C’aurait été mentir effrontément que de prétendre que tout se déroulait comme prévu. Tu avais beau avoir passé une multitude de scénarii en revue quant au déroulement de ton premier jour au Ministère, aucun d’eux n’avait pris en compte les évènements qui s’étaient déroulés depuis que tu avais foulé le sol de l’atrium. Aucun visage familier n’était venu t’accueillir en bonne et due forme. Pas de Rabastan, ni de Travers ou de Dolohov à l’horizon. Seul un brigadier blafard et à la langue un peu trop bien pendue s’était donné la peine de t’accoster. Et voilà que maintenant, tu étais pris au piège en sa compagnie, que tu ne jugeais pas tout à fait agréable. Puisqu’il fallait bien faire passer le temps avant que les secours ne viennent vous tirer de là, tu fis mine de t’intéresser un peu plus à ton vis-à-vis. « Déjà cinq ans que t’es à la brigade ? Ils ont dû te recruter dès ta sortie de Poudlard alors ! » Tu le jaugeais d’un air perplexe, te demandant quel âge ce petit pouvait bien avoir. Si sa grande taille était quelque peu impressionnante, son visage conservait encore des traits enfantins, qui te laissaient penser qu’il n’avait pas encore atteint la trentaine. « En tout cas, je suis curieux de voir ce que l’on dit de toi. Je ne manquerai pas de me renseigner, sois-en sûr. Et j’espère que l’on me fera un résumé tout aussi détaillé que celui que tu m’as livré à propos de la moitié du Ministère. » Ton visage affichait alors un sourire à mi-chemin entre l’amusement et le mépris que tu semblais porter à l’encontre de Bagshot. Mais alors que tu te perdais dans l’observation de son visage et finissais par remarquer le pansement qu’il avait sur la joue, ta curiosité s’éveilla à nouveau. Et la réponse que Boris te livra était certainement le mensonge le plus grotesque que tu aies entendu depuis près de deux décennies. Plissant les yeux, l’air circonspect, tu plongeas ton regard dans le sien tout en gardant le silence pendant quelques secondes. L’ambiance était pesante, la tension parfaitement palpable. Et l’espace d’un instant, tu te sentis à nouveau plongé dans ton élément, dans celui-là même où tu étais le prédateur imprévisible face à sa proie. Le temps qui paraissait s’être stoppé alors que tu t’étais enfermé dans ton mutisme, reprit alors son cours quand tu finis enfin par éclater d’un rire grave, qui n’avait rien de joyeux. Si Boris ne le savait pas encore, il allait pourtant vite comprendre que tu l’avais enfin démasqué. « Tu devrais peut-être changer de service si tes collègues se baladent avec des trucs auxquels tu es allergique. A moins que l’on ne veuille pas de toi ailleurs... » Alors que tu t’apprêtais à faire un pas en avant, un bruit sourd retentit et l’immonde petite tête d’un elfe de maison apparait alors au plafond. En un petit couinement, la créature atterrit sur le sol et vous salue d’une révérence, avant de se diriger vers le tableau des commandes de l’ascenseur. Alors que l’elfe s’affaire à vous tirer du pétrin le plus rapidement possible, ton regard demeure fixé sur la joue de Bagshot. Tu n’arrives pas à croire qu’il ait pu te berner aussi aisément. Tu n’avais rien vu venir, trop enorgueilli par le fait que quelqu’un s’intéresse à toi et tes récits d’une gloire d’un autre temps. L’heure était venue de redevenir le Rodolphus Lestrange qui avait un jour fait la fierté de la famille. La colère monte, elle s’immisce dans tes veines tel un poison sans antidote, elle gronde et ne demande qu’à sortir. Ta main se glisse lentement dans ta poche, tes doigts s’enroulent autour de la baguette magique de ton père. L’elfe referme le tableau de bord et en un sursaut qui vous donne l’impression de tomber brutalement, l’ascenseur se remet en marche vers sa destination finale. Tu profites de cette brève agitation pour extirper ta baguette. « Avada Kedavra ! » L’ascenseur se retrouve baigné d’une lumière verte qui vous aveugle l’espace de quelques secondes, puis le corps de la petite créature s’effondre en un bruit sourd. Tu bondis ensuite sur Bagshot et arrache son pansement d’un geste sec, libérant ainsi sa marque. « Seul un hybride panserait ses blessures à la manière d’un moldu. Ne t’avise plus jamais de te jouer de moi, sinon tu connaitras le même sort que cet elfe. » L’ascenseur s’arrête et la sonnette retentit, il semblerait que tu sois arrivé à ton étage. Tu ranges ta baguette dans ta poche, et passes la porte. Puis, tu t’arrêtes sur le seuil et te tournes une nouvelle fois vers l’hybride. « N’oublie pas de nettoyer tout ça avant de partir. » La tête haute, tu t’engouffres dans le couloir et t’apprêtes à prendre tes nouvelles fonctions.

