Pire idée du monde, les tapis volants de la boutique chelou de Knockturn Alley ! Ce que le vendeur à l’air mauvais avait oublié de me dire, c’est que ceux qu’il vendait avait une légère tendance à vouloir étouffer leur passager en moins de deux secondes, leur côté anaconda tissé. Saloperie !
Cela dit, meilleure idée du monde de tester la marchandise avant de vraiment l’acheter, comme ça personne ne mourra cette saison. Reste quand même que j’ai le cœur qui cavale encore, et que j’ai été délestée d’une partie des Gallions que j’avais sur moi pour rembourser la destruction du tapis qui est parti en flammes. Le vendeur a fait la fine bouche et a fini par accepter de m’indiquer une autre boutique de tapis volants sur Londres, après que je l’ai menacé de le dénoncer au Ministry of Magic de tentatives d’homicide. Objets magiques ensorcelés, vraiment de la merde ce truc.

Résultat, me voilà côté no-maj de Londres, l’ayant rejoint via le passage du Leaky Cauldron, et j’essaie de m’y retrouver sans sortir ma baguette de ma manche. J’avise un plan no-maj du quartier et après quelques secondes d’observation, je me dirige enfin dans la direction de Camden Town, enfin je crois.

Je ne suis pas sûre de ce que je vais y trouver, mais bon, ça a l’air de pas courir les rues, les tapis volants, en Grande-Bretagne. Vu que ça avait été banni des États-Unis après 2001, on n’en a jamais eu dans l’émission, mais quand j’en ai parlé à Jorge, en oubliant de lui raconter les embrouilles que j’avais eues à Knockturn Alley, il avait l’air d’être comme un gosse et m’avait donné le feu vert et du fric pour acquérir ledit tapis volant. Faudrait quand même pas que je revienne bredouille donc j’espère vraiment que ça va pas être nul. Mais la boutique d’ésotérique est tenue par des sorciers, m’a-t-on dit, alors je pousse la porte avec l’espoir de trouver mon bonheur. Ça tintinnabule et je laisse mes yeux s’habituer lentement à la demi-pénombre qui donne une apparence sacrément mystique à l’échoppe, arrivant du dehors où il faisait grand soleil -un miracle pour Londres, non ? « Hi, is there anyone? », que j’hasarde sans vraiment savoir si c’est une bonne idée. J’avance lentement dans la boutique, regardant de part et d’autre des allées où s’entassent de tas d’objets variés et j’avise la silhouette d’une grande femme qui a l’air un peu perchée. Sauf qu’à ce qu’elle a l’air de faire comme gestes, et qu’à ce à quoi elle prête attention, il paraît évident que c’est une moldue qui essaie d’en mettre plein la vue à ses amies. Elle n’a pas l’air de prêter spécialement attention à moi, et je n’arrive toujours pas à repérer de vendeurs, tout en avançant dans l’allée centrale, les mains dans le dos, un sac en toile sans fond qui pendouille à l’épaule. Au détour d’un croisement à peut-être dix pas de la porte, j’avise des tapis nombreux qui prennent tout le reste du côté gauche de la boutique. Bon, ça doit être ça. Mais en approchant, j’ai plus l’impression que les tapis sont ordinaires qu’autre chose. Ils ne pulsent pas la magie comme certains objets effleurés le faisaient depuis mon entrée dans cet endroit.

Le problème, c’est que dans cette partie no-maj de Londres, je me vois mal demander à voix haute où sont les authentiques tapis volants des Bashir. Et je commence à me raviser, à soupçonner une arnaque de la part du type de Knockturn Alley, sauf qu’en faisant demi-tour, je croise le regard d’une jeune femme qui doit être sinon une vendeuse, au moins la gérante du local commercial. On se jauge quelques instants, et je finis par demander en m’avançant de deux pas vers elle, mon accent new-yorkais assez repérable : « Are you working here? ’Cause I kinda need some help, someone to help me choose a carpet… » J’accompagne ce dernier mot d’un rictus complice, comme si on savait toutes les deux très bien de quoi je voulais parler. En espérant que ce soit une sorcière, et qu’elle ne croit pas que je lui fais des avances. Quoique, elle est plutôt jolie, donc tant qu’à faire… Mais d’abord, remplir et accomplir la mission tapis volant. Le reste, on verra plus tard.

