L’affirmation de Bart la laisse songeuse quelques instants. D’un regard précis, elle l’ausculte, tentant de comprendre ce qu’il pourrait cacher sous son sourire innocent et tendre, tandis que les mots prononcés tournent et tournent dans son esprit, décortiqués et analysés au plus profond. Elle sait qu’il étudie pour devenir un runiste confirmé et elle ne peut qu’encourager ce projet, heureuse de pouvoir partager cette passion avec lui. Mais là où c’était l’ambition de briller un jour aux yeux de son père qui l’avait poussée à s’y intéresser, Myrthild constate que c’est une curiosité presque maladive qui cause l’obsession de son fils pour les tatouages runiques et autres glyphes corporels de protection.
Cela l’inquiète, évidemment. Quelle mère se réjouirait des tourments de ses enfants ? A part bien sûr Adele Travers -et encore, cela n’est pas vraiment prouvé, simplement soupçonné.

Myrthild voudrait pouvoir rassurer son fils, mais elle doute qu’une rune supplémentaire ne lui suffise. Après tout, il y a de grandes chances qu’il en veuille encore une autre, et encore une autre. Parfois, même si elle refuse de le reconnaître, Bartholomeus l’effraie quelque peu, dans sa quête éperdue d’informations potentiellement dangereuses. «  Il n’y a rien à craindre, dehors, mon chéri. » si, bien sûr qu’il y a des dangers conséquents hors des murs de cette maison, mais les runes ne peuvent pas tout empêcher et elle doute qu’une protection tracée par ses soins écartera toute menace du chemin de son fils. Ce qu’elle a pu faire jusque là, c’était renforcer leur épiderme, à Bart et Imogen, de sorte que les écorchures et les bleus ne se forment pas, et que la douleur ne soit qu’infime pour les bambins. Loin d’elle l’idée que cela risquerait de les rendre quelque peu insensibles.

Un instant, puis elle se reprend, en haussant les épaules. «  Enfin, je ne dis pas qu’il ne t’arrivera jamais rien dehors : simplement que multiplier les glyphes de protection n’est pas forcément une bonne chose. Et puis, on ne peut pas... » elle s’interrompt. Parce qu’elle se rend compte qu’il y a de grandes chances pour que ce qu’elle dise effraye davantage encore son grand garçon. Son sourire est large, ses yeux pétillent et la voilà qui se penche vers son rejeton et démarre la leçon du jour : « Reprenons ces histoires de cercles de protection. Mais avant, vérifions les bases. » Et d’invoquer par un sort d’attraction informulé un fusain posé dans son bureau, qui traverse les pièces jusqu’à venir se poser dans sa main, avant qu’elle ne le tende à Bartholomeus tandis qu’un parchemin se pose sur la table basse devant son fils : «  Trace donc toutes les runes, de mémoire, dans l’ordre, sur ce parchemin, et entoure celles qui participent au renforcement des défenses physiques. »

Elle croit un moment l’accalmie revenue. Elle pense avoir réussi à détourner l’attention de Bartholomeus, sauf que le jeune homme n’en démord pas et, même s’il donne l’impression de se résigner en traçant les runes avec précision et application, il revient à la charge aussitôt les glyphes réalisés. Quoique déconcertée par la vivacité avec laquelle il attaque, elle préfère poser les choses lentement et se penche pour récupérer le parchemin. Elle sait qu’il a tout réalisé parfaitement, mais elle fait mine de vérifier tout ceci scrupuleusement. Le Serdaigle qu’elle a face à elle connaît bien ses runes et n’a pas perdu de temps en fioritures, les liant sans hésiter. Elle sent son regard avide sur elle, garde quand même ses yeux sur le parchemin qu’elle ne voit plus vraiment, concentrée sur une éventuelle stratégie qui la sortirait de cette conversation qu’elle ne veut vraisemblablement pas avoir.

