Le pouvoir, sans le consentement de ceux sur lesquels il est exercé, est une duperie qui jamais ne dure longtemps, un équilibre éminemment fragile entre la peur et la révolte, et qui se rompt d'un coup quand suffisamment d'hommes prennent ensemble conscience de partager le même état d'esprit.

@sol taylor

Il fait beau. Du moins dans ta tête, le soleil est au beau fixe. Tu dévores goulûment ta glace saveur Fizwizbiz de chez Florean Fortescue. C'est le printemps, t'es en fleurs, c'est agréable. T'as des envies de lèche-vitrine, de dépenser du Gallion, de te laisser aller au gré du vent. Tu te demandes pourquoi ils n'ont pas encore remplacé toutes ces boutiques fermées qui bordent l'allée. C'est moche, des vitrines sombres, avec tout un tas de babioles qui prennent la poussière sur le devant. Si ça tenait qu'à toi, un petit coup de baguette et il n'y paraîtrait plus. Mais t'as pas que ça à faire, de penser chiffons et marouflette...

Ton regard est finalement attiré par une devanture attrayante. C'est savamment décoré, tout en finesse. Les quelques tenues présentées en vitrine son aguicheuses pour ton œil de fashionista invétérée. Tu décides d'y aller.

Tu t'étonnes de ne jamais être passée par ici. Quand tu entres, t'es tout de suite satisfaite par la présentation des étalages. Tout est bien propre, bien soigné. Tu sais que t'as à faire à de la qualité. T'es pas du genre à te satisfaire de marchandises bon marché. C'est pas comme si t'étais riche non plus - quoique quand tu regardes combien palpe ta mère - mais en matière de fringues, il n'y a pas de juste milieu. Il y a le travail médiocre, la qualité qui laisse à désirer, et il y a le chef-d'oeuvre, l'harmonie parfaite entre les textures et les couleurs.

Tu circules entre les rayons, en fredonnant un tube de Lara Fabian. Immortelle, immortelle... Tu glisses tes doigts dans les plis d'une robe en velours. Tu la sors du rayon, pour mieux l'observer. Non, non, et encore non. Tu fais une moue dégoûtée en remettant l’immondice à sa place. Je meurs de toi... T'as l'impression qu'on ta demandé si on pouvait t'aider, mais t'es tellement dans ta bulle que t'as pas vraiment remarqué. Dans le doute, tu préfères te taire. Manquerait plus qu'on te prenne pour une folle à parler toute seule... J'ai décroché un bout de ciel. Tu tombes sur un petit haut, qui t'a l'air somme toute bien sympathique. Mais malheur, il suffit que tu l'observes de plus près pour avoir un haut-le-cœur. Très peu pour toi... “ Is there anyone talented here? ”

Puis soudain, tu la vois.

La veste de tes rêves.

Religieusement pendue sur son ceinte, elle t'appelle. Youhou, Anthea, tu l'entends presque... Tu t'empresses de te jeter sur cette magnifique veste de tailleur, extrêmement bien faite. Tu ne demandes même pas, tu l'essayes. Elle est si confortable. “ Oh, yes... ” Tu la tiens bien contre toi, puis tu pars admirer ton reflet toujours superbe dans le miroir. “ That's the spirit! ”

Tu te retournes, tout sourire, vers le bureau où, tu imagines du moins, les responsables du magasin se tiennent. Tu t'en fiches bien que ce soit au rayon homme. C'est si beau sur toi, alors c'est comme si cette pièce t'était destinée. “ How much for this masterpiece? ” Tu continues de caresser distraitement la veste. Elle est si douce...

“ You know what? I need to meet the person who created this. Right now. ”
Ton ton ne laisse pas grande place à l'indécision.

Depuis quelques années maintenant, il y a des jours avec et des jours sans. Aujourd’hui, c’est plutôt un jour avec. Un de ces jours où il est facile de faire semblant. Ou sourire semble presque naturel. Ou travailler te faire envie. Une de ces jours où Alvaro n’est que peu présent dans ton esprit. Ces jour-là, t’en profite. A fond. Ils sont si rares… T’as demandé à tes employés à ne pas être dérangé. Aujourd’hui, tu vas pouvoir créer. Peut-être que tu seras heureux de tes réalisations, pour une fois… De quoi te remonter un peu plus le moral. Peut-être. Incertain. Comme beaucoup de choses depuis des années. T’es sans cesse dans le doute, dans l’hésitation. Tu remets tout en question. T’es tellement loin du gamin sûr de lui que t’as pu être. C’est étrange - comme si t’étais quelqu’un d’autre.

