l'un face à l'autre, silencieux, se regardant sans savoir quoi dire. “ I have not been here since… ” Abbas hoche la tête, à la fois pour lui dire qu'il a compris et que lui aussi. “ Did uh did you sleep well? ” Il est pris de court par cette question et sourit légèrement, amusé. Ce ne serait pas une question très appropriée si ils n'avaient pas passé la moitié du weekend ensemble. “ I mean… ” Il arque les sourcils, l'invitant à continuer, mais elle ne le fait pas; il peut donc l'interprêter comme il veut. "I slept well," répond-t-il. A vrai dire, il a dormi du sommeil des bienheureux et des justes... c'est un peu pousser le bouchon trop loin, mais à enfin partager son fardeau, Abbas se retrouve extatique, euphorique, capable de se reposer. "I just wish it hadn't been alone." Il aurait préféré dormir avec elle, comme ils l'ont fait chez elle, avec le poids du visage de Penelope sur son torse, ses bras autour de son corps, ses doigts glissant légèrement le long de son dos... même à travers ses vêtements, elle lui a arraché bien des frissons.

Il aimerait faire un geste, la toucher de nouveau. Mais il est très conscient des autres clients dans le restaurant, ainsi que du fait qu'il ignore d'où ils en sont: il ne sait pas si elle le repousserait ou pas. Alors il ne bouge pas, la couvant plutôt de son sombre et intense regard, qui semble essayer de communiquer toutes les émotions et sentiments qui l'habitent. "What about yourself?" demande-t-il d'une voix douce, pendu à ses lèvres.

Abbas hausse les sourcils semblant l'inviter à poursuivre, mais Penelope n'y parvient pas, elle ne trouve pas les mots. "I slept well," lui répond-il donc simplement. Elle hoche la tête lentement, tentant de masquer une déception qui n'a pas lieu d'être. Ce n'est pas qu'elle aurait voulu qu'il dorme mal, hanté soit par sa conscience à la sortie de leur weekend ensemble soit par le manque de ses bras, mais…peut-être un peu. Elle aurait bien aimé ne pas se savoir la seule à avoir été torturée ainsi. "I just wish it hadn't been alone." Elle bat des cils sans savoir masquer sa surprise cette fois. C'est moins le sous-entendu qu'il aurait peut-être préféré dormir avec elle que le fait d'apprendre qu'il a dormi seul qui la surprend. Elle fronce un peu les sourcils, bloquée sur cette idée-là : il ne dort pas avec sa femme. Le regard qu'il pose sur elle toutefois, intense et profond finit par la distraire, l'arracher à ses interrogations, la rappeler au moment présent. "What about yourself?" Elle rosit et pince de nouveau des lèvres avant de secouer légèrement la tête. Il a bien dormi lui et elle a un peu honte de sa vérité à elle. “ I did not sleep very well. ” admet-elle à voix basse. Ses cernes parlent pour elle, même si personne n'a eu le mauvais goût de le lui faire remarquer bien heureusement. Ce qui lui fait vraiment honte, c'est que si elle a si mal dormi, si peu dormi, c'était moins par cas de conscience que par peur que ce qu'il s'est passé entre eux ne se reproduise plus jamais.

