Kamala ne sait pas trop comment elle se sent. Une part d’elle est extrêmement mal à l’aise : elle est entrée chez des inconnus, et pour une fois, ce n’est pas parce qu’elle y était obligée mais parce qu’elle en avait envie. Elle a un peu de mal à se détendre, et quand bien même elle feint d’être parfaitement habituée à ce genre de choses devant Kad… Elle ne sait pas encore vraiment comment elle doit se comporter. Elle fait l’extravertie mais au fond, elle a juste envie d’enchaîner les cookies en observant.
C’est fascinant, ici. Pour beaucoup, cette maison n’aurait peut-être rien de spécial… Mais Kamala est impressionnée. C’est chaleureux, et c’est sûrement ça qui fait que l’autre part d’elle se sent enthousiaste comme rarement. Il y a des photos de famille, et elle ne voit que les jolies choses, partout. Les chaussures alignées dans l’entrée qui donnent de la vie - elle a dû enlever les siennes, d’ailleurs -, la manière dont le père de Kad interroge celui-ci en langue des signes, le sourire de son nouvel ami et les fossettes sur ses joues. Tout ce qui l’entoure lui donne envie de sourire.

Ce n’est pas comme chez Thierry. Chez Thierry, dans la maison d’à côté, il règne quelque chose de sombre, de triste. Le vieux porte son chagrin comme un vieux cardigan, et on dirait que sa peine laisse des traces aux sol et atteignent tous ceux qui marchent dedans. Elle l’aime bien, le vieux. Ils s’entendent bien, mais elle a l’impression de vivre dans des nuages gris depuis son arrivée, alors le soleil de cette maison est bienvenu.

Kad l’embarque dans le jardin de sa maison, qui est bien mieux entretenu et beaucoup plus joli que celui de Thierry. Kamala s’extasie sur des fleurs - notamment sur l’une d’entre elle qui a la couleur de l’or. Fascinant. Toutes celles qu’elle voit d’habitude sont des fausses, disposées là juste pour l’oeil des visiteurs aux Faces. Quelle hypocrisie. pense-t-elle. Kasius prône la perfection mais visiblement, il ne s’intéresse qu’à la perfection humaine : il n’a pas de mal à présenter de fausses fleurs dans les locaux de l’organisation. Fuck him. Elle ne veut pas penser à ça, pas pour l’instant. Elle veut profiter de son nouvel ami, du beau temps, et de la partie d’un jeu de quilles sorcier dans laquelle ils viennent de se lancer.
Elle est un peu nulle, mais peu importe. Kad l’encourage.

”Can you tell me where the bathroom is?” Techniquement, elle pourrait juste sauter par-dessus la barrière entre les deux maisons et y aller chez Thierry, mais elle n’a pas envie de croiser son regard triste pour l’instant. Kad lui dit, toujours sur son carnet, qu’il va remettre les quilles en place pendant qu’elle y va. Elle suit les instructions, un peu gênée à l’idée d’entrer cette fois seule dans la maison. L’entrée, les escaliers, la première porte en haut.
Arrivée en haut, malheureusement, il y a deux portes. Une à droite, une à gauche. « Fuck. » dit-elle entre ses dents, ce qui contraste avec l’image de petite fille mignonne et gentille qu’elle se donne depuis qu’elle est arrivée là. Et puis, parce qu’elle ne va quand même pas rester plantée là, elle décide d’aller à gauche. L’instinct.
Malheureusement, son instinct l’a trompée et elle débarque dans une chambre. « No. » dit-elle à voix haute en balayant la pièce des yeux. C’est sûrement la chambre de Kad. Cependant, quand elle se retourne pour tenter la porte d’en face, elle tombe nez à nez avec un mec qui a l’air d’avoir à peu près son âge et qui est un peu plus grand qu’elle. ”Oh. Hi. Hum. Sorry. I was looking for the… bathroom...” Elle se sent extrêmement gênée, tout à coup. Elle n’est pas du genre à être gênée, pourtant. Mais elle se sent plus que jamais en terrain inconnu et comme si cela ne suffisait pas, le garçon en face d’elle - qu’elle suppose être le frère de Kad - est carrément trop beau. ”I’m not a thief I swear.” La punchline lui traverse l’esprit although I could try to steal your heart elle sourit à l’idée de l’avoir juste pensé. Incorrigible.