Etonnant ? Vraiment ? Réfléchis bien…

Heureusement, tes employés te connaissent maintenant. T’as toujours été comme ça avec eux ; hésitant. Incertain. Tantôt effacé tantôt lumineux. Ils sont souvent heureux quand tu demandes à t’enfermer ; ils ont compris que c’était les moments où tu vas bien.

Pourtant, face à ton miroir et tes tissus, tu recommences à perdre tes moyens. Et si ? Et si… Tu décides de chasser tes pensées noires. Aujourd’hui, ce ne sont pas elles qui vont te guider. Tu attrapes un lainage bleu pétrole et l’étale sur ton plan de travail. Il fera un très joli manteau - la raison pour laquelle tu l’as acheté d’ailleurs. Pourtant, lorsque tu t’apprêtes à donner le premier coup de ciseau, tu entends toquer à la porte. T’es surpris - et un peu énerver. T’es du genre à faire confiance à tes employés pour qu’ils se gèrent tout seul - raison pour laquelle tu les payes. Mais ils savent aussi que quand tu donnes un ordre, tu t’attends à ce qu’il soit respecté.

Qu’est-ce qu’il y a de compliqué dans : je ne veux pas être dérangé ?

En soupirant, tu poses tes outils et va ouvrir. L’une de tes vendeuses est là, tête basse, toute penaude. Elle t’explique qu’une cliente est là, qu’elle a critiqué quelques vêtements avant de prendre en main l’un des vestes que tu as réalisé, avant de demander à voir le créateur. Une femme qui semble un peu l’intimider - ou l’effrayer. Tu lui souris gentiment ; tant pis pour la création. T’es encore trop gentil et généreux et tu ne veux pas laisser tes employés gérer un cas compliqué ni se prendre la tête. C’est toujours plus simple d’envoyer directement le patron. Aucun intermédiaire. ‘D’accord. Je vais m’en occuper.’ Tu retournes d’abord dans ton atelier enfiler ta veste - il est plus simple de travailler sans entrave - avant de te diriger vers la cliente qui t’a été décrite. Chose simple, vu le nombre de personne présente dans le magasin à cet instant. Encore plus rares étaient celles avec un cache-oeil.

Tu lui tends la main. ‘Mademoiselle ? Bonjour. Il me semble que vous avez demandé à rencontrer le créateur de cette veste ?’ Tu y mets les formes. Tu t’assures d’être face à la personne attendue - un quiproquo de plus serait malvenu. ‘Je suis Sol, enchanté.’ Tu souris, de ce sourire un peu forcé qui semble pourtant si naturel depuis le temps que tu le pratiques. Dans le fond, t’as aucune envie d’être là, de lui parler. Mais t’es trop gentil - c’est toujours pareil. Pour une fois que t’aurais voulu être seul, ta gentillesse t’en empêche. Quand apprendras-tu à être égoïste Sol ?

T'es toujours en train d'admirer la veste en te pavanant devant le miroir lorsque le créateur apparaît. Tu le toises du regard, passablement étonnée par son apparence. Disons que tu l'imaginais plus... baroque. Si tant est que cela veuille dire quelque chose. Dans tous les cas, tu t'attendais certainement pas à un gringalet à la tignasse rousse. Mais peu importe, tu n'es pas là pour coucher avec lui, mais pour l'embaucher. Mais avant tout, les politesses sont de mises. Alors tu te pares toi aussi de ton plus beau sourire charmeur, ne te doutant pas qu'il te faudrait bien d'autres attributs pour séduire ton interlocuteur.

“ Mademoiselle ? Bonjour. Il me semble que vous avez demandé à rencontrer le créateur de cette veste ? ” Tu acquiesses avec un air de ravie de la crèche. “ Je suis Sol, enchanté. ” "Sol" comme le soleil en espagnol ou comme l'opposé du plafond en français ? Tu décides de garder ta question pour toi, quitte à la soulever un peu plus tard, lors que vous vous serez un peu débridés.

