HIVER 1973
Ma douce
Alice,
J'ai bien peur que nos craintes ne se soient concrétisées....
Après mon arrivée en Irlande, je suis allé directement chez
Eoïn afin d'éclaircir ce long silence inhabituel. Rien ne m'avait préparé à ce que j'allais devoir affronter. C'est un homme brisé qui m'a accueilli. Les yeux creusés de fatigue, les traits amincis, c'est à peine s'il pouvait se tenir debout. Chaque mouvement qu'il faisait semblait être d’une souffrance insoutenable. Cette maison était trop calme. Je lui ai demandé ce qui se passait avec lui, et où se trouvaient sa femme et son enfant. À ces mots,
Eoïn s’est figé et un long moment passa. Puis, il se dirigea vers un berceau près du foyer où une chaleur apaisante se dispersait tranquillement. Je me suis rapproché de lui, et y découvris un bambin. Après un long soupir, il me raconta ce qui était arrivé à sa femme
Mây.
Mon cœur,
Ce que je vais t’écrire va te bouleverser. Le soir des festivités de la fête des morts, lorsqu'
Eoïn est rentré chez lui pour y rejoindre
Mây, une vision d'horreur l’accueilli.
Mây hurlait, seule dans le noir. Il s'approcha d’elle et tendit le bras pour la calmer. Une fois à son chevet, il sentit l’odeur douce et âcre du sang. Pris de panique, il remarqua alors que
Mây était allongée sur un lit de sang, un enfant à ses côtés, elle aussi couverte d'un voile de sang.
Mây prit les dernières forces qu'elle avait pour lui dire : « Protège-la,
Eoïn, protège notre fille… Ta fille.» Puis, son âme s'évapora dans son dernier souffle.
Alice,
J'ai le regret de t'annoncer que ta meilleure amie nous a quittés. Je sais que cette nouvelle sera difficile à digérer.
Après avoir assimilé tout ce qu'il venait de me dire, je me suis penché au-dessus du berceau pour observer leur fille. Elle semblait si fragile, mais à la fois si forte. Elle a hérité des cheveux noir de sa mère et du teint pâle de son père. Son visage endormit me rappelait la quiétude de notre Rose. Que ferais-je si tu nous avais quittées de cette façon ? À cet instant, l’enfant se réveilla et ouvrit les yeux. Son regard plongea dans le mien. J’ai bien cru que mon âme allait s'y perde. Puis, elle replongea dans le sommeil. Jamais encore, je n’avais vu quelqu'un avec des iris rouges.
Eoïn m'a dit qu'il l’avait nommé Ella. Je l'ai questionné à propos de la couleur des yeux de sa fille, mais il m’a simplement dit que son sang était si pur, qu’on le voyait d’un seul regard.
Je vais rester encore quelque temps ici, afin d’aider notre ami.
Ta voix me manque terriblement.
Ton cher et tendre.
P.
AUTOMNE 1977
Mon cœur a cessé de battre le temps d’un souffle après la lecture de cette lettre. Une enveloppe noire n’est jamais un bon signe. L’époux de ma meilleure amie avait été retrouvé sans vie à son domicile. Sa fille assise à ses côtés recouverte de sang. Depuis ce moment, elle ne parlait plus à personne. Pauvre enfant. Son oncle ne voulait pas la prendre avec lui. J'ai donc pris sur nous le soin de l’accueillir, ici, dans notre manoir. Je te dois bien ça
Mây…
Lorsque j'ai vu la fillette arriver avec
Philippe, on aurait dit une statue de glace. Jamais je n'aurais cru qu'une enfant de cet âge puisse rester aussi calme et immobile.
Ella, c'est bien ça? Tu es la bienvenue ici. Voici ta nouvelle maison. Viens que je te présente à Rose.Ella me dévisagea avec ses yeux rouge et ne prononça aucun mot. En l’espace d'un moment, mon sang se glaça. Puis,
Philippe me ramena à la réalité avec sa voix douce et grave.
Vient Ella. C'est par ici.Je regardais mon époux s'engloutir dans la noirceur du vestibule. Puis, j'emboîta le pas jusqu’au boudoir où se trouvait
Rose, notre fille.
Ella s'assit sur notre causeuse victorienne et elle regarda les livres de notre bibliothèque puis se figea de nouveau. J’observais cette scène ne sachant que faire pour aider la situation.
C'est alors que
Rose alla s’assoir au côté d’
Ella.
Tu veux voir mon livre ? Il y a de jolies images!
Ce sont des sirènes, elles se lovent au creux des eaux.je crois que tout va bien aller Alice. NOVEMBRE 1983
Je déteste cette période de l’année.
À l’approche de ma fête, je n’ai qu’une envie, c'est de me retrouver seule au calme. Mais ici, c'est impossible. À chaque fois, c'est la même chose, Mère organise toujours une somptueuse réception pour ses
“filles qu'elle adore”. Ce qui ne va pas sans dire, plaît au plus haut point à
Rose. Cela lui permet de se changer les idées.
Même si elle ne veut pas se l’admettre,
Rose n’aime pas cette période non plus. Pour elle, cela signifie le retour des cauchemars. À chaque année, elle se réveille en hurlant au plus profond de la nuit. Elle m'a dit une fois qu'elle entendait une voix crier.
Bien qu'avec le temps
Rose ais su cacher à nos parents qu'elle avait toujours ces cauchemars, elle ne me dupe pas.
Une année où elle avait décidé de braver ses démons, je l'ai retrouvé nu pied au bord de la falaise. C'était soir de tempête.
Rose! Entends ma voix et viens vers elle.Cet instant restera à jamais graver en moi. Le vent soufflait d'une rare violence et la pluie me lasserait la peau.
Rose, si fraile, aurait pu être emportée à tout moment par le vent et tomber de la falaise. C'est à cet instant qu'elle repris conscience
L, c'est bien toi?...Oû suis-je?Tu vas attraper froid. Aller, rentrons à la maison.Je ne sais pas ce qui lui serait arrivé si je ne m’étais pas réveillée frigorifiée.
Depuis cette année-là, le soir, elle vient me rejoindre dans ma chambre et n'arrête pas de parler pour combattre son sommeil. Elle invente des histoires pour ne pas dormir. Mais une fois endormi, c'est moi qui veille sur elle.
Alors que pour moi, ma fête me rappelle toujours la mort de ma mère biologique
Mây. Je ne sais pas grand chose à son sujet si ce n'est Mère et
Mây étaient les deux meilleures amies du monde. C'est d'ailleurs pour cette raison qu’à la mort de mon père, ils mon recueillit.
Donc, je me prête au jeu des festivités, pour ma famille adoptive. Je fais l’enfant parfait. Je m'assure que nos hôtes passent un agréable moment.
Rose adore être le centre de l'attention dans cet événement. Moi, je préfère m'effacer le plus possible.