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TW TOUT LE LONG : DEPRESSION, BULLYING, DISCRIMINATION, BLOOD, TRAUMA, DEATH, GRIEF

Le sel de mer lui chatouille les narines - contre ses pieds, l'écume se meurt. Le sable se glisse entre ses orteils endoloris et il ferme les yeux, Conan. Tout est si tranquille, si calme. Il en oublie presque la douleur qui lui parcourt tout le corps. Les plaies qui se sont ouvertes, un peu partout, sous les sortilèges de ses poursuivants. Inévitablement, il se sent tiré - comme si une force invisible lui attrapait les mains et cherchait à l'entraîner. Appel silencieux - hurlement étouffé par le bruit des vagues contre les falaises. Les premières gouttes d'eau s'écrasent contre son front, levé vers le ciel - et les yeux, fermés, sont bientôt eux aussi noyés par la pluie paresseuse.
Dans son coeur, les vagues s'agitent et se lèvent - la tristesse, celle qu'il ne connaît que trop bien, finit par pointer le bout de son nez. C'est toujours la même chose. Un regard vers la mer, comme un rappel ironique qu'il n'appartient ni au sol terrestre, ni à celui aquatique - l'amertume qui le frustre. Les poings qui se serrent. Les larmes, elles, viennent bien après. Furieuses, brûlantes et salées - elles ravagent le rivage de ses pommettes, se mêlent à l'écume qui frappe ses genoux enfouis dans le sable, pour rejoindre l'océan au côté des gouttes de sang qui ruissellent sous sa joue droite. Hargneux, il attrape une poignée de sable qu'il lance à la mer - pourquoi ? La question lui brûle les lèvres, mais n'est pas prononcée - il se l'est posée beaucoup trop de fois sans jamais trouver de réponse. Les poings s'enfoncent dans le sable, dans l'eau qui monte. Les vêtements sont trempés, le vent froid le gifle mais ne le dérange pas. Il l'a toujours bien supporté.


Les notes sont fredonnées entre deux sanglots qui sont noyés bien vite dans l'océan. C'est la berceuse que lui chantait maman, quand tout allait encore bien. Quand la vie n'était pas devenue une course contre la montre - quand sa propre existence n'était pas devenu le sujet d'un débat pour les autres sorciers. L'époque où on ne pensait pas encore à les marquer comme du bétail sur le visage, à la vue de tous. Le regard trempé, Conan relève la tête pour fixer l'horizon - si loin, et si proche à la fois. En tendant la main, il a l'impression de pouvoir l'attraper. Ce serait si simple s'il pouvait se cacher aux tréfonds de l'océan, pour toujours, et ne plus jamais revenir à la surface. Tout serait plus simple, comme ça. Il n'aurait plus à courir. Plus à se cacher. Qu'est-ce qui l'empêche de le faire maintenant ?
Le corps douloureux se traîne vers l'océan, un peu plus loin, encore un peu plus - jusqu'à ne plus avoir pied. Il se laisse happer par le courant, les muscles sont trop épuisés pour faire le moindre mouvement. C'est agréable, comme ça - porté par l'eau, face au ciel qui perd de ses couleurs. La nuit tombe, petit à petit - il peut déjà voir l'étoile du berger et, un peu plus loin, la lune qui pointe le bout de son nez. Le sel s'engouffre dans les plaies - mais pas une réaction n'apparaît sur son visage. Il est vide, Conan. Totalement vide. Ça fait des années qu'il l'est, qu'il vit sans réellement vivre - quelque part, y a toujours eu une part de lui qui est restée morte au fond de l'océan. Avec maman.


On pourrait facilement le tuer, ici, si les sorciers du gouvernement le trouvaient dans les falaises, au milieu de la mer. Il serait une cible facile. Quelque part, il a peut-être envie qu'ils lui tombent dessus et qu'ils l'embarquent - ça mettrait fin à toute cette cavale sans queue ni tête. Il aurait plus à courir, Conan. Il aurait plu qu'à se laisser pourrir dans un coin du laboratoire du gouvernement, expérience après expérience, jusqu'à ce qu'ils aient tout pris de lui. Cobaye pour le pays, traître, fugitif sans foi ni loi - son sang, son être, c'est tout ce qu'il a à offrir. C'est tout ce qui a toujours intéressé tout le monde.
Toute sa scolarité a été rythmée par les remarques, les moqueries. Ta mère t'a abandonné, pas vrai ? Elle est retournée dans l'océan, parce que tu valais même pas la peine qu'elle reste. La colère qui bouillonnait, dans un coin de sa tête, toujours. Les paroles de maman qui restaient dans sa tête. Tu ne seras jamais comme les autres, alors ne leur donne pas de réelle raison de te haïr, prends sur toi. Ça l'a aidé à tenir quelque part. Maman l'a jamais abandonné. Elle est toujours restée. Mais c'est devenu trop dur, un jour - alors elle a fini par se laisser partir. A cause de papa. Il le sait, Conan, que c'est à cause de papa. Alors, c'est pas à maman qu'il en a voulu. Jamais.


