Elle avance les yeux fermés dans la nuit noire, seulement guidée par la sensation de l'herbe froide et mouillée sous ses pieds nus qui l'entraînent dans une promenade sans but. Le chant discret et familier des créatures nocturnes se transforme en symphonie à ses oreilles: elle s'autorise à faire flotter un sourire sur ses lèvres lorsque sa respiration se fait moins saccadée. La nuit la distrait de la violente confusion de ses pensées, la brise de la campagne anglaise choque son corps vers la vie, loin de la peur. Ses doigts crispés autour de sa baguette se relâchent à mesure qu'elle avale la distance, se laisse bercer par l'environnement extérieur. Elle ne devrait peut-être pas être dehors seule, Luna, pas lorsque les menaces pleuvent, pas lorsque chaque recoin sombre peut dissimuler un ennemi ou un danger. Mais rien d'autre ne la calmerait ce soir que cette sortie clandestine, alors elle prend le risque et s'aventure, armée comme à son habitude, pour tenter d'épuiser ses démons et les fantômes de ses nuits. Elle perd la notion du temps, décrit des cercles dans le jardin, s'aventure près des limites, fait demi-tour. Elle n'obéit à aucune logique sinon aux envies de ses jambes, jusqu'à sentir une fatigue familière dans ses mollets, jusqu'à sentir son esprit plus léger et ses poumons détendus. Jusqu'à se sentir mieux, jusqu'à ce que la perspective de retourner se glisser dans son lit pour y danser avec Morphée se fasse accueillante et non plus oppressante.  

Lorsqu'elle ouvre enfin ses paupières pour découvrir le paysages en nuances de bleu sombre et de gris, éclairé par le doux halo de l'astre lunaire, elle a la surprise de trouver une silhouette dans son champ de vision. Alors elle s'arrête, Luna. Malgré les frissons - elle ne porte que sa légère robe de nuit - elle penche la tête pour observer Neville. Il est à quelques mètres d'elle, le visage à moitié mangé par les ombres, mais le doute n'est pas permis. Elle connaît trop les contours de son corps pour se méprendre sur son identité. Les cheveux bruns en bataille, ceux dans lesquels elle a tant de fois passé une main rassurante. Les épaules droites qui contrastent tellement avec le lui du passé ; les conséquences de leur combat, les cicatrices physiques d'une résolution qui naît de la guerre et dans l'exil - un coeur de Gryffindor et il se porte comme tel. Il semble en proie à une hésitation, pourtant, et chaque seconde qui passe pourrait le pousser à se décider. Alors Luna avance vers lui, doucement. Elle ne veut pas le surprendre, l'effrayer, alors elle murmure son nom, qui franchit la distance qui les sépare grâce à la délicatesse du vent. « Neville ? »

Elle fait une drôle d'impression, Luna, comme ça. Sa peau blanche, ses longs cheveux blonds emmêlés et sa robe ivoire qui ondoie autour de ses genoux nus. « Hi. » Elle lui offre un sourire, avance vers lui sans qu'il ne s'écarte, une syllabe de sa voix rêveuse pour signifier, funny meeting you here in the middle of the night. Mais rien ne surprend Luna, et la confiance qu'elle a en Neville n'est pas quantifiable dans ce plan physique: elle est juste heureuse de le voir. « You're waiting for something. » C'est un constat et non une question. Tourné vers elle, son visage baigne dans la lumière astrale ; fait ressortir ses yeux sombres et les détails de son expression. « Can I wait with you ? » Elle ne sait pas ce qui brouille l'esprit de Neville, ni ce qui crée cette tension dans ses bras ; mais elle peut attendre avec lui. Elle tend sa main vers lui, paume ouverte vers le ciel, attend qu'il lui offre la sienne pour entrelacer leurs doigts.

Dans son dortoir au Manoir St-James, Neville est incapable de dormir. Après s'être tourné et retourné pendant une bonne heure, s'entortillant dans ses draps, incapable de trouver une température acceptable pour son corps, il a décidé de se lever. Des fois, ça ne sert à rien d'insister. Alors, adossé près de la fenêtre, il observe les alentours. Malgré la nuit, il parvient à distinguer les jardins, les serres, et plus loin, le grand portail en fer forgé. Il se demande ce qui se cache, au-delà de la barrière rassurante qui les entoure. Il se demande ce qui les attend.

