Février 2007. Deux lettres posées devant elle. La première missive, reçue la semaine précédente, l’avait surprise, il fallait bien qu’elle le reconnaisse. Pas qu’elle ne s’attendait pas à avoir de ses nouvelles, après ces quelques siècles passés à distance, mais plutôt parce que les mots contenus lui avaient fait pincer les lèvres en une moue agacée. La guigne frappait au pire moment, ombre au tableau qui malheureusement s’associait mal avec la situation présente. Elle avait eu le temps d’y réfléchir, de choisir de l’oublier, de n’en rien faire. Mais maintenant, il y en avait une seconde, qui mise en regard changeait la donne. Repliant la première lettre et la glissant entre son corset et son sein, elle congédia d’un signe de la main le hibou qui attendait pour rapporter une éventuelle réponse à la seconde.
Elle allait devoir sortir, alors que les lois le défendaient aux hybrides depuis maintenant un mois. C’était bien sa veine. Dans un sens, de toute façon, loin du cœur du pays puisqu’elle vivait dans son vieux manoir écossais, elle n’avait pas besoin de marcher dehors, il lui suffisait de transplaner. Mais Merlin, elle espérait que personne n’avait eu l’idée stupide de guetter les déplacements des hybrides à travers leur glyphe. Ç’aurait été très subtile : les humains n’en étaient fort heureusement pas capables, enfin c’était ce qu’elle pensait. L’heure était tardive, exactement dans le créneau du couvre-feu qu’elle ne devait pas briser. Avec un peu de chances, il était à son bureau, au Ministère. Ça rajoutait un peu de piquant à cette visite inopinée, pour sûr, mais elle saurait baratiner s’il le fallait. Ou faire disparaître l’éventuel gêneur…

S’observant dans la glace tâchée par le temps, elle se mit de profil, puis de trois-quarts, avant de regarder comment sa tenue près du corps la moulait de partout. Ça manquait probablement de bienséance, voire de sobriété, mais ce n’était pas le moment d’être timide. Considérant que ça serait adéquat, elle se rendit jusqu’à la grande cheminée du salon, et les autres Graymalkin qui étaient en train de lire dans les sofas purent l’entendre annoncer très distinctement en lançant la poudre de Cheminette : Ministry of Magic. Quant à savoir pourquoi elle s’y rendait à une heure prohibée, ça ne les regardait pas, pas vraiment.

Une fois dans le hall principal, il s’agissait de rester prudente. Portant à ses lèvres une fine flasque en métal, la vampire en avala une gorgée et, ce faisant, ses pupilles s’élargirent davantage et ses sens, déjà plus pointus que ceux des sorciers normaux, lui donnèrent un avantage certain sur des agents du Ministère qu’elle aurait pu croiser. Elle sentait les vibrations de l’air, les odeurs corporelles, les pas lourds comme légers. Ce faisant, il était désormais aisé de traverser le Ministère et les couloirs où zonaient encore quelques humains, notamment des agents d’entretien au cerveau retourné, sans croiser personne qui aurait pu la dénoncer. Après tout, son triangle rouge inversé indiquait de loin qu’elle n’était pas censée être là, à moins d’avoir une dérogation spéciale. Le trajet jusqu’au département de la coopération magique ne fut finalement pas si long, ni autant semé d’embûches qu’elle aurait pu le croire, mais il fallut bien lancer un Obliviate à un né-moldu qui avait levé le regard vers elle, se désintéressant un instant du tapis qu’il brossait soigneusement. Sombre crétin.

Arrivant enfin à bon port, elle entra sans s’annoncer et referma la porte derrière elle. Une fois le verrou tourné, elle se tourna vers l’occupant du bureau, dont la chevelure telle une crinière lui donnait toujours envie de s’y agripper sans aucune douceur. Un sourire mutin sur les lippes, elle glissa sa baguette dans son emplacement habituel -la manche gauche- et replaça une boucle rousse hors de son champ de vision. Ce n’est qu’après un petit soupir d’aise, aux accents plus capiteux, qu’elle salua enfin le maître des lieux : « Bonsoir, Herr Von Bäume. J’espère que je ne vous dérange pas. » Mais quelle hypocrite faisait-elle, mains dans le dos, épaules en arrière, la poitrine mise en valeur par une telle posture. Même s’il osait qualifier sa présence d’importune, elle ne partirait pas de sitôt, surtout que c’était un peu de sa faute si elle bravait le couvre-feu. La lettre contre son sein la brûlait presque mais les mains toujours dans le dos, commençant à franchir lentement les mètres entre eux -si lentement, alors qu’elle aurait pu simplement bondir avec furtivité et le choper à la gorge-, elle se contenait et guettait de tous ses sens le moindre signe qui lui indiquerait de quoi Wolfram voulait parler : « Tu voulais me voir ? », hasardait-elle, laissant tomber le vous aussi rapidement qu’il était venu.

