juin 2007, Torquay. Le protocole est simple. Un rapport tous les mois plus des points supplémentaires en cas d'urgence. Le lieu du rendez-vous change à chaque fois pour éviter que des observateurs extérieurs puissent y trouver un motif. Toujours dans des lieux moldus, loins des communautés de sorciers, souvent des hotels pour qu'ils puissent parler tranquillement. Et bien sûr, c'est toujours l'Ordre qui contact Viktor en premier. Jamais l'inverse.

Viktor connait si bien ces règles à présent qu'il n'a pas été difficile de prévoir son propre rendez-vous secret, en respectant presque toutes ces règles. Il a choisit un petit hôtel de la ville balnéaire de Torquay, un établissement modeste, tout ce qu'il y a de plus moldu - il a vérifié. Quand il a réservé la chambre, l'hôtesse lui a jeté un regard malicieux, comme si elle savait exactement ce qu'il allait faire, tout en faisant des commentaires à peine subtile sur la "jolie jeune femme chanceuse" qui devait le rejoindre. Viktor lui a simplement sourit, un peu maladroitement. Si elle savait...

Ce n'est qu'une fois qu'il est dans la chambre qu'il envoie l'adresse à Hermione. Et puis, il attend. La chambre est simple, sans prétention. Il y a un lit, une armoire, et un miroir, avec une porte qui mène vers une toute petite salle de bain. Il y a deux tableaux aussi, deux images immobiles, l'une d'un bateau sur l'océan et l'autre d'une mouette sur un rocher. Viktor les observe brièvement mais le fait qu'elles ne bougent pas lui font un peur.

Les minutes ressemblent à des heures alors qu'il attend que la porte s'ouvre et qu'Hermione le rejoigne. Cette idée, c'est seulement hier soir qu'il l'a eu, alors qu'il tournait le problème dans sa tête. Il sait que c'est loin de ce que l'Ordre attend de lui mais honnêtement, pour l'instant, il n'en a rien à faire. Cette... chose - chance, opportunité, occasion, appelez ça comme vous le voulez - est bien trop radioactive pour tout de suite en faire part. D'abord, il doit prévenir Hermione...

Quand la porte s'ouvre enfin, Viktor - précédemment assis sur le rebord du lit - se lève d'un bon, essuyant rapidement ses mains moites sur son jean. "Hermione !" il la salut de façon un peu trop enthousiaste, ne voulant pas qu'elle s'inquiète. Pas tout de suite en tout cas. "Merci d'être venue et... désolé de t'avoir plus ou moins convoqué comme ça, à la dernière minute," il s'excuse en passant une main dans ses cheveux coupés courts. "Je voulais pas t'inquiéter mais il fallait qu'on se voit." Il jette un coup d'oeil à la pièce, hésitant entre la chaise et le lit, puis se décide, indiquant à Hermione de s'asseoir sur le lit. "Tu vas bien ?" La question semble futile, surtout maintenant qu'elle est là. Même si sa réponse est négative, Viktor peut difficilement faire machine arrière maintenant.

Parfois, Hermione s’amuse du fait que beaucoup de monde doit penser qu’elle et Viktor ont complètement arrêté de se parler depuis des années. Après tout, cela serait plutôt logique : ils étaient des gamins, quand ils se sont rencontrés pendant le tournoi des trois sorciers, et à cet âge-là, les promesses ne durent qu’un temps, en général. Il aurait été presque normal qu’au bout de quelques échanges, leurs lettres se fassent moins nombreuses, puis qu’ils perdent contact pour complètement sortir de la vie l’un de l’autre.
Mais voilà, la vie qu’ils mènent, depuis cette époque, ne mérite pas vraiment l’adjectif normal.e. Et de toute manière, pour commencer, le Tournoi des Trois Sorciers n’était pas vraiment un cadre normal pour se rencontrer.
Alors les lettres ont continué. Au fil du temps, elles ont changé de forme, et ils ont changé de noms, sur les parchemins qu’ils s’envoyaient. Les confidences de Viktor, couchées sur le papier, devaient rester anonymes à toute autre personne qui pourrait parcourir ses mots. Les péripéties de la vie d’Hermione, devenue fugitive, devaient à tout prix ne pas être comprises par quiconque intercepterait les lettres.
C’est fou, quand on y pense: le destin avait mis sur leur route tous les bâtons possible pour qu’ils s’abandonnent, mais par un curieux coup de pouce de l’univers, Hermione Granger et Viktor Krum ont tenu bon, et l’affection d’une année s’est transformée en l’amitié d’une vie. Hermione n’est pas la personne la plus rêveuse ou utopiste de la terre, mais ce genre de choses, ça lui donne parfois foi en la route qu’elle a prise, toutes ces années auparavant. C’est en partie pour des gens comme Viktor, qui avaient toutes les raisons de devenir terribles mais ont fait le choix d’être des gens bien, qu’elle continue de se battre malgré la fatigue et les frustrations.

Ce jour-là, elle arrive dans un hôtel moldu de Torquay dans un pull trop grand pour elle, un pantalon trop large pour elle (peut-être qu’elle les a empruntés à Ron), et avec une casquette enfoncée sur ses cheveux aux teintes blondes un peu passées. Elle n’utilise pas toujours du polynectar (il faut garder les réserves) et ne modifie pas toujours son visage (trop douloureux, trop compliqué à maintenir sur du long terme) quand elle se déplace : parfois, des vêtements qui lui donnent une silhouette différente de la sienne sont la meilleure des parades.
La femme de l’accueil la regarde avec un drôle d’air quand elle annonce où elle doit aller, comme si elle n’était pas vraiment ce qu’elle attendait. Hermione retient un sourire en coin : cela arrive souvent quand elle rejoint Vik. Après toutes ces années, les autres femmes pensent encore qu’il est trop beau pour elle… Ah, le monde n’a pas changé, depuis le Yule Ball de ses 15 ans.

Elle arrive jusqu’à la chambre avec une petite appréhension. Après tout, le message de son ami avait un ton un peu urgent, et ils n’avaient pas spécialement prévu de se voir aussi tôt. Si Viktor l’a fait venir comme ça, c’est qu’il doit avoir quelque chose, une information de haute importance pour elle. ”Hermione !” Viktor se lève d’un bond du lit, et elle lui sourit en prenant bien soin de refermer la porte derrière elle. Elle sort une craie de sa poche beaucoup trop large et griffonne deux runes pour sur la porte, histoire d’assurer leur sécurité et le fait que leur conversation reste secrète. Viktor est habitué à ces rituels. ”Merci d'être venue et... désolé de t'avoir plus ou moins convoqué comme ça, à la dernière minute, je voulais pas t'inquiéter mais il fallait qu'on se voit.” explique-t-il avec précipitation. Bon, ce doit être sérieux, elle ne l’a jamais vu comme ça. ”Tu vas bien ?” demande-t-il, et elle prend place sur le lit en répondant. ”Ça va oui, pas mal de choses sur le feu…” dit-elle en restant très vague. Elle n’a pas beaucoup de temps, entre la quête des horcruxes et la préparation pour l’assaut contre les Battues. Elle ne sera pas sur le terrain, mais il y aura du travail d’arrière-plan essentiel à abattre. ”Je sais que tu m’as dit de ne pas m’inquiéter mais… J’ai l’impression qu’il faut que je m’inquiète. J’ai raison ?” dit-elle sans détours. ”Ton message pressant, et maintenant ta nervosité… Dis-moi ce qu’il se passe.” lui intime-t-elle, peu intéressée à l'idée de tourner autour du pot alors que son ami est visiblement tracassé.