La lune n'est pas assez vive pour qu'il puisse voir plus loin que le portail, et tout ce qu'il distingue, c'est l'obscurité. Les ténèbres. C'est une belle allégorie, songe-t-il, parce qu'ils sont bien au chaud, protégés par les murs réconfortants du manoir, tandis qu'au-delà, il n'y a plus que le chaos. Une nuit éternelle dans laquelle est plongée toute la Grande Bretagne. Et dans laquelle, bien sûr, la plupart de ses amis de l'Ordre continuent de se battre, envers et contre tout, tandis qu'il profite de la sécurité, du confort et des plats chauds de St-James.

Ça le dérange.

De plus en plus, Neville y pense. Il pense aux privilèges dont il joui en comparaison avec les autres cercles. Il pense au danger auquel ils sont tous confrontés, alors qu'il passe une grande partie de ses journées à élaborer des plans avec les autres. Il pense, aussi, aux conditions de vie de la majorité des résistants, alors que lui ne sait pas ce que c'est, la faim, le froid, le doute. Indubitablement, ce dernier point est le pire. Le doute. Ils doutent, tous, de plus en plus. Ils doutent parce qu'ils ne savent pas si tout ça vaut vraiment la peine, s'il y a réellement de l'espoir, si l'Ordre avance vraiment. Et même Neville, qui est pourtant bien placé pour savoir qu'il existe bien une solution pour enfin gagner, lui aussi, il se met à douter.

Pas forcément pour les mêmes raisons, cela dit. Pour lui, l'intérêt de garder le secret autour des horcruxes devient de plus en plus abstrait. Après tout, il est convaincu que Voldemort sait qu'ils ont commencé à les détruire. La preuve étant qu'il les protège de mieux en mieux.
Alors pourquoi s'obstiner à garder le mystère ? Peut-être que tout serait plus simple si, au lieu de onze paires d'yeux seulement, ils utilisaient toutes les ressources possibles de l'Ordre pour se mettre en quête des horcruxes.

Mais Neville sait aussi que ça serait dangereux. Désorganisé.
Il sait qu'il leur faut des sorciers sur le terrain, sur le front, complètement dédiés aux combats, pour qu'ils puissent avoir, eux, le temps et le dévouement nécessaire pour trouver et détruire l'ensemble des horcruxes. Il leur faut une diversion, pour qu'ils puissent partir à la chasse en paix.

Tout de même, Neville a ce désagréable sentiment qu'il laisse ses amis se sacrifier pour que lui, et les autres, puissent s'en sortir.

C'est sans doute ça, la guerre.

Rester enfermé devient de plus en plus insupportable. Neville a besoin de prendre l'air, de faire quelque chose, n'importe quoi. Il jette un coup d’œil sur un Ron endormis. Les ronflements qui résonnent dans la chambre ont bon de l'attendrir quelques instants. A le regarder, comme ça, c'est comme si rien n'avait changé, et qu'ils étaient toujours dans le dortoir des Gryffondors.

Neville s'arrache à sa contemplation et sort de la pièce. Sans trop y réfléchir, il se dirige vers la porte du manoir. Une fois dehors, il respire à grands poumons, comme si tout ce temps il se trouvait en apnée. L'air frais de la nuit lui glace la gorge et il ressert son hoodie contre lui. Il aurait probablement dû prendre une veste. Même si le printemps approche, les températures restent très basses et il risque d'attraper froid. Mais peu importe. Combien de ses camarades sont dans le froid, en ce moment ?

D'un pas lent, il se dirige vers le portail. Désormais, il peut voir au-delà. Il y a des plaines, et des arbres. Des dangers, sans doute, auxquels il s'expose stupidement en sortant ici. Fasciné, Neville observe l’orée des bois, comme s'il attendait que quelque chose en sorte pour venir l'attraper.

« Neville? » La voix de Luna le fait un peu sursauter, mais il a un petit sourire quand il se tourne vers elle. Elle a un aspect fantomatique dans la nuit. « Hi. » Il lui sourit. « You're waiting for something. » Son sourire se fane légèrement, ses préoccupations reviennent de plus belle, après avoir été temporairement éclipsées par la venue de Luna. Il jette un nouveau regard vers la forêt. « Can I wait with you? » Elle lui tend la main, et presque automatiquement, Neville vient y poser la sienne. Le geste est si naturel, comme si leurs doigts étaient faits pour s'entremêler. Le contact est apaisant et déjà Neville se sent mieux.