C’était presque de la torture que de rester là, au fond de la boutique, à attendre que le temps passe. Elle n’était pas d’humeur, Nephtys, ne l’était plus depuis bien longtemps et ne faisait que se forcer à faire acte de présence uniquement pour faire un effort auprès de son frère depuis la dispute qui avait fini par éclater entre eux. Et elle avait beau se renfrogner pour toutes les bonnes raisons du monde - du moins selon ses propres critères -, elle n’était pas entièrement stupide pour se rendre compte qu’Amasis ne méritait pas ses absences répétées, cette haine dissimulée qu’elle portait envers elle-même et qui handicapait indirectement la relation entre eux. Ses silences avaient fini par peser sur le commerce-même qu’ils avaient ouvert ensemble à Camden, elle le savait bien, et la culpabilité était revenue au galop après que son frère lui ait fait comprendre qu’elle devait prendre ses responsabilités en main. Il fallait dire que ça faisait deux ans que ça durait, deux longues années depuis qu’ils avaient eu la bonne idée de revenir s’installer en Angleterre, dans ce pays si froid qui les avait déjà accueillis lorsque leur père avait tenté d’implanter ses tapis sur le marché européen. Seulement maintenant ce n’était plus que le pays qui symbolisait la découverte d’une vérité qu’elle tentait vainement d’oublier et qui la forçait à reconnaître les mensonges de son père qui la hantaient chaque jour. Elle qui avait à la base simplement voulu profiter de la terreur ambiante s’était retrouvé victime de son propre jeu malsain de torture. Génial. Du coup elle se vengeait sur ce qu’elle pouvait, Nephtys, de manière maladroite en oubliant d’abord que son frère n’avait rien à voir avec les agissements de son père. Alors elle avait ravalé sa fierté pour remplir le rôle qu’elle avait lentement fini par abandonner au profit de ses fuites improvisées en commençant par une première journée en solo.

Et là, en arrière boutique, assise sur sa chaise, l’ennui commençait lentement à la ronger de l’intérieur. Il n’y avait absolument rien de fun à attendre les clients, à tenter de vendre des objets lambda à des pauvres moldus qui n’avaient aucune idée du danger auquel ils s’exposaient. Et ceux qui savaient, les sorciers qui recherchaient leur savoir - que ce soit pour les tapis volants ou pour la partie encore moins exposée de magie vaudou - se comptaient sur les doigts d’une main. Et le pire était qu’elle aurait été incapable de dire si le taux d’activité équivalait à ce qu’ils avaient d’habitude en journée. Ouais, ce n’était clairement plus la reine des affaires, Nephtys, elle avait laissé ce titre-là depuis deux ans maintenant et ses succès n’avaient de toute façon plus qu’un goût douceâtre.

Ce fut finalement un bruit de pas qui la fit sortir de son antre. Toujours sans aucun entrain et en traînant légèrement des pieds avant de planter son regard sur le visage d’une jeune femme légèrement plus jeune qu’elle. Une sorcière, sans l’ombre d’un doute. Son accent américain lui arracha un sourire des lèvres. Comme ça, elle cherchait un tapis et elle s’était retrouvé là. Génial. Son père aurait approuvé l’idée d’exporter un tapis sur le marché américain. Nephtys, elle, approuvait largement moins. Ça la forçait à parler d’un commerce qu’elle avait délibérément mis de côté - encore plus que les deux autres -  et elle se retrouvait partagée entre l’idée de dire à la jeune sorcière qu’elle ne savait absolument pas de quoi elle voulait parler et celle d’accepter son sort…
“Hi there, welcome here!”, se mit-elle à improviser de manière théâtrale qui pouvait passer pour naturelle. Ouais, peut-être qu’au final vendre lui avait un peu manqué. “Sure! We do have the best magic carpets here. All made in Egypt by the Bashirs and very functional.”, continua-t-elle sur le même ton en accompagnant cette fois ses paroles d’un petit sourire. Elle avait presque présenté le commerce Bashir comme si elle ne portait pas elle-même ce nom-là, encore la seule solution qu’elle avait choisie pour se démerder. “Do you have a specific need? Tell me more dear.” Faire parler les clients pour mieux cerner ce qu’elle pouvait leur vendre. Elle avait appris auprès des meilleurs.