Il oubliera jamais la voix de maman - ni son contact léger, si doux, contre sa peau. Le jour où elle est morte, il était avec elle. Il l'a jamais laissée. Il passait ses journées à côté de son lit, à lui lire des livres, à parler avec elle, à lui chanter des chansons - celles qu'elle lui fredonnait quand il était bébé. Il était encore jeune, alors il comprenait pas forcément ce qu'il se passait. Il avait vu maman et papa se disputer, mais il avait pas tout compris. Il avait saisi que quelques phrases, quelques mots clés - caché derrière la porte, espionnant à travers la serrure trop petite pour y voir clair. Tu la cherchais, c'est ça ? Tu veux partir ? Tu veux nous laisser ? Tu veux abandonner ton FILS ? Il avait jamais vu papa aussi énervé. Dans ses mains, il agitait une espèce de couverture. Et en face, maman se faisait minuscule - ses bras se tendaient désespérément vers la couverture, cherchant à l'attraper. Tu ne peux pas comprendre ... Le reste, il a pas compris. C'était des souffles étouffés, des cris, parfois. Jusqu'à ce que papa se saisisse de sa baguette de ne lance un Incendio vers la couverture, qui est partie en fumée sous le regard impuissant de maman.
Après ça, maman est allée de mal en pis. Elle a mangé de moins en moins, puis, plus du tout. Elle a fini par ne plus marcher - et rester clouée au lit. Sous l'oeil inquiet de son fils, la Selkie est rapidement devenue un fantôme aux joues creuses. Ses cheveux, ternes, avaient perdu toute vie - et ses rires ne résonnaient plus aussi joyeusement qu'avant. Papa ne montait plus à l'étage - et puis, maman n'avait certainement plus envie de le voir. La vie terrestre est dure, mais tu y trouveras ta place, Conan. Maman te le promet. Ce furent les derniers mot d'Haneul Lee à l'attention de son unique fils - elle a fini par fermer les yeux et ne les a plus rouverts, malgré les supplications et les légères pressions de l'enfant contre son épaule. Entre les mains de Conan, la peau de maman est devenue froide - c'était donc ça, la Mort.


Les yeux finissent par se rouvrir - les vagues l'ont à nouveau ramené sur la rive. Il peut sentir le sable dans son dos - et le sel, qui creuse dans ses plaies. Avec un grognement, il se relève : jette un dernier regard vers la mer avant de rejoindre les cavernes qui se trouvent dans la falaise - son sac et un feu l'attendent. Les vêtements sont retirés, déposés sur le sol. Les doigts s'agitent et un sortilège, informulé, est lancé. Les directives de Nassim sont toujours quelque part dans son esprit, même si cela fait bien longtemps que leurs chemins se sont séparés. Ressent la magie dans tes veines. Ne cherche pas à la brider. Montre lui le chemin, sois sûr de toi. Les tâches de sang disparaissent, les trous sont comblés. Secs et comme neufs. Entre les parois de la caverne, seul le crépitement du feu de camp brise le silence. Aux alentours, le sortilège de protection masque sa présence - sons et signes de son passage sont masqués, suffisamment pour qu'il ait un peu de tranquillité : de façon éphémère, certes, mais c'est toujours ça.
Dans ses mains, il inspecte sa baguette à la lumière du feu - toujours impeccable, et toujours aussi longue. Elle a toujours été parfaite pour lui - et il sait que, s'ils le retrouvent, il en sera séparé. Il y attache tant de souvenirs, à ce bout de bois - c'est une part de son identité. Il veut pas en être séparé, quelque part. Même si elle a pas de conscience propre, elle a son caractère - et elle a toujours été avec lui, même quand tout le monde lui tournait le dos.


