Halloween n’avait jamais été une fête que le runiste avait apprécié. Déjà parce qu’elle était principalement d’origine celte et que ce n’était pas là son domaine de recherche ; ensuite parce qu’il avait trop de souvenirs d’écolier où le 31 octobre était généralement synonyme avec grande frayeur, ses camarades en profitant souvent pour lui jouer des tours. Le squelette que les filles de Beauxbâtons avaient réussi à extirper des catacombes pour le mettre dans son lit ayant été un point culminant dans ses peurs halloweenesque. Plus vieux, une fois à la faculté, il évitait tant bien que mal les soirées organisées à cette date (rien que pour pouvoir se rattraper la semaine suivante et devoir suivre un cours sur l’Évhémérisme et le Secret Magique International : une stratégie antique du détournement en ayant l’impression que son cerveau se décollait de ses parois crâniennes à chaque mouvement un peu brusque de la tête). Il serait inutile de préciser qu’il ne s’était jamais amusé à la moindre fête d’Halloween en compagnie de son fils. Lorsqu’il avait été professeur à Poudlard, les célébrations l’avaient toujours laissé de marbre (sauf quand un troll débarquait brusquement dans l’école) et cela faisait donc un certain temps que le Professeur Harris n’avait pas ressenti de tels frissons à l’approche de la fin du mois d’octobre.

Le message de Royal était bien passé : clair et net — comme Alden pouvait l’apprécier. Le 31 ou jamais. Il était à peu près certain que même le Lord parlait mieux à ses précieux Mangemorts. Peu importait : il aurait sans doute été pareil à sa place. Lorsque l’annonce de l’ouverture de Potter’end au public et la fête il s’était dit la même chose : maintenant, ou jamais.
Il ne comptait plus depuis combien de temps il attendait ce moment, depuis combien de temps il travaillait pour en arriver là — la table de son salon était littéralement recouverte de feuillets noircis d’encre, de dessin runique, de glyphes complexes, d’amorce de cercles tous dessinés dans le but de casser les défenses magiques de la DHS pour pouvoir permettre, enfin, de faire sortir les mômes.
Il était à cran.
Bien trop à cran.
Depuis août, il buvait presque davantage de potions tranquillisantes que d’eau ce qui, de l’avis de son psy, n’était peut-être pas une bonne idée. « Pourquoi ne tentez-vous pas de vous confronter au problème, plutôt que de l’éviter via des potions ? » Il avait séché le rendez-vous suivant, mi-octobre, craignant que sa nervosité ne finisse par le trahir définitivement.
Il était à cran.
Mona était passée.
Il se demandait ce qu’il pouvait bien faire avec une sang-pur.

Il était à cran. Le lundi 30 octobre, il avait cette angoisse terrible qui l’avait pris à sa première soutenance. L’angoisse de celui qui a tout si bien préparé qu’un échec serait bien trop lourd à encaisser. Le mardi 31, cependant, au fur et à mesure que la journée s’écoulait, il gagnait en calme. Comme si l’approche du danger réveillait une sorte de sérénité — à moins que ça ne fut la surdose de philtre hydroxytryptamine qui lui courrait dans le sang. Peu importait finalement. À l’heure H, il était fonctionnel. C’était bien tout ce qu’on lui demandait.

Cela faisait plusieurs mois qu’il avait retracé par-dessus chaque rune qui entourait l’école et assurait sa protection plusieurs glyphes de sa confection (dont certains lui avat demandé quelques heures de travail de nuit) afin de casser les défenses de l’école et de permettre une circulation des personnes. Il y avait cependant trop d’enfants pour que des transplanages d’escorte soit une solution faisable.
Cela faisait un peu plus d’un mois, à présent, que le mur nord de sa salle dissimulait, derrière sa peinture à l’amiante, un haut miroir, dont le frère (poli à partir du même verre) était lui placé dans une planque temporaire de l’Ordre. C’était, après réflexion, la solution la plus simple. Si un tel qualificatif pouvait être utilisé dans ces circonstances.

