TW : crude language, homophobic slur

Il est bien connu chez les Wang que Bao n’est pas la plus encline à lancer une conversation de la fratrie. Avare de ses mots, elle délie principalement sa langue pour aboyer furieusement ou exprimer sa frustration. Elle a toujours regardé ses frères avec une forme d’admiration - et Zhang plus encore -, pour leur faculté à s’exprimer avec aisance, les mots filant naturellement entre leurs lèvres sans devoir provoquer le moindre effort, capables de tenir une conversation sans perdre patience ou se noyer sous les paroles de leurs interlocuteurs. La diplomatie, la parlote, la communication, ne sont pas des qualités qu’on lui connaît, ni qu’on a jugé nécessaire de lui inculquer. Les éclats de cette capacité atrophiée à poser des mots sur ce qui la traverse ressurgissent parfois, sous le coup d’une curiosité naïve, d’un besoin de guidance, d’une frustration déstabilisante plus que colérique - car comme les autres, malgré ce qu’on a fait d’elle, Bao se retrouve étouffée par son manque de compréhension. Comme en cet instant, où elle emprunte une pente glissante en prenant la peine de questionner son frère, plus humaine que jamais. "C'est Chen qui m'a nommé tout seul comme un grand. − Ouais ok.” Bao attrape du coin de l’oeil le sourire ironique de son frère, presque rassurée qu’il ne cherche pas à lui mentir - lui aussi. Ils savent très bien tous les deux qu’il s’est battu auprès de Chen pour obtenir cette place ; tout comme Zhang sait pertinemment que sa petite soeur a activement plaidé en sa faveur pour qu’il puisse occuper ce rôle qui lui revenait. Le chien de garde roule des yeux en étirant faiblement ses lèvres, lui rendant son sourire dans une expression complice qui réchauffe ses pensées - ne serait-ce que de pouvoir être là, aux côtés de ce frère adulé, à écouter ses conneries qui la font soupirer autant qu’elles lui offrent un sentiment de familiarité et de confort.

"Sérieusement, imagine le clan avec Sen ou Mengwu, en numéro deux." Tournant plus franchement la tête pour attraper son regard, Bao se laisse captiver par le tableau qu’il peint sous ses yeux attentifs. "Avec Sen, la paperasse est en ordre, tout le monde dans les rangs et personne ne déconne, résultat : on blanchit toute notre thune et on devient de bons petits citoyens avant le Nouvel An. Avec Mengwu... P'tite bite, charisme de moule, résultat : on s'fait chier et on patauge." Si elle lui répond simplement d’une expiration nasale amusée, Bao n’en est pas moins d’accord sur toute la ligne. Pas besoin de l’exprimer autrement qu’en hochant la tête : ni Mengwu, ni Sen, ne seraient à la hauteur pour occuper la place de numéro deux. Il n’y a que Zhang, avec son charisme, ses impulsions, son talent au corps à corps, son Qi, sa nature de leader, qui est capable de se hisser à cette position. Il représente tout ce que Bao, enfant, rêvait d’être - Wei, de fait, a eu d’autres plans pour elle -, tout ce qu’elle admire encore avec une loyauté et une dévotion à l’épreuve des balles. Et c’est certainement ce qui la torture le plus, dans l’absence de son frère et dans son désintérêt soudain pour ces responsabilités qui ne pourraient revenir à personne d’autre.

"Faut quelqu'un qui ait des couilles, pour botter le cul de Chen. C'est un suiveur, pas un chef de file." Cette simple phrase réussit à lui faire serrer la mâchoire. La colère a beau être redescendue, son affrontement apaisant avec son frère n’a pas fait disparaître le goût amer de voir Chen prendre la place de leur père sans même lui arriver à la cheville. Personne, n’avait le droit de s’asseoir sur cette chaise, et voir leur aîné le faire avec si peu de maîtrise est d’autant plus frustrant. “Chen, putain...”, soupire-t-elle entre ses dents, passant un bras derrière sa tête pour mieux s’installer contre le dossier du canapé - non sans une douleur remontant de ses côtes jusqu’à son épaule. Bao n’est pas de ces personnes cherchant des solutions, mais elle est capable d’identifier des problèmes. Chen, de fait, en est un. "Et puis, j'pense que je le mérite." La tête renversée en arrière contre son bras, elle pivote légèrement la tête pour observer son frère. Bien sûr, qu’il le mérite. C’est une évidence, et Bao n’en a jamais douté un seul instant.

