« Bonne nuit Lolo… » que je lui murmure un peu trop fort après lui avoir fait un bisou sur le front, pas si sûre moi-même de savoir si je voulais qu’il poursuive sa nuit comme un loir ou qu’il se réveille pour me le rendre. Sans doute n’allais-je jamais le savoir puisque j’étais tout bonnement incapable de ne pas faire de bruit dans l’appartement, même lorsque j’y mettais toute mon énergie. Il y avait toujours des objets non identifiés que je me prenais, les coins de table, tout ça sans compter le nuage blanc à quatre pattes qui ne pouvait pas s’empêcher de me suivre dès que je faisais la moindre chose, peu importe l’heure. Une pisse nocturne ? Gripoil au garde à vous. Une expédition pour vider le pot de confiture ? Tic, tic, tic qui me suivent sur le parterre. Alors cet espèce de boule presque étanche me suit alors que je récupère mon petit sac à dos, dans lequel je glisse ma baguette, un tee-shirt trop grand à Lothar, un en-cas, deux de mes carnets et de quoi écrire.
« Shh, » que je lui fais alors qu’il commence à s’enthousiasmer, pensant certainement que j’allai lui dérouler le tapis rouge pour une balade à 4h du matin. « Non Grigri, tu restes ici avec Papa, » insiste-je en enfilant mon manteau et ma petite écharpe couleur jade. Le mot papa me fait mal parfois, souvent même, mais pas cette fois. Je griffonne un mot approximatif sur un morceau de papier arraché d’une de mes pages vierges, à la moldue. Je suis partie me baigner au lac et Grigri n’a pas mangé. Si je reviens pas avant 9h02 du mat inquiète-toi. Je t’aime, Captain my Captain. Tchuß. Et je me suis enfuie, une banane  exquise agrafée à mon visage.

Je mentirais en disant que je n’ai pas stressé tout du long. Lorsque la nuit tombe, ça me fait penser à d’autres choses, et même si je ne me suis jamais sentie aussi inquiète qu’à Saint-Denis en sortant du taf à 4h45 du matin, je dois bien avouer que chaque « nuit » me ramène à celle-là. La loutre a envie pourtant, elle me pousse à aller plus loin que ma salle de bain pour aller barbotter. Elle rêve d’espaces naturels, de grandes masses d’eau et des nages qui n’en finissent pas. Elle rêve aussi de manger des poissons à crocs nus mais la dernière fois que j’avais essayé, j’avais vomi une fois de retour sur mes deux guiboles de sang-mêlée franco-allemande. Presque pire que mon premier vol en balai, en somme.

Quand j’arrive, il n’y a personne, je dépose mes affaires à une branche et les place sous protection magique, le b.a-BA du petit randonneur sorcier, surtout dans cette zone cosy qui n’était pas connue de grand monde. Du moins, c’est ce que je me disais puisque je n’y avais jusqu’ici croisé personne qui sache parler ma langue. Puis de là à dire que j’y allai vraiment très souvent, ce serait raconter de belles conneries.

Les pieds nus, je laisse la loutre enthousiaste prendre la place qui lui revient de droit et me glisse dans l’eau telle une petite saucisse aux poils bruns. Une première plongée qui me rend toute chose, retourne prendre de l’air à la surface, à la manière d’un dauphin plus souple et collé à l’acier froid de l’étang. Je m’arrête même sur le rebord et me gratte frénétiquement le museau avec mes pattes, ressort sur l’herbe et me roule dedans comme une folle, tiens ça me gratte tout d’un coup, « squik squik » fin de citation, ma patte arrière fait son œuvre et je retourne dans ma baignoire géante.

Les quelques remous que je sens ne m’interpellent pas plus que ça lorsque je me rapproche de l’autre pan de la berge, bien plus loin de mon spot de base. C’est là où je suis sortie pour me dégourdir les pattes sur la terre ferme, c’est aussi là où j’ai senti l’odeur d’affaires qui ne sont pas les miennes, et j’ai été très tentée d’aller me fourrer dedans sans réfléchir; au moins jusqu’à ce que j’aperçoive ce quelqu’un qui m’interpelle — et me fait tirer ma tête en l’air, telle une tour de contrôle.

« Here for a swim? » il doit y avoir bien 2-3 mètres entre nous, et je ne bouge pas, j’ai le cœur qui bat à cent à l’heure malgré moi, peut-être que j’ai un peu peur, même si le soleil est en train de se lever. « You should hunt. There’s plenty of fish down there. » mais ? Qu’est-ce qu’il me raconte ? Et pourquoi il est dans l’eau comme une truite, lui aussi ? J’ai pas faim, j’ai vu que des crapauds, et les crapauds c’est dégueulasse et, « Wait. » …puis je n’ai pas envie de vomir et- - wooh, où est-ce qu’il va comme ça ?! J’aplatis mon flanc d’un coup contre l’herbe et reste immobile, à l’affût du moindre bruit.