Il aurait préféré ne pas dormir seul a-t-il dit, Penelope rosissant en y repensant, en se disant que ça veut dire qu'il aurait bien voulu rester chez elle une nuit de plus. Si pour l'instant ils contournent le sujet ils s'en approchent de plus en plus et elle est certaine désormais qu'ils vont finir par en parler. L'idée la rassure un peu, mais la stresse encore plus. “ You don't sleep in the same bed as her? ” ne peut-elle s'empêcher de demander rapidement, rougissant beaucoup parce qu'elle sait qu'au fond ça ne la regarde pas. Et puis le fait qu'il ait dormi seul la veille ne veut pas dire qu'il dort tout le temps seul. Pour ce qu'elle en sait, sa femme travaillait de nuit, rien de plus. La dynamique entre Abbas et sa femme, non seulement Penelope ne la comprend pas mais en plus elle n'a fait aucun effort pour chercher à la connaître. Elle ne pose aucune question, ne creuse jamais, ne veut même pas en parler. Même après qu'il l'ait trompée avec elle, elle n'a pas su l'écouter. “ When you said you wish you had not been alone…did you mean with me? ” poursuit-elle d'une voix précautionneuse. La réponse lui fait peur quelle qu'elle soit, la conversation qui va suivre encore plus. Il faut qu'ils en parlent, difficile de faire comme si de rien était, surtout vu comme il la regarde encore, vu comme il l'a touchée, vu comme ils se sont enlacés et embrassés des centaines de fois, chez elle. Il faut qu'ils en parlent, de ça elle n'en doute pas un instant, mais elle-même ne sait pas quoi en dire. Il y a ce que son cœur désire et il y a ce que sa conscience ordonne et il y a une zone un peu grise au milieu qu'elle a assez peur d'explorer. “ For me, it felt odd to be alone. ” explique-t-elle finalement avant même de le laisser répondre, jouant nerveusement avec ses doigts, sous la table. Elle est seule depuis qu'elle a quitté l'Ordre et elle était partie pour le rester à jamais et pourtant, hier elle s'est sentie esseulée comme elle ne l'avait pas été depuis longtemps. “ Weird, I know, ”  ajoute-t-elle encore plus bas, dans un souffle. Elle n'a pas à s'habituer à lui. Elle n'a pas le droit et puis, il n'en a probablement pas envie.

“ I did not sleep very well. ” Abbas, bien entendu, n'aurait jamais fait la réflexion à voix haute; mais c'est vrai que Penelope a petite mine, en cet instant précis, avec les cernes noirs sous les yeux et son visage défait. Il la trouve toujours aussi belle et lovely que d'habitude, juste fatiguée. Il se demande si c'est parce qu'elle s'est torturée à propos de leur week-end loin du monde, ou si - il ose à peine l'imaginer - il lui a manquée.
Le visage d'Abbas s'adoucit légèrement, et il cherche quelque chose d'intelligent à dire pour détendre l'atmosphère incertaine qui règne; ils dansent comme des équilibristes autour du sujet qui fâche. Quand elle reprend la parole, Abbas pense que Penelope va mettre les pieds dans le plat: “ You don't sleep in the same bed as her? ” ...mais non, elle le laisse estomaqué et surpris, tant l'idée est... franchement absurde. Elisabeth et Abbas n'ont jamais dormi dans le même lit, sauf les rares fois où il s'y est écroulé une fois l'amour fait rapidement, dans l'espoir de concevoir (quoiqu'elle ait eu tendance à le repousser de l'autre côté du lit à cause de ses prétendus ronflements).
Il devine que Penelope pense véritablement qu'il trompe sa femme et il n'aime pas cette idée. Bien entendu, par bien des égards, c'est le cas; il trompe, en tous cas, la conception du mariage pour la plupart de la population. Mais Elisabeth et Abbas ont une toute autre conception du mariage, et des règles solides qu'ils n'ont jamais (ou presque) enfreintes. La fidélité n'a jamais fait partie de ces règles. Il aimerait pouvoir le dire à Penelope, le lui expliquer clairement, mais elle se désiste à chaque fois que le sujet de sa femme est amené. Il en est même surpris qu'elle la mentionne, même à travers un simple her... "No, I don't," dit-il doucement, posément, la dardant toujours de son regard sombre comme pour chercher dans les yeux de Penelope une autorisation pour s'étendre sur le sujet.

