Aussi étrange que cela puisse paraître, tu es d’humeur radieuse ce matin, alors que tu arpentes les couloirs du Ministère de la Magie. Tu prends le temps de saluer les sorciers, que tu considères d’ordinaire comme de vulgaires sous-fifres ne méritant pas même un regard de ta part. Cet élan de politesse et de sociabilité en étonne d’ailleurs plus d’un, à en juger par les regards interloqués qui se portent sur toi, comme si l’on soupçonnait quelqu’un d’avoir bu du polynectar pour prendre ton apparence. « Bonjour, Madeline » Ta brave secrétaire manque de s’étouffer avec son thé alors que tu la salues aussi poliment. En règle générale, elle n’obtient de toi qu’un vague hochement de tête, signifiant que tu étais au fait de sa présence mais que tu n’y accordais absolument aucune importance. Tu pousses la porte de ton bureau et viens t’asseoir nonchalamment sur ton fauteuil. Comme tous les matins, Madeline se précipite à ta suite et t’apporte un récipient en argent, duquel s’élève une chaude odeur de café. Ton sourire de remerciement s’efface aussitôt que la petite femme replète ouvre la bouche pour te débiter ton agenda du jour. C’était plus fort que toi, tu n’avais jamais pu supporter le son de sa voix. Au point même de te renseigner sur l’existence potentielle de sortilèges pouvant modifier le timbre de voix d’un être humain. « Monsieur Travers, aujourd’hui est une journée exceptionnelle, vous n’avez qu’un seul rendez-vous ! » glapit-elle gaiement. Tu te demandes en quoi cela peut-il bien être signe d’une journée exceptionnelle, puisque tu es tout de même coincé au travail, avec une pile de dossiers à examiner. S’imaginait-elle peut-être que tu allais repartir chez toi dès lors que tu aurais fini ton rendez-vous ? Tu te retiens de justesse de lever les yeux au ciel et te sers une tasse de café en attendant qu’elle poursuive. « Madame la sous-secrétaire d’Etat et Directrice du département de contrôle et de régulation des créatures magiques vous attend dans son bureau à 9h. » A l’évocation de ton rendez-vous avec la perfidie en personne, tu laisses brutalement tomber la tasse de café que tu tenais entre tes mains. Le breuvage encore bouillant vient éclabousser ta main. Tu laisses échapper un juron alors que Madeline s’empresse de nettoyer tout ça. Envolée ta bonne humeur matinale ! Tu te lèves, l’air furieux, avant de porter un regard inquisiteur sur ta secrétaire. « Qui a eu la stupide idée de coordonner ce rendez-vous ?! Je n’ai pas le temps de faire des courbettes auprès de cette… de cette… femme ! » Le mot qui t’était d’abord venu en tête pour qualifier Umbridge était bien trop péjoratif pour que tu puisses véritablement le prononcer en public. Le visage de ta secrétaire était désormais déformé par une expression des plus apeurées, comme si elle craignait alors pour sa vie. Tu ne lui avais pourtant jamais lancé d’impardonnables -même si ce n’était pas l’envie qui t’en avait manqué- alors qu’elle se ressaisisse et réponde à ta question ! « Madame Umbridge aimerait savoir où en est l’enquête quant à l’attaque ayant été proférée contre son immeuble. » Et toi tu aurais aimé qu’elle ne te fasse pas envoyer à Azkaban, songes-tu en ton for intérieur. D’un geste de la main tu congédies ta secrétaire, qui ne se fait pas prier pour sortir de ton champ d’attaque.
8h55. Ta colère encore piquée au vif, tu quittes ton bureau et rejoins les ascenseurs afin de te rendre au niveau quatre. S’il y a bien un département qui rassemble toutes les pourritures de la société sorcière, c’est bien celui-ci, songes-tu alors que tu passes devant la porte du bureau de Rabastan Lestrange. Une fois arrivé devant le secrétariat de Dolores Umbridge, tu annonces ta présence. Dans l’attente de ton entrevue avec le diable, les souvenirs les plus terribles de ton emprisonnement te reviennent en mémoire.