“ Enchantée, je m'appelle Anthea. ” Tu sers la mains qu'il te tend puis tu lances les violons. “ Je voulais absolument vous féliciter pour cette merveilleuse création... ” Tu montres d'un geste la veste que tu portes toujours. “ J'en suis amoureuse. On dirait qu'elle a été faite pour moi, vous ne trouvez pas ? ” C'est d'ailleurs pour ça qu'elle se trouvait au rayon homme... “ Je suis sûre que dans votre cœur, vous saviez déjà qu'elle était destinée à quelqu'un d'exceptionnel ! ” Tu ris à ta propre blague.

“ Bon, tu dis en reprenant légèrement ton sérieux. Je ne vous ai pas dérangé juste pour ça. Je me doute que vos charmantes employées auraient été capables de vous transmettre mes félicitations directement. J'espère d'ailleurs ne pas trop vous avoir importuné. ” La vérité, c'est que tu t'en fiches. Mais ton air inquiet dit le contraire. “ Je me lance... J'aimerais que vous travailliez pour moi. Un tel talent, ça ne doit pas partir aux oubliettes dans une boutique comme ça. Ça doit être célébré, chaque jour. ” Tu lui lances un sourire complice. “ Et je sais qu'en retour vous célébrerez ma silhouette à la perfection. ” Petit clin d’œil aguicheur, posé comme une cerise sur le gâteau.

“ Alors, qu'en dîtes-vous ? Je vous assure que la paie sera bien au-delà de vos espérances. Et puis quel prestige de devenir le couturier personnel d'une fidèle aussi proche du Seigneur des Ténèbres ! ” Bon, t'enjolives un peu la réalité, mais comment pourrait-il savoir ? Et puis dans tes mots, il y a aussi la menace de ton pouvoir nouvellement acquis, qui vient se dresser entre Sol et son potentiel refus. “ Je pourrais même lui glisser un mot en votre faveur, si vous acceptez... Le Seigneur des Ténèbres a bien des qualités, mais son style... Disons qu'il aurait besoin d'un Sol dans sa vie ! ” Et tu ris, le laissant enfin en placer une.

Ce regard. Toujours le même. Celui du je ne m’attendais pas à...ça. On ne s’attend jamais à ça. Pourtant, tu n’es pas si loin de l’image classique que l’on peut se faire d’un créateur. T’es juste un peu plus terne - d’autant plus aujourd’hui, jour de création. Ce genre de journée où tu as besoin d’être à l’aise et où tes vêtements sont avant tout choisi pour leur côté pratique - même si tu prends toujours en compte l’esthétique. Déformation professionnelle. Mais ce regard… T’en as l’habitude maintenant. Ce n’est pas lui qui te fera perdre ton sourire. Ce n’est pas non plus le sien qui te fera oublier le jugement dont tu as été victime. Mais qu’importe.

Anthea donc. Un joli prénom. Tout aussi joli que les compliments qu’elle t’offre. Mais ça reste juste ça. De jolis compliments. Et tu ne doutes pas un seul instant qu’il cache autre chose. Il est rare qu’on te dérange juste pour te dire qu’on aime ton travail. Les clients adeptent de ce genre de chose préfèrent généralement le sur-mesure. Malgré tout, tu as un petit pincement - trois fois rien - de voir ta veste, conçue à l’origine pour un homme, bien que basée d’inspirations androgynes, comme souvent pour tes créations, sur une femme. Bien des souvenirs refont surface. Des choses qui devraient rester enfermer. Que tu t’efforces d’oublier. Tu essayes de te concentrer sur ses mots plutôt que sur son apparence - tu ris même à cette blague que tu as bien trop souvent entendu pour qu’elle te fasse encore rire.