« I'm waiting for something to happen. » Ça sonne un peu suicidaire, comme ça, comme s'il avait envie qu'un mangemort débarque enfin pour les débusquer. Mais peut-être qu'ainsi, il se sentirait moins coupable de profiter de tous ces privilèges. Peut-être que ça lui prouverait, à lui avant le reste de l'Ordre, qu'ils sont tout aussi vulnérables à St-James que les autres le sont dans les campements. « I can't stand lying in my bed, doing nothing but waiting, while others are out there, in the cold, dying. » Il a l'air triste quand il regarde son amie. « And waiting for what? For Voldemort to leave us clues on where he hid his bloody horcruxes? » Neville a un rictus. « We should be out there, on the field. We should be looking for them day and night. » Il relâche la pression qu'il venait de mettre sur la main de Luna, ses traits s'adoucissent. « I wanna fight. »

Il repense à tous ceux qui sont morts pour qu'il puisse être là. Il pense à Dumbledore. Il pense à Lavender, à Katie, à Fred. Il pense à Moody. A Harry...

Chassant tant bien que mal ses pensées, il se retourne vers Luna. « What about you? Couldn't sleep? »

Leurs doigts s'entrelacent, trouvent immédiatement leur place familière ; et le pouce de Luna trace des cercles délicats sur la peau de son ami. La main de Neville est chaude dans la sienne, glacée d'avoir déambulé pendant de longues minutes dans la nuit. Le contact est apaisant, comme le refrain d'une berceuse pour apaiser les sens, une explosion de lumière qui chasse les ténèbres. Il attend que quelque chose se passe, dit-il, il attend avec le regard étrangement dur, une touche à peine perceptible de désespoir qui se mêle à sa voix malgré lui. Quelque chose, mais quoi? Luna ne dit rien, attend patiemment que les pièces du puzzle s'assemblent. Neville lui dit toujours tout - c'est une condition indispensable à leurs vies de fugitifs depuis dix ans. Partager les peurs, les échecs, le deuil - plus encore que les victoires et les joies. Ce sont les cendres de leurs tragédies singulières qui forment le terreau de leur combat, et de savoir qu'ils ne sont pas seuls. Et lorsqu'il parle, sa gorge se serre, un voile tombe sur ses yeux, et sa prise autour des doigts de Luna se resserre lorsque sa mâchoire se crispe. Doucement, elle franchit l'infime distance qui sépare leurs corps, se colle contre son avant bras, contre lui, pose sa tête blonde sur sa solide épaule.

He's such a Gryffindor, songe-t-elle distraitement. Elle voudrait faire comme dans les histoires, imiter ce que son papa faisait lorsqu'elle était enfant: passer les mains sur son visage, souffler sur son front et faire partir les méchantes pensées. It's all nasty wrackspurts business, love, it gets your lovely brain all confused. Mais son papa n'est pas là, et Neville n'est pas confus. Il est triste, frustré, en colère. Déterminé. « We should be out there, on the field. We should be looking for them day and night. » Et puis, trois mots qui tombent, trois mots avec lesquels la tension disparaît - mais le mal est fait, et les quatre syllabes restent suspendues dans l'air, crevant le coeur de Luna. « I wanna fight. »