Elle était arrivée tôt ce matin-là tandis qu’un fin brouillard s’était propagé sur Londres. Dolores Jane Umbridge n’empruntait jamais l’entrée des employés. L’accès se situait en plein cœur de toilettes publiques moldues. L’idée de se mettre debout dans une cuvette ne branchait pas tellement la Sous-Secrétaire d’Etat auprès du Ministre, pas davantage que de croiser des nés-moldus vêtus de « jeans », de « t-shirts » et de « baskets ». Elle trouvait tout ceci ridicule, et les « boites à musiques portatives » que ces êtres inférieurs trimballaient dans leurs poches ou à la main l’effrayait plus que de raison. A quoi pouvait bien servir de relier par des fils ses deux oreilles à une boite qui chante ? Les moldus, décidément, lui fournissaient d’eux-mêmes les preuves de leur infériorité… Ainsi, Dolores Umbridge ne fut pas au courant que la police britannique moldue venait de déjouer un attentat terroriste dirigé contre un avion de ligne par al-Qaeda, ni que le commanditaire de cette tentative, un certain  Rashid Rauf, était arrêté au Pakistan.

Dans un souffle de flammes vertes, la Sous-Secrétaire d’Etat auprès du Ministre apparut dans son bureau rose. Les chats peints dans les assiettes en porcelaine se mirent à miauler. En claquant des doigts, Dolores les fit se taire. Elle détestait ces miaulements âcres qui ne lui rappelaient que trop sa propre voix. La sorcière aimait agacer autrui, mais il était impensable de tolérer une quelconque réciprocité. Avertie par les bruits des chats de porcelaine, l’assistante de Dolores Umbridge, une femme chétive, aussi longue que maigre, amena une assiette de macarons roses bonbons d’une main, peinant à la maintenir en équilibre dans sa main, et une tasse de thé brûlant. « Et l’usage de la magie c’est pour les Scroutts ?  » commenta sèchement Umbridge sans lui porter un seul regard. « Ou vous préférez peut-être que je lance des recherches plus avancées sur votre arbre généalogique Pamela ? » L’assistante ne fit que pousser un petit gémissement étouffé.  La Sous-Secrétaire dévoila un sourire maléfique qui trancha avec son maquillage enfantin et son visage de poupée rousse. Pamela, sa secrétaire, avait perdu sa voix pour d’obscures raisons et seule sa patronne lui avait donné sa chance depuis que son mari était parti… C’est du moins ce que Dolores faisait croire… « Parfois il ne vous manque que la parole. » railla-t-elle.  

Se débarrassant de la compagnie de Pamela d’un geste de la main – elle sembla chasser un moustique particulièrement pénible – Dolores Jane Umbridge se dirigea derrière son bureau pour en sortir un petit classeur noir au nom de Marlon Travers. Saisissant de ses doigts courts une note de service prioritaire au dessus de l'étagère, elle nota en se servant du classeur comme pupitre : Annuler agenda MT. RDV Sous-Secrétaire 9h. Attentat Bloomsbury. Se tordant en un avion de papier couleur chair, la note s’envola pour rejoindre le Département de la Justice Magique. Avec un sourire de façade, Dolly ouvrit d’un coup sec le dossier de Travers et s'appuya contre le mur, avec nonchalance. Elle avait plus d’une heure pour se remémorer tous les détails notés au fil des années sur Marlon. Se gavant de macarons à la framboise, elle put lire :

MARLON TRAVERS
Statut de sang : Sang-Pur mais manifeste une attirance pour les femmes de sang-mêlé (se reporter au registre des familles de sang-pur).

FAMILLE :
Divorcé (épouse impure) deux enfants (impurs)
NB : les deux enfants sont aujourd’hui considérés comme disparus par le Ministère.

STATUT SÉCURITÉ :
SOUS PROTECTION. Cible importante potentielle des rebelles.


