La lune se fait plus grande dans le ciel à mesure que les nuits passent et Dan-bi passe de prostrée à exultante. Même sa magie ne lui fait plus défaut, les étoiles sont alignées, Mercure ne rétrograde pas d'un millimètre et la brune aimerait bien que ce soit toujours comme ça. Que l'on puisse stupefixer l'astre dans sa course et lui rendre la vie belle. Aujourd'hui, elle est d'attaque dés l'aube, quitte son lit en trois secondes alors que des fois il lui en faut des milliards et se prépare rapidement. Son maillot est glissé dans un vieux sac à dos et Dan-bi quitte le cirque, non sans saluer la gardienne des lieux d'un sourire radieux. La piscine municipale n'est pas loin, l'hybride s'y rend avec la régularité d'une horloge, en toute circonstance ou presque. Elle laisse ses soucis à la surface de l'eau chlorée (on ne peut pas tout avoir) et enchaine les longueurs en comptant les carreaux du fond du bassin. Cela l'ennuie un peu, elle préfère observer la vie, mais là aussi on ne peut pas tout avoir alors quand elle est lassée, elle sort de l'eau et rentre au cirque.

Un petit crochet est fait par la supérette du coin, de quoi ramener un petit-déjeuner sympa aux autres et de zoner devant les rayons des yahourts. Son choix s'arrête sur un goût qu'elle n'a pas encore testé. Elle en mange un sur le chemin du retour, après l'avoir secoué jusqu'à ce qu'il soit liquide pour  pouvoir le boire après avoir soulevé un coin de l'opercule. Le cirque fourmille plus qu'à son départ, les gens piochent dans les provisions et c'est par miracle qu'elle arrive à garder une part pour Tao. Elle le retrouve sous le chapiteau au sommet des gradins où ils ont rendez-vous. Des yeux, elle cherche le rapace du danseur. Cela lui rappelle Aegiya et indirectement Iseul qu'elle a laissé à l'autre bout du monde et - un instant - elle se dit que c'est tant mieux que sa fille soit si loin. En sécurité. Pas comme Conan mais ça, elle ne veut pas y penser, pas maintenant. Elle va bien mais peut-être pas tant que ça.

"Salut ! Bien dormi ? Tiens - elle lui fourre son sac de courses entre les mains - j'ai réussi à t'en garder une part." Elle a un moment d'hésitation avant de descendre la volée de marche et de s'avancer au milieu de la piste recouverte de sables (comme la plage). Là, elle lève les yeux et contemple les trapèzes suspendus avec admiration. L'ironie de la situation la fait toujours un peu grincer des dents : elle est passée des jeux du cirque à un vrai cirque. Et Dan-bi ne s'y sent pas tout à fait à sa place (elle ne l'est que dans l'eau de toute façon) mais ne veut pas en bouger par autant (sauf pour retrouver Conan mais elle n'est plus si sûre que ce soit une bonne idée). Alors si elle se trouve un rôle, un numéro, peut-être que ça ira mieux. C'est pour ça que Tao est là. "Je pourrai faire du trapèze sous forme de dauphin... Je me pends par la queue et voilà..." songe-t-elle à haute voix alors que ses pieds tracent des arabesques dans le sable.