Les minutes filent et m’inquiètent… Oh bordel. Ça fait longtemps qu’il est là-dessous… je devrais aller le rechercher, non ? Et s’il veut me manger-squick ? Je devrais- - mais je n’ai pas le temps de poser ma décision que la silhouette réapparaît, sa tête du moins, ses épaules aussi, et il me montre une poiscaille qui se débat comme un monstre des mers, et rien que pour ça, j’admire la performance - de la poiscaille surtout, quelle grâce, quelle puissance dans ces nageoires ! « See ? » et la remet sous l’eau, Merlin soit loué.

« I’m not gonna give it to you, you need to work by yourself. » et me la lance, Jésus Marie Joseph, il l’avait gardé entre ses doigts ! C’est si soudain pour moi, il me fait peur et je « squiiik-squik! » en galopant sur le côté pour éviter ledit poisson. Je n’entends pas ce qu’il dit après, de fait, puis en voyant l’animal se débattre, j’ai un réflexe idiot, pas fuir mais retourner, courage aux pattes, vers l’écailleux qui suffoque à l’air libre, alors je le pousse d’un coup avec mon museau, encore, encore et encore, pour le faire retourner à l’eau, et lorsque j’y parviens, je détale moi aussi dans les profondeurs, le temps de me faire une raison certainement, parce que je ne pouvais définitivement pas rester comme ça…

J’espère que mon instinct est bon, cette fois, alors après avoir prit un peu d’air et replongé à quelques mètres de l’étranger qui parle aux loutres, je reprends ma forme humanoïde, toujours sous l’eau, et fait enfin surface, mon visage coupé en deux par l’eau, qui s’arrête sous mon nez. J’ai les lèvres pincées même sil ne peut pas vraiment les voir, du moins c’est ce dont je me persuade. Je ne sais pas quoi dire, m’a-t-il vu ? Oh… oh, merde, ça y est - - il s’est retourné.

« …hello there ? » souffle-je après avoir sorti mes lèvres de l’eau, comme essoufflée.

Ma première réaction est de me tendre au même moment où il émet un geste de défense en sursautant, me baissant encore un peu plus dans l’eau, gênée. Je ne suis même pas sûre d’avoir toutes mes fringues, mon sortilège avait intérêt à avoir fonctionné et m’avoir laissé suffisamment de tissu waterproof pour survivre à cette situation. Je le vois plutôt bien de là où je suis et le soleil s’est suffisamment tiré de l’horizon pour nous donner une bonne visibilité. J’ai presque l’impression que c’est pire que ce que j’aurai imaginé. J’aurai peut-être dû partir, fuir, comme les grands soldats le font - Flantier, comme dirait Lolo ; mais c’est un truc de moldu qui ne fait rire que nous.

« Sorry. You scared me. » « Pardon. Je voulais pas, vraiment, enfin si, mais… c’est juste que… » y a ma voix qui fait des trémolos alors que j’ai ressorti ma bouche de son bain. Je sais pas trop quoi dire, c’est gênant, je me sens pas bien pour lui, plus pour lui que moi en réalité, il était tranquille et là j’arrive comme une loutre sur le cocotier, il a l’air terrifié. Vraiment terrifié. « Hello..? » qu’il me dit. Il se force, là, pas vrai ? Qu’est-ce que je fiche encore ici ? Et si c’était un moldu ? Là ce serait vraiment la merde. Je suis pourtant certaine que c’est un sorcier, alors je me confonds dans mes explications marmonnées à voix basse mais portante…

« …je… je sais pas, tu m’as envoyé ce poisson, ça m’a fait vachement peur, j’ai cru que…, j’expire longuement du nez alors que je reprends mon souffle, lui-même écrasé par la pression de l’eau sur ma cage thoracique de crevette. ’fin c’est pas… je recule doucement en évitant de le regarder, désolée. »

Et le silence nous étouffe à nouveau alors que je continue à m’éloigner par petits à-coups souples et lents. « Je vais partir, mes affaires sont de l’autre côté - - mais ça va aller quand même ? » que je lui demande en relevant les yeux dans sa direction à la fin de ma phrase, quand même inquiète - en plus de me sentir coupable de le voir trembler comme une feuille. Il n’a l’air pas bien, alors que quelques secondes avant, avant le choc que j’ai dû lui offrir sur un plateau d’argent, il était si bien. J’ai l’impression d’avoir donné un coup de pinceau blanc en plein sur la Nuit Étoilée. Malaise.