Conan la pose sur sa droite, à côté de son sac rempli de quelques effectifs de survie qu'il a pu regrouper avant de prendre la fuite. Trousse de soin. Vivres. Vêtements. Un sac de couchage. Deux-trois objets personnels. Ses livres et ses recherches, qu'il n'a pas pu se résoudre à laisser derrière lui. Le sortilège lancé sur le sac lui permet d'y faire tenir plus que ce qui serait normalement possible, sans en ressentir le poids : c'est là qu'il se rend compte que la magie fait partie intégrante de sa vie et qu'il pourrait pas y tourner le dos. Elle coule autant dans ses veines que celle des civilisations aquatiques.
La flamme se ravive un peu plus dans son esprit, alors qu'il pose son menton sur ses genoux et entoure ses jambes de ses bras. Silencieux, il fixe le feu qui danse sous ses yeux - il va faire quoi, maintenant qu'il s'est fait la malle ? Il a réussi à leur échapper aujourd'hui, mais qu'en sera-t-il de demander ? Il lui faut un plan sur le long terme. Il lui faut quelque chose. Il veut pas rester une pauvre victime qui se fait chasser de tous les côtés - il veut se battre, lui aussi. Il veut que les choses changent. Il a réussi à échapper à sa sentence, mais qu'en est-il des autres comme lui ? Ceux qui sont morts en refusant la marque ? Ceux qui l'ont acceptée et qui sont devenus des larbins ? Les cobayes, dans les laboratoires ?

L'Ordre.
Il faut qu'il trouve l'Ordre.

Minuit. Dix-neuf février. Il a vingt-sept ans ce soir, Conan. C'est bizarre. Y a dix ans, il se voyait pas encore en vie - il se voyait pas tout court. Et il est là, aujourd'hui, sous un toit fragile qui n'est pas le sien, et pourtant, c'est bien la première fois qu'on le traite réellement comme quelqu'un. Pas un animal. Une sensation bien étrange, si on lui demande son avis. Elle lui semble loin, l'époque où on lui foutait la tête dans les lavabos de Poudlard pour regarder combien de temps il pouvait tenir avant de perdre de connaissance. Loin, et horriblement proche à la fois. Il peut pas s'empêcher de se dire que, peut-être qu'il se tire une balle dans le pied à continuer de s'accrocher à un semblant de normalité. Tout aurait été plus simple s'il avait tout simplement accepté la marque - et pourtant, chaque fois que cette pensée lui traverse l'esprit, les quelques neurones encore lucides qu'il possède, ceux qui ne sont pas complètement engourdis par la lune presque vide, lui hurlent qu'il est un incroyable lâche de penser ainsi.
Il a jamais été vraiment courageux, Conan. Il s'est toujours laissé couler comme un ruisseau - go with the flow qu'il se soufflait, jour après jour. Fais le moins de vague possible. Try to fit in. Mais c'était peine perdue - pour quelqu'un avec son sang, ça sera jamais possible. Son hybridité lui est presque tatouée sur le front - bête de curiosité qu'on ne peut s'empêcher de regarder de loin, avec une fascination mêlée à un dégoût clairement visible. Il s'est jamais rebellé. Il s'est toujours laissé faire, espérant que son manque de réaction lui entre ouvrirait une porte menant vers une existence tranquille et silencieuse, coupée du monde, ignorée de tous. Ses années passées à arpenter le Royaume-Uni pour ses études sur les créatures magiques ont été les meilleures - seul, avec pour unique compagnie ses livres et ses découvertes.

Pourtant, ça aussi on le lui a arraché.
Et il se retrouve là aujourd'hui, Conan. A Sweet River.

