La brise est fraîche. Elle caresse la nuque, fricote avec le cuir chevelu, s'étire le long des vertèbres, au même rythme que l'impérieux calme qui berce la cage thoracique. Tout autour, les conifères s'affranchissent de quelques bruissements d'épines. La brume, au-dessus des cimes, caresse l'atmosphère d'une ère presque trop silencieuse. Un apaisement temporaire s'épuise. Immobile au milieu de la clairière, Alma le sent et le ressent. Les paupières closes, elle profite de l'accalmie, tandis qu'un cri déchire les bois. Gracefield témoigne de la mort qu'il offre. Dans toute sa splendeur, Madame imagine un petit corps s'effriter sur le sol, crevant dans son propre sang. Et pas n'importe lequel... Quelques semaines auparavant, elle a aperçu le portrait déambuler entre les troncs. Là, au milieu des pins, Faye Moroz a fait son apparition. Comme un ange tombé des cieux pour attirer le Diable en personne. Quelle douce vengeance s'est étirée entre ses synapses depuis...

Elle a compté les jours. Elle a compté les heures. Elle a méticuleusement choisi les sortilèges qu'elle utiliserait pour la dépecer. Et sans doute aucun, Faye souffrirait. Frictionnant ses deux mains, Alma s'agite. Elle la traque depuis une heure, désormais. Elle n'est plus très loin. Elle a étudié ses allers-retours. Elle l'a attentivement observée pour mieux la berner. A quand son déjeuner ? Gargouillis dans les intestins. Impatience que de venger son épicentre. Course, à quelques mètres. Les feuillages se mettent à frissonner. A peine la silhouette a-t-elle franchi le périmètre que Madame ouvre les yeux. Plus impressionnante qu'autrefois, c'est de toute son envergure qu'elle délaisse la cape de fourrure qui protégeait ses doucereuses épaules, tandis que la baguette est, dans un mouvement partagé, sortie de son fourreau. « Te voilà, petite insolente. » Il n'y a plus une ombre d'humanité dans le regard qui se pose soudain dans le sien. Seulement la sentence irrévocable, accompagnée d'un sourire morbide.

Nulle fuite n'est tolérée. « Incarcerem. » Les liens s'ébrouent et crèvent l'air. Trépignant d'enserrer leur cible, ils s'abattent comme une guillotine. Et ça la fait rire, Alma, de toute sa malfaisance. Mais c'est avec lenteur qu'elle s'approche finalement de sa capture. Comme un prédateur observerait sa proie avec appétit avant de la dévorer, Alma exhibe, de toute sa hauteur, l'immense satisfaction qui dénature désormais ses traits. « Bonjour, joli coeur. J'imagine que tu te souviens de moi ? » Les cordages se muent et se remuent sur le futur cadavre. Et elle s'accroupit, Alma, à la hauteur du visage autrefois à sa place. Que de souvenirs ! Que d'amertume ! « Moi je me rappelle bien de toi... » Alors elle penche légèrement l'atlas, tout en biais, tout en calme et tout en finesse. « Ils ont péri, et de ma main, ceux qui m'ont emprisonnée autrefois. Tous... sauf toi. Imagine donc ma satisfaction lorsque je t'ai aperçue ici-même ! Et imagine la joie qui m'incombe lorsque j'entrevois tout ce que je vais te faire endurer, Faye... » Les doigts dessinent le contour des mâchoires. Elle s'en mord la lèvre. Jouissance éternelle. « Je vais te torturer, et me délecter de chaque petite bride de souffrance qui émanera de ton joli minois. » Et sans nul doute, elle le fera.

Le souffle court, les pupilles dilatées, accroupie au pied d’un arbre centenaire, tu essaies de reprendre une respiration apaisée, basse, sourde. La cloche a dû retentir depuis peut-être une heure ou plus, pas de montre à ton poignet pour vérifier. Trois coups clairs et métalliques, et le massacre était lancé pour la joie de ces salopards de sangs-purs partisans de l’horreur. C’était quoi, la troisième fois déjà que la même chose se produisait, depuis que tu avais choisi d’être envoyée à Gracefield, plutôt que de rester plus longtemps à perdre l’esprit à Azkaban. Vous n’étiez pas très nombreux dans le secteur étant donné que les réjouissances étaient très récentes sur cette île de malheur. Dans un sens, la plupart des gens ne faisaient pas de longs os, sans doute aussi parce qu’on ne vous voyait pas encore comme une denrée à choyer, propre à fidéliser les parieurs comme les chasseurs dans leur quête insatiable de souffrances d’autrui.