Cela semble être tout sur le sujet Elisabeth pour aujourd'hui; Penelope passe à autre chose. “ When you said you wish you had not been alone…did you mean with me? ” Un très mince sourire s'invite sur le visage d'Abbas, qui hoche la tête comme toute réponse. “ For me, it felt odd to be alone. ” Il la regarde, hésitante et nerveuse, si différente de la Penelope qu'il a surpris ce matin lors de leur longue et fastidieuse réunion: dans les couloirs du N9, elle est princière et autoritaire, et confiante surtout. Il aime bien qu'elle lui montre cette légère vulnérabilité, la femme qui se cache sous le masque de sérieux et d'indolence impassible qu'elle porte constamment. “ Weird, I know. - No," répond Abbas, sans savoir quoi dire d'autre pour l'instant.
Il lève la main et la pose sur la table, entre eux. Il aimerait toucher l'une des mains de Penelope, mais celles-ci sont cachées sous la table; à la place, dans une invitation évidente, Abbas tourne son bras jusqu'à ce que sa paume fasse face au ciel. "It felt odd for me too. I missed your warmth," ajoute-t-il après une courte pause, les mots faisant battre son coeur vite et fort — qu'est-il en train de faire? En public, de surcroît?
Il jette un coup d'oeil à la petite salle du restaurant. Il y a quelques couples, quelques sorciers qui sont seuls aussi, mais personne qu'il ne reconnait... well, vu la localisation de l'échoppe, c'est certainement des employés du Ministère. Et lui-même est le directeur d'un des départements...

Penelope n'a pas posé sa main sur la sienne, et Abbas la retourne face contre table. "You won't have to sleep alone again tonight, if you don't want to," lui offre-t-il d'une voix un peu plus basse que précédemment, désormais conscient de leur potentiel public. Il pince des lèvres. L'offre, sur la table, lui donne l'impression de lui ouvrir son coeur: et aussi simplement qu'elle l'a réchauffé, elle pourrait le contrarier... le briser. Abbas a du mal à gérer le rejet, surtout quand il a tout fait pour accomoder Penelope, et essaye généralement de ne pas se mettre dans ce genre de positions délicates... mais pour elle, il a bien ees choses qu'il fait sans le vouloir. "What are you thinking about?" lui demande-t-il quand le silence s'épaissit, préférant poser la question plutôt que d'aller chercher la réponse directement dans ses pensées.

“ No," Abbas lui répond si vite qu'elle n'est même pas sûre de le comprendre. Non ? Non ça n'est pas bizarre d'avoir trouvé ça étrange de dormir seule à cause de deux pauvres nuits passées ensemble contre des mois, plus d'une année entière à se retourner seule dans sa couche ? Pourquoi ça ne serait pas bizarre ? Il lève une main en silence, la pose sur la table, paume levée, Penelope observant les lignes fines de sa main, ses doigts à peine recourbés, comme s'ils attendaient quelque chose. Elle n'a pas besoin de regarder autour d'elle pour s'empêcher de tirer ses propres mains de sous la table. Ils ne sont pas seuls. Ils ne sont probablement pas particulièrement observés, mais ils ne sont pas seuls et les autres sorciers qui déjeunent les reconnaissent peut-être, lui surtout. "It felt odd for me too. I missed your warmth," Les yeux de Penelope s'agrandissent un peu, elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il lui rende la pareille et encore moins à ce qu'il s'étende dessus, explique plus précisément ce qui lui a manqué. Il a confirmé ne pas dormir avec sa femme, sur un ton qui semblait dire, pas juste la veille, pas juste en ce moment, mais jamais, non que Penelope ne puisse en être tout à fait certaine. Ses doigts tremblent un peu sur ses genoux, elle esquisse un mouvement pour sortir une main de sous la table, mais elle hésite, craignant de mal comprendre le message en dépit de ses mots plutôt rassurants.

