Si Anthony--

Non, il ne va pas penser à Anthony, surtout pas. Parce que s’il commence à penser à son meilleur ami, il va voir sa moue déçue, ses sourcils froncés dans un air désapprobateur, puis sa mine de chien battu et ça-- ça c’est suffisant pour lui faire changer d’avis illico presto. Et malgré ce que les autres racontent, ils ne peuvent pas tellement se le permettre. Le truc, c’est qu’il faut qu’ils se rendent à l’évidence : l’Ordre galère et ils n’en sont pas encore au point où tout le monde crève de faim ou crève tout court parce qu’il n’y a plus de quoi soigner les blessés et les malades, mais ça sent quand même pas très bon. Alors Sohan s’imagine pas sauver tout le monde en allant se faire un peu de pognon moldu qu’il pourra utiliser pour acheter de quoi améliorer un peu leurs conditions de vie, mais il se dit que c’est un bon début. Il aurait pu se contenter de voler un supermarché, ou encore de braquer une banque après tout, pourquoi pas, mais il a vu l’enseigne colorée et clignotante en passant et…

C’est con, mais ça lui a rappelé Jim à l’orphelinat, qui leur a appris à jouer au mah-jong parce que ça les occupait quand ils ne pouvaient pas aller jouer dehors ou n’avaient plus de comics à dévorer. Ca lui a rappelé qu’il était plutôt bon, aussi.

Sohan devrait savoir depuis le temps que laisser la nostalgie l’embarquer dans des plans foireux n’est pas une bonne idée et pourtant, le voilà assis à une table avec trois autres types à miser les quelques livres qu’il a sur lui.

Sa main n’est pas mauvaise et Sohan se sent plutôt confiant malgré la petite voix qui lui répète de faire attention. Ca aussi, c’est quelque chose qu’il est censé savoir : toujours écouter la petite voix. Mais l’idée de gagner la partie prend le dessus sur l’instinct et discrètement, Sohan glisse sa main au niveau de sa baguette glissée dans la poche de sa veste. Tricher n’est pas dans ses habitudes et une petite part de lui se sent coupable d’arnaquer ces moldus, mais il se dit que ce n’est qu’un jeu et que c’est toujours mieux que braquer une banque.

Le sort est à peine lancé - invisible aux yeux de ses trois adversaires - que ses cheveux se dressent à l’arrière de sa nuque et--

La douleur.

Elle explose dans sa tempe droite, lui fait voir des étoiles alors qu’un glapissement de douleur lui échappe.

Déjà, tout son corps se crispe, ses muscles se tendent alors qu’il agrippe le bord de la table en grognant lorsqu’il sent qu’on lui presse la joue contre les tuiles éparpillées un peu partout. “Alors en fait, j’crois qu’on t’a pas bien expliqué les règles. C’est écrit "pas de putain de tricherie" sur nos putain de murs, dans toutes les putain de langues,” qu’on lui crache à la tronche alors que Sohan pâlit, les yeux écarquillés tandis qu’il reprend peu à peu ses esprits malgré ses oreilles qui sifflent encore un peu.

Comment a-t-il fait pour le voir faire ? Sohan est sûr d’avoir été discret, personne à la table n’a compris ce qu’il avait fait et aucun moldu ne devrait être en mesure de comprendre ce que son geste signifiait. “Tu viens d'où ? D’une planète où on est assez con pour essayer d’entuber les Wang ? Tu sais qui je suis ? Tu sais qui on est ? T'as peut-être besoin que je te rafraîchisse la mémoire, j'me dis.” Oh fuck, non il ne sait pas qui il est, qui ils sont, mais Sohan est sûr d’une chose : il n’a pas envie de savoir.