"J'aurais jamais pu avoir le club, sans être numéro deux, cette connasse de Sen m'aurait pas laissé faire." A la mention de l’Opaleye, les sourcils de l’animal se froncent légèrement - quoi ? Elle le suivait, jusqu’ici, d’accord sur ce qu’avançait Zhang - son mérite, sa capacité à pouvoir assumer le poste de numéro deux. Mais le club ? Que sa fumerie-de nuit de merde rentre dans l’équation lui hérisse le poil ; elle représente cette frontière opaque entre elle et son frère, tout ce qu’elle ne saura jamais saisir et caresser du doigt, une disconance incommodante et inconfortable qui lui a arraché Zhang. Aveuglé par les projecteurs et l’argent, il ne semble plus percevoir sa famille dans la foule qui s’amasse sur le dancefloor ou dans les opium den à l’arrière du club. Naïvement, Bao a cru que lui aboyer au visage et lui taper dessus suffirait à lui faire oublier son incompréhensible obsession pour l’Opaleye. "C'est que le début. Y'a trop de clubs merdiques, à Londres, qui méritent un bon ravalement de façade, et gagneraient à se prendre deux-trois paquets d'opium dans le cul. T'imagines ? Toute une chaîne de fumeries Wang, à la gueule de la scène nocturne anglaise. La putain de belle vie. On va saouler et enfumer tout Londres, en coulisse, et ça sera pas grâce à Chen. − Mais de quoi tu parles ?”

Bao s’est redressée dans une grimace en l’écoutant vendre son rêve de bon petit businessman bien rangé ; une lueur mauvaise dans le regard, elle le détaille de la tête aux pieds avec une expression aussi dégoûtée que confuse. What the fuck ? “Une chaîne de fumeries Wang ? C’est ça tes grands projets pour le Clan ? T’es quoi, une pédale d’entrepreneur maintenant ?” Elle l’imagine déjà, en costard, petite mallette à la main, propre sur lui, comme ceux en couverture des magazines que laissent traîner Chen dans le salon de l’appartement familial. Elle le voit, loin de leur réalité, celle qu’ils ont toujours partagée et qu’il ne semble même plus considérer dans son grand projet de soumission des clubs londoniens. “File moi ton bâton quand tu seras une fiotte en cravate qui saura plus s’taper, putain.” Bao est venue le chercher ; et s’il le faut, elle plantera ses crocs dans sa nuque pour le traîner jusqu’à chez eux, à la seule force de sa mâchoire. Parce que Zhang n’est pas la fiotte qu’il rêve de devenir - et elle ne sait malheureusement pas exprimer ce fait autrement qu’en le regardant à nouveau de haut en bas en plissant les yeux d’un air désapprobateur. “Red Pole mon cul. Putain, ça suce des bites de directeurs de clubs au lieu d’enfoncer le respect du Clan dans la gueule des connards qui essayent de nous enculer. Mais qu’est-ce que tu branles Zhang ? Notre place elle est dans la rue, pas dans un bureau”, siffle-t-elle douloureusement en ouvrant le bras pour désigner la pièce saccagée, secouant la tête, cherchant à le ramener à la raison - à la maison -, avec ce qu’elle maîtrise le moins : les mots.