Bref, tout ça pour dire, tu avais couru et tu t’étais cachée mais tu commençais à avoir des fourmis dans les jambes, ankylosées à la fois par la position et par le froid qui les mordait, maintenant que tu avais déplacé d’un centimètre à peine ton pied droit. Ça remontait le long de ta jambe droite, te paralysant instantanément sous le coup de la douleur fulgurante, et tu savais que pour ne pas mourir bêtement sur place, il allait falloir te déplacer et trouver un autre espace pour t’arrêter et attendre que cette merde passe.
Facile à dire, moins facile à faire, surtout que, sans que tu ne t’en rendes compte, quelqu’un t’avait traquée avec précision et n’attendait qu’un mouvement de ta part hors de ta planque peu confortable pour te tomber dessus.

« Te voilà, petite insolente. » qu’on t’assène en se hissant de toute sa hauteur devant toi, dans un tombé de cape dramatique. Tu piles, bien sûr, surprise d’être cueillie alors que tu pensais pouvoir mettre les voiles. Mais avec ta jambe encore parcourue par les fourmis nerveuses, pas trop moyen d’appuyer dessus de force pour bondir, et les cordes qui se matérialisent brusquement autour de toi n’ont aucun mal à se refermer sur ton corps, bloquant tes bras contre ton buste, et t’abattant au sol avec violence. « Putain de merde ! », hurles-tu, car le sortilège n’a pas pour autant bloqué ta langue qui s’agite.
Tu n’as pas vraiment le temps d’avoir peur. Tu as surtout celui d’être furieuse de t’être fait avoir comme une débutante -que tu considères n’être déjà plus dans ces Battues, alors que tu fêtes à peine ton troisième mois ici. La silhouette qui se rapproche te dit quelque chose, mais quant à remettre une femme incarcérée il y a dix-sept ans, lors de ta première année au sein de la Brigade des Tireurs d’Elite de Baguette magique, autant dire qu’il ne faut pas espérer un miracle de ta part. Et bien sur, histoire de ne pas encourager cette femme dans sa folie des grandeurs, tu nies en bloc alors qu’elle suppose que tu te souviens d’elle : « Je sais pas qui t’es, connasse, alors dégage ! »
Bien sur, pas des masses menaçant de la part de la femme saucissonnée à terre, sans baguette, et sans capacité de défense quelconque. Te voilà obligée de subir le monologue bref de ta future tortionnaire, qui a l’air ravie de te retrouver et t’appelle même par ton petit nom que personne n’utilise vraiment ici. La proximité et le sadisme affiché de la dame font remonter en toi des bribes de souvenirs franchement lointains et encore flous et c’est un rictus hautain et provocateur qui étire tes lèvres alors que tu profites de l’occasion pour insulter copieusement cette charmante dame qui venait te faire un brin de causette -on se demande qui t’a élevée. « Oh, ma pauvre chérie, si tu savais le monde qui m’a promis un traitement pareil depuis le temps. Va falloir prendre un ticket et attendre ton tour. » Que tu railles avant de racler dans le fond de ta gorge tout ce que tu y as de glaire et de bave pour cracher allègrement à la gueule de la Mangemorte. Une chance, l’angle était bien choisi et tu ne te craches pas dessus avec la gravité, le glaviot atteignant ta cible (la joue de la dame). « Si tu crois que tu me fais peur, t’es qu’une pâle copie de l’autre folle de Lestrange ! Libère-moi un peu, qu’on voie un peu qui maîtrise qui ! »
Jamais t’apprendras à fermer ta gueule, sérieux, Rude. Mais il y a encore en toi le feu qui brûle et le refus de céder face à l’horreur incarnée. Après, quant à dire combien de temps cette fanfaronnade va te coûter ou te rapporter, faut pas non plus rêver...

Démon d'autrefois, qui se débat sous la force perverse de ce qui pourrait devenir ses linceuls, le corps de Faye déploit toute son énergie pour tenter d'échapper à son tombeau. Mais rien n'y fera. Alma y veille, au-dessus d'elle, et s'amuse quelque peu de la colère qui semble poindre. La bestiole est piégée, et comme toute bestiole emprisonnée, voilà qu'elle gronde et montre les crocs, cherchant à hérisser le poil pour mieux effrayer le chasseur qui vient porter le coup fatal. Mais voilà belle balafre qu'elle lui lance : point de souvenir de la Gorgone, non, seulement l'ignorance d'une petite sotte qui n'a pas appris ses leçons. Le coeur se déchirerait presque, Alma qui s'amourache tellement davantage de ceux qui connaissent son portrait. « Je suis Alma Salviati. Je veux que tu t'en souviennes. » Parce que c'est elle qui la tuerait. Parce que c'est elle qui la ferait souffrir milles fois avant de l'enterrer vivante. Elle veut le monopole de son sang, l'ultime écho de sa souffrance avant la déchéance morbide !