“Ça ira, merci,” dit-il avant de fermer le poing et de toutes ses forces, envoyer son coude dans ce qu’il espère être les parties du gorille qui l’empoigne. Pas de bol, dans cette position et incapable de bien voir où il vise, Sohan manque de peu sa cible et l’atteint juste au-dessus, mais juste assez pour surprendre l’autre type et lui faire relâcher très légèrement sa prise. Il n’hésite pas une seule seconde et déjà, se redresse en s’extirpant de la poigne de l’homme et fouille dans ses poches pour trouver sa baguette.

Qui est tombée et qui a roulé un peu plus loin.

Fuck.

Plan B, donc. Sohan empoigne le gorille par sa veste en cuir (stylée, il lui demanderait bien où il l’a achetée, mais bon) et lui colle un coup de boule en plein dans le pif. Ca devrait le sonner assez pour lui laisser le temps de s’enfuir, pas vrai ?

“Fils de bâtard,” siffle l’autre mais Sohan ne s’offusque pas, trop préoccupé par le fait qu’il a à peine reculé et qu’avec la force qu’il est certain d’avoir mise dans son coup de boule, son nez devrait pisser le sang et il s’attendait à ce qu’il couine un peu plus que ça. Autant dire qu’il est déçu - même si une partie de lui, un peu plus tordue, est curieuse de tester les limites de ce nouvel adversaire. Et puis Sohan se rappelle brusquement qu’il ferait mieux de récupérer sa baguette et de s’enfuir, plutôt que de penser au nombre de coups qu’il faudra pour faire tomber l’autre type, mais il n’a même pas le temps de faire un pas que les deux gorilles qu’il avait complètement oubliés lui attrapent les bras et l’empêchent de bouger.
“Derrière,” ordonne l’autre et Sohan serre les dents en le voyant ramasser sa baguette. Se débattre ne sert à rien, les deux autres font deux têtes de plus que lui et sont des montagnes de muscles contre lesquelles il ne peut rien alors qu’ils le traînent à l’arrière du casino. Parce qu’il ne peut rien faire d’autre, Han observe tout ce qui l’entoure, réfléchit déjà à comment il va s’enfuir s’il parvient à se dégager de leur emprise. Il doit absolument récupérer sa baguette - c’est un cadeau d’Anthony, il ne peut pas la perdre - mais s’il n’y parvient pas, il devra quand même trouver un moyen de se tirer d’ici.

“C'est peut-être ça que tu cherchais ?” Han plisse les yeux. T’as raison, fais le malin, crie son regard alors que l’autre continue sur sa lancée : “T'as voulu nous la faire à l'ancienne, trois tours de passe-passe ni vu ni connu, c'est ça ? T'es bien mignon, mais t'es quand même un peu débile.” Le jeune homme lève les yeux au ciel. Il a voulu tricher, il s’est fait prendre, il ne peut même pas argumenter, c’est tant pis pour lui. Par contre, Sohan n’aime pas du tout le voir jouer avec sa baguette et il ne la quitte pas des yeux, comme un chat prêt à bondir sur une ficelle qu’on agiterait sous son nez.

“Et du coup on va te casser la gueule. Enfin, je vais te casser la gueule, eux ils font juste la sécu.” Ah. Charmant. Enfin, au moins il semble à peu près fairplay, pas vrai ? “T'as triché, tu t'es fait prendre : le jeu c'est le jeu, ce qui est quand même une putain d'ironie pour un tricheur de merde.” Oui bon par contre, il est obligé de causer autant ? Surtout pour débiter autant de merde, niveau grand discours de super vilain, autant dire que Sohan a vu mieux.
Il le regarde retirer sa veste, suit le vêtement qui finit entre les mains d’un des gorilles qui le libère enfin. Malheureusement, l’autre le tient toujours fermement et Sohan prend une profonde inspiration.

“Tiens, t'as qu'à reprendre ta merde, si tu la veux tant.” Bah bien sûr. “Allez t'as qu'à tendre le bras, Merlin l'Enchanteur.”