« Nev. » Elle soupire, mais ne bouge pas. « We are fighting. We're fighting fear, guilt, our own mind. » Elle lui jette un regard entendu. « I would gladly give me life now if it could make it all better. Give us Harry back, stop Voldemort, put an end to this madness. » La douceur dans sa voix si caractéristique n'ôte pas la part de vérité qui s'y glisse - et elle sait que Neville ferait le même choix. « Our privilege is unfair. All because we are Harry's friends. » Le présent, toujours le présent. It's not over. « That's exactly why we can't give it up. Because we're friends, and he needs us. Besides, I wouldn't survive out there, you know that. » Un petit rire s'échappe de ses lèvres, comme si ce n'était rien - mais Luna n'est pas taillée pour la guerre, pour survivre dans un monde aux dents aiguisées par la cruauté. Elle puise sa force dans les autres, dans ses amis, et sous le ciel orageux d'une terre ravagée par les forces du mal elle ne pourrait lutter contre le courant, elle en est persuadée. « Say, if I died - of cold or hunger or by a Crumple-Horned Snorkack bite - I wouldn't be very useful. To the Order. To you. To Harry. I mean, I would see mum again but that wouldn't help us quite as much. » Un souvenir flotte dans ses yeux marron, tire un sourire à son visage. « We shouldn't be out there, Neville. They should be with us, instead. » We should all be safe - les mots restent bloqués car c'est un fantasme. Ils ne sont en sécurité nulle part, ils l'ont tous appris en en payant le prix. « I miss them too. » Les noms qu'elle ne veut pas effacer. Les noms qui s'entassent dans le cimetière des souvenirs - morts, portés disparus, sans nouvelles.

« The only way to win is to outsmart them... » Le seul moyen, et le plus difficile. « Or to wait for something to happen. » Ses yeux croisent ceux de son ami. C'est une promesse, une promesse de victoire, une promesse de paix. Evil can't win, elle le sait. Pas tant qu'il y a des gens comme Neville dans ce monde, pas tant qu'ils sont si nombreux et si magnifiquement puissants. Pas tant qu'il en restera un, dressé contre la tyrannie - il suffira d'un seul visage anonyme, d'une seule baguette levée pour que la flamme de tous les absents continue de briller.  « And I'll wait. I'll wait with you. »

« Also, no, I can't sleep. Ginny snores, I was too warm and I'm out of sleep potion. »

Le simple fait de sentir Luna contre lui l'apaise mieux que mille mots. Elle a cet effet inexplicable, comme si elle était capable de lui faire oublier tout le reste - tous ses doutes, toutes ses peurs - de sa simple présence. D'un regard, il a l'impression que tout ira bien et qu'il s'inquiète pour rien. Elle est tellement spéciale, Luna, et pas dans le sens qu'emploient la plupart de ceux qui l'appelaient Loony à l'époque. Elle est spéciale, parce qu'elle semble venir d'un autre monde. Elle est céleste, Luna, et être avec elle permet à Neville de relativiser sur la vie, le monde, son importance. C'est comme quand on se retrouve face à un magnifique paysage et qu'on en perd les mots. Une forme de contemplation dans laquelle il se plonge dès qu'il est en présence de la blonde.

« We are fighting. We're fighting fear, guilt, our own mind » Elle a raison, Luna, comme souvent. Elle a toujours les mots qu'il faut. Neville s'est toujours dit que c'était indispensable d'avoir la Serdaigle avec eux. Pas seulement parce qu'il ne conçoit pas sa vie sans elle. Mais parce qu'ils ont besoin de son esprit et de sa manière de penser unique, au milieu de tous ces Gryffondors, s'ils veulent avoir une chance de s'en sortir. « I would gladly give my life now if it could make it all better. Give us Harry back, stop Voldemort, put an end to this madness. » Neville serre légèrement sa prise sur la main de son amie. Il déteste cette phrase. Il déteste l'idée qu'elle puisse se sacrifier pour sauver le monde. Pourtant, Neville sait pertinemment que c'est ce qu'ils font, tous les jours, tous autant qu'ils sont. Qu'à chaque fois que l'un d'eux passe le portail, ils sont vulnérables. Qu'à chaque fois qu'ils partent en mission, ils peuvent ne jamais revenir. Et même lorsqu'ils sont bien au chaud, en sécurité au Manoir. Et bien, qu'est-ce qui leur dit qu'ils ne mourront pas au beau milieu de la nuit, à la suite d'une attaque comme à Wolverhampton ? Soudainement, le Longbottom se sent coupable d'être sorti dans le parc, en quête de dangers. Luna a raison, ça ne servirait à rien. Il ne servirait à rien à la cause, s'il était mort. « Besides, I wouldn't survive out there, you know that. » Sa mâchoire se crispe, l'idée lui est toujours insupportable. Mais cette fois, il rétorque, parce que ce que Luna dit n'a aucun sens pour lui. « Of course you would. You'd outsmart them. You're the most clever of us all. »