Il resta assis devant son bureau un moment — il commençait à être tard et le couvre-feu avait sonné ; tous les gosses étaient dans leur dortoir, et bien entendu depuis le coup de pression de début août personne ne mouftait. Ses yeux fixait le miroir qu’il venait de désencastrer du mur et il fit cliqueter un instant ses ongles sur la céramique de son mug best teacher ! avant de finalement sortir sa baguette. « Spero patronum. » La brume d’argent glissa de sa baguette pour former la grande chouette qui l’accompagnait depuis longtemps. Quelques manipulations plus tard, elle s’évanouissait dans l’ombre, partant prévenir Paws que le portail serait ouvert dans un quart d’heure. Dès que le patronus eut disparu il sortit un long rouleau de papier qu’il étendit sur quatre tables collées l’une à l’autre (les autres avaient été virées au fond de la salle d’un mouvement de baguette). Sur le papier plusieurs glyphes traçaient un large cercle qui s’enfonçait vers le centre en plusieurs autres cercles concentriques autour de la rune Ansuz. C’est sur cette dernière qu’il appuya la pointe de sa baguette. Une lueur sombre illumina la rune, ainsi que les cercles, les uns après les autres, déclenchant le mécanisme qui activa toutes celles qu’il avait, depuis des mois, placés autour de l’école.
Sentir la magie runique au bout de ses doigts — tout autour de lui, donna à Harris un regain de force.

La montre à son poignet tiquait chaque seconde plus sourdement que jamais alors qu’il traversait le couloir, montait l’escalier jusqu’au premier dortoir. Il allait faire par ordre, la première porte en premier etc. Il aurait dû y avoir une personne pour surveiller cette portion du couloir, mais la fête à Potter’s End avait clairement réduit le personnel (douce allégorie de l’éducation). La porte était fermée de l’extérieur, bien sûr, mais un sort suffit à faire sauter le loquet et quand il poussa la porte il sentit des regards se tourner vers lui, malgré l’obscurité quasi-totale qui régnait dans la salle. « Professeur Harris ? » La voix venait du fond du dortoir, et Alden, poursuivi par la trotteuse de sa montre, ne perdit pas de temps avant d’éclairer la pièce d’un sort. Tous les gamins plissèrent les yeux, ou se renfoncèrent un peu plus sous les draps. « Il y a… un problème ? » Assyl s’était même à demi-relevé. « Aucun problème. Je vais vous demander de tous vous lever. Ne prenez rien avec vous. » Royal lui avait demandé de coller les enfants sous Silencio.
Il n’était pas question qu’il se retrouve à lancer un nouveau sort coercitif à ces gosses.
« Je vais vous amener jusque dans ma salle. Je ne veux entendre aucun bruit. Absolument aucun. Tout le monde devra se taire, même toi Erdem. — Qu’est-ce qu’on a fait professeur ? — On a rien fait m'sieur ! » Alden n’eut qu’à lever la main pour qu’ils se taisent avant de les regarder tous. Pendant un bref moment on n’entendit plus que sa montre dans le dortoir. « Ce soir, vous sortez de l’école. On vous fait sortir. Si vous obéissez, vous serez libre. Alors vous me suivez, et on essaye d’être rapide. » Le mot essayer à la DHS était un synonyme de si vous ne le faites pas, vous êtes mort. Tout le monde dans le dortoir le prit comme tel.

Prendre tous les enfants, ensemble, d’un coup, était trop risqué : un tel déplacement dans le couloir les feraient se faire prendre par les quelques rares professeurs qui faisaient une ronde de nuit, en quête d’heures supplémentaires.
Alden n’avait jamais été un duelliste, et il ne voulait pas savoir ce que presque deux mois de potions anxiyolitiques avaient fait à ses réflexes. Mieux valait éviter les confrontations.

Comme il l’avait dit à Paws : la discrétion était le mot d’ordre.

Et en effet, un quart d’heure plus tard, il était dans sa salle, avec une vingtaine de gamins, pour la plupart pieds nus, en pyjama, qui regardaient le haut miroir avec des yeux cernés. Alden l’activa de quelques incantations, avec un accent que son professeur de langues antiques de la faculté lui aurait fait ravaler à coup de syllabaire dans la mâchoire, mais qui eurent le mérite de fonctionner, avec ou sans roulement de r.
Maintenant il fallait qu’en face ça suive le mouvement : « Paws ? »

Lee a été déçu, au début, de ne pas avoir eu le droit de se mêler aux autres. Il pensait que Royal le mettait sur la touche, parce que... quoi? Peut-être qu'il aurait lu dans ses pensées, aurait capté quelques uns de ses doutes... mais non. Non, il ne va pas pouvoir aller à Potter's End pour jeter un coup d'oeil au nouveau village sorcier et pour libérer quelques hybrides: Lee est investi d'une mission que Royal prépare apparemment depuis des mois. Il va aider des gamins à s'enfuir de la Damocles Heritage School.
Il a été stressé toute la semaine mais, le jour J, il est calme. Calme comme saurait l'être la surface de l'océan avant la tempête, prête à changer d'aspect et se faire violente en un clin d'oeil. À chaque mouvement trop brusque autour de lui, Lee se sent prêt à bondir, à sortir sa baguette, à se battre.

Mais putain qu'est-ce qu'on se fait chier.