La petite horloge de son bureau indiqua rapidement 9h. Dolores Umbridge épousseta les miettes de macarons qui parsemaient son tailleur rose persan. Elle ajusta sa chevelure rousse parfaitement mise en pli. On aurait dit que la Sous-Secrétaire d’Etat sortait d’un bain de cire. Le régime de Lord Voldemort lui seyait magnifiquement. Au travers de l’œil magique d’Alastor Moody fixé sur sa porte, œil qu’elle avait pris soin de récupérer après la mort de l’auror en 1999, elle apercevait la silhouette de Marlon Travers. La petite sorcière retoucha ses lèvres d’un peu de rouge et s’installa derrière son bureau. D’un doigt, elle remit droit un crayon à papier, pour l’aligner parfaitement avec le portrait de Lord Voldemort qui décorait son bureau. D’un coup de baguette, elle ouvrit la porte de son bureau, restant à distance, et annonça de sa voix d’enfant polie : « Entrez Marlon, vous êtes en retard ». A ces mots, l’aiguille des minutes glissa immédiatement sur 9h01.

Les fantômes de ton passé avaient brutalement ressurgi dans ton esprit. Tu revoyais la bouche béante des détraqueurs s'entrouvrir pour te dévorer l'âme aussi précisement que s'ils avaient à nouveau été là devant toi. Ton regard faisait abstraction de tout ce qui t'entourait en cet instant précis. Le slience de mort qui régnait sur le niveau quatre était dans ta tête brisé par les cris de démence de tes co-détenus. Aujourd'hui avait beau être l'une des journées les plus chaudes de cet été, ton corps fut parcouru d'un frisson alors que la chair de poule s'emparait peu à peu de la surface de ton épiderme. Ton visage prit subitement une teinte livide et une douleur aigue vint te percer la poitrine. Tu étais à deux doigts de succomber à une crise d'angoisse lorsque tu entendis la petite voix nasillarde d'Umbridge s'adresser à toi. La noirceur de tes souvenirs s'évapora aussitôt et laissa immédiatement place à une colère froide et profonde. C'est à cause du faux témoignage de cette harpie que tu avais passé près de douze ans de ton existence enfermé dans une cellule d'Azkaban. Pour un meurtre que tu n'avais pas commis. Si peu de gens étaient au fait de la vérité. Tu ne t'étais confié à ce sujet qu'auprès de ta soeur Myrthild, sans toutefois lui révéler l'identité du mouchard.
Le petit monstre qui te faisait face osait te reprocher ton prétendu retard, alors que tu avais toujours été un modèle de ponctualité - mettons cela sur le compte de tes origines allemandes. "Dolores. Les ascenseurs se sont montrés capricieux ce matin." réponds-tu d'un ton glacial mais courtois. Dévisageant Umbridge de la tête aux pieds, tu te dis qu'il te serait si aisé de briser sa frêle silhouette. Dans tes rêves, tu t'es imaginé à de si nombreuses reprises lui arracher la vie à la manière moldue, avec passion et violence… Quel gâchis qu'une femme d'apparence si charmante se révèle être l'incarnation du démon.
Tu ne te fais pas prier et la suis à l'intérieur de son bureau. C'était la toute première fois que tu pénétrais dans l'antre du monstre, et tu fus sur le point de défaillir lorsque tes yeux se posèrent sur les lieux. Par où commencer ? Entre l'overdose de rose et la multitude d'assiettes ornées de ridicules petits chats, c'était la parfaite incarnation du mauvais goût. Tu te demandais si l'endroit était toujours profané de la sorte ou si elle était au courant de ton allergie aux poils de chat et avait décidé de redécorer le bureau avant ta venue, en guise de provocation.
Malheureusement bien trop conscient du fait qu'elle était ta supérieure hiérarchique, tu restes debout, attendant d'être invité à prendre place sur l'un des fauteuils destinés aux visiteurs -certainement peu nombreux. "Dites-moi, Dolores, en quoi puis-je vous aider ?" Ta voix s'attarde légèrement sur ce dernier mot. Tu ne lui donneras pas le plaisir de te mettre à ses pieds. Dans le cas présent, c'est elle qui a besoin de toi et non le contraire. Tu sais parfaitement pourquoi elle t'a fait convoquer ici, mais si elle veut se servir de toi, il va falloir qu'elle joue franc jeu et reconnaisse la necessité de t'avoir à ses côtés.