Le premier acte de rébellion qu'il a effectué en vingt-sept années d'existence - vingt-sept années à courber l'échine, à encaisser et accepter d'être vu comme un monstre. Vingt-sept années à fixer un point vide à l'horizon. Vingt-sept années à essayer de se trouver. Vingt-sept années à échouer, inlassablement. A cette pensée, il a envie de ricaner - mais il en est incapable. Ça fait bien une décennie qu'il a pas laissé échapper un rire - le dernier sincère qu'il a eu, maman était encore vivante. Il sait plus sourire non plus, Conan - il est cassé. Ses lèvres sont comme engourdies, figées constamment : cicatrices béantes qui souffrent quand elles tentent de se craqueler en une simple esquisse. I forgot how to smile, qu'il se panique, parfois, quand il se regarde dans le miroir : quand la vision de sa propre carcasse vide s'impose à lui avec la même violence qu'un typhon.
Didn't think I'd be saved one day. Ce sont les mots qu'il a lâché à Elliott, quand ce-dernier l'a finalement retrouvé - blessé, en larmes, et au bord d'une falaise. We were looking for you, the whole time, c'est ce qu'il lui a répondu, lors de leur échange, et essayant de le rassurer, de le convaincre de le suivre. La sensation de valoir quelque chose, d'être recherché - ça l'a dérangé, mais dans le bon sens. Peut-être parce que c'était la première fois qu'on lui adressait ces mots. Ou que c'était la première fois qu'il se sentait réellement en sécurité, après des jours et des jours passés à errer dans diverses forêts dont il ne connaissait pas le nom : comme un lièvre poursuivit par une horde de loups affamés.

Rejoindre les Avengers, ça a avant tout été réapprendre à vivre avec d'autres gens. En communauté (un peu bancale, certes). Communiquer. Se rendre utile. Ne pas se méfier. S'ouvrir, un peu (mais pas trop). Toutes ces informations, nouvelles pour lui, ont été dures à assimiler - et plusieurs fois, il s'est effondré sur son pauvre lit de camp de fortune, vidé et à bout. Il a passé des journées sans pouvoir en bouger, aussi - car cette part de lui, il arrivera très certainement jamais à s'en défaire. Cette moitié aquatique, ces cinquante pour-cent de sel de mer qui le rongent et l'appellent, lui chantent inlassablement dans les oreilles qu'il est pas à sa place et qu'il le sera jamais. Ils l'ont vue, la pire partie de lui.
Ces jours où il avait même pas le force de quitter le lit (d'ouvrir la bouche pour parler). Ces larmes silencieuses qui coulaient sur ses joues, sans qu'il puisse parvenir à mettre de mots dessus (parce que personne pourra jamais réellement le comprendre, à part un autre selkie). Ces repas qui avaient le goût de cendre sous sa langue engourdie. Ces fois où il était même pas capable de se rappeler de sa couleur préférée, ou de la voix de sa mère (où ses propres souvenirs semblaient se désintégrer au fur et à mesure qu'il leur courait désespérément après). Il les connaît par cœur, ces symptômes (parce qu'ils reviennent tout le temps). Ils le bouffent, le rongent jusqu'à la moelle et recrachent le peu de sentiments positifs qu'il peut ressentir, parfois, pour ne laisser que la tristesse maladive et la fatigue, la lassitude.

Et l'envie de se balancer à la mer comme un chiffon.
De se laisser happer par l'écume pour toujours.

Ils lui ont donné l'impression de valoir la peine. D'exister. Elliott. Anthony. Sohan. Est-ce que ça a été assez ? Il le sait pas encore. Il le saura sûrement jamais réellement, pour être honnête (sa vie, son énergie, ne sont que des éternels cycles lunaires qui le torturent). Et pourtant, le voilà aujourd'hui : encore debout pour ses vingt-sept ans. Alexis est là, aussi, elle le lâche pas, et il se prend à penser parfois qu'elle est une sorte d'ange gardien qui garde un oeil sur lui. Silly, isn't it ? C'est le genre de chose que maman aurait dit (et papa aurait sûrement grogné, en lui disant de ne pas raconter d'âneries parce que les anges n'existent pas). Ce à quoi elle aurait répondu que les sorciers existent bien, pourtant. Haneul Lee a toujours eu du répondant face à son ours de mari.
Il est avec l'ordre maintenant. Quand il a enfin mis les pieds au camp de Sweet River, accompagné d'Alexis, il a pas pu s'empêcher de penser ça y est. Mais est-ce que c'est réellement fini ? Pas si sûr. Il a fallu tout recommencer à zéro, quand il a quitté le campement des avengers après un mois passé à y prendre ses marques. Se réhabituer à de nouvelles personnes. A se gérer. Reprendre un nouveau rythme, une nouvelle organisation. Ignorer cette petite voix dans sa tête, celle qui lui hurle tout le temps qu'il est qu'un poids mort. Y a quelque chose qui a changé, chez Conan, en quelques mois passés à Sweet River. Maybe the mood has grown onto him. Il essaye de son mieux, le selkie. Et le voilà, aujourd'hui. Arborant trois cercles au poignet, depuis à peine une semaine.

L'envie de tout changer.
De retourner le monde.