C'est un mec du quatrième cercle, surnommé Ashtray, qui s'est occupé du miroir. En suivant les informations de l'agent-double à l'intérieur de l'école; Aleph est un maître runiste, semble-t-il, et il a fallu des semaines, presque des mois, pour qu'ils puissent recopier ses notes et ainsi créer la porte de sortie pour les gamins, un miroir jumelé à un miroir se trouvant dans l'enceinte de l'école. Lee a bien essayé de comprendre quelle rune faisait quoi et comment chaque sort fonctionnait, mais il a bien vite arrêté dès qu'on a commencé à lui parler d'algorithme magique et d'équilibre runique. Lee n'a jamais été très bon à l'école, mais c'était plus par rejet académique qu'autre chose: il ne s'est jamais considéré comme quelqu'un qui n'était pas intelligent. Mais par Merlin, ces notes n'avaient aucun sens.
“ Et maintenant? — On attend. — Mais comment on saura que ça fonctionne? ” Lee, à ça, n'a pas répondu. C'est vrai ça, comment ils sauront?

Ça fait deux heures qu'ils attendent là, dans un entrepôt non loin de l'école. C'est très risqué, parce que tous les alentours de la DHS sont abandonnés — cela fait bien longtemps que tout le monde a quitté Little Hangleton... Mais les miroirs n'ont malheureusement pas une longue portée. Les gamins arriveront ici, et Anthracite et Harland, qui l'accompagnent, s'occuperont de les faire emprunter les Portoloins qui les mèneront à d'autres planques. Et après ça...
Lee est interrompu dans ses pensées par un Patronus qui apparaît devant eux dans la pièce. Une chouette, qui a la voix d'Aleph (Lee peut deviner ça grâce à la réaction de Ashtray à côté de lui — ce dernier n'a pas fini d'en parler quand Lee lui a posé quelques questions sur l'agent-double dont lui-même ignorait l'identité), et qui leur dit que dans quinze minutes, la mission commencera pour de bon.
Discrétion est le mot d'ordre.
Ouioui, Aleph.
Sauf que Lee n'obéit qu'à une seule chose, et c'est le Cercle Sept. En l'occurence, Royal.

Les quatre sorciers se mettent en mouvement. Ashtray vérifie les runes, Anthracite et Harland sortent les Portoloins encore inactifs de leurs sac, Lee se lève et s'étire, sort sa baguette. Il est calme, bizarrement, serein. Même si il sait que si jamais Royal a eu tort... si jamais quelque chose ne va pas comme il faut... si jamais...
Le temps s'écoule lentement. Lee aide Ashtray à redresser le miroir. Il est grand, ce miroir, et il fait un peu peur: on dirait qu'il va tomber et s'écraser sur le sol en mille morceaux à chaque instant.
L'alarme d'un téléphone sonne. Quinze minutes.
Ashtray se met face au miroir, regarde son reflet. Et puis il dit quelques mots que Lee ne comprend pas. Il sent sa main se resserrer autour de sa baguette, ce calme étrange le quitter pendant un bref instant.
Silence.

“ Ashtray? ” demande-t-il à mi-voix, tendu. “ Je sais pas, je-- — Paws ? » Et puis: lentement, la silhouette d'Ashtray sur le reflet s'efface. Apparaît à la place un homme qui a, effectivement, l'air d'une vieille chouette.
Putain mais il le connaît! C'était l'un des profs chiants à Hogwarts. Lui, George et Fred avaient un jour envoyé des centaines d'avions en papier dans sa salle de classe, qui avaient explosé en recouvrant tout le monde d'encre rose fuschia. Ils s'étaient bien marrés.
“ C'est moi, ” dit-il. Ils se connaissent sommairement, à travers des notes interposées, Lee travaillant plutôt en émissaire que véritable point de contact: il prenait ses missives et rapports et les amenait à Royal, mais il n'a jamais eu l'occasion de voir sa tête avant cet instant précis.
Si il avait su...
Il pousse Ashtray pour se planter face à son reflet et puis il tend le doigt. L'approche... la surface du miroir semble se mettre à vibrer et il a l'impression de sentir une résistance dans l'air alors qu'il approche son index de la surface du miroir.

Et puis il le touche.

Et passe à travers.