C'était une belle journée. L'été avait commencé depuis quelques semaines, Kad et Simon étaient rentrés chez eux et vivaient leur petite vie. C'était toujours agréable, de rentrer. Simon savait que pas tout le monde ne ressentait la même chose, certains redoutaient ses passages au domicile familiale, si domicile familiale il y avait. Et même si parfois le mois d'aout semblait s'éterniser, et s'il avait envie de retrouver Hogwarts et Sohan,  il essayait d'apprécier les moments passés chez eux au maximum. Ce n'était pas très difficile, en soit. Son père travaillait essentiellement depuis la maison, Linda était plus absente, mais elle trouvait toujours le temps pour la famille, quand elle rentrait ou pendant le weekend. Kad demandait pas mal d'attention, c'était l'âge, il supposait, mais il savait se divertir tout seul, ce qui était appréciable, dans les moments où Simon avait envie de faire autre chose.

C'était une de ces après-midi, une de ces après-midi où il n'avait pas vraiment envie de bouger, la chaleur estivale s'était imprégnée sournoisement de la maison et y faisait une régner une atmosphère oisive. Il n'avait pas vraiment envie de bouger, il ne savait pas vraiment ce qu'il avait envie de faire, en soit. Du coup il ne faisait rien, il était posé sur son lit et il attendait que le temps passe et que l'envie de bouger le réveille.

Il avait entendu du bruit dans les escaliers, un moment après, mais il n'y avait pas vraiment fait attention, c'était surement Kad qui était venu chercher quelque chose.  Ses soupçons avaient semblé se confirmer avec la porte de la chambre de Kad qui s'était ouverte, du moins jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'entendre une voix. Ce qui était étrange puisque son frère n'avait pas l'habitude de parler quand il était seul. Son instinct lui avait dit d'aller voir ce qu'il se passait, et il était donc sorti de sa chambre rapidement et s'était retrouvé face à une inconnue dans le couloir. Il était tout de suite plus réveillé. Simon ne l'avait jamais vue, et il ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait chez lui. Elle avait l'air d'avoir son âge, plus ou moins, mais son accent était un peu étrange lorsqu'elle lui parla finalement. Simon ne put s'empêcher de sourire devant son air confus. "Hi, Simon. Nice to meet you" dit-il en lui tendant une main amicale. "The bathroom's on the left", il désigna la porte en question d'un coup de tête. ”I’m not a thief I swear”, Simon étouffa un rire à ses paroles, elle n'avait pas l'air d'une voleuse, et il n'y avait pas grand chose à voler de toute façon, même s'il ne pouvait nier que son grand sourire semblait avoir pillé ses poumons de tout l'air qui s'y trouvait. Il la regarda un instant, toujours en souriant, avant de lâcher un rire gêné. Il ne s'était jamais retrouvé avec une si jolie inconnue dans son couloir, et il ne savait pas quoi faire de cette situation. "Good to know", il répondit finalement, "so if you're not a thief, who are you?" Il demanda avant de poursuivre "sorry if it's a rude question but … I've never seen you before, so …". Il était persuadé de ne pas l'avoir vue avant, il ne l'aurait pas oubliée. Il n'y avait pas beaucoup de passage dans leur voisinage, les nouveaux venus étaient assez rapidement remarqués. "I'm sorry, you wanted to go to the bathroom so I should probably leave or something".

