Une vague impression que plus rien n’allait dans ta vie. Voilà c’était tout. Tout ce qu’il te fallait pour t’en remettre à ton passe-temps favori, qui se résumait à échafauder complots et manigances pour détruire l’existence de Louis Travers. Ton propre frère. Tu n’avais jamais été particulièrement proche de cet aîné trop envahissant, trop dominant. Il avait toujours été cet enfant prodige ravissant la première place dans le cœur de vos parents, et te plongeant par la même occasion dans son ombre opaque. Ce mépris non dissimulé que tu éprouvais à son égard s’était assoupi durant un temps. Durant tes douze années d’enfermement à Azkaban. Tu avais eu autre chose à penser, ou plutôt, tu n’avais plus rien eu à penser du tout, tu n’étais plus capable d’avoir la moindre réflexion cohérente. Et puis l’heure de ta libération fut venue, et dans le sillage de ta renaissance réapparut cette haine froide et ancienne pour la personne de Louis. Torquil ne demeura pas suffisamment longtemps parmi vous, pour que tu aies l’occasion de lui démontrer ta magnificence, toi membre honorable de l’Elite et fidèle pilier du Département de la Justice Magique. Néanmoins, l’espoir de détrôner Louis de son piédestal ne fit que redoubler d’intensité au fil des ans. L’apogée de ta carrière fut sans aucun doute ta nomination au poste de chef de la brigade de police magique. Plus qu’une promotion alléchante, tu y vis là l’occasion d’enquêter en toute légitimité sur les affaires de ton frère. Persuadé que l’entreprise de Travers Households devait bien se livrer à de quelconques activités illégales, tu avais fini par élaborer une vaste stratégie de renseignement. Un véritable réseau de personnalités toutes aussi détestables que ton frère se retrouvait désormais dans ton viseur. Tu avais un instant songé à faire équipe avec Myrthild. Lors de vos récentes entrevues, ta sœur n’avait pas caché son amertume à l’égard de votre aîné. Mais voilà que la métamorphomage avait abusé de ta confiance de la pire des façons. Aussi avais-tu décidé de faire cavalier seul dans cette bataille fratricide.

Faisant les cent pas dans ton bureau, tu repenses à ton enquête sur les von Bäume, qui n’avance pas au rythme que tu souhaiterais. Tu ressasses aussi les derniers événements survenus durant la réception de Zabini. Et aux conséquences que l’arrivée des détraqueurs ont entrainées. Tu revois le visage de Freya à l’hôpital, son terrible aveu résonne une fois de plus dans ta tête. Tu ignores encore si tu la reverras bien un jour, ou s’il elle ne préfèrera pas prendre la fuite et ainsi mettre le plus de distance possible entre vous deux. Ta mine s’assombrit, tout comme ton humeur. On frappe à la porte de ton bureau, tu émets un grognement patibulaire en guise de réponse. « Monsieur Travers, vous m’aviez ordo… demandé de vous prévenir lorsque votre nièce arriverait au bureau ce matin. Et bien voilà qui est chose faite, Aquila vient d’entrer au niveau cinq. » La voix geignarde de ta secrétaire s’évanouit enfin. Elle sait pertinemment qu’elle ne recevra pas la moindre réponse, ni le moindre remerciement quelconque de ta part, alors elle s’éloigne sans demander son reste.

Abattant ta dernière carte contre Louis, tu te diriges vers le Département de Contrôle et de Régulation des Créatures Magiques. Le niveau cinq, c’est là que ton frère s’est arrangé pour placer son pion le plus précieux : sa fille Aquila, ta nièce et filleule. Tu es convaincu que le choix de ce département n’a pas été laissé au hasard. Louis est bien trop calculateur pour cela. Tout comme ton frère cherche à utiliser sa propre fille afin d’accomplir ses sombres desseins, tu espères pouvoir te servir d’elle dans ta quête de vengeance. « Bonjour, Aquila. Aurais-tu un moment à m’accorder ? » A te voir ainsi devant elle, la surplombant de toute ta hauteur, il n’était pas difficile de comprendre que tu n’accepterais qu’un oui en guise de réponse.