Lee n'attend pas et fait un pas en avant. C'est comme le quai 9 3/4. L'impression conne qu'on va finir par se prendre un mur dans le nez mais en fait non.
Il arrive nez à nez avec Aleph, et face à une vingtaine de gamins qui le regardent avec de grands yeux. “ C'est qui ça, m'sieur Harris? ” Lee jette un regard en coin à Aleph. Royal lui a dit que les gamins seraient sous Silencio...
Mais il n'en dit rien. S'écarte, laisse au professeur et ses marmots l'espace pour les laisser passer. “ Vite, ” dit-il simplement à l'autre homme, avant de faire glisser son sac à dos de son épaule et de le poser sur une table pour commencer à farfouiller dedans, ignorant les regards curieux des gamins qui ont l'air trop effrayés pour oser dire quoique ce soit. “ Y'en a beaucoup d'autres? ” demande-t-il au bout d'un moment, alors que les gamins traversent peu à peu le portail magique. Il fait confiance aux trois autres zigotos pour s'en occuper; dans la planque où ils se retrouveront, ils seront aussi accueillis par encore d'autres résistants. “ La Directrice est là? ” Il garde une voix égale, presque désintéressée.
Presque.

C'est elle qui a tué Fred.

Le reflet du miroir se brouille un instant, avant d’en révéler l’autre côté. De l’autre côté, l’homme qui doit être Ashtray, puis, derrière lui, Paws. C’est moi. Alden eut un bref hochement de tête — il avait enseigné assez longtemps à Poudlard (et s’était fait traîné à plusieurs matches de Quidditch, notamment quand son fils jouait dans l’équipe, par ses collègues) pour avoir entendu au micro la voix de Lee Jordan et ses commentaires partiaux, au mieux. Une voix qu’il avait plus tard reconnue, à travers un micro encore une fois, sur la radio clandestine de l’Ordre. Pas comme s’il avait souvent écouté l’émission, une ou deux fois, quand son contact lui avait fait parvenir le mot de passe.
C’était tout de même quelque chose de revoir un visage associé aux murs de Poudlard.
Qui avait vieilli.
À force de voir des gamins arriver, partir, on oublie le temps qui passe, on recommence juste tout, depuis le début, sans jamais décrocher. Il secoua la tête, brièvement, pour se tirer de ses pensée et se décala pour laisser Paws passer.
Quelques instants plus tard, il était à la DHS.

La présence, réelle, d’un membre de l’Ordre autre que lui dans cette école lui fit prendre conscience de l’évènement. Assez pour lui couper la chique, un instant, et laisser l’occasion à un élève de parler. « Par les Runes, Erdem, tu comprends ce que veut dire le mot silence ? » siffla-t-il, en esquivant le regard de Paws. Oui, oui, il n’avait pas fait précisément ce qu’avait demandé Royal, et quoi ?
D’ici à ce que Royal vienne lui faire la morale de lui-même.
Alden avait l’étrange sensation que ce n’était pas ce léger manquement à la hiérarchie de l’Ordre qu’il allait regretter dans cette soirée.

Paws ne dit rien, ne répondit pas à la question, laissant à Harris le soin de très brièvement expliquer : « Ces hommes vont vous conduire dehors, vous les suivez et vous faites tout ce qu’ils vous disent. » Il y en eut pour hocher la tête, d’autres beaucoup trop stupéfaits pour ne serait-ce que bouger, et il fallut que Harris leur fasse signe de passer le miroir pour qu’ils commencent à s’y rendre, et à passer, les uns après les autres.
Un œil sur le miroir, un autre sur Paws qui commençait à s’installer dans sa salle, non loin de son cercle runique d’activation qui luisait toujours d’un douce couleur brune, Alden se rapprocha du jeune homme : « Une dizaine… de groupe de cet effectif. » Et en même temps qu’il prononce ces mots, il se rend compte du degré d’impossibilité de l’affaire. « Je vais en ramener davantage d’un coup. Il ne faut juste pas… se faire repérer dans les couloirs. Un affrontement ne finirait pas en notre faveur. » Certainement pas vu le personnel présent ici. Il y avait des excités. Il suffisait de tomber sur le mauvais, et c’était fini.
À la seconde question, il fronce les sourcils et sent son dos se contracter rien qu’à pensée à cette Directrice. « Non. Heureusement. Si elle avait été là, le couloir des dortoirs n’auraient pas été laissé sans surveillance comme aujourd’hui. »

Il regarde les enfants continuer de se mettre devant le miroir, disparaissant les uns après les autres, et passe sa main sur son front avant de souffler : « Je vais chercher les autres. Je… » La vue du sac, en vérité, le rendait nerveux. Un rien le rendait nerveux ces derniers temps, à vrai dire. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? » Il avait fait déjà un pas vers la porte : « On ne fait qu’aider les gosses à sortir, Paws, n’est-ce pas ? »