Le couperet finit par tomber. Deux émotions se battent en toi. La colère, d’entendre ta boutique être rabaissée. Tu sais que ce n’est pas la plus grande de Londres et ce n’est absolument pas ta prétention. Mais tu as aussi conscience que ton nom est loin d’être celui d’un inconnu. Que des clients, pour certains prestigieux, viennent ici. Parfois juste pour toi. Alors oui. Tu le prends mal. Très mal. Il y a aussi la peur. Enfin, pas tout à fait la peur. Le malaise plutôt. Un malaise profond. Voilà bien des années que tu n’as plus fait de création pour le corps féminin. Tu as choisi une spécialisation pour les hommes pour une raison. Tu as déjà assez donné. Tu ne veux plus faire. Parce que ça te force à te ramener à une réalité que tu fuis. Dont tu ne veux plus entendre parler. Une réalité qui n’est pas censé exister, surtout dans ce monde.

Une part de toi que tu fuis.
Tu ne peux pas.
Même si tu en avais eu envie - ce qui n’est pas le cas.
Tu ne peux tout simplement pas.

Mais il y a cette nouvelle donne qui s’ajoute au tableau. Forcément. Une fidèle proche du Seigneur des Ténèbres. Une personne à qui on ne peut pas dire non. Pourtant, tu sais déjà que tu ne pourras pas lui dire oui. Un vrai duel s’installe en toi - à tel point que ton coeur s’affole légèrement. Tu n’arrives même pas à rire à sa blague. Tu esquisses à peine un sourire. Tu n’as aucune idée de comment te sortir de là. T’as besoin de penser. Vite. De réfléchir. De trouver une solution.

Gagner du temps. Déjà.

‘Je… Votre proposition me laisse sans voix.’ Une jolie façon de la flatter, de la brosser dans le sens du poil. Elle a l’air d’être le genre de personne qui apprécie ce genre de chose. ‘Je vous remercie de me l’avoir faite mais...' Tu guettes un peu sa réaction, tu t’inquiètes, même si tu fais tout pour ne pas le montrer - t’es d’ailleurs entrain de respirer doucement pour éviter que ton don de métamorphomage ne s’affole. ‘j’ai peur de ne pas pouvoir célébrer votre silhouette comme elle le mériterait.’ Tu reprends ses mots, tu cherches, tu tatonnes. ‘Même s’il est vrai que cette veste vous va très bien, j’ai choisi un parcours9999ffet une spécialisation dans le vêtement masculin et non féminin. Et croyez-moi, entre une veste ou une chemise pour homme et femme, il y a bien des différences, ne serait-ce que pour avoir un rendu similaire.’ Tu lui évites le charabia professionnel. Mais tu t’y raccroches dans ta tête. Si jamais elle a besoin de plus d’arguments. ‘Par contre, je peux vous orienter vers des collègues très compétents et compétentes qui se font un devoir de masculiniser le vêtement féminin, si cela vous intéresse.’ Puisque visiblement, c’était la mode masculine qui l’intéressait…

T’espères t’en être sortir.
Vraiment.

Un sourire figé orne toujours tes lippes, à la manière d'une statue gravée dans le marbre. Aucun trait le bouge, ton expression chaleureuse et bienveillante ne faillit pas. Pourtant, tu le remarques, le vent de panique qui semble emporter ton interlocuteur. Et tu l'entends déjà arriver, bien avant qu'il ne soit prononcé, le "non" que tu n'accepteras pas. Que tu ne supporteras pas, même. Tu as du mal à comprendre où est le problème. N'importe qui serait tout simplement honoré d'habiller une sorcière aussi belle et prestigieuse que toi. Même quelqu'un d'opposé au régime du Lord aurait assez de jugeote pour accepter ton offre, sous peine de finir en tartare. Mais même si tu sais ce qu'il va dire, tu le laisses faire, curieuse de voir quelle excuse il va bien oser te sortir, un sourire qui en devient presque effrayant toujours collé au visage.