Finalement juste quand son avant-bras bouge il retourne sa main et Penelope aplatit sa paume sur sa cuisse. "You won't have to sleep alone again tonight, if you don't want to," il parle plus bas, sans passer au murmure non plus, mais le changement de ton reste notable. Il va avec le geste de sa main. Peut-être avait-il oublié un instant qu'ils étaient en public, Penelope se félicite en tous cas de ne pas s'être abandonnée à lui toucher la paume ; elle n'aurait pas supporter le rejet. Il pince des lèvres comme s'il craignait sa réponse et elle, elle continue de le regarder, toujours avec la même crainte, la même vulnérabilité, la même incertitude dans les yeux. Elle ne sait pas ce qu'elle fait là, elle ne sait pas ce qu'elle veut faire par la suite, elle sait juste qu'elle a de plus en plus de mal à ignorer les battements de son cœur. " What are you thinking about? " Elle pince des lèvres à son tour, rosit légèrement alors qu'elle s'humecte les lèvres. Elle s'apprête à répondre quand le serveur qui a pris leur commande revient la déposer devant eux et elle maintient son silence jusqu'à ce qu'il les ait quitté. Elle n'aime pas la question d'Abbas, mais elle apprécie le fait qu'il la pose. Qu'il n'essaye même pas de la trahir plus qu'elle ne pourrait le supporter en cherchant la réponse directement dans ses yeux. Pourtant ça serait bien plus simple de le laisser faire, lui qui de toute façon connaît déjà ses plus sombres secrets, que de chercher à se comprendre soi-même et mettre des mots sur le trouble qu'elle ressent face à lui. “ I don't know. ” admet-elle à mi-voix. Elle n'a plus envie d'être seule et plus spécifiquement elle aimerait être avec lui, partager d'autres nuits. Mais il n'a rien de plus que ça à lui offrir. Et puis ce n'est pas bien. Penelope ne croit pas mériter de belles histoires comme dans les livres, en tous cas, plus maintenant. Elle pense mériter de rester seule pour payer sa trahison. Pourtant elle n'est pas sûre non plus de valoir si peu que ce qu'il est capable de lui offrir. “ I would like you to come tonight. ” confesse-t-elle avec une sincérité qui n'a d'égal que sa honte. “ I woud like you to stay. ” Et il semble dire qu'il pourrait le faire, pour elle. Mais s'il ne dort pas avec sa femmeça ne veut pas non plus dire qu'il ne lui manquerait pas. “ I don't know. ” reprend-elle timidement, jouant avec ses doigts sous la table sans encore avoir osé toucher ses baguettes. Elle n'a pas très envie de s'enfoncer plus profondément dans ce sujet difficile en plein restaurant même si personne ne fait attention à eux et même s'ils parlent tout bas. Elle a peur de mal réagir, elle a peur de laisser tomber ses barrières si difficilement érigées et tant mise à mal par les grands yeux sombres d'Abbas. “ I'm thinking. I'm thinking: what is this? ” Elle relève des yeux confus vers lui, confus et avides. Elle a besoin de savoir, enfin, ce qu'il veut. Ils n'ont pas couché ensemble ce week-end, ce n'est donc peut-être pas que physique contrairement à ce qu'elle pensait. Mais qu'est-ce que ça pourrait être d'autre ? Penelope ne s'est jamais imaginée être la maîtresse de quiconque, l'idée même la dégoûte. Le mariage est sacré d'où elle vient. Elle détesterait être à la place d'Elisabeth, alors comment pourrait-elle… comment a-t-elle pu… comment ose-t-elle encore le désirer. Comment, surtout, a-t-elle pu s'autoriser à s'ouvrir ainsi à lui, bien plus encore que de corps et d'esprit ? “ And what could this ever be? ” Ils n'ont même pas le droit de se toucher les mains par-dessus une table. Que pourraient-ils être outre des amants de temps en temps ? Que pourrait-elle être de plus qu'une page dans le livre de ses infidélités ? Les traitresses n'ont certainement droit à rien de mieux. Elles n'ont plus droit à de la tendresse, elles n'ont plus le droit d'espérer. Mais rien ne serait-il pas mieux que de le laisser lui briser son cœur à peine réparé ?