"Hi, Simon. Nice to meet you" Kamala sourit. Et puis, tout à coup, elle se rend compte qu’elle est en train de sourire. Wait. Elle n’a pas commandé à son visage de sourire ! Le garçon lui tend la main et Kamala la regarde, un peu confuse. "The bathroom's on the left" ajoute-t-il, semblant comprendre où elle comptait aller. Kamala ne peut s’empêcher de se demander si c’est parce que c’est quelque chose d’habituel, de trouver chez soi des gens qui cherchent les toilettes. Elle ne peut pas vraiment savoir ces choses-là : elle n’a jamais eu de maison, et encore moins de visiteurs qui venaient traîner pour un après-midi. Elle se défend tout de suite, pensant essentiel de préciser qu’elle n’est pas une voleuse. Kamala est surprise quand elle voit le visage du garçon se fendre d’un sourire suite à ses mots. Elle baisse de nouveau les yeux vers sa main tendue, arrachant son regard de la petite étincelle qu’il a dans les yeux. Doucement, elle avance sa main et serre celle de Simon. Elle se sent bizarre, et c’est étrange, parce qu’une part d’elle déteste ça, et une autre part d’elle trouve ça excitant. Elle relève les yeux vers lui, et ils se regardent.
Il est vraiment très beau.
Très très beau.
À tel point qu’elle se demande s’il est réel. Soudain, elle laisse l’angoisse revenir et pense que peut-être, c’est un piège. Un jeu étrange auquel s’adonne de nouveau Kasius. Il commence à la connaître, depuis le temps qu’elle est chez les Faces. Et s’il lui avait façonné le garçon de ses rêves pour mieux la tromper, pour mieux la manipuler ? Kamala retire sa main et elle joint ses doigts derrière son dos. Elle est fatiguée de se poser toujours trop de questions. "Good to know", Le garçon n’a pas l’air d’avoir remarqué son moment de doute. "so if you're not a thief, who are you?" demande-t-il finalement. Elle est tentée de répondre Good question, mais elle est suffisamment âgée désormais pour savoir que ce n’est pas le genre de choses qu’on dit à des inconnus. "sorry if it's a rude question but … I've never seen you before, so …" Elle pince les lèvres et baisse les yeux vers ses chaussures. Elle se sent timide et gênée, ce qui lui semble complètement out of character. Est-ce le fait d’être chez des inconnus, amenée ici par quelqu’un qui agit avec elle comme un ami ? Est-ce que c’est le sourire du garçon en face d’elle qui l’intimide ? Elle en a vu des tas, des sourires. Des centaines, alors elle doute que ce soit ça. C’est juste qu’elle n’a pas l’habitude de voir des gens de son âge qui lui plaisent physiquement, qui sont étrangers au monde dans lequel elle vit. C’est peut-être pour ça qu’il la trouble. Tous les garçons qu’elle fréquente au sein des Faces sont plus comme des frères. "I'm sorry, you wanted to go to the bathroom so I should probably leave or something" ”Oh, yes. The bathroom, right.” Elle lui adresse un sourire désolé. ”Be right back.” Elle court vers les toilettes. Un peu gênant, quand même, toute cette histoire.

Quand elle ressort, elle a pris le temps de se regarder dans le miroir et de remettre ses cheveux un peu en ordre. Le garçon n’est plus dans le couloir, mais la porte de la chambre en face de celle qu’elle a ouverte un peu plus tôt est ouverte. Kamala passe une tête par l'entrebâillement. ”Sorry.” Elle regarde autour d’elle, curieuse. ”This is your room?” demande-t-elle, avant de se rendre compte qu’elle ne lui a toujours pas dit qui elle était. ”Oh, hum, sorry. I’m Kamala.” dit-elle. ”I live next door. I’m Thierry Baudry’s niece.” dit-elle. Thierry et elle se sont arrêtés sur ce mensonge depuis qu’elle a cessé d’afficher le visage de sa fille. ”I’m just here for the summer.” précise-t-elle. ”Kad brought me here. He’s nice.” dit-elle avec un sourire.

Simon était un peu embarrassé. Il avait l'impression d'avoir monologué pendant ces quelques minutes, et celle qui s'était invitée chez lui n'avait fait que l'observer en silence, comme si elle l'analysait, de quoi renforcer d'autant plus ce sentiment d'inconfort. ”Be right back.”, elle avait fini par dire avant de s'engager vers les toilettes et Simon était juste resté là, pendant quelques secondes avant de reprendre ses esprits et de se diriger vers sa chambre, les joues brulant légèrement des restes de cette altercation particulière. Il avait laissé la porte ouvert au cas où. En toute honnêteté, il ne savait pas vraiment ce qu'il attendait, ce qu'il espérait. Mais il était intrigué, la nouveauté sans doute, le fait qu'elle soit si jolie aussi, et peut-être même un sentiment inexpliqué que quelque chose semblait différent, avec elle, qu'elle était sans doute plus qu'un joli visage.

Il s'était rassis sur son lit, et avait pris un livre qui trainait sur sa table de nuit, histoire de pas avoir l'air stupide, si elle revenait. Et il n'eut pas à attendre longtemps. ”This is your room?” — "yeah", il avait répondu, en jetant un oeil inquiet autour de la pièce,  Simon n'était pas maniaque, per se, mais il aimait bien que les choses soient en ordre, surtout lorsque les possibilités qu'une belle inconnue rende visite se présentaient. "Kamala", il répéta bêtement. C'était agréable de pouvoir enfin poser un nom sur elle. Et les informations ne s'étaient pas arrêtées là. Simon connaissait Thierry, plus ou moins, et il savait qu'il était généralement assez solitaire mais qu'il aimait beaucoup recevoir de la visite de sa famille. Ça n'était pas si étonnant, finalement, qu'elle soit là. "Right, nice to meet you" il lui dit, le sourire aux lèvres. "Yeah, he's a sweet kid." Il faudrait qu'il pense à le remercier, plus tard, si ce n'était que pour avoir élargi leur cercle de connaissances. Ils ne voyaient pas grand monde, l'été, du moins pas de monde de l'extérieur, les réunions de familles interculturelles étaient, elles, une occurrence obligatoire, mais leurs amis étaient généralement assez éloignés. C'était souvent comme ça, dans le monde sorcier, les amitiés s'entretenaient essentiellement durant l'année scolaire. Et c'était aussi pourquoi il était sur que Kamala n'était pas à l'école avec eux. "You don't go to Hogwarts do you? I don't think I would've not noticed you" il demanda finalement. Il n'avait pas la prétention de connaitre l'intégralité de l'école, mais la société sorcière était suffisamment restreinte pour que tout le monde se connaisse, au moins de vue.
Le bruit des quilles monta jusqu'à sa fenêtre et détourna son attention un instant de Kamala. Il s'éclaircit la gorge, ils ne devraient sans doute pas laisser Kad seul trop longtemps. "We should probably go back down, check on Kad. If you want, I mean."