“ Je… Votre proposition me laisse sans voix. ” Tu souris davantage, mais tu ne te laisses pas berner. “ Je vous remercie de me l’avoir faite mais... ” Le voilà, le "mais" que tu attendais. Tu arques un sourcil, très légèrement, et quand bien même ton sourire ne disparaît toujours pas, ton regard se veut plus froid. “ J’ai peur de ne pas pouvoir célébrer votre silhouette comme elle le mériterait. Même s’il est vrai que cette veste vous va très bien, j’ai choisi une spécialisation dans le vêtement masculin et non féminin. Et croyez-moi, entre une veste ou une chemise pour homme et femme, il y a bien des différences, ne serait-ce que pour avoir un rendu similaire. Par contre, je peux vous orienter vers des collègues très compétents et compétentes qui se font un devoir de masculiniser le vêtement féminin, si cela vous intéresse. ” Tu laisses un moment de flottement. Puis tu te mets à arpenter la boutique, à en observer chaque recoin, à tirer un cintre vers toi, pour observer une nouvelle pièce. “ Je crois que vous ne m'avez pas bien comprise... ” Nouveau sourire, de ce genre faussement poli qui fait froid dans le dos. “ Qu'il y ait des différences techniques entre une veste pour homme et une veste pour femme, cela m'importe peu. C'est votre problème. ” Ton sourire se fane enfin, la menace n'est plus dissimulée. “ Si je vous parle à vous, c'est que je vous veux, vous. Pas un autre. Et ce n'est pas une question de masculin/féminin, c'est une question de génie. Vous en avez, vous, du génie. Et je veux qu'il travaille à me créer des tenues d'exception... car je suis une sorcière d'exception. ” Et modeste, en plus de ça. Tu reposes une autre veste que tu observais. “ Il serait vraiment fâcheux que quelque chose arrive à votre boutique, parce que vous avez refusé de servir une sorcière aussi éminente que moi. ” Le ton est sans appel, le regard dur et tu ne caches même plus les conséquences que son refus pourrait avoir sur sa boutique et, par extension, sur sa vie elle-même.

Tes traits finissent par se radoucir et tu lui lances un nouveau sourire bienveillant, en t'approchant de lui. “ Je suis certaine que nous allons trouver un terrain d'entente, n'est-ce pas ? Il doit bien y avoir quelque chose qui vous intéresse ? ” Tu jettes un regard alentours. Les pièces réalisées par Sol sont exceptionnelles. Tu en remarques une, ornée de plumes de focifère. Confiante, tu reportes à nouveau ton attention sur le sorcier, une idée derrière la tête. “ Je vois que vous aimez travailler avec des matières premières d'exception... J'ai récemment fait la rencontre d'une créature incroyable, un léviathan. Il est parti avec un morceau de moi... ” Tu fais un geste en direction de ton œil manquant. “ ... mais je suis reparti avec sa carcasse entière. ” Tu laisses échapper un très léger rire, en te remémorant le bon vieux temps. “ J'ai désormais en ma possession des écailles de la bête. Elles ont d'incroyables propriétés magiques... J'aimerais que vous m'en fassiez une robe. En échange de quoi, outre cette magnifique opportunité... peut-être que je vous en laisserai quelques unes, de ses écailles. ” Tentant, non ?

Tu le sais. Tu le sens. Elle n’acceptera pas ce non. Elle fait partie de ce genre de personne qui ne l’accepte pas. Un genre que tu croises de plus en plus. Ceux qui peuvent faire de ta vie un enfer. T’as toujours voulu éviter - fuir même - les problèmes. Quitte à fermer les yeux sur le besoin de certains, il fut un temps ; t’as toujours été un lâche, mais ça t’a réussi. T’as pu naviguer en eaux troubles en évitant les problèmes. Mais ce qu’on fuit fini toujours par nous retomber dessus. Sauf qu’à l’époque, tu n’avais pas encore appris à dire non. Aujourd’hui, tu commences à le faire. C’est dur. Mais nécessaire. C’est aussi difficile. Terriblement difficile. C’est pour ça que tu y mets les formes, que tu fuis le sujet le plus longtemps possible. Il arrive toujours un stade où la fuite n’est plus possible. Pourtant, tu es dans ton droit. Tes arguments se tiennent. Alors pourquoi tant de peur Sol ? Peur de ce qu’elle peut te faire, peut-être ? Il serait temps de comprendre que tu n’es plus un petit enfant sans défense et que, bon gré mal gré, tu n’es plus seul.

