Tic tac, tic tac, tic tac . Son regard est fixé sur la grosse pendule en bois alors son genou s’agite depuis cinq longues minutes, calé sur le rythme de la petite aiguille. Tic tac, tic tac, tic tac . Le jeune garçon se mord la joue, rongé par l’envie d’ouvrir la bouche pour rompre le lourd silence qui s’est abattu dans le salon Finch-Fletchley. Habituellement noyé sous les rires et les cris, le petit cottage n’a jamais été si silencieux. Tic tac, tic tac, tic tac . Il se ravise, pose ses yeux azur sur ses petites mains qu’il agite nerveusement en tous sens. Furtivement, l'instant d'une fraction de seconde, il s'autorise à reprendre sa respiration et il se risque à épier du coin de l’œil la femme assise en face de lui. En réalité la situation est plutôt cocasse. Cette femme aux traits stricts, cette étrange robe ressemblant aux peignoirs de sa grand-mère et ce chapeau tout droit sorti des déguisements d'Halloween que papa confectionne avec le plus grand soin pour Benjamin, Lizzie et Sophia. Eux, maman, papa et lui, serrés en rang d'oignons sur ce vieux canapé. Tous les éléments sont présents pour que les rires fusent et que l'hilarité se repende dans la pièce. Et pourtant, du haut de ces onze ans, le jeune Finch-Fletchley ne peut rien faire hormis s'attacher à cette fabuleuse histoire qu'on vient de lui conter, à cette lettre qu'il a reçue. Figé par la peur de briser l'instant, de se réveiller avec l'amère déception que tout ceci n'est qu'un rêve, une nouvelle histoire incroyable qu'il a inventé dès l'instant où le moindre son sortirait de ses lèvres, le petit Justin reste alors muet comme une carpe. Une minute, une heure, une année s'écoule.

« Hé bien quelle nouvelle… surprenante ? » C’est finalement son père qui vient rompre le silence. Lorsque Justin croise nerveusement son regard, ce dernier lui sourit tendrement. Un lourd soupir de soulagement s’échappe des lippes du garçon. Peut-être que finalement, tout ça c’est vrai, peut-être que finalement, c’est une bonne nouvelle, peut-être même qu’on lui autorisera à rejoindre cette école ? « Surprenante ? C’est complètement farfelu tu veux dire ? » Lentement, sa mère se relève et commence alors à s’agiter dans le salon. « C’est complètement ridicule. C’est impossible. Il ne peut pas… Je veux dire, Justin ne peut pas être un sorcier. » Il n’en faut pas plus. Sept petits mots. C’est ce qu’il faut au jeune homme pour réaliser qu’il n’est pas en train de rêver et que tout ceci est bien réel. Lui, Justin Finch-Fletchley, est bel et bien un sorcier.


« Peut-être qu'il devrait rester ici ? On pourrait lui donner nos notes de cours, on pourrait aller voler quelques provisions la nuit dans les cuisines pour qu'il ait de quoi manger sans devoir retourner à la Grande Salle ? » Justin ferme les yeux et se tasse sur le vieux fauteuil défoncé qu'il occupe. Il aimerait pouvoir disparaitre sous le sol, englouti par la moquette de la Salle Commune des Poufsouffles. Peut-être qu'alors, Ernie et Susan arrêteraient de jacasser et de lui projeter des fins plus sombres et sordides les unes que les autres. « Ou peut-être qu'il ferait mieux de trouver une meilleure cachette ? Tu as vu comment Harry le regardait Ernie ? Comme si il allait faire de Justin son prochain goûté ! » Un soupire s'échappe de lèvres du jeune homme. Il refuser d'écouter d'autres idées saugrenues des deux blaireaux. « Je suis ici vous savez et je ne suis pas encore pétrifié à ce que je sache. » A la simple évocation de ce mot, le jeune Finch-Fletchley est parcouru d'un frisson de dégout et d'effroi. « Pas encore. » Et si ses amis avaient raison ? Et si il était la prochaine victime de Harry Potter ? Ce n'est en tout cas pas les regards concernés et inquiets qu'Ernie et Susan lui jettent qui vont pouvoir le rassurer. Pire, ses camarades le regardent les yeux emplis de pitié, comme si ils regardaient un homme condamné à mort vivre ses dernières heures. « Je suis fichu c'est ça ? » Il ouvre subitement les yeux. La panique monte lentement, lui serre la gorge et les entrailles. « Ça suffit vous deux ! » Les doigts d'Hannah s'enlacent aux siens alors que la jeune Poufsouffle lance un regard réprobateur à Susan et Ernie. Il n'y a qu'elle qui semble capable de maîtriser les deux blaireaux complotistes tout en tranquillisant Justin. « Tu ne risques rien Justin, ne les écoute pas. » Son sourire à beau l'apaiser, le Jeune Finch-Fletchley ne peut s'empêcher d'exprimer les peurs qui l'animent depuis le club de duel. Depuis sa rencontre avec le stupide serpent, il a l'impression qu'une grosse croix rouge est dessinée sur son dos « Et si je finis comme Colin ? Ou Miss Teigne ? Ou pire que… » « Tout ira bien, je te le promets. » Justin hoche mollement la tête. Il ne sait pas vraiment si il doit croire Hannah mais il n'a pas de meilleure alternative. Il refuse de quitter Poudlard et il refuse de louper les repas de la Grande Salle. « On pourra t'escorter aux cours si tu veux. » Le blaireau observe tour à tour ses amis alors qu'un maigre sourire fleurit aux coins de ses lèvres. Il n'a jamais été si reconnaissant et si heureux de les avoir dans sa vie.