Neville l'écoute en silence. Tout ce qu'elle dit est vrai, et plus elle parle, plus il réalise que sa sortie nocturne et ses tourments sont absurdes. Il la sent partir quelques instants lorsqu'elle mentionne sa mère. Parfois, Neville se dit qu'il donnerait cher pour lui permettre de la retrouver, sans que ce soit dans l'autre monde. Mais quand il regarde son sourire paisible, il se dit qu'il l'admire pour sa manière de gérer l'absence de sa mère. Ça fait des années maintenant que Frank et Alice sont morts. Pourtant, Neville n'a toujours pas le sentiment d'avoir fait son deuil. Il a cette rage en lui, cette colère brute qui demande revanche. Qui oublie toute forme de bienveillance pour laisser place à de la haine, pure et dure. S'il pouvait attraper les Lestrange, là, tout de suite, et mettre un terme à leur vie, même s'il devait perdre la sienne au passage, il le ferait. Sans une hésitation aucune. Le lion est prêt à sortir les griffes. Il n'a pas pleuré, Neville, quand il a appris que ses parents étaient morts. Déjà parce que l'idée lui paraissait trop étrangère pour qu'il l'intègre immédiatement. Et puis parce qu'il a décidé de mettre ses sentiments de côté, pour le bien du groupe. Parce que c'était pas le moment de craquer. Ils ont une guerre à gagner, après tout. Parfois, Neville se demande ce qu'il adviendra de lui, quand ils gagneront. Quand il sera obligé de faire face à sa peine.

Le Longbottom est ramené à la réalité par son amie. « I miss them too. » Doucement, il caresse la main de la blonde du bout du doigt. Il n'y a rien à dire, rien qui pourrait changer les choses. Il n'y a qu'eux, les survivants, cette petite famille qu'ils se sont construite pour eux, qui compte à présent. Car ils ne peuvent plus rien pour tous ceux qui ont laissé la vie dans cette guerre interminable.

« The only way to win is to outsmart them... Or to wait for something to happen. » Elle a une certaine fougue dans le regard. Une certitude rassurante qui s'empare de Neville. Oui, ils vont gagner, il n'y a pas d'autre choix. « And I'll wait. I'll wait with you. » Le Gryffondor esquisse un sourire. « Thank you, Luna. I don't know what I'd do without you... »

« Also, no, I can't sleep. Ginny snores, I was too warm and I'm out of sleep potion. » Neville a un petit rire. « I guess snoring runs in the family... » Ron a toujours été le pire du dortoir pour ça, aux yeux du Longbottom. Digne d'un Opalœil des antipodes. « I know what we could do. » Il lui lance un sourire énigmatique avant de l'entraîner avec elle. « Come with me. »

Après quelques minutes à marcher dans la brise nocturne, Neville pousse la porte de la serre du Manoir. A l'intérieur, il fait tout de suite plus chaud, ce qui est agréable dans le cas présent, mais insupportable en été. Ne lâchant toujours pas la main de Luna, il l'emmène vers le fond de la serre, à l'endroit où il passe le plus clair de son temps libre - ce qui reste très anecdotique. L'endroit jure avec le reste de la serre, globalement mal rangée et couverte de terre. Dans ce petit coin, Neville a placé toutes ses plantes préférées. La plupart sont en train de dormir, mais le géranium dentu posé sur la petite table leur lance un sourire. Neville s'éloigne finalement de son amie pour aller nourrir la plante avant qu'elle ne se nourrisse d'un bout de leur chair.

« I love coming here, to read a book or talk to them. » Les plantes, bien sûr. C'est également ici qu'il s'échappe lorsqu'il a besoin d'être seul et de réfléchir. Ici aussi qu'il passe ses nuits lorsqu'il se sent enfermé dans le dortoir.