Pourtant… Pourtant tout ton être frissonne quand elle reprend la parole. Ce genre de moment où ton coeur s’affole et ton pouvoir se détraque. Tu es sûr que tes yeux sont passés par une ribambelle de couleur en l’espace d’un espace - un détraquage que tu as essayé de cacher le mieux possible, pas dit que ça aie suffit. Il faut croire qu’elle ne t’a pas comprise - qu’elle ne veut pas te comprendre. C’est normal pour elle, sans doute. Tu écoutes chaque mot, muré dans ton silence. Tu cherches ce que tu vas pouvoir dire, quand les menaces voilées se dévoilent. Tu vois rouge. Un peu. C’est ce genre de chose que tu craignais - et que tu hais en même temps. C’est ta boutique. Tu ne resteras pas là sans rien faire si elle veut la descendre. Mais pour le moment, tu n’ajoutes rien de plus - sans doute le temps de te calmer un peu - pour continuer de l’écouter. Non. Il n’y aura aucun terrain d’entente. Pas après des menaces.

Elle arrive malgré tout à attirer ton attention une fois de plus. Incroyable, le mot est faible pour parler d’un léviathan. Il est vrai que tu adorerais ajouter ses écailles à ta collection. Mais elle n’a pas compris le genre de personne à qui elle avait à faire visiblement… Chacune des plumes de ta boutique a été ramassé à même le sol, ou après le décès naturel de l’animal ; il en va de même pour les peaux et les écailles que tu peux utiliser. Raison pour laquelle ces pièces sont rares et certainement les plus coûteuses de ta boutique. Tu es un pacifiste. L’idée même qu’un animal soit tué juste par plaisir ou pour sa peau te rebuter - c’est la même raison qui t’a poussé à réduire drastiquement la viande que tu manges. Alors l’idée même qu’une créature aussi incroyable que celle qu’elle vient de citer soit morte, probablement sans raison, te révolte. Peut-être est-ce ça dont tu avais besoin pour retrouver ton calme et cesser de te sentir inférieur ? Parce qu’en cet instant, tu trouves, étrangement, que tu as bien plus de valeur qu’elle.

«En effet, l’offre est intéressante... » Tu laisses ta phrase en suspens, comme si tu étais entrain d’étudier la chose. « Mais cela ne change rien à mon problème de base. je vais donc me permettre un parallèle pour que cela soit peut-être plus simple à appréhender. Il existe parmi nous des peintres d’exception, capable de la réalité avec une telle précision que l’on pourrait s’y croire. Pour certains, ce sont des génies, pour d’autres - et surtout pour eux-même - des bourreaux de travail qui ont passé des heures à peaufiner leur technique. » Tu l’aurais bien remercié de t’avoir qualifié de tel, mais tu ne supportes pas ce mot. Parce qu’il sous-entend quelque chose d'inné, il balaye d’un coup tous les efforts que chacun peut faire pour atteindre un résultat. Non, tu n’es pas un génie. Tu es un passionné qui a pris le temps qu’il faut pour chaque oeuvre présentée dans ta boutique. « Pourtant, aussi proche son rendu soit-il de la réalité, donnez-lui un appareil photo et son rendu sera tout au plus joli. Tout le monde sera déçu. Lui, son client, le monde entier qui attendait qu’il soit à la hauteur. C’est évident qu’il ne le sera pas. Parce qu’on lui demande de désapprendre ce qu’il a appris pour se faire à une autre technique. » Bien sûr, tu ne précises pas que la technique qu’elle demande, tu la connais déjà, du moins en partie. Mais ça fait bien trop longtemps que tu n’as pas touché une création féminine. Le résultat ne sera pas bon. Tu le sais déjà. « Ce n’est donc pas MON problème, mais également le vôtre, parce que vous serez déçue également. »