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« Mais de quoi tu parles ? » Le sourire de Martin perdit légèrement de son éclat, teinté par le froncement de sourcils provoqué par l'incompréhension de sa soeur. Bao avait du mal à saisir, parfois, les sujets de discussion s'éloignant trop de ses sujets favoris : la baston, la fidélité au clan, les petites blondes ressemblant à Carrie. Sa petite sœur n'avait jamais su parler affaires, et se contentait de faits abrupts, concis, déclenchant les rires moqueurs de ses frères quand elle ne comprenait pas leurs plaisanteries. C'était devenu un jeu, avec le temps, et lui et Quon s'y donnaient à cœur joie, une fois lancés à faire tourner Bao en bourrique – la voir aboyer sa frustration était un régal, et ils avaient fini de nombreuses soirées à la maison à se rouler par terre aux dépens de Bao. « Une chaîne de fumeries Wang ? C’est ça tes grands projets pour le Clan ? T’es quoi, une pédale d’entrepreneur maintenant ? » Un rire trop aigu franchit les lèvres de Zhang, transperçant l'air à l'insulte qui était entre eux monnaie courante. C'était un classique, chez elle, et il ne prenait que rarement de travers les grossièretés virulentes de sa cadette ; car c'était tout ce qu'elle était, sa cadette, une gamine qui ne comprenait rien à ses plans de conquête. « File moi ton bâton quand tu seras une fiotte en cravate qui saura plus s’taper, putain. » « T'es exactement en train de décrire Chen, bordel », s'esclaffa-t-il devant la colère brusque de sa petite sœur – une hilarité qui se teintait, au fil des mots de cette dernière, d'une nuance moins sincère, se résorbant sous sa réaction contraire à ce qu'il avait pu espérer d'elle. Qu'elle trouve ses plans brillants, géniaux, lui apporte son soutien infaillible, même si elle ne comprenait pas la moitié de ce qu'il racontait, comme elle seule savait si bien le faire.

Bao néanmoins n'en avait pas fini, enfoncée dans sa mauvaise humeur, un mur face à la bonne humeur affichée de son frère. « Red Pole mon cul. Putain, ça suce des bites de directeurs de clubs au lieu d’enfoncer le respect du Clan dans la gueule des connards qui essayent de nous enculer. Mais qu’est-ce que tu branles Zhang ? Notre place elle est dans la rue, pas dans un bureau. » Martin la détailla du regard, mâchonnant un cure-dents invisible, constatant l'incompréhension criante – ou plus exactement son refus de comprendre l'évidence qui s'étalait à ses yeux. « Je crois que tu piges pas le délire, Bao, commença-t-il en gardant un ourlet de sourire aux lèvres – son regard, rivé dans celui de sa soeur, était néanmoins dénué de trace de complicité fraternelle. « ça a la gueule d'un bureau de tapette à costard, ça ? » Il lui indiqua le fauteuil et la table renversés, le capharnaüm de nourriture à moitié entamée, d'objets de décoration éclatés au sol, d'encre coulant sur le tapis de son bureau ; l'autre côté d'un miroir qui laissait entrevoir l'affiliation mafieuse de l'Opaleye. Dès les origines du club, Martin ne l'avait caché qu'à moitié, jouissant du passe-droit des Wang – même en ordre, l'endroit respirait l'association. « Ça là, c'est aussi le business des Wang. Tu crois que le respect, ça s'enfonce dans la gueule que dans la rue ? Faut voir plus grand, petite sœur, laisse les grands gérer les bails. » Il avait reporté son attention sur elle, et alla donner une claque sur la nuque meurtrie de Bao. « J'oublie pas qui j'suis, merdeuse, et tu ferais bien de faire pareil en causant meilleur à ton N2, hmm ? » fit-il en refermant ses doigts sur sa nuque, un pincement aux airs d'étau, comme pour lui rappeler qu'il pouvait, s'il le souhaitait, la lui briser en quelques secondes.

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Si les yeux de Bao sont des dagues acérées, ceux de Zhang sont de solides et létales lances qu’il plante violemment dans les siens ; l’impact lui fait ravaler la suite de ses paroles empreintes de frustration, les lèvres résolument scellées face au regard assassin et froid que lui adresse son frère - ou plutôt son boss, quand il la dévisage ainsi, un sourire léger aux lèvres. Rien qu’avec ses pupilles, il est capable de lui rappeler les spécificités de leur famille soudée par un lien bien supérieur à celui du sang : celui de l’appartenance au Clan. Et face à Zhang, Bao n’est pas qu’une petite soeur, elle est avant tout le chien dressé pour écouter ses aînés et fermer sa gueule quand il lui prend l’envie de trop l’ouvrir. Alors elle la garde close, son regard assassin soutenant celui de son frère, une éclaircie de rébellion toujours présente dans son mutisme.