"Kamala" Elle n’est pas encore trop habituée à entendre son prénom, son vrai prénom dans la bouche d’autres personnes. On l’appelle toujours Roseanne, de l’autre côté. Roseanne Watson. Le nom à lui seul la fait grimacer - il ne lui correspond tellement pas, il lui est presque étranger. Kamala, en revanche… Quand Simon le prononce, elle se prend à l’aimer plus que jamais, ce prénom qu’elle a laissé derrière elle depuis des années. Elle aime les sonorités, elle aime le sentiment que ça lui donne. Peut-être que c’est juste parce que c’est ce mec qu’elle trouve beau qui le prononce mais… Ça lui fait quelque chose, à Kamala. Quelque chose de différent de quand c’est Thierry qui le prononce. "You don't go to Hogwarts do you? I don't think I would've not noticed you" Elle lui offre un sourire et fait un pas à l’intérieur pour observer l’intérieur de la chambre. Avoir sa chambre à soi. Elle l’envie. Elle n’a jamais connu ça, Kamala. Elle aime l’idée. Elle se prend à penser à ce à quoi sa chambre aurait ressemblé, si elle était une fille normale qui aurait grandi dans une famille normale. Aurait-elle des posters de groupes connus ? Aurait-elle une bibliothèque pleine de romans ? Elle est à peu près sûre qu’elle n’aurait pas de dagues, en tous cas, ou de vêtements qui ne sont pas de son âge. No, never been there in my life. I’ve heard a lot about it, seems like a magical place. Elle a vu des images, entendu des clients parler des passages secrets, du terrain de Quidditch, de la grande salle et de son plafond enchanté. I’m from the United States. dit-elle, se rappelant de forcer un peu cet accent. Peu à peu, elle a pris quelques intonations anglaises : quand elle ne réfléchit pas, elle parle avec un accent mi-anglais, mi-américain un peu étrange. Parfois, il y a même des mots espagnols qui lui reviennent. Elle ne soulève pas le compliment de Simon, mais il ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde. Il la trouve jolie - c’est ça que ça veut dire, non ? Elle baisse la tête et pince les lèvres alors qu’elle laisse son regard glisser sur ses affaires. "We should probably go back down, check on Kad. If you want, I mean." Yes, right. We should. Il la rejoint du côté de la porte et Kamala lui sourit. Ils restent là, une petite seconde, à se regarder. Kad. Downstairs. Yes. dit-elle en secouant la tête. Elle s’est perdue dans ses yeux noirs, pendant une demi-seconde.
Elle est la première à descendre les escaliers, un sourire jusqu’aux oreilles.