Tu inspires doucement. Voilà bien longtemps que tu n’as pas osé dire tout haut ce que tu pouvais penser. Tu sais que c’est dangereux. Mais ta boutique… Ta boutique, c’est toute ta vie. Et elle a osé la menacer… « En effet, pour vous reprendre, il serait vraiment fâcheux que quelque chose arrive à ma boutique. » Tu t’es un peu éloigné d’elle pour prendre l’un de tes chapeaux en main, commençant à caresser les plumes qui l’orne. « Vous savez pourquoi ? Parce que nombre de mes clients seraient déçus. Parce que cette boutique, ce nom qu’est celui des Taylor, existe depuis bien longtemps déjà. Avant même que vous ne soyez née. Cela crée des relations fortes et éminente. Oui, je ne suis peut-être pas un sang-pur, mais j’en ai parmi mes clients. Sans même parler de mes actionnaires. Je suis sûr que Blaise Zabini serait très déçu de voir qu’il arrive quelque chose à l’une des boutiques dans lesquelles il a investi » Les menaces, toi aussi tu peux en faire. Tu ne pensais pas que cela arriverait un jour. Tu ne pensais pas pouvoir te servir ainsi d’un nom qui n’est pas le tien. Mais c’est aussi pour ce genre de raisons que tu as accepté qu’il investisse. Parce que son nom est une forme de protection, il faut bien le reconnaître. Tu sais aussi qu’il n’est pas le seul. Benjamin sera plus que ravi de t’aider - il est de notoriété public qu’il porte souvent tes créations. Votre amitié, elle, est plutôt cachée. Mais c’est sans aucun doute l’un de tes plus gros clients. Il serait dommage de se priver de son aide. Certes, tu étais en train de bluffer - tu ignores si Blaise bougera un doigt pour toi, mais tu l’espères.

«Puisque c’est la première fois que vous venez dans ma boutique, permettez-moi également de vous apprendre quelque chose… En effet, j’aime les matériaux nobles, comme tout créateur qui se respecte. Mais j’ai mes valeurs. L’idée même qu’une créature ait pu être torturée ou tuée pour ce qu’elle peut offrir au monde m’est… difficile dirons-nous. Chacune des plumes, écailles ou peaux que vous trouverez ici, viens de créatures mortes naturellement, ou bien tombées d’elle-même. Je m’en assure personnellement. » Tu finis par reposer ton chapeau, afin de te remettre face à elle et lui faire face. « Alors oui, votre offre est intéressante. Mais elle est contraire à mes valeurs et sans valeur, qui sommes-nous ? De plus, j’ai, je dois le reconnaître, beaucoup de mal à créer pour des gens qui menace mon lieu de travail et mes employés. » Parce que s’il arrive quelque chose à ta boutique, tu n’es pas le seul qui trinque. C’est aussi pour ça que tu protèges ce lieu. « Je crois que ça bloque mon élan créatif...» T’es sans doute allé trop loin. Mais il n’est plus question de te laisser marcher sur les pieds. En tout cas, pas quand il s’agit d’une chose qui te tient autant à coeur. Tu aurais probablement agit de la même façon si il était question d’Alvaro.

Il y a toujours des priorités dans la vie.

L’amour et la passion.

S'il y a bien une chose à laquelle tu ne t'attendais pas, c'est bien ça. Ce doux vent de rébellion qui semble flotter dans l'air alors que le créateur reprend la parole. Derrière son petit air frêle et son regard apeuré, tu t'imaginais un énième lâche, qu'il te serait facile de manipuler avec quelques menaces. Il faut croire que tu avais tord, pour une fois, et que pour le convaincre il te faudrait employer les grands moyens. “ Mais cela ne change rien à mon problème de base. je vais donc me permettre un parallèle pour que cela soit peut-être plus simple à appréhender. ” Tu lâches un rictus. Et voilà qu'il ose te prendre pour une demeurée. Ton regard s'anime d'une flamme alors qu'il enchaîne, confiant, et qu'il se refuse à toi par quelques nouveaux détours alambiqués. “ Ce n’est donc pas MON problème, mais également le vôtre, parce que vous serez déçue également. ” Tu détestes qu'on te prenne pour une idiote. Et tu détestes qu'on te déçoive. Et Mr. Taylor vient de commettre l'irréparable : il t'a dit non. Et le voilà qu'il ose, qu'il OSE te menacer à son tour. Tu dois t'avouer légèrement impressionnée, tant tu ne t'imaginais pas ça du gringalet qui te fait face. Et en même temps... Sa tentative désespérée te fait lever les yeux au ciel. Encore un idéaliste qui veut jouer aux héros. How boring. “ Oui, je ne suis peut-être pas un sang-pur, mais j’en ai parmi mes clients. Sans même parler de mes actionnaires. Je suis sûr que Blaise Zabini serait très déçu de voir qu’il arrive quelque chose à l’une des boutiques dans lesquelles il a investi. ” Nouveau rictus. Les sourcils arqués, tu lui rétorques avec un sourire narquois : “ Oh mais je suis sûre que Blaise, que tu appelles par son prénom comme si vous étiez meilleurs amis, saura faire la part des choses. Si je lui annonce que son tailleur préféré est un traître qui a manqué de respect au Lord et à la Marque, puisque c'est ce que vous faites en me manquant ainsi de respect, je suis tout à fait certaine qu'il me remerciera de l'avoir ainsi débarrassé d'un investissement aussi mal placé. ” La vérité, c'est que tu connais encore mal Blaise, puisque ton arrivée chez les Mangemort est encore très récente. Mais tu es confiante en tes capacités de persuasion. S'il y a bien une discipline dans laquelle tu es douée, situation présente non comprise, c'est la persuasion.