« Une dizaine… de groupe de cet effectif. » Une pause dans les mouvements de Lee, il jette un regard en coin à Aleph. Il se demande comment et pourquoi Royal a pu penser qu'ils y parviendraient... une dizaine d'autres groupes de ce genre? Ça allait taper dans la petite centaine, au moins... ils ne trouveraient pas le temps... est-ce que Royal le savait, ça? Non, il ne risquerait pas qu'Aleph soit capturé. Si?
Pas le temps de douter. Pas le temps de réfléchir. Il continue à farfouiller dans son sac extensible, poussant ce dont il n'a pas besoin du bout des doigts, une fiole ici, un livre par là... « Je vais en ramener davantage d’un coup. Il ne faut juste pas… se faire repérer dans les couloirs. Un affrontement ne finirait pas en notre faveur. — D'accord, ” fait Lee, circonspect. Aura-t-il le temps de faire ce qu'il veut? Aleph ne doit pas le voir.
Lee a étudié pendant des heures et des heures le plan de la Damocles, devisé avec des pots de vin aux ouvriers qui l'ont construit, et grâce aux indications d'Aleph. Le bureau de la Directrice n'est pas très loin... mais quand même un peu. Il pourrait faire l'aller-retour en dix minutes à tout casser... « Non. Heureusement. Si elle avait été là, le couloir des dortoirs n’auraient pas été laissé sans surveillance comme aujourd’hui. » Hochement de tête. Un mélange de déception, et de soulagement, l'étreint tout à la fois.

Finalement, ses mains se referment sur les bombes magiques. « Je vais chercher les autres. Je… » Les doigts la relâchent lentement, mais la posent à proximité de l'ouverture du sac. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? » Lee tourne la tête vers la vieille chouette, qui déjà s'en va. « On ne fait qu’aider les gosses à sortir, Paws, n’est-ce pas ? » Un sourire, rapide. Inutile de mentir. Mieux vaut omettre. “ Oui. Je cherche juste une mesure de précaution, Aleph. Rien qui ne vous concerne. Allez-y. Et s'il vous plaît. ” Il pince des lèvres rapidement. “ Moi non plus, je n'aime pas ça. Mais mettez les gamins sous Silencio. Si vous ne le faites pas, pensez-y ainsi: si l'un d'entre eux parle, tout le monde y passe, vous y compris. Tous les gamins seront torturés, certains seront tués. C'est immoral, mais mieux vaut dix minutes d'inconfort que dix cadavres, non? ” Lee, quant à lui, aimerait mieux ne pas crever parce que le frangin d'Erdem a lui aussi la langue bien pendue. Aleph quitte la pièce en même temps que le dernier gamin passe par le miroir et Lee sort les bombes de son sac.
C'est George qui les construites, avec d'autres laborantins, et Lee a apporté quelques modifications lui aussi. George voulait venir, mais Royal a dit non. Il est à Potter's End. Lee espère que ça se passe bien de leur côté...

Les bombes font la taille d'une balle de golf, mais elles sont un peu molles, avec une texture semblable au cuir. Comme si une boule de cuire contenait de l'eau. C'est désagréable, et fascinant à la fois; presque addictif. L'un est violette, l'autre est orange. Parfois, Lee se dit que George est daltonien.
Lee se dit que c'est une mauvaise idée. La Directrice n'est pas là, il n'y aura donc aucune victime. Dommage.
Il inspire profondément, essaye de repousser le visage de Fred de ses pensées. Il met la bombe dans sa poche, remet le sac sur son épaule, il inspire profondément, et puis en un clin d'oeil, se transforme en lynx.

Ses pattes sont silencieuses sur le parquet, il se faufile agilement dans les couloirs, se lovant dans les coins sombres quand il entend quelqu'un ou quelque chose... mais il ne croise personne. Ses oreilles affûtées entendent des petits pas sur le sol, à l'étage. Aleph. Enfin, il espère...
Il ne tarde pas à trouver la porte qu'il cherche, se retransforme en jeune homme. Un espoir fou: il attrape sa baguette, la tend vers la serrure et murmure, alohomora. Ça ne fonctionne pas. À croire que la sécurité de l'endroit a été améliorée... Lee s'empare de la balle violette et la pose contre la porte. Il appuie, lentement, grinçant des dents parce qu'il a peur que ça explose... mais non, elle s'aplatit, lentement mais sûrement, jusqu'à être si fine que ses doigts touchent le bois de la porte. Quand il retire sa main, il y a un cercle violet sur la porte.
Lee inspire profondément, sort sa baguette, la pose dessus. “ Orthanc ignite, ” murmure-t-il. C'est lui qui a trouvé le nom du sort, inspiré de livres qu'il a dévoré quand il était petit. Le feu d'Orthanc, utilisé par Saruman pour affaiblir des châteaux. George voulait appeler ça boom boom ball set fire to them all.