La condamnée exhibe sa rage. Et ça ferait presque rire Alma. Comme ils sont nombreux, ceux qui l'ont regardée de la sorte avant de périr sous sa main. Si bien que l'émotion coule sur son âme comme une encre insipide. Mais c'est un glaire qui vient s'échouer soudainement le long de la pommette. Et soudainement, le sourire s'éteint. Instantanément, la lumière s'éclipse, et ne reste plus que la noirceur des ténèbres. La colère enduit les organes comme du goudron brûlant. Finalement, les doigts serrent les mâchoires, les ongles s'enfoncent sous la chair, couvrant les cuticules d'un vernis-hémoglobine. Et l'autre paume efface l'irrespectueuse missive sur sa joue. « Je crois que dans ces circonstances, il va sans dire que j'ai pris la main sur mes concurrents. » Elle se met à rire. « Folle ? Bien sûr qu'elle l'était. Et bien sûr que je le suis. » Alma, sans douceur, balafre d'un coup sec la jolie joue plus si rose de Faye. Elle doute qu'elle en gardera la cicatrice. Et quel dommage ! Reprenant de la hauteur, elle gronderait presque. Un orage, au loin, fait resplendir toute la suprématie dont elle fait preuve. « J'aimerais tant le partager avec toi... Si seulement tu n'avais pas choisi de quitter Azkaban en pleurnichant dès la première année... Pauvre petite, si fragile... » Le drame, si bien articulé dans le ton qu'elle emploie, se pavane d'un somptueux air théâtral. « Si faible. »

Alors, il est possible qu’elle ait fait une connerie, toute à sa rage et à son envie de cracher au monde sa fureur, sous forme liquide et baveuse. Toute à son blasphème, Faye souille la mémoire de Bellatrix Lestrange au nez de celle qu’il ne fallait vraisemblablement pas titiller sur ce sujet. 
Oups.
Mais n’espérez pas qu’elle lâchera des excuses, plutôt du style à affirmer qu’elle préfèrera crever que de revenir sur ce qu’elle a dit.

Le problème, c’est qu’en face (ou plutôt, au dessus) le portrait s’est fermé et que le sourire presque cajoleur de la Terrible menace a laissé place à une toute autre mine. La Mangemorte veut désormais rabattre le caquet de la péronnelle qui a cru bon de lui cracher littéralement à la face, et les ongles aiguisés tels des serres acérées s’enfoncent dans les joues déjà creusées de l’ancienne Tireuse d’Elite. Il y a de fortes chances pour qu’elle soit dans la merde, là. Elle sent ses joues s’humidifier et il n’y a pas besoin d’être un génie d’Auror pour savoir que c’est son sang qui perle le long de ses joues. Superbe. Juste ce qu’il fallait alors qu’il y a quelques vampires dans Gracefield. Elle voudrait soupirer lorsque Dame Salviati commence à se révéler aussi tarée que la Lestrange l’était, mais l’heure n’est plus vraiment aux impertinences. Il faudrait qu’elle trouve un moyen de se barrer de l’emprise de la Mangemorte là, mais ça n’a pas l’air réalisable pour le moment.
Une morsure froide lui indique qu’on lui a éraflé davantage le visage et ça commence à bien faire, pour la Tireuse d’Élite, surtout que celle qui est en position de force -et qui triche, cela va sans dire- a décidé de l’humilier, de la traiter de faible.
Pour une femme qui a tout perdu dans cette guerre, qui s’en veut de n’avoir pas pu intervenir alors que des partisans de Voldemort tuaient l’intégralité de la famille de sa sœur, qui n’a pas pu sauver son père, et qui a préféré affronter l’inconnu de Gracefield plutôt que les fantômes qui la hantaient à Azkaban, autant dire que s’entendre dire par quelqu’un qu’on méprise qu’on est faible a de quoi donner un regain d’énergie presque irréelle.

Alors c’est en hurlant de rage (un cri sans sens précis) que Faye réussit à s’extirper de sous Alma, et surtout à l’éjecter de cette position dans laquelle elle la surplombait. Et plutôt que de s’enfuir -ce qui serait totalement inutile- elle lui saute à la gorge, histoire de tenter de lui coller un coup à la glotte pour la faire taire, faisant en sorte de tendre le bras pour essayer d’attraper la baguette de la Cruelle.