Il fait un signe vers un tapis moelleux et deux coussins, posés à même le sol. « I thought we could sit there and talk? » Comme pour montrer l'exemple, Neville s'installe confortablement sur le tapis. Il finit par s'allonger, car la position lui semble plus confortable. Avec un sourire, il lance : « When all this is over, I'm gonna go and study herbology around the world. » Il a un air rêveur lorsqu'il poursuit. « First, I'll go to Bhutan. They say this country keeps the most amazing plants and some of them are extremely rare! » Il réfléchit quelques secondes supplémentaires. « Then I'll go to the Amazon. I mean... It's the dream of every botanist. » Il semble perdu dans ses pensées quelques instants. « What about you? What will you do? »

Elle pense qu'elle ne voudrait être nulle part ailleurs, ce soir, contre le corps de Neville, sa main dans la sienne, son courage lacé au sien. Elle ne voudrait être nulle part ailleurs, Luna, car il n'y a qu'avec lui qu'elle se sent vraiment entière - même au milieu de la nuit, dans le froid qui la saisit et fait trembler ses os, fait résonner sa cage thoracique de frissons nocturnes. Les mots qui franchissent ses lèvres n'ont pas vocation à allumer un quelconque brasier pour redonner courage, juste à entretenir l'espoir - l'espoir que demain soit meilleur, l'espoir qu'un jour tout s'achève. Dans la noirceur de la nuit, le profil de Neville se découpe sous le halo de la lune et la jeune sorcière n'en peut détacher son regard. Le conflit se lit sur son visage, sur ses traits fatigués que la lumière pâle de l'astre diffuse sous les nuages ; et elle voudrait l'en soulager, une caresse ôter la guerre qui se livre en dedans-lui. Pourtant, elle sait que c'est impossible. Ils mènent tous un combat solitaire, et le mieux qu'elle puisse faire est se tenir près de lui, lui tenir la main, lui réaffirmer qu'elle se tiendra à ses côtés quoiqu'il arrive, quelle que soit l'issue.

Et ses mots semblent l'apaiser, les mains de Neville caressant les siennes en signe d'apaisement. Ils échangent un sourire, simplement. Ça n'ôte ni la douleur du deuil ni la peine ni la colère ; ça n'efface rien, ça ne pardonne pas. Mais ça soulage, et là où elle peut penser les plaies du garçon au coeur de lion on trouvera toujours Luna. Il lui dit avec cette douceur qui le caractérise I don't know what I'd do without you, et ses yeux s'ouvrent, et elle colle son corps contre lui, si davantage est encore possible. « You would find a way, » murmure-t-elle. C'est une possibilité, qu'un jour elle s'en aille aussi, rejoindre Alice, Frank et sa maman, rejoindre ceux qui se sont trop battus. Elle ne se veut pas rassurante par principe, énoncer des phrases creuses dans le vide: elle le pense, elle le sait. Ça ne fait aucun doute: il n'est peut-être pas l'Elu mais il en est un qui n'a, lui, pas encore failli, pas encore sombré - et elle veut croire que Neville saurait triompher malgré la douleur, malgré la peine, malgré la rage, comme il le fait déjà. C'est un cercle qui ne finit pas, un cycle qui ne connaît aucun répit tant que personne ne brise la roue de la souffrance et le mécanisme de la guerre.

Et le courage fleurit dans leurs coeurs, renaît dans le ton de sa voix et Luna se sent sourire, portée par l'enthousiasme de Neville. Il lui demande, come with me, et elle le suit sans hésiter comme elle le suivrait au bout du monde. Sereine, elle suit les pas de son ami jusqu'au Manoir où il l'entraîne jusqu'au fond de la serre - et il ne lâche sa main qu'au dernier moment, pour s'occuper d'une plante qui s'épanouit à son contact. Et, concentré sur ses gestes il ne voit pas la petite blonde le regarder, lui offrir toute la tendresse dont ses yeux sont capables. Avec des gestes calmes pourtant savamment répétés, Neville s'emploie à nourrir le géranium jusqu'à créer un sentiment de contentement facilement identifiable chez la plante. Elle s'approche, Luna, curieuse, ne s'aventure toute fois pas trop près des fleurs repues. Lorsque Neville lui confie qu'il s'agit de son repère, elle acquiesce. Ça semble évident - elle ne l'a jamais vu si à l'aise dans un environnement. « You never took me here before, » remarque-t-elle avec une légère inflexion dans la voix, seulement interrogative. « Do you think any of them is full of Wrackspurts? I can't see any. » Aucune disruption dans la serre si bien entretenue par Neville. Un signe supplémentaire, s'il en faut, qu'il est plus que capable de faire face à tout ce que les mauvais tours jetteront sur son chemin. « You care for them really well. »