Tu n’avais jamais été un gamin bien affable, et cela ne s’était pas véritablement arrangé au fil des ans. Tu n’avais jamais eu peur du silence, jamais ressenti la crainte du vide à combler par n’importe quelle parole futile. Tu parlais peu, mais tu parlais juste. Tes mots n’avaient qu’un seul but et ils étaient toujours choisis avec soin, de sorte qu’ils parviennent à accomplir la mission que tu leur avais confié. Au cours de ta longue carrière de mangemort, tu avais excellé dans l’art de faire parler les êtres qui te faisaient face. Et puis vinrent Azkaban et la folie qui l’accompagnait irrémédiablement. Seul face à tes démons, ta langue se délia, se perdit, elle s’enlisa dans un flot d’élucubrations incompréhensibles. A ta libération, il fallut tout naturellement un certain temps avant que tout ne revienne à une presque normalité. Et puis, tu débutas une carrière au Ministère et finis par apprendre l’art de tirer parti des conversations les plus futiles. S’entretenir de choses et d’autres avec les bonnes personnes pouvait présenter bien des avantages. Néanmoins, il subsistait une faille dans tes discours manipulateurs si bien rôdés. Ta famille. Difficile de savoir jusqu’où l’on pouvait aller avec les membres de cette si précieuse entité. Difficile de savoir si tu pourrais t’arrêter à temps. Juste avant de finir par les briser. Si la relation qui te liait à tes enfants était morte et enterrée, tes liens avec Aquila ne se portaient guère mieux. Nièce et filleule maudite. Tu n’avais jamais été là pour veiller sur elle et assumer ton rôle de parrain. Lorsque le destin t’avait donné une dernière occasion de rattraper le temps perdu, tu avais refusé de la saisir. Aussi, ne fus-tu pas plus surpris que cela en entendant la réponse de la jeune femme. Telle une créature blessée, Aquila semblait avoir choisi l’attaque comme moyen de défense face au prédateur que tu représentais. Et si tu n’appréciais guère l’insolence, pour l’heure, tu te forças à t’en accommoder. Le rôle qu’Aquila était susceptible de jouer dans tes sombres desseins était bien trop important pour que tu ne laisses ton égo gâcher ton plan si savamment élaboré. « Sans même réfléchir, je pourrais te citer le nom d’au moins une personne à ce département qui n’apprécierait pas de me voir rôder dans le coin. » Un léger sourire complice vient étirer tes lèvres. Tu prétends lui faire des confidences, tu cherches à la mettre en confiance, à lui prouver que son ton sarcastique ne t’offusque pas le moins du monde. Et en un sens, tes mots disent vrai. Dolores Umbridge menacerait sûrement de te faire envoyer à Azkaban si elle savait que tu te promenais dans ses couloirs sans y avoir été invité. « Peut-être que l’on pourrait aller prendre un thé à la cafétéria du Ministère, avant que ta directrice ne fasse irruption dans le couloir. » Voilà qu’elle refait surface cette intonation affable, doublée d’un sourire chaleureux. Ce masque si avenant, ton visage s’en était paré pour la dernière fois face à Freya, alors que tu t’efforçais de lui faire croire que tu n’avais pas vu clair dans son jeu, alors que tu cherchais à la convaincre que tu étais encore de son côté. « Ton père s’inquiète pour toi, il pense que tu as besoin de te confier à quelqu’un dont tu ne crains pas le jugement. Et il se trouve, que je comprends ce que tu ressens. Moi aussi j’ai été trahi, autrefois. » Tu abats ta carte maîtresse afin de persuader Aquila de te suivre. Tu ne lui confieras certainement pas la vérité à propos de ton mariage ruiné, ni même de ta relation en lambeaux avec Freya. Mais tu espères rallier Aquila à ta cause, tout en extériorisant ta propre douleur.


@Aquila Travers

Tu ne t'attendais pas à être reçu à bras ouvert par cette nièce à laquelle tu n'avais jusqu'alors jamais prêté la moindre attention. Et si tu étais bien décidé à fermer les yeux sur son attitude, on aurait toutefois tort de te considérer comme un homme patient. Tu demeurais un mangemort avant tout, un mangemort peu connu pour sa clémence. Et si Aquila était une petite fille à papa aussi intelligente que Louis le prétendait, alors tu t'attendais à ce qu'elle croit à la rumeur disant que tu avais tué ton épouse de tes propres mains. "Je suppose qu'une stagiaire peu futée pourrait refuser. Mais une stagiaire un peu plus maline accepterait certainement sans poser plus de question. Comme tu le dis si bien, le temps d'un mangemort est précieux." Ce petit sourire courtois n'avait pas encore quitté tes lèvres mais tes paroles ne laissaient plus entrevoir le moindre doute. Tu te présentais à elle en tant que mangemort et non en tant que chef de la brigade de police magique. Et la différence était lourde de sens.