Il fixe le bois mais ne peut se résoudre à tourner la poignée et passer le pas de la porte. Sa main s'avance, elle n'est qu'à quelques centimètres d'entrer en contact avec le métal, puis se ravise, comme si la poignée allait le mordre, comme si la poignée était brulante, comme si la poignée était venimeuse. Justin laisse son bras retomber mollement le long de son corps. Une inspiration. Deux inspirations. Trois inspirations. Il ne peut se résoudre à faire demi-tour. Sa main s'accroche avec force à la poignée, il pousse gentiment la porte et pénètre dans la pièce.

La chambre de ses parents est plongée dans l'obscurité, la seule source de lumière dont elle bénéficie est le maigre rayon de lune qui filtre à travers les rideaux tirés et s'étire le long du mur blanc. Sur le lit, le jeune homme aperçoit une petite figure recroquevillée, secouée de sanglots silencieux. Et son cœur se déchire. Une douleur lancinante se répend dans sa poitrine alors qu'un trou se creuse dans son cœur. Ses jambes se font lourdes, elles ne parviendront pas à soutenir son poids bien longtemps. « Justin ? » C'est la voix brisée de sa mère qui le fait rester sur ses pieds et l'ancre fermement dans la réalité. Comme une supplique, un cri de désespoir, sa mère tend une main fébrile en tremblante en direction de son fils. Il la saisit, s'approche à grands pas d'elle et s'installe à ses côtés sur le lit. Cette dernière vient alors se lover contre lui, s'accroche au col de son vieux t-shirt et enfouit son visage sur sa poitrine. Doucement, alors que ses joues sont dévorées par les larmes, il la berce tout en lui caressant les cheveux, exactement comme il avait vu son père faire des années plus tôt avec sa mère. Papa. Papa est mort. Son cœur meurtrit hurle dans sa cage thoracique mais le jeune homme continue parce qu’il sait que c’est ce que son père aurait fait, parce qu'il sait que c'est ce que son père aurait voulu.


Le regard bleu acier du jeune homme se pose tour à tour sur chaque membre de la petite assemblée. Sans un mot, il observe les visages de ses amis, s'accroche aux moindres détails et tente de les mémoriser. L'exercice semble un peu stupide et pourtant il a l'impression que si il ne le fait pas, il s'en voudra toute sa vie. Son cœur se serre alors que sous ses yeux, Susan, Ernie et Hannah continuent à discuter, manger des chocogrenouilles et feuilleter les comics que Justin a apporté. Comme l'exige la tradition, ils se sont réunis chez les Macmillan, deux petites semaines avant la rentrée de septembre. Les voilà réunis dans la cabane en bois que le père d'Ernie a construit dans le vieux chêne magique, lorsque ses enfants étaient encore petits. Autrefois, la cabane lui semblait gigantesque mais depuis deux ans, les quatre amis peinent à tous s'asseoir à l'intérieur. Ernie a proposé de nombreuses fois qu'un sort soit jeté pour agrandir l'espace, ce qui leur aurait permis d'installer un grand canapé et leur aurait offert le loisir de se coucher sur le plancher, mais Susan a toujours refusé, réfutant que la cabane perdrait tout son charme si elle était transformée par la magie. Un sourire vient étirer les lèvres de Justin alors qu'il observe toujours silencieusement le trio. Il s'accroche aux rires gras de Susan, se nourrit des tirades et des théories farfelues d'Ernie, s'imprègne des sourires d'Hannah. Et soudain son cœur se serre. Pourront-ils se retrouver l'été prochain ? Depuis la disparition d'Harry Potter et la mort du directeur de Poudlard l'année suivante, l'avenir du monde magique semble bien incertain.