“ Puisque c’est la première fois que vous venez dans ma boutique, permettez-moi également de vous apprendre quelque chose… En effet, j’aime les matériaux nobles, comme tout créateur qui se respecte. Mais j’ai mes valeurs. L’idée même qu’une créature ait pu être torturée ou tuée pour ce qu’elle peut offrir au monde m’est… difficile dirons-nous. Chacune des plumes, écailles ou peaux que vous trouverez ici, viens de créatures mortes naturellement, ou bien tombées d’elle-même. Je m’en assure personnellement. ” Le ton condescendant, presque paternaliste, te fait sortir de tes gonds. Le visage toujours froid et impassible, ta fureur n'est trahie que par le léger tressaillement de tes lèvres et le pli naissant au coin de tes yeux. “ Pour un homme aussi vertueux, je vous trouve rapide en jugement. S'il ne m'est pas nécessaire de me justifier à vous, sachez que le monstre a attaqué mon navire et qu'il s'agissait uniquement d'une question de survie. ” C'est... presque vrai, mais allons. “ Mais clairement, vous vous êtes fait votre propre opinion de moi. Je suis pourtant l'heureuse mère de deux dobermans, Cornelius et Fudge,  qui seraient ravis de faire votre connaissance. ” Derrière les sourires mielleux, tu ne fais même plus l'effort de dissimuler tes menaces. Lui non plus, de toute façon, alors vous êtes quittes.

“ Je crois que ça bloque mon élan créatif... ” Tu souris, d'un sourire figé et glacial que tu as repris de la Sous-Secrétaire d'Etat. “ Eh bien Monsieur Taylor... Puisqu'il en est ainsi... ” Tu fais mine de te diriger vers la sortie, comme si tu n'avais pas déjà prévu de conclure cette échange par une dernière menace. Tu te retournes enfin pour lui faire face. “ Je tiens juste à préciser quelque chose... N'oubliez pas que je vous ai offert cette opportunité. C'était une chance, un honneur, si j'ose dire. Mais vous l'avez décliné. Vous m'avez offensée. Alors si par malheur quelque chose vous arrive à vous, ou à votre boutique, vous n'aurez que vous-même à blâmer. ” Tu marques une courte pause, hésitant un instant. Tu repenses aux quelques semaines de captivité de Noûr... “ Je pourrais vous enfermer et vous forcer à travailler pour moi. Mais je crois avoir cerné votre personnage. Vous êtes de ce genre qui préférera mourir plutôt que de trahir ses valeurs. C'est honorable, vraiment. Dommage que vos valeurs ne soient pas les bonnes. Mais puisqu'il n'est plus question que vous travailliez pour moi et que rien que je puisse faire ne saura vous convaincre... Ne vous étonnez pas si votre boutique est sous surveillance pendant un temps. Les traîtres ne sont pas les bienvenus, en particulier si vous êtes si proche des sangs purs, comme vous le prétendez. Et puis si m'en prendre à vous ne vous fait rien, j'imagine que cela ne vous fera rien non plus, si je rend une petite visite à tous ceux qui comptent pour vous, n'est-ce pas ? ” Non, décidément, tu n'as pas la défaite facile. Tu lui lances un petit clin d’œil et quitte la boutique une bonne fois pour toutes.