Aquila ne t'avait absolument rien fait de mal, au contraire, lors des rares moments pendant lesquels vous vous étiez côtoyés, elle avait toujours essayé de faire un pas dans ta direction, de rattraper le temps perdu. Au début, tu ne l'avais pas repoussé intentionnellement. Tu venais de sortir d'Azkaban et le retour à la vie civile était semé d'embûches. Tu devais réapprendre à vivre normalement, à côtoyer des gens dotés de parole. Et ce n'était pas chose aisée. Et puis les années avaient passé, et ton aversion à l'égard de Louis n'avait cessé de croître. C'est cette même rivalité fraternelle qui t'avait alors conduit à briser les liens si fragiles qui t'unissaient à Aquila. Elle n'avait pas demandé à se retrouver propulsée au milieu d'une lutte fratricide, dont elle n'était en rien responsable. Ce n'était pas juste. Tu aurais dû être à même de la dissocier de son père, de la considérer comme une sorcière à part entière. Mais voilà, tu n'étais pas réputé pour être un homme juste. Et puis, Louis avait toujours élevé Aquila comme si elle était destinée à devenir son clône, son double le plus parfait. Cela ne rendait évidemment pas la situation plus aisée à supporter. "Je sais que je n'ai pas été là pour toi ces dernières années, alors que tout allait bien dans ta vie. C'était une erreur. Mais il y a des traumatismes que seul le temps peut atténuer." Ton sourire avait disparu. Il n'y avait pas un instant durant lequel tu pouvais être plus sincère que lorsque tu évoquais Azkaban. "Je sais bien que cela n'excuse pas tout. Mais maintenant que les choses se compliquent pour toi, maintenant que tu as besoin de soutien, sache que je suis là. Alors accepte mon invitation et allons boire un café." Sans plus attendre, tu lui tournes le dos et te diriges déjà vers l'ascenceur, afin de l'inciter à te suivre. Comme un père ou un oncle l'aurait fait avec un enfant pour sortir d'un magasin de Quidditch.


@Aquila Travers

L’humeur maussade, la mine renfrognée, en cet instant, Aquila te rappelle à bien des égards son propre père lorsqu’il était enfant. Louis avait toujours été un garçon affable, du moins en apparence. Mais quand il lui arrivait de ne pas obtenir ce qu’il voulait de la part de vos parents, il en venait à dévoiler son vrai visage de diablotin trop gâté. C’était l’ainé d’une longue lignée de sang-pur, alors selon sa propre logique, il était bien normal que le monde entier se prosterne à ses pieds. Et c’était un trait de caractère significatif que tu estimais déceler à présent chez sa fille. Entendant ta nièce t’emboiter le pas bien malgré elle, tu t’autorises un mince sourire, signe d’une maigre victoire. Tu attends que la petite princesse de Louis fasse son entrée dans l’ascenseur, puis tu presses le bouton indiquant le rez-de-chaussée. Un silence de mort règne dans l’exiguïté des lieux, mais le trajet est rapide. La sonnette retentit, la porte s’ouvre, tu tends une main en avant pour inviter Aquila à sortir avant toi, et puis tu la conduis à travers l’atrium. A cette heure-ci, les lieux sont moins bondés que lorsque tu arrives au Ministère, les derniers lève-tard font leur apparition. De temps à autre, tu salues un ou deux sorciers ayant l’honneur de recevoir un peu de ton attention. Au loin, tu aperçois même ton ami de longue date, Rodolphus Lestrange, à qui tu adresses un signe de la main. Ce n’est qu’à ce moment-là, que tu feins de te souvenir de la présence d’Aquila à tes côtés. « Rodolphus travaille au Ministère à présent. J’imagine que sous son influence, le respect de la hiérarchie devrait croître manifestement. » Le ton de ta voix n’a rien de menaçant, mais le sens de tes paroles n’est pas anodin. Il est grand temps qu’Aquila comprenne qu’ici ce n’est pas le manoir Travers, ici elle n’est la petite princesse de personne.

Enfin arrivés devant les portes de la cafétéria, tu observes rapidement les environs et optes pour une table coincée dans un angle, loin des éventuelles oreilles indiscrètes. Tu t’installes posément et invites Aquila à en faire de même. Lorsqu’un petit elfe de maison arrive pour prendre les commandes, tu jettes un vif coup d’œil à ta nièce avant de répondre. « Un jus de citrouille pour la jeune fille et un café pour moi. » Ne jugeant aucune forme de politesse nécessaire, la petite créature hoche la tête avant d’aller s’affairer derrière le comptoir. « Comme je te l’ai dit, ton père m’a brièvement expliqué ce qu’il s’était passé avec ce garçon. » Sûrement pas de son plein gré, d’ailleurs. Louis y avait surtout été contraint depuis que tu avais accepté de l’aider à étouffer l’enquête sur la mort de ce jeune garçon égyptien, qu’il avait fait assassiner dans le but de menacer le fiancé de sa fille. Une idée complètement tordue selon toi, mais qui étais-tu pour juger ? D’autant plus que tu avais eu l’impression d’être le témoin du tout premier échec de Louis Travers, et cela valait son pesant d’or. « Il est normal que tu ressentes de la colère, que tu aies envie de te venger ou même que tu ne veuilles plus faire confiance à personne. Je le sais parce que j’ai vécu un drame similaire quand j’avais ton âge. » Pour l’instant, tu n’en dis pas plus, tu laisses un voile de mystère planer au-dessus de cette demi-révélation. Si Aquila voulait en savoir plus, il faudrait qu’elle y mette un peu du sien, qu’elle sorte de ses retranchements. « Si cela peut te soulager un peu, je pourrais essayer d’enquêter sur Aslan, et si je venais à le retrouver, je te le ferais savoir en premier. » Un ton sans équivoque, destiné à lui faire comprendre, qu’elle pourrait alors se venger à sa guise…


@Aquila Travers