Ils sont interrompus par le serveur qui revient et pose leurs commandes su rla table — le service rapide plaît généralement à Abbas, sauf cette fois où il se retrouve à vouloir prendre son temps et écouter parler Penelope... Abbas se rend seulement compte à quel point il a faim en jetant un oeil à la nourriture désormais devant lui. Ils restent raides et sliencieux jusqu'à ce que le serveur les abandonne, et Abbas sent même un peu de tension disparaître de ses épaules et de son dos une fois qu'ils sont de nouveau seul.
Il reporte son attention sur Penelope après quelques secondes, posant sur elle son regard sombre et intense. Il la regarde comme si, sans la Légilimancie, il pouvait percer à jour le moindre de ses secrets avec un simple regard. “ I don't know. ” Un sentiment frustrant pour des Ravenclaws zélés comme eux: ne pas savoir. “ I would like you to come tonight. ” Abbas, à son grand embarras, ressent une nuée de papillons qui s'envole dans son estomac et il sent déjà ses lèvres pincées se transformer en un sourire satisfait, mais se retient juste à temps. Dans la voix de Penelope plane une incertitude dérangeante qui lui fait attendre un mais paradoxal. “ I woud like you to stay. ” Alors quel est le problème? Abbas sait parfaitement ce qui est le problème. Qui est le problème. “ I don't know. ”

Lui non plus, il ne sait pas. Il ne sait pas comment amener le sujet, la conversation, la chose. Il ne sait pas comment lui dire qu'il l'aime beaucoup, qu'il aimerait explorer ce qu'il ressent pour elle; qu'il aimerait qu'elle ressente la même chose pour lui. Il ne sait pas comment lui dire que, quoiqu'elle pense d'Elisabeth et de lui, elle a certainement tort. Lui non plus ne sait pas, et ce constat le met mal à l'aise. “ I'm thinking. I'm thinking: what is this? ” Abbas serre les dents. Il a déjà eu cette conversation, et on lui a déjà posé cette question. Il a déjà vu des femmes se détourner et faire leur chemin ailleurs, insatisfaite par la demi-vie offerte avec Abbas. Beaucoup l'acceptaient, beaucoup n'avaient que ça à offrir aussi. “ And what could this ever be? ” Il doute que Penelope se contente d'une demi-vie. Mais il n'a rien d'autre à lui offrir, et il refuse d'abandonner.
"I don't know," lui dit-il pourtant, avec sincérité - une qualité qu'elle sait invoquer chez lui semble-t-il. "I know that I like you, and I like kissing you, and spending time with you, and I wish it happened more often." Sa voix est calme, placide, comme quand il lui enseigne la Légilimancie; elle vibre d'une assurance presque naturelle chez lui, une foi en ses capacités et en ce qu'il a à offrir. "Penelope..." Il sait qu'elle n'aime pas en parler mais il se lance tout de même. "My wife and I, we're not together. We've never been." C'est une exaggération bien entendu, mais il n'a pas envie de se perdre dans ses explications de couple à Hogwarts et autres tribulations dans l'espoir d'enfanter... "She's, um." Il rougit, un peu, malgré lui. "She's not interested in men as far as I know." Ce n'est pas le genre de détail sur sa vie privée qu'on révèle à n'importe qui, surtout que ce secret n'est pas le sien à partager. Mais il lui semble que le préciser à Penelope est important.

Eh, Elisabeth lui pardonnera. Au pire, elle n'a simplement pas besoin de savoir. "It's a..." Il ne sait pas ce que c'est et se reprend en secouant la tête. "I don't know if I have much to offer but I know that I like you very much," répète-t-il. "And that whatever I can give you, I will. That is- that is how I feel." Embarrassé et confus, il baisse les yeux sur sa nourriture, attrapant ses baguettes pour les détacher dans un bruit sourd. "You should eat before it gets cold," lui recommande-t-il à mi-voix, maladroit.