*****

1995 Kamala est arrivée au début du mois de juillet, excitée comme une puce. Tout l’année, elle n’a pensé qu’à ça : retrouver Thierry, retrouver les Wen, retrouver cet endroit… Retrouver Simon. Ils ont échangé quelques lettres, après l’été dernier. En l’espace de deux mois, ils sont devenus inséparables. Kamala a passé toute l’année à se repasser les images de tous leurs moments ensemble, s’y réfugiant quand la réalité était trop dure, retrouvant la douceur de ses yeux dans ses souvenirs quand les yeux des autres semblaient vides, étrangers ou dégoûtants. Pourtant, quand elle l’a retrouvé, elle a été surprise : ses souvenirs n’avaient vraiment pas fait justice à sa beauté, à son charme et encore moins à sa manière de parler, que Kamala adore.
Elle a essayé de ne pas se montrer trop joyeuse, la fois où elle a débarqué chez les voisins pour la première fois. Kad n’a pas hésité à la prendre dans ses bras, et elle l’a salué avec les signes qu’il lui avait appris l’année précédente.
Les semaines suivantes ont été comme un rêve : manger, se balader dans les environs, parfois avec Kad, parfois avec les parents Wen, parfois seule avec Simon. Échanger des sourires, des blagues, des souvenirs de l’année. Kamala s’est inventé tout un monde, tout un monde auquel elle croit presque elle-même. Elle est une jeune américaine, fan de musique et qui souhaite devenir assistante sociale. Si elle n’était pas tombée aux mains des Faces, peut-être que… peut-être que. Elle aime cette Kamala. Elle a envie d’être cette Kamala, parce que quand bien même sa vie est éloignée de la sienne, elle se sent plus proche d’elle qu’elle ne l’a jamais été de Roseanne, cette version d’elle qu’elle a laissé derrière elle le jour où elle a quitté les Faces, au début de l’été.
Aujourd’hui, Kamala se réveille avec le soleil bien haut dans le ciel, et dans des draps les draps les plus confortables de sa vie. Quand elle descend dans la cuisine, Thierry l’accueille avec un petit déjeuner digne de ce nom. Happy Birthday, Kamala. Et elle sourit, elle sourit tandis qu’elle engloutit les pancakes, les fruits, les oeufs brouillés. C’est un rêve et elle ne veut vraiment, vraiment pas se réveiller.
Ça va être une bonne journée, elle le sait, elle le sent.

1995 C’était un jour spécial, c’était l’anniversaire de Kamala et Simon l’attendait depuis des semaines. Depuis l’été passé, il n’y avait pas eu un jour où il n’avait pas pensé à elle, et ça semblait être évident pour tout le monde. Sohan n’avait pas arrêté de se moquer de sa american girlfriend comme il l’appelait, sauf que Kamala n’était pas sa petite-amie, et c’était un problème; même son  père avait remarqué que Simon était sensible au sujet Kamala. Ils avaient passé beaucoup de temps ensemble, l’été précédent, s’étaient vus tous les jours ou presque du moment où ils s’étaient rencontrés et s’étaient envoyés des lettres pendant l’année. La lire était un privilège qu’il avait gardé bien précieusement, il avait adoré découvrir des choses à propos de ce qu’il se passait de l’autre côté de l’Atlantique et il avait juste aimé son attention, le fait qu’elle pense toujours à lui alors qu’il y avait tant de choses plus intéressantes dans sa vie.

Bref, Simon avait tout préparé pour aujourd’hui. Simon était peut-être un grand romantique, et les dates anniversaires semblaient être spéciales. Tout reposait cependant sur le fait que Kamala partage ses sentiments, si ça n’était pas le cas, well, il n’aurait plus qu’à espérer ne jamais la revoir et prétendre comme si tout cela n’était jamais arrivé. C’était l’idée la plus niaise du monde, mais leurs lettres l’avaient inspiré et il avait pensé que ce serait une bonne chose de lui offrir … des lettres. Kamala allait repartir dans quelques semaines, et Simon ne pourrait pas être là, ne pourrait pas lui écrire lorsqu’elle en aurait besoin. Il avait donc préparé des lettres en avance. Il y en avait onze. Il les avaient écrites et les avaient mises dans des envelopes enchantées pour l’occasion, pour qu’ainsi les lettres ne puissent être ouvertes qu’au bon moment. Les dix premières étaient écrites pour des moments spécifiques, quand Kamala était triste, ou joyeux, quand elle avait eu une mauvaise, quand elle avait besoin de savoir que Simon serait toujours là pour elle ou pour des dates comme l’anniversaire de Simon ou le jour de l’an. La onzième était celle que Kamala devrait ouvrir aujourd’hui, pour son anniversaire à elle. Il n’y avait rien d’ouvertement révélateur dans les lettres, mais tout le monde serait capable de reconnaitre les sentiments qui transparaissaient dans ses écrits. Il avait passé onze lettres à lui dire qu’il l’aimait, en d’autres mots, certes, mais tout était là. Ils les avaient mises dans une jolie boite, celle à ouvrir maintenant au-dessus. Son coeur s’était emballé à l’idée d’aller la voir, mais il savait qu’il ne pouvait plus reculer, plus maintenant.

Il s’était dirigé vers la maison de Thierry de bon matin, il n’avait pas très bien dormi, et avait l’impression que la journée s’était déjà bien étendue malgré l’heure relativement matinale. Thierry lui avait ouvert la porte rapidement et lui avait dit que Kamala était dans la cuisine. Son coeur s’était encore un peu plus accéléré lorsqu’il l’avait vue. Shit. Il déglutit avant de lui lancer un faible “happy birthday,” et de lui tendre la boite.