Les lèvres de Dan-bi s'étirent en sourire, on dirait qu'elle a même réussi à se mettre l'oiseau dans la poche. D'un côté, la nourriture achète tout - elle connait son importance maintenant, connait aussi le son des estomacs vides - particulièrement les artistes de cirque (les entraînements les creusent). Elle, elle n'a rien à entraîner, les kilomètres de crawl à la piscine sont les mêmes qu'il y a dix ans - d'une régularité d'horloge et d'une précision quasi olympique - et ce n'est pas avec ça qu'elle impressionnera quiconque. Il lui faut un truc, le truc qui lui permettra de se faire définitivement une place ici (elle sait que même si elle en crève d'envie, elle ne pourra jamais vraiment reprendre sa vie d'avant) et la relancer pour le reste. Si Dan-bi arrive à réaliser quelque chose dont elle est fière, alors elle ne sentira plus la honte monstrueuse peser sur ses épaules et elle pourra se remettre à chercher Conan et les autres, enverra enfin une lettre à Iseul. On en est encore loin, elle ne le sait que trop bien lorsqu'elle se balance au milieu de la piste et que le sommet du chapiteau lui parait inatteignable. "Tu sais faire du trapèze?" Elle rit, relève ses yeux vers Tao en secouant la tête. "Bien sûr que non !" Pourquoi saurait-elle en faire ? Il n'y a pas de cirque à Jeju, pas de trapèze aux Battues et maintenant, elle se dit que l'idée du spectacle du dauphin trapéziste n'est peut-être pas si bonne (que le trapèze n'est pas qu'une balançoire géante). "Ça pourrait être sympa de mettre au point un numéro avec ta forme animale ouais ..." Léger hochement de tête, se transformer en marsouin reste la seule capacité jamais perdue (parfois, elle aimerait perdre celle de redevenir humaine). "Tu sais faire quoi?" Comme d'habitude, la question la fait rire. Tu sais faire quoi ? demande-t-on à la docteure (mais ça lui parait si loin et si inutile dans la vie qu'elle mène maintenant). "En matière de sortilèges, aussi. T'as une prédilection pour quoi?" Elle garde le silence quelques instants, le temps de réfléchir et de finir de dessiner ses vagues dans le sable. "Avant, je savais faire pleins de choses. Plus ou moins utiles pour un cirque, je te l'accorde. Maintenant..." Elle se coupe dans sa phrase, regardant ses paumes ouvertes desquelles les sorts ne sortent jamais comme elle veut, malgré les mois qui se sont écoulés. Artemis et les autres rescapés des Battues ont quasi tout récupéré, pas Dan-bi. Elle devine pourquoi : trop déprimée, magie trop fluctuante avec les cycles lunaires, pas assez intéressée par guérir (elle sait qu'elle ne guérira jamais). Pour ça qu'il lui faut un objectif auquel s'accrocher. "C'est comme si je repartais à zéro alors je peux faire ce que je veux." Débutante de partout, ça laisse toutes les possibilités. Comme lorsqu'on se lance dans un sujet sur lequel rien n'a jamais été publié et qu'on peut le prendre dans tous les sens que l'on veut vu qu'il n'y a rien de présupposé, quitte à se tromper. "Ce serait quand même bien avec de l'eau" ajoute-t-elle, regard perdu dans le sable. "Peut-être cliché pour une badassalam mais l'eau, ça me parle bien !" Un angle d'approche, c'est bien pour commencer. L'eau, la transformation, rien de très novateur pour un spectacle de fille de selkie certainement mais ce n'est pas si grave, non ?

Les yeux de Dan-bi se perdent dans le sable de la piste et elle se demande de quelle plage lointaine il peut bien venir. Pas des siennes, il n'en a ni la couleur, ni le diamètre. Elle se penche pour en prendre une poignée qu'elle laisse ensuite écouler entre ses doigts, songeuse. "Tu penses que c'est du cliché un métamorphomage qui fait un numéro en changeant d'apparence pendant qu'il fait ses acrobaties?" - Oui" répond-t-elle par soucis de transparence, pas qu'elle est quelque chose à redire quand les clichés concernent les autres. Le visage de Tao est à peine reconnaissable sous ses écailles colorées et la badassalam l'envie un peu (comme tout le monde envie toujours un peu les métamorphomages). "On s'en fout! Ça marche! Les gens adorent!" Après les écailles, les plumes, Dan-bi se prend au jeu, attend la suite qui ne viendra jamais. Dommage, elle aurait bien voulu les yeux d'insectes en plus des plumes, cela aurait été... conceptuel ? "C'est bien de miser sur ce avec quoi on est à l'aise!" Dan-bi ne peut qu'hocher la tête et si d'autres auraient été honteux de recevoir des leçons de vie d'un gamin (elle aurait presque pu être sa mère), elle n'a pas l'air de s'en offusquer {insérer ici une formule inspirante sur la sagesse insoupçonnée des jeunes ou je sais pas trop quoi}.

"Puis, à penser comme ça, on fait que se limiter."  Et elle a suffisamment de limites pour ne pas s'en ajouter, pas vrai ? "Et c'est pas comme ça qu'on fait les choses au Pandora's Circus! Les limites, on les déglingue! - Yes sir!" répond-t-elle du tac-au-tac, son sourire hanté à l'appui. Mine de rien rassurée : elle n'aura pas besoin de se lancer dans la maîtrise d'un nouvel élément (et ainsi devenir l'avatar) pour devenir artiste de cirque, elle reprend ses dessins dans le sable du bout du pied. Avec beaucoup d'imagination, on peut y trouver un message codé mais même Dan-bi n'est pas au courant. Elle regarde les trapèzes au-dessus de sa tête en rêvant.  "Si tu veux faire un numéro aquatique, fais un numéro aquatique!" Adjugé vendu, ou presque. "Je pourrai faire mieux. Aquatique et aérien." A son image : un poisson hors de l'eau. Au sol, les arabesques commencent à ressembler à quelque chose. On y voit le chapiteau, la scène, un dauphin en apesanteur. "Je plonge bien." Pas en mode kéké qui fait des saltos avants en se jetant des falaises, un vrai plongeon qui file droit et qui prouve qu'elle peut être gracieuse des fois (plus précisément que lorsqu'elle plonge). "Alors je pourrai plonger d'un trapèze !" Et atterrir dans le sable, mouais. Puis même, elle a besoin d'un appui stable, pas d'un pendule, pour sauter de manière convenable. "Ou alors, je me transforme en dauphin et je me balade dans une bulle géante." Ce qui n'est spectaculaire dans aucun monde.