Le fait même de poser la question à Abbas, de lui demander de manière aussi directe ce qu’ils pourraient être tous les deux, accroît les tiraillements coupables dans le ventre de Penelope. Le fait même de poser la question, laisse ouverte, même de quelques centimètres une porte qui aurait dû rester close, si ce n’est avant, au moins après son anniversaire. Elle ne devrait entretenir aucun espoir, ni pour elle-même, ni pour eux deux. Ils sont collègues, co-conspirateurs en devenir mais rien de plus. Ils ne devraient même pas être amis…  "I don't know," sa sincérité serait touchante, si elle ne rendait pas soudain plus lourd le poids sur les épaules de Penelope. Un seul mot suffirait à tout faire arrêter et il aurait été si facile pour Abbas de le lui dire. Nothing. Ils ne sont rien, et ne seront jamais rien et s’il avait pu lui dire ça avec la même sincérité avec laquelle il lui a avoué ne pas savoir, tout serait enfin fini ; du moins le poids de sa conscience serait moins gargantuesque. “I know that I like you, and I like kissing you, and spending time with you, and I wish it happened more often." Elle n’apprécie pas la façon qu’il a de dire ça, comme si c’était une vérité simple et facile à accepter. Il parle comme il enseigne la magie de l’esprit et si elle respecte cette assurance naturelle au cours des leçons, elle la hait quand il parle de sentiments. Car c’est bien ça qu’il décrit, à demi-mot et c’est justement anormal et contre-nature de parler aussi sereinement de ce qu’on ressent, surtout quand ce sont des choses interdites. Ses sentiments à elle, Penelope ne pourrait jamais les exprimer avec tant de placidité. ”Penelope..." Elle sent la déviation — qui à vrai dire n’en est pas une — avant qu’elle n’arrive, le pressentiment faisant se tendre ses muscles et son échine. “My wife and I, we're not together. We've never been." Penelope reste de marbre face à cet aveu. C’est un oxymore pour elle ce qu’il dit là. Ça ne peut pas être vrai. Ils sont mariés, ils sont donc ensemble. Peu importe qu’ils se soient épousés par tradition uniquement, par raison plus qu’amour ; ils sont ensemble, d’une manière qu’elle n’a pas le droit de venir troubler. Et puis, si Penelope n’était pas proche d’eux le moins du monde — les connaissait même à peine à vrai dire —, elle se souvient des préfets de Ravenclaw qui sont passés avant elle, l’ont même chapeauté en tant que préfets-en-chef. Ils étaient ensemble à Hogwarts. Est-il en train de lui mentir ? ”She's, um." Elle fronce les sourcils, s’impatiente, à peine attendrie devant le rouge qui lui monte aux joues. Il n’est que juste qu’il ait honte lui aussi, honte de ce qu’il lui demande. “She's not interested in men as far as I know." Penelope se déride un peu, sa bouche forme un petit o surpris, mais si quelques briques sont réduites en poussière sa barricade se réajuste rapidement, reste solide.

"It's a..." Il semble insatisfait de son début de phrase, secoue la tête avant de reprendre. "I don't know if I have much to offer but I know that I like you very much," Son cœur s’emballe un peu, elle pince des lèvres. Le very much est nouveau, mais elle ne s'autorise pas à s'y attarder. "And that whatever I can give you, I will. That is- that is how I feel." Il baisse alors les yeux, semblant vouloir maintenant se concentrer sur la nourriture qui leur a été servie. "You should eat before it gets cold," Il a raison, mais elle n’a plus très faim. Plus faim du tout même. Elle lève une main pour attraper ses baguettes, une autre pour les séparer, mais elle prend son temps, joue avec jusqu’à ce qu’une petite écharde s’enfonce dans la pulpe de son index lui arrachant une grimace. Elle les repose sur la table, réfléchit. Elle sait qu’elle devrait dire quelque chose, que malgré son invitation à s’attaquer à leur repas, Abbas attend d’elle une réponse. Il n’a pas posé de question, il est vrai, mais c’est tout comme.
“ Is that what you have told the others? ” Demande-t-elle d’une voix qu’elle tente de garder détacher, se réfugiant derrière ses barrières désormais autant par cas de conscience que par peur de le laisser la blesser. “ Only you know what you can give me. ” Il n’y a que lui qui pourrait établir les règles de ce qu’ils seraient s’ils devaient être quelque chose. C’est lui qui décide qu’ils ne peuvent pas se toucher. C’est lui qui décide de parler tout bas. C’est lui qui n’a que des restes à lui offrir. Penelope ne s’attarde pas sur les sentiments décrits, elle préfère les penser faux, c’est bien plus simple ainsi. Il a eu d’autres liaisons, sans aucun doute, surtout puisqu’il persiste à dire que lui et sa femme ne sont pas comme ça. Il en a eu d’autres et elles ne sont pas là pour expliquer à Penelope ce que c’est. Elles ne sont pas là pour lui dire que ça en vaut la peine. “ Only you can know. And if you don’t say it, if you leave me guessing, then all I foresee is shadows. ” Elle sera seule quoiqu’il arrive. Seule face à ses démons et face à la vie. Il sera là une nuit ou deux, puis il repartira à sa vraie vie. Il viendra la voir dans l’ombre de temps en temps, peut-être parviendront-ils même à créer l’illusion de quelque chose, mais ça ne sera jamais plus. Alors sa réponse à la question qu’Abbas n’a pas posé, la même question qui pend au-dessus de sa tête depuis le début du week-end, devrait être très simple. Du bout du pouce, elle frotte le doigt à peine blessé, elle ne souffre plus mais elle voudrait ; elle aimerait avoir une douleur physique sur laquelle se concentrer. “ You can’t live off shadows, ” murmure-t-elle comme si elle ne souhaitait que se le rappeler à elle-même.
Ceci dit, on ne vit pas que d'amour non plus.