« Vous avez pris votre décision alors ? » Puis comme ça, Justin est brutalement ramené à la réalité. Il se rappelle que dans deux semaines, il ne reviendra pas à Poudlard. Il ne poussera plus les lourdes portes de la Grande salle, il n'ira plus partager des bières au beurre aux trois balais avec ses amis, il ne foulera plus les couloirs de l'école. Ses iris croisent celles d'Ernie. Les yeux de son ami sont trop brillants pour qu'il soutienne son regard trop longtemps. Il ne faut pas qu'il pleure. Sa gorge se serre. « C'est la meilleure solution, tu le sais. » Sa voix est moins assurée qu'il ne l'aurait voulu mais Justin s'efforce de sourire. Ernie hoche frénétiquement la tête, Hannah, les yeux embués de larmes fixe la boîte vide de chocogrenouilles. « On gardera contact, comme on en a parlé. » Susan, assise juste à sa droite glisse alors sa main gauche dans la sienne et sa main droite dans celle d'Hannah. Hannah suit le mouvement, puis Ernie, puis Justin. « On se retrouvera, promis ? » « Promis. » « C'est promis. » « Promis. »



Étendu de tout son long sur le sol froid, Justin peine à ouvrir les yeux. La lumière du jour lui brule les iris, sa tête lui fait un mal de chien, son cœur tambourine avec force entre ses côtes. Dans un râle, l'homme parvient à se relever et à s’asseoir. Ses yeux s’habituent avec difficulté à la lumière, il scrute les environs. Il est dans une forêt, son corps tout entier le fait souffrir. Puis, il se souvient. Il a transplané parce que le groupe était attaqué. Il y avait des hurlements. Une voix qu’il reconnaîtrait entre mille. Celle de Susan. Susan. D’un geste brusque il tente de se relever. Il ne parvient qu’à faire quelques misérables pas alors que la terreur le gagne. Où sont les autres ? Où est Susan ? Il titube, se penche en avant et vomit avant de s’écrouler sur le sol, inanimé.


Le casque qu'il pose sur ses oreilles vient couvrir les sons de la forêt. Il s'assied au pied d'un sapin, laisse aller sa tête contre l'écorce de l'arbre et ferme les yeux en offrant son visage au rayon de soleil qui se fraie un chemin parmi les nuages gris perle. D'un coup de baguette magique – qui a n'a, miraculeusement, subi aucun dommage durant son transplanage désastreux- il allume le walkman et la musique vient rompre le silence, la solitude. How many roads must a man walk down before you call him a man ? Ça fait maintenant sept jours qu'il a été séparé d'Hannah, Susan et Ernie, ou du moins c'est ce qu'il croit. Yes, and how many seas must a white dove sail before she sleeps in the sand ? Au début, les jours étaient confus, se mélangeaient, se ressemblaient. Probablement à cause de sa vilaine blessure à la tête. Yes, and how many times must the cannon balls fly before they're forever banned ? Ça fait sept jours, il ère, qu'il hurle leur nom, qu'il s'époumone. Pas une trace de ses amis. Il est passé à leur ancien camps, il n'a trouvé que quelques vivres et quelques bricoles. La peur le ronge, parfois, allongé seul dans la nuit, il s'imagine le pire. La seconde d'après, il chasse ses pensées de son esprit, refusant de croire que ses amis sont en dangers. The answer, my friend, is blowin' in the wind. Il se fait la promesse de continuer, encore et toujours. Jusqu'à ce qu'ils les retrouvent et qu'ils atteignent ensemble l'Ordre du Phénix, comme ils se l'étaient promis. The answer is blowin' in the wind.


Son cœur frappe avec force dans sa cage thoracique, si fort qu’il est presque certain que les oiseaux nichés dans les cimes au-dessus de sa tête parviennent à en entendre les battements. Son cœur cogne encore et encore, animé d’un nouvel espoir. Les mains tremblantes, il compose rapidement sur son téléphone portable moldu le numéro que l’homme – le père d’Alexis – vient de lui donner. Après des mois et des mois ponctués de tentatives infructueuse pour la joindre, il possède une nouvelle piste; un nouveau numéro. Il porte le combiné à son oreille. Une sonnerie. Deux sonneries. Justin prend une grande inspiration au moment exacte où Alexis décroche. « Alexis, c’est Justin » Il n’a jamais été aussi heureux d’entendre sa voix.


Machinalement, laconiquement, il se répète le plan. Encore et encore. Pour ne pas oublier, pour ne pas faiblir. Il sait ce qu'il doit faire. Ses moindres faits et gestes ont été minutieusement calculés, réfléchis, établis à l'avance. Les nouveaux papiers d'identités pour sa famille sont dans son sac à dos, tout comme le polynectar qu'il a acheté sur le marché noir. Une fois la soirée terminée, il lui suffira de boire la potion et de transplanter jusqu'à la planque. Justin pique un morceau de brocoli du bout de sa fourchette avant de prend une grande inspiration. Enfin, l'homme ose relever les yeux. Son regard balaie la pièce, passe de ses deux petites sœurs, à son frère puis à sa mère, tous assis à la grande table familiale. Les rires et la joie emplissent la pièce et viennent lui réchauffer le cœur, alors, l'homme baisse les armes. Il s'offre une dernière soirée, une dernière et unique soirée entouré de sa famille avant de commettre l'impensable, l'irréparable. Il le sait, le sortilège d'oubliette est sa seule alternative, son seul moyen de garder ceux qu'il aime vivants et en sécurité. Mais ce soir, le jeune Finch-Fletchley décide de profiter une dernière fois des siens.