Le cercle violet se met à briller légèrement et puis un fil violet apparaît dans l'encadrement de la porte, donnant l'impression à Lee qu'elle est en surbrillance... une pause et puis un bruit étouffé de pouf!. Nuage de poussière. Et lentement, la porte se met à vaciller... “ Silencio! ” chuchote-t-il à temps, et la porte tombe silencieusement sur le sol, dans le bureau de la Directrice.
Oh shit. Lee aimerait bien passer quelques secondes à se féliciter pour ce qu'ils viennent d'accomplir mais il n'a pas le temps. À la place, il se jette dans le bureau et met autant de choses qu'il trouve dans son sac, sans même vérifier ce que c'est.
Le tableau derrière le bureau est vide. Ça fait sourire Lee, pour une raison étrange.
Au final, il laisse la balle orange au milieu de la pièce. “ Orthanc ignite. ” Mais cette fois, le fil brillant relie la boule à sa baguette. Il n'a aucune envie d'être là quand il va mettre le feu à la poudre et que la balle va exploser...
Il se retransforme en lynx et, la baguette coincée entre les dents, il retourne dans la salle de classe d'Aleph.

Il se demande bien ce que le professeur de runes doit penser en voyant débouler un énorme prédateur clairement pas local avec une baguette qui brille orange entre les crocs; pas le temps de pointer sa baguette sur lui que Lee se retransforme et se redresser. “ Vous en êtes où? ” demande-t-il tout de go sans lui laisser le temps de parler, ou de se questionner sur où il était, ce qu'il faisait, et pourquoi un fil orangé est-il lié au bout de sa baguette. “ Vous avez besoin d'aide? ”

Aleph le regarde d'un air suspicieux, mais finit simplement secouer la tête. “ Encore trois allers-retours et ça devrait être bon. ” Lee ne peut pas s'empêcher de grincer des dents. Trois allers-retours, c'est beaucoup trop. Plus ils passent de temps ici, plus ils ont des chances de se faire avoir et dans ce cas-là... “ Faites en deux, ” lui dit-il d'un ton ferme et Aleph fronce un peu les sourcils dans sa direction. Il ouvre la bouche pour rétorquer mais il est interrompu par un gamin qui lui tire la manche. “ M'sieur Harris? M'sieur Haris? ” Lee ne peut pas s'empêcher de le fixer avec un air furieux. Il a l'impression d'être Royal en cet instant précis (une impression qu'il déteste) mais c'est plus fort que lui. Est-ce qu'Aleph veut qu'ils meurent tous parce que sa déontologie l'empêche de lancer un sort aux gamins pour qu'ils se taisent. Lee se détourne sans mot dire, il ne peut plus utiliser sa baguette pour insonoriser l'endroit au risque de mettre à mal la bombe, et à la place il se dirige vers le miroir pour hâter les gamins, passant la tête de l'autre côté pour vérifier avec Ashtray, Anthracite et Harland que tout va bien. Ils sont eux aussi en train de faire des allers-retours vers la Fawkes avec les premiers gamins qui sont arrivés. “ Je viens avec vous, ” finit-il par dire à Aleph qui lui jette un regard sévère derrière ses lunettes. “ Très bien mais-- — Je m'en fous du Silencio. Il faut qu'on tire les gamins de là. On y va, ” l'interrompt Lee impatiemment, poussant le dernier chiard à travers le miroir avant d'emboîter le pas à Aleph.

L'école est silencieuse, et Lee se rend compte en suivant Aleph à travers le dédale qu'il y a des surveillants qui sont endormis à leur poste. Vu le nuage gris qui flotte autour de leur tête, il imagine que c'est grâce à Aleph, qui ne leur jette même pas un coup d'oeil. Lee le suit silencieusement, concentré sur les bruits les entourant mais l'endroit semble désert... il ne peut pas s'empêcher de frissonner, pris d'un mauvais pressentiment.
Ils arrivent dans l'un des dortoirs sans mal, communiquant en quelques mots et quelques gestes pour réveiller tous les gamins, Lee s'occupant aussi du dortoir suivant. Ils ont un peu peur en le voyant mais Aleph les rassure et, sans trop d'agitation, ils parviennent à retourner à la salle de classe. Une petite fille a glissé sa main dans celle de Lee pendant qu'ils marchaient et elle a du mal à le lâcher, même quand il la pousse doucement et puis un peu plus franchement. Elle a des grands yeux noirs et semble sur le point de pleurer en passant le miroir.
Lee essaye de se mettre à leur place. Onze ans? Douze peut-être. Certains arrivent sur leurs dix-sept, c'est eux qu'ils vont chercher maintenant. Lee essaye de s'imaginer à cet âge. Il aurait protesté, posé des questions, aurait chahuté. Mais ces gamins-là semblent être morts à l'intérieur. Il ne peut qu'imaginer la douleur et les horreurs qu'ils ont vus entre ces morts.