Un petit vent se lève et provoque une légère risée sur la surface aqueuse qui nous sépare. Je ne vais pas mentir, je commence à avoir froid, là, à être aussi active qu’une huître morbihannaise sur son parc. Je suis pourtant pas mal éloignée maintenant, mais quelque chose me retient. Je ne le sens pas bien. Et les gens que je sens pas bien, je n’arrive pas à les laisser. C’est plus fort que moi. Comme la connerie qui allait sortir de mon bec aux canines allongées…

« Qu’est-ce que deux canards qui se battent? »

Comme une bouée à la mer, ou au lac, et comme un vieux daron qui est fier de son œuvre à venir, je gonfle les joues pour éviter de rire d’avance, et puis, je lance la bombe…

« …un CONFLIT de canard ! » une fierté de merde au bout des lèvres, je remets mon nez dans l’eau, essaye de ne pas rire, mais finit par le faire quand même, et je me fais boire la tasse et me mets à tousser, tousser et… encore tousser, prise entre un rire de merde et ma quinte catastrophique. Là, c’est moi qui suis en train de m’essouffler et voir flou, et pas qu’un peu, mais pour la bonne cause toujours.


@conan lee

« Please, don’t die. » je suis pas sûre de bien comprendre ce que j’entends, là, prise dans ma quinte de toux surnommée à juste titre fausse route. « I’m grabbing your elbow. » et je secoue la tête à la positive en guise de réponse, ma paume plaquée contre mes lèvres, mais pas trop ; histoire d’y laisser passer l’air. L’étranger m’aide à garder pied alors que je ne peux plus battre des deux bras pour me maintenir à la surface comme une grande, déstabilisée. On devait avoir l’air bien cons vu de l’extérieur, mais au moins j’aurai pu légitimement mourir de rire — j’aurai juste préféré le faire avec Lothar, n’en déplaise à cette personne qui m’apporte gracieusement un coup de main dans l’embarrassant de la situation.

« Oh, Dieu Merlin, » j’inspire par le nez pour reprendre mes esprits. « Jésus, » appuyai-je d’une voix affaiblie, encore marquée de trémolos, reprenant mes mouvements doux de brasses de mon seul bras libre. « It was a funny one. » « Merci, » lance-je presque au même moment, remerciant alors d’une pierre deux coups. Les bonnes âmes ne courent plus vraiment les rues ni les étangs et j’en suis la première à m’en plaindre. « Really funny, actually. » c’est juste qu’il a pas ri, mais c’est pas grave, personne ne rit vraiment à mes blagues, ou alors par dépit. « Merci, vraiment, c’est gentil, » que je souffle sur la surface de l’eau avec un sourire tout retrouvé, un peu plus fébrile néanmoins, comme rescapé.

« Je crois que je- » « Sorry. I’ll let you go, » « O-Oh… » l’expression sur son visage se décompose, change brutalement, je ne sais pas pourquoi, est-ce que c’est moi qui fait encore cet effet-là ? Oh misère, suis-je devenu une mauvaise personne ? Le bras à nouveau relâché, j’en profite pour me tâter la couenne d’un réflexe, trouvant réponse à ma question qui remettait en cause le peu de dignité qu’il me restait là. J’avais bien jaugé mon coup malgré tout, l’élasthanne moldu m’enserrant les hanches et… merde. Pas le haut. Cool, cool, cool, cool. Ça va le faire. Il ne va pas partir en courant, pas vrai ? Il n’aura qu’à se retourner… oui, c’est ça, il n’aura qu’à se retourner, il n’y a rien de bien sorcier… ou peut-être que si justement ?

C’est sans compter le fait que je n’en crois pas un mot lorsqu’il me dit que ça va - et je devrais m’en aller, là, le laisser avec cette vérité à laquelle il ne semble même pas croire. C'est plus fort que moi…

« Are you alright ? » « Oh, euh… oui, ça va mieux, beaucoup mieux, merci encore, » je m’éclaircis la voix à nouveau, nage un peu sur le côté, « Je… écoute, enfin, écoutez, » je prends un peu trop mes aises avec les inconnus manifestement, la loutre n’a vraiment aucun sens du danger après avoir failli s’étouffer dans l’eau de son propre bain,  à moins qu’elle ne s’en veuille de l’avoir ainsi bousculé, « Mes affaires sont de l’autre côté, là-bas, » je désigne le pan concerné du menton, mon dieu, vais-je oser ? « J’ai une boîte de chocogrenouilles dans mon sac, ça me ferait plaisir de t’en donner aussi, enfin… si t’as envie, si t’as faim… est-ce que t’as faim ? » …j’ai osé. Et je n’arrive pas à m’arrêter de parler, maintenant que je suis lancée, que je n’ai plus mal aux cordes vocales, que ma voix ne ressemble plus à un roller coaster pour les plus de douze ans.

« Faut juste que tu regardes pas ce que je fais quand je sortirai de l’eau, c’est pas parce que c’est bizarre ou quoi, c’est juste que… j’ai pas le haut, tu vois, » remarque, ça aurait pu être pire, genre le bas. « C’est gênant. » conclue-je en le fuyant des yeux, les joues prises par le chaud de l’embarras… je m’éloigne doucement de quelques brasses. Je comprendrais qu’il ne veuille pas de ça, qu’il ne veuille pas de moi. J’ai beau être sympa - je crois -, je suis quand même encombrante, surtout lorsqu’on ne m’attend pas.


@conan lee