Elle aimerait que les Faces l'oublient. Qu'ils oublient qu'ils l'ont envoyée là. Elle pourrait rester auprès de Thierry toute l'année, manger des pancakes, attendre chaque période de vacances pour voir Simon et Kad... Elle pourrait peut-être aller à l'école moldue, aussi. Kamala détestait l'école, quand elle était gamine : elle en a de très mauvais souvenirs. Mais aujourd'hui ? Elle aimerait bien y aller. Elle aimerait bien savoir de nouveau ce que c'est. Elle aimerait cotôyer ces gens insouciants pour pouvoir les imiter, comprendre, découvrir ce que c'est, d'avoir leurs problèmes. Oui, ce serait une bien belle vie. Kamala ferme les yeux en finissant ses pancakes, elle oublie tout et essaie de fixer ce moment dans son esprit, pour y revenir quand les jours seront plus sombres.

Kamala a les yeux perdus sur le jardin, de l'autre côté de la fenêtre, quand elle entend qu'on sonne à la porte. Son coeur se met à battre avant même qu'elle ait eu le temps de se demander de qui il s'agit. Elle pose une main sur sa poitrine, soudain mal à l'aise. Thierry reçoit souvent du monde, son coeur n'a absolument aucune raison de s'emballer.

Mais c'est comme si elle savait.

Quand Simon entre dans la cuisine, Kamala se lève, un peu confuse. Non seulement, elle ne l'attendait pas de bon matin, mais en plus de ça, elle a l'impression que sa soudaine gêne (et joie) se lit sur son visage. Simon lui donne constamment envie de sourire — comme personne ne l'a jamais fait, et elle se sent un peu mal à l'aise à cette idée. Elle a bien des pistes sur la raison de tout ça, mais tout est encore trop... étrange à ses yeux pour qu'elle puisse y réfléchir sérieusement.

“Happy birthday,” Kamala sourit. Thank you. dit-elle un peu timidement — ce qui ne lui ressemble vraiment pas. Il lui tend une boîte, une boîte très jolie. Kamala regarde l'objet, puis lève les yeux vers Simon. C'est un cadeau ? Il est en train de lui faire un cadeau ? Elle est un peu paralysée, pendant quelques secondes. Ça fait longtemps qu'on ne lui a pas fait de cadeau. À vrai dire, elle n'a aucun souvenir de cadeau qu'on lui ait fait qui ne se soit pas révélé empoisonné. Elle ne fait pas l'affront à Simon de demander si la boîte est bien pour elle : elle peut le lire sur son visage. I— Thank you.

Elle prend la boîte, la pose sur la table à côté d'elle, et l'ouvre. Il y a des lettres à l'intérieur. Pas une, pas deux, plusieurs. Kamala passe ses doigts sur le parchemin de la première et relève les yeux vers Simon. What.. What is this? demande-t-elle, regardant de nouveau les lettres. Did you... did you write all these letters for me? Elle soulève les premières. Celle tout en haut porte la date d'aujourd'hui. Simon... This is... Elle prend la première entre ses mains. When did you do this? demande-t-elle, toujours un peu bouleversée. I don't deserve all that. I can't believe you did that. Ce cadeau est spécial, elle le sait. Les gens qui veulent faire des cadeaux, d'habitude, se contentent de fleurs, de bijoux, de vêtements, de livres. Ça c'est... C'est autre chose. Kamala sait que c'est plus important que n'importe quel autre cadeau qu'elle aurait pu recevoir.

Simon ne répondit que par de faibles onomatopées à ses questions, soudainement encore plus embarrassé de ce qu’il avait fait alors que Kamala tenait ses lettres entre ses mains. Il n’arrivait pas vraiment à savoir ce qu’elle pensait, ne pouvait voir que la surprise sur son visage et dans ses paroles, “I don't deserve all that. I can't believe you did that,” elle finit par dire et cette fois, Simon ne put retenir ses propres mots. “Of course you do,” il lui répondit d’une voix bien plus assurée qu’il ne l’aurait prédit, Kamala méritait ça et plus encore, elle méritait tout ce qu’il pourrait lui donner, c’était une évidence pour lui, et il avait du mal à comprendre que ça ne le soit pas pour elle.