La benne à ordures est calée contre le mur, Sohan n’aurait qu’à sauter dessus pour l’escalader et se tirer. L’un des deux gorilles est sur son chemin, mais il est quasi certain d’être plus rapide et de parvenir à se faufiler entre lui et le mur pour s’enfuir. Il ne sait pas si l’autre tête de con court vite, mais Sohan a confiance en ses capacités.

Il peut s’enfuir.

Mais pas sans sa baguette, putain de merde.

L’autre gorille le lâche et Han s’empresse de faire un pas de côté, de mettre le plus de distance possible entre eux et lui. Son regard passe de la benne à ordures, à l’ordure qui tient sa baguette et il sait qu’il prend la mauvaise décision, mais honnêtement, il s’en fiche.

“Tu sais, j’pense que t’as regardé trop de films pour inspirer tes p’tits discours de thug,” dit-il avec un petit sourire en coin. “Mais t’as dû louper la partie où le type se fait toujours baiser à cause de sa trop grande gueule,” lui reproche-t-il d’un ton faussement inquiet. Sohan prend une posture défensive et se passe la langue sur les lèvres, l’air concentré. “T’as d’autres répliques de merde en réserve, ou on peut passer aux choses sérieuses ?” demande-t-il en ignorant son cœur qui bat trop vite. “Elle est pas bien grande, j’espère que tu sais t’en servir, champion,” fait-il en désignant la matraque qu’il tient d’un signe de tête en battant des cils, petite moue dubitative parfaitement en place.

trigger warning: violence, crude language "C'est pas pour ma gueule que je m'en ferais, si j'étais toi.” Oh, Sohan s’en fait clairement plus pour sa gueule que celle de la brute, mais c’est pas un truc qu’il risque d’admettre à voix haute. Peu importe qu’il soit terrifié, laisser la peur prendre le dessus ne lui apportera rien. Quelque chose lui dit que même s’il venait à le supplier de ne pas lui faire de mal, le grand débile en aurait rien à foutre et le tabasserait quand même. Sohan est déjà pas du genre à mettre sa fierté de côté pour éviter de se faire éclater la gueule, il risque clairement pas de tenter le coup alors qu’il sait d’avance que ça servira à rien. Non, quitte à s’en prendre plein la tête, Sohan préfère encore faire tout son possible pour s’assurer qu’il ne sera pas le seul à cracher du sang à la fin. Il s’est retrouvé impuissant une fois, ça n’arrivera plus.
“Du coup bon, t’as pas l’air d’avoir besoin de ça.” Cette fois, Sohan fronce les sourcils. Et puis il comprend. Ses yeux s’écarquillent et il ouvre la bouche, mais c’est trop tard. La baguette se brise avec un grand crac et c’est planté là, comme sonné, qu’il regarde le gorille jeter les deux morceaux de sa baguette sur le côté.

La baguette qu’Anthony lui a offerte avec un de ses premiers salaires. Vingt-six centimètres, bois de frêne et crin de licorne, têtue et inutilisable par qui que ce soit d’autre que Sohan. Sa première vraie baguette, à lui. Le premier cadeau que Tony lui a fait avec son propre argent.

"Allez, en piste." C’est à peine s’il l’entend, mais Sohan le voit venir.

Il a pété sa baguette. Ce fils de pute a pété sa baguette. C'est pas juste qu'Anthony lui a offert, c'est qu'il en a besoin, c'est toute sa putain de vie cette baguette, c'est ce qui lui permet de se battre, de survivre. La rage lui brûle les veines, lui donne l’impulsion nécessaire pour esquiver le premier coup de l’autre enfoiré. Ce n’est pas assez, la matraque lui touche quand même l’arrière de la cuisse dans un clac sonore. Sohan grogne, serre les dents et s’écarte d’un pas de côté. Sa cuisse le brûle à l’endroit où il a pris un coup, mais ça ne fait qu’alimenter sa colère.