“ Il faut qu'on aille chercher les plus vieux, maintenant, ” lui dit Aleph d'un air circonspect. Avec ses recherches, Lee sait qu'il y en a moins que de gamins-gamins. “ Je pense que... peut-être... ” Aleph hésite. “ Allons-y, ” fait Lee impatiemment sans attendre qu'il ait fini sa phrase. Après une nouvelle hésitation, Aleph le suit puis prend le devant pour le mener jusqu'aux dortoirs en question. “ Il faudrait qu'ils... ils vont parler et... — Je ne peux pas lancer de sort, ” dit Lee en montrant sa baguette qui a toujours un fil orangé qui en sort. Aleph pince des lèvres et puis hoche la tête, avant d'entrer dans le dortoir. Quelques questions, quelques protestations. Lee regarde le visage d'Aleph se craqueler alors qu'il lève sa baguette et incante un Silencio pour réduire les adolescents au silence. “ On y va, maintenant, l'Ordre du Phénix est venu vous libérer, ” fait Lee d'une voix forte, espérant désespérément que la mention de l'Ordre les incitera à le suivre. Ça semble fonctionner, ils commencent à faire chemin en direction de la salle de classe.
“ Il y a encore quelques autres au deuxième étage, ” lui chuchote Aleph et Lee grince des dents. “ Et au troisième. Encore un aller-retour et-- — Excusez-moi? ” Lee et Aleph s'arrêtent ensemble, la baguette de Lee disparaissant dans son dos. Il plisse des yeux pour voir à travers le Lumos incanté par l'homme qui se tient devant lui. “ Monsieur Harris? Qu'est-ce que vous faites debout au milieu de la nuit? Et qui est-ce...? ” L'homme a une voix lente, maladroite; Lee imagine qu'il a la bouche un peu engourdie. C'est sûrement l'un des gardes qui s'est endormi suite à un sortilège d'Aleph.

Putain d'incapable.

Le professeur s'approche en levant les mains. “ Gordon, c'est vous? Oh, Merlin merci, justement je-- — Vous avez sorti les élèves du lit? ” Lee voit déjà Aleph essayer de l'embobiner, insister... et il sait déjà que ça ne va pas fonctionner. “ Oui, il s'avère que-- ” Alors qu'Aleph commence ses explications improbables, Lee agite sa baguette et rompt le fil orange qui la reliait jusque là à la bombe. “ Reducto, ” fait-il d'une voix ferme en direction du surveillant, qui pousse un cri de douleur en étant projeté en arrière sous la force du sortilège qui brise en mille morceaux sa baguette dans sa main. Il rebondit contre le mur derrière lui dans un bruit sourd. Lee sent une main, d'un élève il imagine, s'abattre sur son épaule mais il tient bon. Il attrape le bras d'Aleph et se tourne vers les autres élèves. “ Tout le monde se baisse! ” crie-t-il, peu importe la discrétion maintenant...
Et sans attendre, la bombe explose. Tout le manoir tressaille et un bruit de destruction se fait entendre. Affaissement, plancher qui grince, Lee peut même entendre des cris de peur et de douleur venant d'en haut... les putains de gamins au deuxième et troisième étage.

Un silence assourdissant retombe sur le manoir pendant quelques secondes, et puis les cris reprennent, le manoir grince, des voix s'élèvent aux quatre coins de l'école. “ Qu'est-ce que-- qu'avez-vous fait? ” Aleph est passé de pâle à blême en un quart de seconde et regarde Lee avec de grands yeux paniqués. “ On y va, ” dit Lee aux élèves en l'ignorant, attrapant la main du premier pour le traîner après lui. “ On se casse. ” Aleph suit le mouvement sans réfléchir avant de s'arrêter brutalement quand ils passent devant la porte qui mènent aux escaliers. “ Les enfants... — On n'a pas le temps. — Mais-- — Aleph. Harris. Regardez-moi. Soit on les sauve eux, ” dit-il en désignant les élèves plus âgés qui ont l'air agités. “ Soit on les perd tous. ”
Aleph le regarde étrangement, choqué, et Lee peut presque entendre la voix de Kingsley dans la sienne. Un goût amer lui remonte dans la gorge et il a envie de vomir. “ Vous filez en haut, vous les attrapez et je vous attends au miroir, ” lui dit-il rapidement, dégoûté de lui-même. C'est des gamins, en haut. Ils doivent tout faire en leur pouvoir pour les sauver. Sinon, cette mission n'aura servi à rien. “ Faites au plus vite. ” Aleph hoche la tête et sans un mot, se détourne et s'en va monter les escaliers quatre à quatre en espérant sauver plus de vies ce soir.