“I just … I know we’re going to write to each other, like we did last year but … you’ve told me how lonely you feel sometimes in the States and I …” il pouvait se souvenir de ses mots, les rares fois où elle laissait paraitre que l’Angleterre lui manquait, qu’elle avait envie de revenir, de les revoir. Simon avait pu lire entre les lignes tout ce qu’elle n’avait pas dit, que malgré sa vie qui semblait bien remplie, elle se sentait parfois seule là bas. “I just wanted you to have something, in these moments so you know that … you’re never alone, because I think about you all the time, literally and I just wanted you to know … that.” Il finit faiblement. Simon n’était pas un orateur expert, mais ses mots semblaient l’avoir totalement déserté. Il avait l’impression d’en dire trop et pas assez en même temps. Il ne savait pas comment lui dire, et il avait peur de sa réaction, qu’elle ne veuille plus le voir s’il lui avouait finalement ce qui semblait crever les yeux de tous ceux qui les connaissaient, qu’il était amoureux d’elle, vraiment, et que c’était la première fois qu’il ressentait de telles choses pour qui que ce soit.  

“And I realise now that this might be … a lot, and that I probably sound really creepy but I just really like you and you’re definitely the most amazing girl I’ve ever met and … yeah, that - sorry, if this is weird.” Il releva les yeux vers elle, son regard sombre toujours aussi intense et mystérieux qu’il ne l’était quelques minutes auparavant. Quand Simon avait réfléchi à ce qu’il lui dirait, tout était sorti de façon plus fluide et plus charmante, mais dans la réalité de ce moment, il avait perdu tout ce qui était sorti si naturellement dans l’intimité de sa chambre. Il aurait voulu lui dire simplement qu’il avait des sentiments pour elle et qu’il n’en avait pas honte, qu’il se surprenait même parfois à penser qu’elle partageait ses sentiments, ou il aurait voulu qu’ils aient un de ses moments lourd de tension qu’on voyait dans les films romantiques, qu’ils finissent par s’embrasser d’un commun accord mais sans se concerter, car parler de ces choses là brise le moment, mais la réalité était bien différente, et il se sentait juste un peu stupide, un peu gêné et il ne pouvait faire que croiser les doigts pour que tout cela se finisse bien.

“Of course you do,” dit-il au quart de tour, et Kamala se sent un peu plus confuse et émue. “I just … I know we’re going to write to each other, like we did last year but … you’ve told me how lonely you feel sometimes in the States and I …” Il n'a pas idée. Il n'a pas la moindre idée de ce que ça signifie pour elle. Il ne peut pas deviner, parce qu'il ne sait pas. Kamala ne peut s'empêcher de déjà réfléchir à tout ce qu'elle va mettre en place pour cacher ces lettres et faire en sorte qu'elles n'appartiennent qu'à elle, et qu'elle ne lui soient jamais arrachées. Si elle doit les garder constamment sur elle, dans des revers de vestes ou coincées dans les élastiques de ses vêtements, elle le fera. Il faut absolument qu'elle apprenne un sortilège pour les cacher, ou au moins les réduire pour les rendre imperceptibles aux yeux des généraux. Elle ira voir la vieille Gayle quand elle rentrera. Peut-être même que Thierry pourra l'aider, si elle lui explique. Oui, il l'aidera. Elle pourra ramener les lettres avec elle chez les Faces, elle pourra les ouvrir quand Simon a prévu qu'elle les ouvre. La perspective n'illumine pas seulement sa journée, mais toutes les semaines, les mois, les années à venir. “I just wanted you to have something, in these moments so you know that … you’re never alone, because I think about you all the time, literally and I just wanted you to know … that.” Kamala lève des yeux brillants sur Simon, et son cœur s'emballe. Il s'emballe vraiment. Pas comme il s'emballe d'habitude sous la peur, l'adrénaline ou la surprise. C'est encore autre chose.

Elle sait ce que Simon est en train de lui dire, et elle est juste speechless. Elle ne sait pas répondre à ça, elle n'a jamais appris, elle n'a jamais connu ça avant. Elle ne sait pas ce que c'est. Elle se retrouve bouche bée, Kamala, elle qui trouve toujours quelque chose à dire, un mensonge à sortir, un geste à avoir. Simon a face à elle une Kamala débarrassée de tous ses artifices et ses réflexes... C'est la première fois qu'elle est ainsi avec lui, et la première fois qu'elle est aussi désarçonnée — positivement — par quelqu'un qui n'est pas Thierry. “And I realise now that this might be … a lot, and that I probably sound really creepy but I just really like you and you’re definitely the most amazing girl I’ve ever met and … yeah, that - sorry, if this is weird.”  Kamala secoue la tête. It's not weird at all, it's... Elle serre la première lettre contre elle. Elle n'a pas vraiment les mots pour exprimer ses pensées, est incapable de répondre par des mots à ses sentiments, alors elle repose la lettre, et fonce vers lui, entourant sa taille de ses bras. Elle pose sa tête contre son épaule et le serre, serre, fort contre elle.

Elle ne veut pas partir. Elle ne voudra plus jamais partir.