Il ne faut pas longtemps pour qu'elle le rejoigne sur les coussins, trop heureuse de s'allonger. La chaleur l'enveloppe et elle n'a même plus besoin de serrer sa baguette entre ses doigts. Sa vigilance ne s'évanouit pas, elle demeure - mais se transforme. Presque sereine, elle choisit de s'abandonner sans réfléchir au cocon de douceur qui lui est offert, elle choisit de croire qu'ils sont en sécurité, ce soir. Qu'ils s'asseyent ici ou ailleurs, sur les coussins confortables ou sur la terre au pied d'un arbre, peu lui importe : tout ce qu'il lui propose ressemble à une aventure. Alors elle prend place à ses côtés, s'allonge, serre son corps contre lui, son bras sur sont torse, sa tête au creux de son cou alors qu'il peint le paysage de son futur. Et la fresque est luxuriante, les couleurs, chatoyantes ; elle ne l'imagine que trop bien au milieu de la jungle, son sourire éclatant devant une nouvelle espèce de plante jusqu'à présent préservée des découvertes des hommes. « Will you send me a postcard? » Elle demande seulement dans l'éventualité où leurs chemins se sépareraient : parmi les milliers de portes qui se tiennent devant eux, elle n'imagine pas réellement un avenir sans ses amis, sans lui, sans Hermione, Ginny, ou Ron. « Be careful though. The rarest things often come with a price, » et ses yeux bruns brillent de malice. « You'll make it then, if it's your dream, » ajoute-elle, songeuse. « I'd be looking for the extraordinary, » dit-elle, son sourire rêveur illuminant son visage. « Like a Moon Frog. They are only found in very dense jungle, did you know that? I could travel the world too. Protect Jarveys, study Erklings, befriend Chizpurfles. Write a book about magical créatures, and how to protect them, or care for them. » Et d'en parler rend la chose réelle, concrétise ce à quoi ils s'attendent: la fin du conflit, la fin de la guerre, la paix pour leurs âmes et corps meurtris. « Did you know that one very specific species of plant is actually an animal? A bit like coral. It's only found in Brazil, actually, it thrives on the river. Like a big waterlilly, but it's actually a funny kind of thing, much like a Southern Lobalug. » Et elle rit, s'imagine toucher du doigt ces étranges animaux aussi sauvages qu'étranges. « But my dream would be to find an Occamy. My mum would've loved that. » Elle fronce les sourcils un instant, songeuse. « It's only found in the Far East, though. » Puis, elle se tourne vers Neville, se blottit contre lui - c'est une pulsion à laquelle elle ne tente même pas de résister. « It would take me years to see one for myself. They are almost all extinct. But I'm patient. »

« But I don't really see myself alone, out there. » Et dix ans auparavant, elle aurait osé, sans peur, sans crainte. Le contexte a changé, et ses démons aussi. « We could travel together, » suggère-elle. « It would be a wonderful adventure. » Ce n'est même pas une supposition, c'est un fait: rien qu'au milieu de la serre dans le paysage familier de l'Angleterre, se reposer à côté de Neville est déjà un trésor en soi.

« You never took me here before. » Neville ne répond pas. Il sait que Luna ne dit pas ça sur un ton de reproche, et qu'elle n'attend pas forcément de réaction de sa part. Ce n'est là qu'une simple remarque, le constat qu'ils ont toujours des jardins secrets, malgré la proximité quotidienne de tous les membres du cercle 6. Si Neville ne lui a jamais montré cet endroit, c'était aussi parce qu'il y avait quelque chose de rassurant, de réconfortant dans l'idée d'avoir ce lien privilégié avec les plantes. La botanique était depuis ses quatorze ans un échappatoire important pour lui, un moyen de ne plus penser à la dure réalité du quotidien en prenant soin d'êtres vivants absolument fascinants. Mais le moment était venu, songeait-il, de partager sa safe place avec Luna. « Do you think any of them is full of Wrackspurts? I can't see any. » Les lèvres de Neville se tordent en un sourire amusé. « I think that if someone can spot them, it's gotta be you. »

