“But I’m not sure I can still look you in the eyes.” Carrie cligne des yeux, et empêche un froncement de sourcils traître agiter son visage. Elle ne peut comprendre ça que comme un rejet, ce qui l'insupporte de base, et encore plus de la part de Bao. Elle n'a aucun mal à convoquer la colère frustrée qu'elle a ressenti en comprenant que jamais Bao ne répondrait à ses lettres, qu'elle l'avait simplement ignorée et sciemment sortie de sa vie sans lui laisser le choix. Sans qu'elle ait le moindre contrôle sur cet état de fait. It's all about control, comme toujours. Elle était si simple à comprendre, à décortiquer, à manipuler. Et maintenant, le chien renâcle et ne se laisse pas faire. Carrie n'aime pas trop ça.

Mais elle s'en fiche, non? Non, pas vraiment. C'est inutile de se mentir encore plus à ce propos. Ce n'est pas une histoire affective, c'est toujours une histoire de contrôle. Oui, voilà. Bao l'insulte en refusant de s'y plier. C'est de la fierté, et non quelque attachement qui mérite d'être noté. Peut-être que ça l'a été un jour, mais plus maintenant; maintenant, elle n'est rien, si ce n'est qu'un outil précieux pour les machinations tordues de Carrie, et son désir très simple et urgent de mettre la main sur une nouvelle dose. “I have no reason to trust you. I just don’t. Not anymore.” Cette fois Carrie ne réprime pas le très léger rictus qui agite sa bouche, l'esquisse d'un sourire sans joie. Not my fault you were stupid enough to trust me in the first place. Elle lui en a donné, pourtant, des raisons de lui faire confiance. C'était fait pour. ”Not after what happened. I don’t- I don’t give a fuck it wasn’t you. Warlocks left me for dead, and you didn’t do shit to avoid it.” Carrie n'aime pas mentir, et elle n'aime pas non plus entendre les autres proférer des non-vérités. Si elle avait su que Jin mettrait son plan à exécution, elle l'aurait arrêté sans hésiter.

Admettre son ignorance serait coûteux; supporter cette culpabilité indue est très désagréable. Mais doit-elle véritablement se justifier face à elle? Non, pas du tout. Bao ne sait rien... ”I fucking trusted you Carrie, and you didn’t even warn me. You could have, and you- you just didn’t.” ...et Bao ne veut rien savoir. Peu importe sa voix qui menace de se briser, et peu importe ces mots qui glacent le sang de Carrie dans ses veines, agitent en elle des sentiments contraires entre irritation et sincère heurt. Si elle avait su, elle ne l'aurait pas prévenue; elle aurait tout simplement empêcher cette chose d'arriver. ”And now you think you can show up and act all innocent, think you can ask me a fucking favour for I don’t know which one of your- shenanigans.” Bao baisse les yeux, et Carrie relâche un peu de la tension animant son corps. Elle sursaute quand un peu de cendre tombe de sa cigarette, lui effleure le bras en y laissant une petite marque. ”Why? — Because you were so always so easy to handle and eager to help. Because you trusted me, and you were right to. Do you really think I'm one to invest in something like I did with you, just to waste it away like that?" Sa voix n'a ni chaleur ni glace; Carrie semble juste lasse, et soupire légèrement en se détachant de la table. Elle scanne cette dernière, ainsi que la banquette, pour s'assurer de n'avoir rien oublié. Il est évident qu'elles n'ont rien à se dire, surtout si Bao s'obstine dans ses désillusions agaçantes; et pour être honnête, Carrie se sent fébrile. À la moins des restants de panique causée par la crise de Bao, et aussi à cause de la teneur de leur conversation. Que ce soit l'opium à l'étage, ou la voix déchirée de Bao, il y a bien trop de choses dans cet environnement qui la mettent mal à l'aise et réveillent en elle des émotions qui mériteraient de rester enfermées pour toujours.

"I'm going to go now. I have nothing left to say to you." Et pourtant tellement de choses, tellement de questions, de lâches inquiétudes et d'agaçantes interrogations, qu'elle aimerait partager avec elle - mais non.
Elle écrase la cigarette sur la table cette fois, et y laisse le mégot avant de s'approcher de la porte, faisant bien attention à soigneusement contourner Bao comme si le moindre contact serait brûlant, ou sa proximité intoxiquante. "If you ever pull something like that again," s'arrête-t-elle néanmoins en levant sa main dont le poignet est toujours cerné d'une marque rougissante. "I will have you maimed and left for dead. What we had is gone. Remember your place." Le prononcer à haute voix la remplit d'une certaine colère, qu'elle garde dans un noeud douloureux dans son ventre. Ses propres colères la dégoûtent; elle aimerait parfois pouvoir se débarasser de chaque émotion, positive ou négative, et les garder dans une boîte. L'opium lui donne parfois cette impression. "But for what it's worth." Sa main retombe, et elle se détourne vers la porte, se mordant l'intérieur de la lèvre quand son regard quitte l'expression de Bao, comme si il lui fallait encore un grain de force pour s'en détourner pour de bon. "I'm glad you're alive, Bao."

La porte s'ouvre et Carrie quitte la pièce, déçue quand le battant se referme derrière elle sans interruption.