Abbas baisse les yeux vers sa soupe, et y enfonce sa cuillère sans enthousiasme. Lui qui n'a jamais été soumis à un appétit garguantuesque, a encore moins faim tout d'un coup. Il attend, il espère, il prie secrètement que Penelope ne réagisse pas mal et quitte leur table brusquement... et, avec ça, sa vie. Bien entendu, elle serait bien en mal de quitter sa vie entièrement, vu qu'elle travaille pour lui et aurait peu de chance de trouver un emploi ailleurs. Mais Abbas peine à imaginer sa vie au Département des Mystères sans la chaleur de Penelope, le sentiment de bien-être qui le prend à chaque fois qu'il trouve un café fumant sur son bureau, la familiarité de toujours la trouver en avance, assise à son bureau, à lui tendre un dossier bien rempli qu'il doit consulter pendant la journée.
Il pince des lèvres, en se demandant si il vient de tout ruiner. “ Is that what you have told the others? ” Il relève les yeux vers elle, un moment confus en pensant qu'elle parle de la nourriture qui va devenir froide, avant de comprendre. Les autres... oui, il leur a dit ça. Et plus. Et moins. Il a eu des relations rapides, des relations d'une nuit, des relations qui ont duré plusieurs semaines, plusieurs mois... Il soupire un peu, en sachant pertinement que tout ce qu'il a offert à d'autres, tout ce qu'il peut offrir à Penelope, ne sera pas suffisant.

Il aimerait que sa vie soit différente. Il aimerait, quelque part, qu'il n'y ait pas cette horrible obligation sur ses épaules. D'être marié, d'être pur, d'avoir un enfant, un héritier, surtout après la mort de ses frères. Le nom des Shafiq doit prospérer et, même si il a des cousins et cousines qui semblent bien partis dans cette entreprise, c'est son devoir et c'est aussi celui d'Elisabeth. Il ne peut pas la quitter.
Et quand bien même ils s'adressent à peine la parole, elle reste Elisabeth. Sa Lizzie. Sa femme, sa meilleure amie, son âme-soeur.
Abbas n'a jamais douté de son mariage. Ça n'a jamais été quelque chose de négociable, avec quiconque.
Et puis, Penelope. “ Only you know what you can give me. Only you can know. And if you don’t say it, if you leave me guessing, then all I foresee is shadows. ” Et des ombres, c'est tout ce qu'il voit sur le visage de Penelope. “ You can’t live off shadows. — No, you can't," répond Abbas avec douceur, baissant de nouveau les yeux vers son plat. "I can give you..." Que peut-il réellement lui donner de tangible? Abbas hésite et pince des lèvres légèrement. "I can give you love, and companionship, and time. I can't give you all my time, but I can assure you you'll be on my mind all the time. I can give us a chance... to be something." Il baisse les yeux, un peu honteux du peu qu'il a à lui proposer. "I'm sorry," finit-il par conclure. "I wish things were different, but they aren't. I'll give you everything I can." Mais ce ne sera jamais assez.