Tout ça, c'est réel. Il y a des mensonges, il y a des choses entre eux que Simon ne soupçonne pas, mais c'est réel. Kamala le sent. Elle n'a jamais vécu ça avant.

Au fond, elle sait ce qu'elle devrait faire. Elle devrait le remercier, trouve un moyen de le forcer à partir, et ne plus jamais revenir. Ce serait plus simple. Mais Kamala est égoïste, Kamala a besoin de victoires et d'espoir, et une part d'elle — peut-être un peu naïve — espère encore qu'elle parviendra à s'arracher aux griffes des Faces, et qu'elle pourra définitivement venir vivre ici avec Thierry et vivre une vie normale. Comment peut-elle continuer sans cet espoir ? C'est tout ce qu'elle a, cet endroit, ce paradis sur terre. C'est tout ce qu'elle veut, Simon. Elle le veut et elle ne le veut pas seulement maintenant, pour un été. Elle le veut et elle sait qu'elle le voudra toujours.

Sa magie la trahit, malgré elle. Elle a toujours du mal à la canaliser, parce qu'elle n'a jamais appris. Il y a des petits feux d'artifice au-dessus de Simon, qui crépitent dans la cuisine silencieuse. Shit. I'm sorry. dit-elle en se redressant. Fireworks, literally. dit-elle avec une grimace. Adieu la subtilité. Elle recule d'un pas mais ne s'éloigne pas trop quand même. This is the best gift I've ever received. And I'm not saying that just to make you happy. It really is. Nothing has ever done something like that... for me. dit-elle d'une petite voix. And in case the fireworks weren't clear enough... I... feel the same. dit-elle finalement. Les mots sont un peu étranges, et surtout, elle n'a pas prononcé clairement les choses. I like you. Elle aimerait lui dire, mais est-ce qu'elle a le droit de lui dire ? Est-ce qu'elle peut ressentir ça, est-ce qu'elle a le droit de le faire ? You're the most wonderful person I've ever met. Les mots lui brûlent les lèvres. It's... I've never... Et voilà qu'elle perd encore ses mots. Kamala Chase, perdre ses mots. Elle découvre une nouvelle facette d'elle-même qu'elle croyait enterrée. It never happened to me before. articule-t-elle.

Simon pouvait voir que Kamala ne savait pas vraiment quoi dire, et même si elle lui avait dit que son cadeau n’était pas bizarre, l’angoisse siégeait toujours dans ses entrailles. Il comprenait qu’elle puisse être overwhelmed, il l’aurait été aussi, il l’était déjà, avec tout ça. Simon n’avait sans doute jamais mis autant de coeur à quelque chose, ne s’était jamais révélé d’une façon si évidente, et il n’était pas sur d’apprécier le sentiment de vulnérabilité qui venait avec. Il laissa échapper un souffle fort alors que Kamala s’était jetée sur lui d’un geste bref, et il avait posé ses bras autour de sa taille délicatement, comme si Kamala était une petite chose fragile qu’il pouvait brusquer à tout moment.

Il se détendit après un moment, entoura Kamala de ses bras plus fermement et se laissa le luxe de profiter de sa présence. Il pouvait bien être un peu égoïste, après tout, ils n’allaient pas se revoir pendant des mois, et il ne leur restait que quelques malheureuses semaines à cet été qu’il aurait voulu voir durer toute une vie.

“Shit. I'm sorry,” Kamala lui dit après un moment, se détachant de lui et Simon la regarda un peu confus. “Fireworks, literally,” maintenant qu’elle l’avait dit, Simon pouvait effectivement les remarquer, entendre le petit crépitement au dessus de lui. “Oh,” il murmura avec un sourire. “this is the best gift I've ever received. And I'm not saying that just to make you happy. It really is. Nothing has ever done something like that... for me. And in case the fireworks weren't clear enough... I... feel the same.” — “Really?” il lui demanda, son sourire s’étirant sur ses lèvres alors que le soulagement se rependait lentement dans son esprit. “It's... I've never...It never happened to me before,” elle lâcha difficilement. “Me neither,” il lui répondit alors que la chaleur s’immisçait dans ses joues. Ca ne lui était jamais arrivé, pas comme ça, en tout cas. Il avait déjà des crushs, mais rien de comparable, personne pour qui il avait envie de faire le genre de choses qu’il faisait. Il reposa son regard dans le sien, hésita un instant avant de finalement lui poser la question qui lui brulait les lèvres depuis des semaines maintenant, “can I kiss you?” et quand Kamala lui donna sa réponse, il se pencha vers elle sans plus attendre et captura ses lèvres en un doux baiser.