«  Asseyez-vous Marlon, ne vous faites pas prier, je m’en voudrais de vous mettre dans une situation inconfortable » minauda Dolores Umbridge en désignant de sa main pâle un fauteuil en velours rose particulièrement rembourré. Elle eut un petit sourire en coin en songeant à l’histoire qui la liait à Marlon Travers. Naguère, le confort du sorcier de sang-pur lui avait peu importer. S’il avait passé douze ans entre les murs glacés d’Azkaban, la Sous-Secrétaire d’État auprès du Ministre s’était contentée de la chaleur tamisée des bureaux de l’administration sorcière, se hissant de trahison en trahison jusqu’à devenir le bras droit de Cornelius Fudge et servir consciencieusement le Ministère et sa bureaucratie millénaire. Cela faisait tellement d’années qu’elle occupait le même bureau, avec les mêmes assiettes de porcelaines, avec le même parfum de pot-pourri à la framboise et à la lavande qui piquait le nez. Immunisée, cela n’était un inconvénient que pour ses visiteurs.

«  Si je vous ai invité, c’est évidemment pour entendre vos conclusions concernant l’odieuse attaque dirigée contre mon ancien domicile ». Elle le fixait de ses yeux globuleux, aimable et qui se voulait chaleureux. A vrai dire, on aurait dit un têtard tout juste sorti d’un étang. Quittant son bureau, Dolores se dirigea vers une petit table recouverte d’un napperon. C’était la même table que celle sur laquelle Harry Potter avait passer de nombreuses heures de retenue à copier dans sa propre chair et avec son propre sang un des mantras de la Sous-Secrétaire. Elle y tenait comme on tient à un souvenir de famille, avec une forme de tendresse déraisonnable comparé à la valeur de l’objet. Elle arracha sa baguette de sa ceinture – par précaution depuis l’attaque elle la gardait à portée de main – et fit apparaitre un service à thé saumon, et deux minuscules tasses de porcelaine vernie. «  Je suis convaincue, cher Directeur, que nous pourrons nous entendre et devenir de très bon amis ». Tournant le dos à Marlon, elle versa le liquide nacré dans chacune des tasses. Pourtant, comme pour éviter qu’il ne la coupe dans son monologue soigneusement étudié, elle s’éclaircit la gorge – ahem ahem – par précaution. Quand sa voix de petite fille, haut-perchée et guillerette, ne résonnait pas dans le bureau, seul des miaulements timides rompait le silence.

Les talons de ses chaussures - qui ne réussissaient pas à la faire paraitre plus grande – claquaient sur le sol, laissant parfois des rayures grossières sur le parquet ciré. Dolores déposa la tasse de Travers devant lui et se garda bien de lui offrir du sucre. « J’y ai mis un nuage de lait. Vous m’excuserez, mais je trouve que cela fait ressortir les couleurs de ce merveilleux breuvage » s’enjoua-t-elle faussement en s’asseyant derrière son bureau ridiculement grand. «  Thé rose de Gambie. Une trouvaille n’est-ce pas ? ». La question n’appela pas de réponse. Le regard froid de Dolores l’interdisait de facto Mélangeant son thé en cognant la cuillère contre les bords de la porcelaine, cette comédie dura d’interminables minutes. Parfois, elle lâchait un petit rire aigre puis se ravissait, comme pour meubler le malaise qu’elle avait elle-même installer – ou le cultiver davantage sans doute. Umbridge était semblable à un serpent constrictor, s’enroulant avec politesse autour de sa proie pour resserré pernicieusement autour d’elle son étreinte. « Alors ne soyez pas timide, racontez-moi tout » annonça-t-elle enfin, s’accoudant sur son bureau, la tête entre les deux mains, position mignonne, si elle avait été une écolière de moins de 10 ans…