"Je crois que tu piges pas le délire, Bao. Ça a la gueule d'un bureau de tapette à costard, ça ?" Bao quitte les yeux de Zhang pour suivre ce qu’il lui désigne en ouvrant la main - les meubles renversés par leur lutte hargneuse, les quelques cadres clinquants ornant les murs sombres du bureau. Peut-être, peut-être que la pièce d’où son aîné règne en maître sur l’Opaleye n’a pas l’allure d’un bureau classique - qu’est-ce qu’elle en sait, elle n’en a jamais réellement vu. Mais si elle n’était pas venue y mettre un peu de désordre, certainement qu’une cravate serait magiquement apparue autour du col de Zhang pour souligner sa position de petit businessman en herbe qu’il semble s’évertuer à devenir. Ça ne veut rien dire, rien du tout, et Bao tourne à nouveau le visage vers son frère, les sourcils froncés, un air visiblement consterné sur les traits. Impossible qu’il s’entende parler, pour dire des conneries pareilles. "Ça là, c'est aussi le business des Wang. Tu crois que le respect, ça s'enfonce dans la gueule que dans la rue ? Faut voir plus grand, petite sœur, laisse les grands gérer les bails." Évidemment, que les Wang ont toujours baigné dans des activités qui dépassent l’étendue de sa compréhension, et Bao ne s’y est jamais vraiment intéressée ; cela ne la regarde pas, après tout, ce n’est pas ce qui est attendu d’elle, et elle se complait dans cette ignorance apaisante. Des affaires qui ont toujours été bonnes pour des Chen, des Sen, des Mengwu, à la limite des Quon… Mais que Bao n’arrive (refuse) à associer à Zhang.

Parce que Bao aimerait que rien n’ait changé, que la place de chacun soit restée la même suite à la mort de Wei - que Wei ne soit jamais mort. Et elle n’a pas envie d’entendre que c’est aussi cela, d’être N2 du Clan, et que c’est cela qui est attendu de Zhang. Bao n’a pas envie d’entendre quoi que ce soit, ou de comprendre, elle a envie que tout redevienne comme avant, elle a envie- “Hey!” La tape sèche sur sa nuque la ramène aussitôt au regard de Zhang, une réalité confuse et dissonante où Bao ne sait où se positionner. "J'oublie pas qui j'suis, merdeuse, et tu ferais bien de faire pareil en causant meilleur à ton N2, hmm ?" Naturellement, le chien de garde courbe l’échine dans un grognement lorsque son frère referme ses doigts sur sa nuque, une pression éloquente qui la ramène sans aucun mal à ce que les yeux de ce dernier exprimaient déjà. Bao n’a pas son mot à dire, elle ne l’aura jamais, et Zhang le lui enfonce dans la peau et y imprimant l’extrémité de ses doigts.

La morsure de la paume de son frère sera toujours plus puissante que ses aboiements, aussi elle ravale à nouveau sa langue, y plantant légèrement ses dents pour contenir sa frustration et son manque évident de solutions. “Si tu l’dis”, grogne-t-elle finalement, le regard rivé vers le sol lorsqu’elle se dégage de l’étau refermé sur sa nuque d’un mouvement de la tête. Ses doigts agrippent un instant le rebord du canapé, une prise désespérée sur l’univers de Zhang dont elle ne parvient à saisir l’essence. Peut-être que les choses sont ainsi désormais, et qu’elle ne peut rien y faire - que la colère ne quittera jamais sa chair, et qu’elle devra apprendre à vivre avec, comme elle a appris progressivement à vivre avec tout le reste. Alors Bao se lève difficilement, la mâchoire serrée en accusant la douleur lancinante dans ses côtes, avant de s’essuyer une nouvelle fois son menton ensanglanté et de se tourner vers Zhang. “Juste… Urgh.” Parce qu’il n’y a rien d’autre à ajouter - Bao transplane devant l’Opaleye, une brûlure dans la gorge qu’elle chasse en se mettant à courir en direction de l’appartement familial, où personne ne l’attend.