Oh, il pourra se renseigner autant qu’il veut, il ne pourra jamais faire le tri sur toutes les sottises qui se disent sur toi. C’est que tu ne démens jamais rien, alors à ce stade, tu n’avais plus grand-chose à perdre. Et puis, ça n’est pas comme si tu étais destiné à recroiser sa route de sitôt, surtout si, parmi ces sottises, figurait la vérité sur la pureté de ton sang maudit. « Oh, vous n’allez pas être déçu ! » Tu pries pour que Kalen t’ait envoyé en mission longue, le jour où Rodolphus Lestrange apprendrait qu’un vampire lui avait fait la visite, à son premier jour au Ministère. « C’est trop d’honneur que vous me faites, là » que tu minaudes, poussant le vice jusque là, peut-être quand même un tout petit peu ravi, dans le fond, qu’il admette devoir en apprendre davantage sur toi. Un développement personnel remarquable, pour un Mangemort qui, quelques heures auparavant, ne se serait jamais encombré d’une information sur le petit personnel. Il apprenait vite, le bougre ; dans une semaine, on le retrouvait à la tête du Ministère...

Ceci dit, la suite s’enchaîne alors un peu trop rapidement à ton goût. Dans un premier temps, disons que tu pensais ton récit suffisamment tiré par les cheveux pour qu’on ne le soupçonne pas d’être un tissu de conneries. Sauf qu’à ce stade, Rodolphus ne te connait pas assez, et doit tout simplement croire que tu mens très mal.
De fait, ça s’envenime ; le regard de Rodolphus change du tout au tout, de manière si prompte que tu ne comprends pas tout de suite que ta couverture est grillée. Il a un mouvement suspect dans sa poche, que tu reconnaîtrais entre mille pour avoir dû désarmer des tas de rebelles qui pensaient pouvoir dégainer plus rapidement qu’un vampire sous sang de harpie. Malheureusement pour toi, tu ne réalises que trop tard le pétrin dans lequel tu t’es fourré. Ta respiration bondit, tes yeux s’écarquillent tandis qu’un éclair vert zèbre dans l’ascenseur. Tu te colles au mur, comme si ça aurait pu changer quoi que ce soit, si Rodolphus avait décidé de te viser.
Une chose est sûre ; le jour où tu devrais mourir pour de bon, tu ne pensais pas voir ce genre d’images défiler devant tes yeux. Il y avait définitivement des choses que tu avais à régler et des traits à tirer sur certaines personnes…

Sauf que le corps qui tombe n’est pas le tien. Tu rouvres un oeil pour constater que, non seulement l’elfe de maison est effondré par terre, mais aussi que Rodolphus est sur toi et arrache d’un coup sec ta compresse. Ah ok, c’était donc bien ça. Tu te maudis, un peu, d’avoir joué ce rôle grotesque, espérant le bluffer jusqu'au bout. Mais ces reproches ne sont rien face à ceux que tu lui adresses, muets, au travers de ton regard transparent. Comment osait-il te menacer ainsi ? Il venait à peine d’arriver qu’il avait déjà tué sur un coup de tête un elfe de maison. Tu n’investirais pas à long terme sur sa carrière au Ministère, et lui filerais volontiers un petit coup de pouce vers la porte de sortie.
Comme un éclair, tu as songé à le mordre, avant que le souvenir encore tiède de l’impardonnable ne se rappelle dans le bleu délavé de tes mirettes. Quel taré. Rabastan Lestrange allait devoir redoubler de pirouettes pour sauver le cul de son frangin, s’il voulait le faire rester. Attendez un peu que les Archives en entendent parler. On ne donnait malheureusement pas cher de la survie d’un vampire dans les engrenages du gouvernement, mais à ce rythme, un dérapage était à prévoir avec l’un de ses semblables...

Bon, tu te projettes sûrement un peu trop, du fait du choc que tu viens de subir. Tu ne pourrais sans doute pas le faire bouger d’un centimètre de sa confortable place. Cependant, tu avais suffisamment de venin à cracher pour entacher sa réputation, de manière crédible ou pas. Tu avais appris avec le temps que, peu importe si c’était des balivernes ou dérangeantes vérités, ça n’était jamais agréable de savoir que ça parlait dans le dos de qui que ce soit. Aussi, si les commérages du petit peuple pouvaient lui faire perdre les pédales plus rapidement, tu ne t’en priverais pas. Il n’y a pas à dire, ça allait jaser sévère sur Bellatrix Lestrange, dans les jours à venir.
Toujours aussi muet que von Wittelsbach, tu l’observes partir. Nettoyer ? « Et avec ça ? Vingt gallions et une chocogrenouille ? Vieille peau… » que tu marmonnes, une fois qu’il ne peut plus te voir ni t’entendre. D’un haussement de sourcil et, d’un geste du pied, tu fais rouler le corps de l’elfe de maison à l’extérieur de l’ascenseur, juste au seuil du département. Le souffle court, et le bras encore tremblant malgré l’impertinence de tes actions, tu appuies sur le numéro de ton étage. Les portes se referment juste au moment où une sorcière se prend les pieds dans le corps de l’elfe, dans un cri de surprise et de dégoût.

« Alors, cette nouvelle obsession, Bagshot ? » « Mouais, bof, j’ai l’impression d’être encore un peu trop vivant à son goût… Si tu vois ce que je veux dire… »