Par chance, tu n'avais jusqu'ici jamais eu véritablement d'occasions de t'entrenir avec Dolores. A vrai dire, la seule et unique fois où vous aviez été dans la même pièce suffisamment longtemps pour échanger quelques paroles, tu avais choisi de rester parfaitement muet. Et pour cause, tu savais d'avance que ton procès ne serait qu'une formalité, que lorsque l'on s'apercevrait que tu portais la marque, tu serais condamné d'office. Peu importe que tu sois innocent ou non. Perdre ton énergie à hurler la vérité devant le Wizenmagot ne t'aurait rien apporté. Pas alors que tout t'accusait, pas alors que le destin avait choisi de se liguer contre toi. Aussi valait-il mieux que tu conserves tes forces pour l'horreur qui t'attendait bien sagement entre les murs d'Azkaban.
Te voilà aujourd'hui dans l'antre du monstre. Une atmosphère bien différente de celle de ton ancienne prison, et pourtant les sentiments qui te hapent sont tous aussi déplaisants. Dolores ouvre sa petite bouche mesquine et tu comprends vite qu'il va falloir peser le poids de chacun de tes mots. Ici rien ne peut être laissé au hasard, tout se doit d'être mûrement réfléchi. Oubliées les techniques de duel sorcier, la partie qui se joue dans cette pièce est fondée sur des règles tout autres. Répondant silencieusement à son invitation, tu prends place sur le gros fauteuil rose qui trône face à son bureau. Si tu n'avais pas passé autant de temps à Azkaban par sa faute, l'odeur de pot-pourri émanant de la pièce t'aurait très certainement incommodé.
Le fait qu'elle qualifie ce rendez-vous imposé de simple invitation te donne déjà une irrésistible envie de lui faire connaitre tes petits sortilèges de torture, mais alors qu'elle aborde votre potentielle future amitié, tu puises dans tes dernières ressources de sang-froid pour ne pas porter la main à ta baguette. Plus qu'une guerre des mots, c'est une guerre des nerfs qui va se jouer ici. Elle te révulse, elle te débecte et pourtant tu sais que tu n'as d'autre choix que de rester courtois. Elle a bien trop de pouvoir, trop de petites manigences cachées dans son tiroir. Tu acceptes poliment sa tasse de thé tout en sachant pertinemment que tu n'en boiras pas une goutte. Outre le fait que tu ne boives en général pas de thé, tu ne lui fais absolument pas confiance quant à la contenance du brevage. "Prenons garde à ce que notre amitié ne s'ébruite pas en dehors de ces murs. Au regard de ma position et de l'enquête en cours, il serait aisé de m'accuser d'entretenir un certain conflit d'intérêt." Tu lui rends avec une certaine habileté son sourire si mielleux. "Merci pour le thé." ajoutes-tu sur un ton faussement interéssé avant de reprendre un air plus sérieux. Tu accentues le froncement de tes sourcils comme pour signaler que la situation était complexe. "Vous comprendrez naturellement que je n'ai pas véritablement le droit de vous confier tous les détails de l'enquête. Néanmoins, je suis habilité à dévoiler certaines informations." Tu marques une pause, désireux d'entretenir le mystère. Et de la pousser dans ses retranchements. "S'il est évident que les coupables appartiennent à une mouvance rebelle, certains éléments nous poussent à croire qu'il n'y aurait pas eu que de véritables sorciers dans le groupe." Tu ne prends d'abord pas la peine de préciser ce que tu consières comme "de véritables sorciers". Propos libres d'interprétation, ils pourraient cependant qualifier des nés-moldus tout comme des sangs-mêlés. Dolores a beau jouir de grandes responsabilités au sein du Ministère, elle ne fera jamais partie de l'élite des sangs-purs. Un fait que tu es bien décidé à ne pas lui faire oublier. "Connaitriez-vous par hasard un cracmol prénommé John ? Selon nos sources, il vient du comté de Lincolnshire. N'est-ce pas égalemement là-bas que vous avez grandi ?" Question faussement naive, cela va de soi. Portant la tasse de thé à tes lèvres, tu orchestres une pause soudaine et relèves le regard vers Dolors, comme si un détail important venait de se rappeler à toi. "Dolores, je vous prierai de bien vouloir reconsidérer la liste des personnes susceptibles de vous vouloir du mal. S'il existe un vampire, un centaure ou tout autre hybride en particulier, il nous serait très utile d'en connaitre l'identité exacte." Tu reposes nonchalemment la tasse de thé, sans en avoir bu une seule goutte. "Peu importe la longueur de la liste. Soyez sûre que nous l'étudierons avec intérêt."