« Will you send me a postcard? » Sortant de son esprit plein de rêves, Neville se tourne vers son amie. « Of course. But we'd be together. » Bien sûr, le Longbottom sait pertinemment que Luna doit avoir ses propres rêves et qu'il serait hors de question qu'elle le suive partout dans ses aventures. Mais ce n'est qu'un fantasme, l'espoir d'une réalité idéale dans laquelle Luna ne peut pas être absente. Mais de la même manière que Neville ne conçoit pas de vivre loin de ses amis très longtemps, il ne souhaite pas non plus que leurs vies se séparent avec la Lovegood. « Be careful though. The rarest things often come with a price. » L'air pensif, Neville laisse apparaître un nouveau sourire. Chaque phrase prononcée par la blonde pourrait se retrouver dans un vieux grimoire de paroles sages, de lignes de vie à suivre pour être épanoui. Si dans cette phrase, Neville se projette avec joie à l'idée de vivre de nouvelles aventures tumultueuses dans l'insouciance d'un monde sans guerre, il songe aussi à sa réalité. Toutes les choses belles et rares ont un prix. Comme l'incroyable lien qui le lie au cercle 6, mais qui lui pèse un peu plus chaque jour, tant la peur de les perdre est immense. Comme la chance de faire partie de ceux qui savent pour les horcruxes, mais qui se retrouvent en marge de la résistance, et reclus sur eux-mêmes. Comme la pensée, enfin, que si un jour vengeance il obtient, ce sera sans doute au prix de sa vie, ou de sa place au sein de l'Ordre.

Luna le sort enfin de ses inquiétudes. « You'll make it then, if it's your dream. » Son positivisme rayonnant lui réchauffe le cœur, chasse une nouvelle fois ses mauvaises pensées. Et alors, il se prend à rêver, sous les mots de son amie, qui décrit à son tour la vie qu'elle mènerait si la guerre était finie. Quand la guerre sera finie. Il ne répond pas vraiment à ses questions, se contente de la regarder en souriant et de réagir à ses interrogations par des expressions faciales. Ça lui fait du bien de l'écouter. Il se laisse presque bercer en rêvant de voyages et de créatures extraordinaires. Ça lui irait si bien, l'étude des créatures magiques, à Luna. Et ça leur permettrait sans doute de voyager ensemble... « You'll see one. We'll go there. » I promise. Il se le promet du moins, même s'il n'ose pas le dire. Neville donnerait cher pour pouvoir l'emmener voir un Occamy, là tout de suite. Mais comme tout le temps, ils ne peuvent pas. Pas tant que le destin de toute la Grande Bretagne est entre leurs mains.

« But I don't really see myself alone, out there. We could travel together. It would be a wonderful adventure. » Neville se tourne vers elle, la serrant toujours dans ses bras. « Of course. I cannot imagine it any other way. » C'est toujours si naturel d'être avec Luna. Comme si toutes les étoiles de l'univers étaient à leur place et que tous les maux du monde disparaissaient. Comme s'il n'y avait plus rien d'important, en dehors d'elle et lui. Des fois, ça lui fait peur à Neville, de voir à quel point elle compte pour lui. A quel point son monde ne semble avoir du sens qu'en sa présence. Et puis il se dit que c'est ça, l'amitié. C'est ça qui fait que toute cette guerre vaut le coup, que tous ses sacrifices en valent la peine. Car sans l'amour, ils seraient tous comme Voldemort. Immanquablement, Neville repense à Harry. Son regard s'assombrit légèrement. Harry, il a connu l'amour. L'amour de ses parents. Si Lily voyait ce qu'il était devenu... Harry a connu l'amour de ses amis, l'amour de Cho, l'amour d'une nation entière qui reposait sur lui. Il était entouré d'amour. Et pourtant... Neville se promet qu'il ne baissera pas les bras. Qu'il ne les laissera pas tomber.

Il se serre un peu plus contre la Lovegood. Maybe we should just go. And leave. Never come back. Ce qu'il aimerait lui dire ça... Mais évidemment, il ne le fait pas. Parce qu'il est Neville et qu'on compte sur lui. Parce qu'il ne peut pas partir, pas pour vivre sa vie, pas pour venger ses parents, il est poings et mains liées à l'Ordre et aux horcruxes. Il aimerait pouvoir oublier, ne serait-ce que pour une nuit. Être insouciant, rêver, s'amuser, aimer Luna comme il aurait toujours dû.

Mais comme pour tout, il ne peut pas.

Alors, tendrement, il glisse : « Good night Luna. »