“I’ll fucking kill you,” crache-t-il et avant que son adversaire puisse revenir à la charge, Sohan fonce.

Il est rapide, ça a toujours été un avantage. Et il a beau être format miniature face à l’autre con, c’est pas ça qui l’empêche de le charger à pleine vitesse, la tête repliée et l’épaule en avant. Il l’atteint de plein fouet, vise en-dessous de son centre de gravité pour le faire chanceler et en profite immédiatement pour donner une dernière impulsion, refermer ses bras autour de sa taille et les envoyer tous les deux par terre. Il ne lui laisse pas le temps de s’en remettre, s’assoit à califourchon sur lui et se redresse suffisamment pour lui coller son poing droit en plein sur le nez

Et puis le gauche, dans la mâchoire.

C’est plus une question de survie, ni même de fierté. Il va le défoncer, lui éclater le crâne par terre jusqu’à en faire de la bouillie, lui enfoncer sa putain de matraque tellement profondément qu’il pourra la sentir dans le fond de sa gorge, il va le tuer.

Il se dégomme les phalanges sur la tête dur du type, grogne, siffle, crache un mélange de son of a bitch, you fucking whore et d’autres insultes colorées. Et il frappe, de toutes ses forces, encore et encore.

tw: blood, violence, switch à l'anglais

Il se laissa cueillir par les petits poings d'acharné du tricheur – s'il avait interdiction formelle de se présenter aux tables, l'autre opium distillé par le gang, Martin n'en était pas moins un grand joueur.
Cela valait bien quelques coups, pour jauger de la hargne furieuse de l'autre ; pour s'en amuser, aussi, car s'il ne s'était pas acharné sur son visage, Martin aurait ri de bon cœur à même le sol, en sentant la douleur familière fleurir à même sa chair. Ce con était en train de se défoncer les poings, en s'esquintant sur les os saillants de son visage – de la fougue et de la violence, qui ne demandaient qu'à être polies sous la guidance d'un combattant de rue professionnel.

Il ne pouvait avoir toqué à une meilleure porte ; Martin était friand de nouveaux poings à former dans les règles de l'art.

Martin lui attrapa le poignet, bloquant le coup qui fondait sur lui ; la chaleur du Qi concentré dans sa main léchait, invasive, la chair bouillonnante de son opposant. Puis il décocha un coup de sa matraque à même le cou du sorcier, tirant sur le poignet entravé à l'opposé – ils basculèrent et Martin écrasa tout son poids sur son bassin, pressant son arme contre les avant-bas de la petite frappe contre l'asphalte comme s'il allait les y enfoncer. "I like your style", il avait le souffle court, sous la brusque montée d'adrénaline. "let's take care of your payment first, and then we can have a little chat, buttercup." Et Martin lui décocha un coup de poing en plein nez.
Peu élégant, à des lieues des enchaînement complexes de son kung-fu hybride – mais toujours terriblement efficace, quoiqu'avait pu en dire, des années durant, la bouche furieuse de Ziwen.

Il abandonna finalement ses poings pour se redresser, et envisagea un instant ses côtes – comme il l'aurait fait avec n'importe quel autre, car les entendre craquer sous sa matraque ou ses coups de pied était un délice dont il se privait rarement. Ses yeux revinrent néanmoins au visage ensanglanté du tricheur, un miroir du sien qu'il sentait picoter au travers des couches de cette ivresse de violence. "Alright." Il avait un sourire aux coins des lèvres, dont il s'aperçut en sentant y tirer une entaille. "Say, are you looking for a job?" Il fit tourner sa matraque, redevenue à sa taille normale, entre ses doigts. "Brats like you make for the best soldiers. You'd need some training, but you've got what it takes." Il venait de passer le test haut-la-main, sans aucun doute ; et désormais qu'il avait payé ses dettes de jeu, Martin lui offrait un sourire engageant, les yeux baissés sur lui, le dominant toujours de toute sa hauteur.