Dolores Umbridge perdait patience. Le visage de Marlon Travers conservait un sang-froid qu’elle ne lui connaissait pas – parce que cela ne l’avait absolument jamais intéressé. Elle savait en revanche les détails de l’affaire qui l’avait mené en prison, pour en être la source première. Elle écouta le Chef de la Brigade de Police Magique avec attention, les lèvres pincées en une expression indescriptible. La Sous-Secrétaire d’Etat auprès du Ministre, avide, bu chaque mot bien pesé qui sifflait au travers de son oreille comme autant d’attaques courtoises. Des années de bureaucratie lui avait appris à déchiffrer ce langage, pire encore, elle en était arrivée à une grande maitrise dans cet art pernicieux. Sans doute n’était-elle pourvue que de ce talent qui avait servi son ambition au-delà de tout ce qu’elle avait pu imaginer étant encore écolière. Patiemment, sans un bruissement, elle se glissa en dehors de sa chaise, tasse de thé à la main, et tourna le dos à Marlon Travers. Elle n’avait rien à craindre de lui tant que le Seigneur des Ténèbres la maintenait dans sa fonction. Les récents événements lui avait prouvé que Dolores Umbridge était une cible, et donc qu’elle représentait pour la résistance une menace à la droite du Ministre.

Sûre d’elle, elle contempla au travers des vitres les bureaux qui donnaient sur l’Atrium central en contre bas. Silencieuse, sa bouche s’étira d’un sourire qui brisa son masque. Elle regardait son reflet dans la fenêtre, cette peau de poupée, ces yeux globuleux et elle se retourna enfin, après plusieurs minutes durant lesquelles aucun chat de porcelaine n’avait osé miaulé. Ils connaissaient cet air satisfait, cette adrénaline qui la maintenait plus droite que jamais. Travers venait de rentrer dans son petit jeu en lançant les hostilités. Surtout lorsqu’il avait mentionné John, un prénom qu’elle n’avait plus entendu depuis une éternité. Ainsi, Marlon savait. Elle ne manquerait pas de faire disparaitre les résidus inutiles de la famille Umbridge dans la journée…

« Il y a bien quelqu’un auquel je pense , annonça-t-elle en se retournant,  s’approchant pas à pas de son invité, ses talons claquant sur le parquet à un rythme très lent. Un jour, j’ai conseillé à une amie de quitter son mari. Il lui faisait vivre un calvaire depuis presqu’un an. Bien-sûr, nos rencontres volontairement fortuites m’ont amenée à en savoir davantage sur Vivien. » Elle marqua une pose, et bu une large gorgée du thé. Elle était revenue à la hauteur de son bureau et y déposa la tasse vide. « Le véritasérum que j’incorporais personnellement dans son thé n’y est pas tout à fait étranger. Vilaine fille que je suis. » Son sourire aimable se faisait goguenard, car Dolores avait beaucoup de mal à retenir son excitation. Elle reprit sa marche lente vers Marlon Travers, en ne le quittant pas du regard, ses yeux globuleux savourant chaque mot qu’elle prononçait de sa bouche rose. « Un beau jour, elle a emmené ses enfants à l’étranger, et elle a attendu que son mari rentre en son foyer. Un Death Eater il était, et j’avoue que cet engagement personnel n’était pas au gout du gouvernement de l’époque. Chacun devait choisir son camp. Mais ne digressons pas. J’étais en train de consulter un rapport sur les loups-garous quand des éclairs de lumière ont perturbé ma lecture. J’ai trouvé ça très mal élevé de la part de mes voisins. J’ai revêtu un peignoir et je suis arrivée, innocente, troublant une dispute conjugale. Le mari a alors assassiné sa femme de sang-froid. C’est ce que j’ai affirmé, la main sur le cœur, aux aurors et au Wizenmagot. » ânonna-t-elle de sa voix la plus menaçante et la plus doucereuse. Dolores Umbridge se trouvait désormais en face de Marlon. Elle s’appuya sur les accoudoirs et se pencha au-dessus de lui pour le dominer, malgré sa petite taille. « Et j’ai veillé personnellement – tout comme je l’ai fait pour le jeune Potter il y a bien des années – à ce que les Détraqueurs lui rendent visite. Plus régulièrement bien entendu que les autres détenus, parce qu’il méritait d’être puni. ». La Sous-Secrétaire d’Etat soutint le regard du sorcier. « Vous voyez de qui je parle, Monsieur Travers ? ironisa-t-elle. Sachez que les Détraqueurs ne connaissent ni le conflit d’intérêt ni les procédures ni la politesse qui exige de frapper à la porte de ce bureau pour y entrer ; et je compte bien les mettre à profit si jamais vous me parlez encore d’habilitation, de Lincolnshire, ou de liste de suspects. Faites votre travail pour retrouver les coupables et nous resterons amis. » Elle se redressa lentement et arbora un sourire ravi en se remettant une mèche derrière l’oreille. « J’en oubliais les bonnes manières : vous prenez du sucre dans votre thé ? » proposa-t-elle, enfantine, en se saisissant de sa baguette, ce qui pouvait lui servir au cas où...