Bon, elle se sait dans une impasse, sentant le regard presque brûlant de l’héritier des Prewett-Travers. Après un laps de temps qui risquerait de trop s’éterniser pour justifier un examen crédible, elle relève la tête du parchemin, qu’elle pose sur ses genoux, et hoche la tête avec un air satisfait. « Impeccable, Bartholomeus. », dit-elle seulement, en commentaire sur les cercles tracés au fusain. Autant dire que si elle emploie intégralement le nom de son fils, c’est qu’elle n’a pas aimé qu’il l’appelle par son prénom et instaure une distance presque défiante. Elle entrelace ses doigts tout en se penchant vers lui : « Tu es doué, tu as raison. » Elle ne peut pas lui enlever ça, c’est un bon théoricien des runes, mais pour quelqu’un qui a passé des décennies à tâcher d’appliquer des runes sur des objets inanimés et qui en a tatoué sur l’épiderme de ses mômes, Myrthild considère qu’elle est suffisamment avancée dans la maîtrise de cet art pour être à même de proférer des mises en garde adéquates. « Comme tu le sais, multiplier les runes sur une même surface pose un problème d’efficacité… » Naturellement, elle se relève et s’approche de la bibliothèque pour parcourir les rangées de livres, à la recherche d’un manuel avancé de gravure de runes durables qui va dans le sens de ce qu'elle affirme. Ne le trouvant pas, elle se retourne vers Bart en soupirant, une main posée sur sa hanche, un peu agacée que ses affaires ne soient pas rangées là où elle les a laissées : « J’imagine que c’est toi qui a subtilisé le Rasmussen ? Tu le remettras à sa place quand tu l’auras fini, s’il te plaît ? », exige-t-elle sans hausser le ton davantage, ne cherchant pas à rentrer en conflit. Elle pourrait être énervée, ne lui ayant certainement pas mis elle-même l’ouvrage dans les mains, mais elle comprend (un peu) la curiosité du jeune homme.

Et de s’appuyer contre la bibliothèque, bras croisés, avant de clarifier ce qu’elle ne voulait pas spécialement dire mais qu’il la forçait à formuler : « La rune que j’ai tatouée sur ton corps et celui de ta sœur est là pour vous éviter des blessures superficielles graves. Ce n’est pas une combinaison très complexe, peu s’en faut. » De loin, elle fait bouger le fusain sur le parchemin, de façon à ce qu’il reproduise la rune que Bart connaît bien pour l’ausculter très régulièrement. « Ça n’est en rien un glyphe pour faire tourner le hasard en votre faveur, ou écarter de vous des catastrophes que le sort n’est pas assez puissant pour contrer. » Les mains revenues sur le rebord du socle de la bibliothèque, elle observe son fils, y voit un instant avec beaucoup trop de clarté l’air revêche du géniteur de Bart, et hausse les épaules avant de revenir vers lui. « Il y a des choses que la magie ne peut pas contrôler sans qu’elle n’en dérègle d’autres : c’est bel et bien pour ça que je n’ai pas spécialement envie de rajouter une rune sur ton derme. Et j’aimerais bien que tu comprennes ça, plutôt que de jouer ton va-t-en-guerre. » Elle le contemple, cet enfant qui cherche à prouver sa valeur. Elle le comprend, dans un sens. Alors elle sait qu’elle ne peut pas totalement l’envoyer paître. « Mais je veux bien t’écouter, alors explique-moi quelle rune tu penses nécessaire à ajouter sur ta peau… » et de s’asseoir sur l’accoudoir du fauteuil de Bart, tout e justifiant ce revirement : « Puisque tu as l’air décidé à le faire tout seul en cas de refus de ma part, autant t’aider autant que je le peux. » C’est assez irréel de voir à quel point, avec les années, Myrthild est devenue spécialiste du dégoupillage des crises avant que ça ne devienne chaotique. Quoiqu’elle n’est pas vraiment sûre de réussir à désamorcer la bombe qu’est l’esprit de son fils.



@Bartholomeus Prewett

Parfois, dans son entêtement, Bartholomeus rappelle quelqu’un à sa mère : il y a dans son attitude butée parfois un peu de Ford qui transparaît. Ou peut-être n’est-ce qu’une surinterprétation qu’elle a, connaissant l’identité réelle du géniteur de son fils. Toujours est-il qu’elle daigne accéder à sa demande, et même s’offre de l’aider à déterminer la meilleure façon de réaliser la protection qu’il ambitionne.

Si les sourcils de la mère se froncent légèrement lorsqu’il évoque sa promise qui ne semble pas le porter dans son cœur, Myrthild n’interrompt pas pour autant son rejeton, qui déroule le fil de ses pensées. Il est toujours intéressant de constater que l’ainé, tout Serdaigle qu’il soit, cherche régulièrement à avoir un coup d’avance sur les autres et à anticiper toute réaction hostile à son égard. À raison, puisqu’il redoute vraisemblablement aussi la menace que représentent les résistants ralliés à l’Ordre du Phénix. Une ombre passe dans les yeux de la runiste experte, mais elle ne pipe toujours pas mot, se contentant d’hocher la tête pour confirmer qu’elle préfèrerait effectivement que son fils soit protégé vis-à-vis de ceux que le Régime du Dark Lord peint comme des terroristes. Dans le même temps, un sourire s’ourle au coin des lèvres de la brune, persuadée que son fils n’est en rien sans défense et saura se protéger et mettre en déroute d’éventuels adversaires. Bertram l’a élevé dans cette optique, après tout.