Lee mène les élèves à travers les quelques débris. Ils ne croisent personne, fort heureusement, et Lee lève le sortilège de silence avant de les faire passer dans les miroirs. “ Pas le temps, ta gueule, ta gueule, vas-y, bouge, ” fait-il d'un ton brusque qui ne lui correspond guère. Il les bouscule et les pousse, les yeux vissés sur la porte. Il pointe sa baguette sur la porte quand elle s'ouvre, mais ce n'est qu'Aleph. “ Putain, enfin-- — J'ai pas pu aller au troisième étage, les escaliers étaient effondrés. ” Il a l'air paniqué, ses cheveux noirs partent dans tous les sens et il a beaucoup de poussière sur les verres de ses lunettes. “ Je dois passer par l'aile ouest. Juste quelques minutes, s'il vous plaît... — Oui, bien sûr. ” Lee hoche la tête. “ Allez-y, vite. ” Aleph n'attend pas son reste et y va, Lee s'occupant de faire passer les gamins terrifiés par le portail.
Vont-ils réussir à sauver tout le monde ce soir...?

Quand le vieux hibou refait apparition, il est en nage et à bout de souffle, poussant les enfants devant lui. “ Vite! ” hurle-t-il à Lee et celui-ci, une fois qu'il a passé la porte, incante un sortilège immédiatement pour rendre celle-ci résistante. Un instant plus tard, il entend des sorts être lancés. “ J'ai pas pu prendre tout le monde... — Filez, allez, ” le presse Lee sans l'écouter, tenant son sortilège en lui faisant signe vers le miroir de l'autre main. “ Non, attendez, une dernière chose. ” Les gamins ont disparu à travers le miroir et, dans un silence tendu, Lee maintient le sortilège alors qu'Aleph retire... son tableau? Oui, c'est ça. “ Pas le temps pour-- — Taisez-vous! ” Il en retire des documents et un cadre, où se trouve... Amycus Carrow? “ Qu'est-ce-- — Pour l'amour de Merlin, monsieur Jordan! ” s'écrie l'ancien professeur d'Histoire et Lee ne peut pas s'empêcher de sourire d'un air crispé. Il a entendu cette phrase à de bien nombreuses reprises dans la bouche de ses professeurs à Hogwarts.

“ Normalement, c'est bon, ” fait-il après avoir fait passé ses documents à travers le miroir. “ D'accord, allez-y-- — Non, il reste encore des enfants. — On pourra pas tous les sauver, Aleph! On peut pas, là, ils sont en train-- ” Lee s'interrompt en sentant son sort faiblir, le relâchant brusquement puis le replaçant en un éclair — une technique apprise auprès de Royal, pour indisposer son adversaire. Sauf qu'il se sent déjà faiblir... “ Non, non, non! ” s'écrie Aleph et, le prenant de court, l'ancien professeur pose ses deux mains sur son torse et le pousse en arrière. Lee hurle quelque chose en retombant, passant à travers le miroir en même temps, atterrissant dans les bras d'une Harland à l'air inquiet. “ Putain l'enfoi-- ” Lee passe le miroir de nouveau. La porte a été ouverte et un homme est allongé sur le sol, le visage en sang. Lee profite de l'effet de surprise pour désarmer l'autre sorcière qui s'est infiltré dans la salle de classe et tenait en joug Aleph. “ Si vous recommencez ça... — Je vais chercher mes élèves! ” s'écrie l'homme en l'ignorant, s'élançant déjà vers la porte avant de reculer d'un air effaré. “ Oui, venez, ” fait Lee d'un air impatient, le corps à moitié dans un endroit et un autre. Ça lui fout la nausée mais il tient bon, tendant la main vers Aleph pour l'attirer avec lui en dehors.

“ Je suis désolé, ” lui dit Aleph avant de lui foutre un formidable coup de pied dans le menton. Les yeux de Lee roulent dans leurs orbites et le monde devient blanc alors qu'il retombe en arrière, de nouveau dans les bras de Harland. Il entend un vague bruit scintillant mais il lui faut quelques secondes pour retrouver ses esprits et se concentrer sur le miroir, en face de lui.
Brisé.
“ Aleph? ” appelle-t-il d'une voix rauque, se redressant avec l'aide d'Harland. “ Putain... — Il a cassé le miroir, ” marmonne Ashtray en s'approchant, ramassant quelques éclats de verre avant de jeter un regard désolé à Lee. “ Ils pourront pas revenir jusqu'à ici maintenant, nous suivre ou tracer notre position. ” C'est une bonne nouvelle.
Il sont aussi sauvé tous ces gamins?
Alors pourquoi est-ce que Lee a toujours cette bile amère dans la gorge?