Avant de te mettre en route vers l’antre du monstre, tu avais bien tenté d’imaginer ce que cela te ferait de te retrouver face à l’être responsable de toutes les horreurs que tu as vécues durant ces douze longues années. Mais rien de ce que tu avais pu te figurer ne s’était hissé à la hauteur du spectacle auquel elle se livrait à présent. La bassesse de son petit discours vint te frapper en plein visage. Elle assumait parfaitement le mensonge effronté qu’elle avait prononcé à l’époque devant toute l’assemblée du Wizenmagot et le revendiquait aujourd’hui encore avec une fierté non dissimulée. Bouffie d’orgueil, Dolores Umbridge semblait être à son apogée. Ignorait-elle donc ce qui succédait d’ordinaire à une montée au sommet ? Tu l’écoutas bien malgré toi te conter l’histoire de ta vie, à la manière d’un vulgaire spectateur. Le dégoût qu’elle t’inspirait ne parvenait pas encore à s’afficher sur les traits de ton visage, mais il s’en fallut de peu pour que ton masque d’impassibilité ne vole en éclats lorsqu’elle évoqua le véritaserum qu’elle glissait dans le thé de Vivien. Comment un être aussi misérable pouvait-il s’être taillé un rôle d’une telle importance au sein de la société magique ? Comment osait-elle s’adresser à toi de la sorte ?
Une fois son petit récit achevé, tu es contraint d’observer son sourire satisfait. Néanmoins, tu l’observes d’un œil intéressé s’emparer de sa baguette magique. Elle prétexte vouloir s’en servir pour t’offrir une pincée de sucre, mais tu n’es pas dupe. Tu pourrais presque sentir la peur qui s’entremêle à la montée d’adrénaline que lui a procuré sa longue tirade. Elle sait pertinemment que ce qu’elle vient de débiter là pourrait lui coûter très cher si jamais tu venais à perdre le contrôle. Malgré sa prétendue assurance et le petit confort que lui offrait son poste auprès du Ministre, elle ne serait pas en mesure de l’emporter face à un mangemort de la première heure. « J’aurais espéré que vous ayez une histoire plus récente à me conter, Dolores. Celle-ci est malheureusement vue et revue. Mais je vous accorde tout de même un point bonus pour la morale. » Tu soulèves ta tasse de thé dans sa direction, comme si tu avais voulu porter un toast en son honneur. Tu étais entré dans son jeu et tu n’avais nullement l’intention de hisser le drapeau blanc. « Oui, la morale de cette histoire témoigne sans nul doute de la supériorité des sorciers de sang-pur, que rien ne saurait faire capituler. Pas même un faux procès ou une décennie d’enfermement à Azkaban. Un membre de l’Elite triomphera toujours de ses ennemis. » L’attaquer de plein front en la jugeant sur ses origines de sang-mêlé aurait été trop téméraire, tu en étais parfaitement conscient. Aussi avais-tu préféré souligner ta propre magnificence. Tu reposes alors ta tasse de thé sur son bureau -sans en avoir bu une seule goutte- et te lèves de ta chaise. « Inutile de gaspiller votre magie et d’user votre baguette pour si peu. Je peux bien me lever pour aller chercher du sucre. » Tu lui souris d’un air narquois en te dirigeant vers la desserte sur laquelle reposaient la théière et le sucrier. Tu t’empares de ce dernier et reviens te poster face à la sous-secrétaire. « Je regrette sincèrement que notre piste actuelle vous ait troublé de la sorte. Nous tâcherons donc de trouver d’autres suspects. Je vous en donne ma parole. » Au fond, tu espérais que tes enfants aient fait partie du commando ayant perpétré l’attaque contre la demeure d’Umbridge. Cela aurait été comme une sorte de petite vengeance personnelle.