Tendant la main, elle récupère le mouchoir qu’il a sorti de sa poche et se penche également pour consulter la page marquée par Bart. Feuilletant rapidement l’article et dévalant en diagonale les colonnes de texte qui s’enchaînent et précisent les propriétés de cette rune. Sans mot dire, elle tend la main vers le fusain toujours posé sur le parchemin et, d’un geste fluide, trace deux runes à côté du glyphe déjà tracé : « Kenaz tout seul ? Mh… Ça pourrait être déséquilibré, tu ne crois pas ? Je veux dire : Fehu et Thurisaz ont été associés pour vous protéger contre les forces hostiles, et augmenter votre résistance. Si tu veux utiliser Kenaz, il faudrait peut-être chercher à l’associer avec une rune du premier ou du deuxième cycle. Voire deux. Hagalaz pourrait donner une stabilité renforcée à ce glyphe, éviter qu’une influence prenne le pas sur l’autre… » Prenant délicatement le grimoire des mains de son fils, elle commence à feuilleter les pages, en avant puis en arrière, avant de s’arrêter sur l’article concernant Ansuz, et de tapoter de l’index la reproduction de la rune : « Ou… Oui, Ansuz devrait faire l’affaire pour préciser la portée de Kenaz… Enfin, après, c’est à toi de les organiser dans le glyphe pour que ça se réponde, bien sûr… Mais ça se tient, je comprends mieux ce que tu veux faire. », affirme-t-elle, avec un sourire fier sur ses lippes. Il a vingt-cinq ans, il n’est plus temps de lui passer la main dans les cheveux, mais force est de constater qu’elle l’aurait fait s’il avait été plus jeune, comme pour lui confirmer son amour, comme pour l’encourager dans ses recherches. Bart n’est plus un enfant, c’est un homme, et elle s’en rend peut-être véritablement compte à l’instant.

Elle a fait le bon choix, elle croit : celui de donner quelques indications à son fils pour le guider sur le chemin qu’il a envie de suivre. Elle ne pourra pas le protéger tout le temps et elle tente de se répéter ces derniers temps qu’il n’est plus un enfant, mais bel et bien un adulte, avec ses goûts propres et ses espoirs, ses ambitions et ses secrets. Elle sait pertinemment qu’elle ne pourra jamais vraiment cesser de s’inquiéter pour lui, étant donné que sa faute première le marque potentiellement d’une cible invisible qu’il ignore tout autant que Bertram ou même Langford. Alors, peut-être qu’elle est même légèrement rassurée par le fait qu’il s’intéresse aux tatouages runiques, malgré l’insistance qu’il a eu besoin d’affirmer pour réussir à la faire céder et obtenir son aide.

Elle contemple sa progéniture, s’émerveillant du jeune homme qu’il est devenu, si fin d’analyse, à l’œil si vif quoique parfois inquiet. Un Serdaigle en force, comme son père (non pas le biologique mais celui qui l’a élevé et qui, aux yeux de la société sorcière, est bel et bien le patriarche de cette famille si parfaite au premier abord). Un esprit affuté qui s’intéresse au monde qui l’entoure. Les sens d’observation de Bartholomeus se confirment tandis qu’il reprend à l’adresse de sa mère et prouve qu’il reste attentif aux personnes qui l’entourent et aux remous politiques qui secouent ponctuellement le ponde sorcier. Elle l’observe longuement, un air indéchiffrable sur les traits, avant de se passer la main dans les cheveux.

Il vaut mieux qu’il ignore toujours ce qu’elle a pu jouer comme rôle dans cette guerre silencieuse. Étant donné l’éducation qu’elle et Bertram ont veillé à donner à leurs enfants, elle doute sérieusement que Bart pourrait comprendre et surtout taire les actions de sa mère. « Tant que ce ne sont que des regards, nous n’avons pas grand chose à craindre. » promet-elle doucement, faisant que certains principes de la société du Seigneur des ténèbres l’écœurent désormais sans qu’elle n’ait le cran (ou la folie!) pour signaler sa réserve grandissante. Et de répéter, d’une voix sans émotion, une expression presque devenue rituelle chez certaines familles de sang pur : « The Lord will prevail. »

En se demandant vraiment s’il vaudrait mieux pour eux que le camp des Mangemorts remporte cette guerre, vu ce que ça pouvait impliquer pour ceux et celles qui avait soutenu le camp adverse,