Février 2007. Elle l’observait avec ce rictus mutin qui était si constant sur ses lippes, une étincelle de curiosité au fond de ses prunelles, et des idées fort déplacées qui tournaient ponctuellement dans son esprit. Mais, avant pareilles réjouissances, il fallait qu’ils tirent au clair certains éléments, à commencer par la raison pour laquelle le directeur d’un département aussi prestigieux souhaitait s’entretenir avec une Hound dévaluée de la Values Brigade. Épaules tirées en arrière, le buste tendu vers le Mangemort, la vampire se rapprocha de lui lorsqu’il se dirigea vers son bar, pour appuyer l’épaule gauche contre le mur, déhanchée, bras désormais croisés devant sa panse à jamais stérile. Arquant le sourcil droit puisqu’il mentionnait sans rentrer dans les détails quelques projets, « Nous évoquions quelques projets avec un de mes collaborateurs et ... J'ai pensé à toi. -  Tiens donc… », commenta-t-elle sans en avoir l’air le moins du monde étonnée, puis en le suivant, calquant ses pas dans les siens avec un certain naturel, jusqu’à s’asseoir, une jambe croisée sur l’autre, dans le fauteuil qu’il lui désignait. C’est qu’il y avait un temps pour se soumettre, et un pour dominer, et un temps pour parler sérieusement des affaires graves qui pouvaient agiter le monde. Elle lui laissait donc le contrôle de la discussion, n’ayant toujours aucune idée de ce qu’il lui voulait, et le connaissant suffisamment pour se douter qu’il ne tarderait pas trop à entrer dans le vif du sujet. « Mais avant tout, je tiens à m'assurer que je m'adresse au bon interlocuteur. Le verre toujours au creux de sa paume, elle ne fit aucun geste pour en prendre une gorgée -l’alcool ne faisait aucun effet et n’avait plus aucun goût, malheureusement. Pour autant, elle ne semblait pas se sentir insultée par pareil geste typique d’un humain, et se contentant de hocher la tête de façon affirmative : Conçois qu'il puisse y avoir des subtilités dans votre hiérarchie qui m'échappent, mais ... En toute objectivité - et, entre nous - si l'ensemble des clans réunis sous l'égide de la Values Brigade devaient choisir une figure de proue, c'est vers toi qu'ils se tourneraient, n'est-ce pas ? »

Un rire s’échappa d’entre les lèvres de la rousse, dévoilant un instant ses canines : elle ne s’attendait pas à une question pareille, mais cette perspective, maintenant qu’elle y réfléchissait un instant, avait quelque chose de réjouissant. Claquant sa langue contre son palais, elle confirma l’hypothèse de l’Allemand : « Tout dépend de ce que tu entends par clans, mon cher. Si l’on ne parle que des vampires, j’ai une aura suffisamment imposante pour être le phare de mes confrères et consœurs, solitaires comme clans de moindre envergure. Et pour les éventuels récalcitrants, la force du nombre les soumettra. Pour ce qui est des lycans par contre, c’est une autre chose. » D’autant plus quand elle ratisse plus large que ses propres infants et s’en arroge d’autres, comme Bagshot par exemple… Elle s’installa plus confortablement dans son fauteuil, et passant la main dans ses longs cheveux de cuivre, elle dévoila sans une once de pudeur les deux trous à sa carotide, laissés par son Sire, depuis disparu. Jouant avec une mèche qu’elle entourait autour de son index avec nonchalance, elle inspecta un instant ses fourches avant de revenir au sorcier, pour l’encourager à continuer : « Qu’as-tu en tête, pour avoir besoin du soutien des hybrides ? » Un sourire carnassier étira ses lèvres, alors que ses pupilles s’agrandissaient légèrement et qu’elle sentait qu’il s’agissait d’un projet probablement dangereux et risqué… Elle enchaîna immédiatement, presque amusée : « Serait-il temps de soulever les opprimés ? » Un ricanement accompagne ces derniers mots, alors qu’elle n’y croit qu’à moitié. Toujours espiègle, Sienna se redressa pour ancrer ses prunelles dans celles de l’homme qui la surplombait : « Raconte-moi donc ce projet, que je voie si cela valait le coup de braver tous les interdits qu’on impose à ma race… »