Elle gloussa de manière satisfaite lorsque Marlon Travers l’attaqua sur ses propres origines. Ce discours était implicite, feutré, et s’insinuait souvent à pas de loup dans les échanges qu’elle pouvait avoir avec les membres de l’Elite, surtout quand ces derniers demeuraient d’influents personnages de la société actuelle. Mais Dolores Umbridge avait toujours navigué entre les pièges et les obstacles du grand monde. Cela expliquait sa position au Ministère, indéboulonnable malgré les alternances politiques et les changements de leadership. On reconnaissait son travail, y compris quand elle l’avait dérobé sans scrupule à autrui. Elle avait condamné bon nombre de rivaux à des carrières misérables, écrasant dans son poing de porcelaine la moindre velléité d’adversité. Il n’en était plus de même depuis que le Seigneur des Ténèbres s’était hissé au pouvoir. Pourtant, la sang-mêlée qu’elle était, avait su gagné sa confiance, non pas par la manipulation, mais au contraire parce que Lord Voldemort connaissait la nature profonde de Dolores. Cette transparence lui avait permis encore une fois de régner sur l’administration, et ce sans que son sort ne soit funeste. La prudence était mère de vertu, et sa vanité la sauvait des situations les plus délicates.

D’un coup de baguette magique, qui ressembla à un spasme d’agacement, la théière et les tasses de thé disparurent. « Monsieur Travers » Elle eut un sourire pincé. « Vous comprendrez que ma position de Sous-Secrétaire d’Etat me donne certaines prérogatives sur cette administration, dont vous faites partie en tant que Chef de la Brigade de Police Magique ». Dolores Umbridge s’était installée à nouveau derrière son bureau, se saisissant d’une plume rose bonbon. Elle n’accordait plus aucun regard à Travers. « Si cette enquête est au-delà de vos capacités, ce dont vous avez tendance à me convaincre, je n’hésiterais pas à vous en destituer et à en charger quelqu’un de plus compétent. » L’encre noire que crachait sa plume commença à remplir un formulaire, à signer certains parapheurs et à commenter les notes de services. Elle prit une dizaine de minutes avant de redresser la tête. Les tâches administratives comblaient toujours le vide qu’Umbridge ressentait quand elle se trouvait dans une impasse. « Outre le fait de se servir du sucre comme un moldu, votre comportement est une immense déception. Vous me donnez votre parole quant à la résolution de cette affaire. Or, vos résultats sont médiocres Marlon. Il en va de la crédibilité du Ministère quand la Sous-Secrétaire d’Etat est victime d’un attentat et que personne n’est condamné ni arrêté pour cela. Cela affaiblit notre image, mais repend dans l’opinion le sentiment que le Ministre lui-même est faible. Je suis sûre que vous ne souhaitez pas faire passer le Seigneur des Ténèbres pour un incapable ? Remuez-vous Travers. Fin de notre entretien. »

Dolores Umbridge eut un petit rire narquois, jeta un regard à la photo de Lord Voldemort qui décorait son bureau, et se réfugia dans la paperasse ministérielle, devenue un véritable mur qui se jurait pour lui-même que Travers était un homme à surveiller de près. Dans la pièce, seules les miaulements des chats résonnaient à nouveau au travers du bureau.