"It’s Friday." "Hm." La flegme de Dee jure avec le contenu du message qu’il était justement en train d’envoyer à Fiona de type "omm happy friday bby :))))))) cant wait to bcbc n chill with u and :D"
"Aren’t you supposed to go and meet Mrs Sacramoni every two weeks? ‘Cause I think you’re late, mate." Dee lève le nez de sa boule de cristal, en direction de l’horloge qui montrait à la fois l’heure mais aussi le décompte (à peine stressant) des prochaines deadlines; une mise à jour de l’instrument qui lui en touchait une sans remuer l’autre, à voir comment sa relecture des petites annonces était à moitié finie. "Yeah right..." maugrée-t-il sans grande conviction en rassemblant ses affaires et ses fantômes.

"I really need to do something about this noise. Please, come in! I was starting to think you had forgotten me!" "Aye, sorry for being late..." articule-t-il à peine en essuyant ses baskets sur le paillasson. C’est qu’au bout de quelques années, Dee ne faisait plus vraiment attention à mettre les formes, et savait que son mentor n’en prendrait pas ombrage ; elle avait bien plus de soucis à se faire vis-à-vis de l’instabilité de son don, pour s’attarder sur sa ponctualité douteuse ou son manque visible d’enthousiasme.

Dee avance dans le salon, ouvre sa veste Wizadidas sans s’en débarrasser, et s’affale dans le canapé, comme à son habitude. Il avait cette manie de ne pas s’étaler directement, ayant toujours un temps de battement entre le moment où il posait ses fesses sur le canapé, et celui où son dos s’enfonçait à son tour. Un comportement trahissant l’impression de prendre davantage de places que ce que les sorciers lambdas pouvaient penser.
Se faire coller le train par des fantômes, ça revenait un peu à se balader avec un bouquet de ballons gonflables ; ça ne pèse rien, on finit par les oublier, et pourtant, on prend beaucoup d’espace.
Dee avait suggéré cette comparaison improbable à Attia au bout de trois semaines de consultation.
"It’s black tea, for now: is that okay for you? I may have some milk, stashed somewhere." "Naw, black’s grand," concède-t-il d’un vague mouvement de main.

"I guess it’s time to practice, or do you want to talk about something beforehand? Anything new in your life?" Du fond du canapé, Dee se met un peu en branle, réajustant sa position, frottant ses mains tièdes sur ses cuisses. C’était la première fois qu’il revoyait Attia depuis leur retour et il avait passé quelques nuits les yeux grands ouverts, embrassant le vide, à chercher comme expliquer tout ça à Attia sans lui expliquer... Il ne se sentait pas très enclin à l’idée de lui déballer sa vie, d’une part parce qu’il ne la déballait jamais à personne, d’autre part parce que ses parents, en plus d’être des revenants, étaient aussi des hors-la-loi.
Mais d’un autre côté, l’incident avait remué le don du jeune homme ; il aurait fallu être aveugle (ou plutôt sourd, dans leur cas) pour ne pas s’en rendre compte.

Aussi, il balaye mentalement les excuses qu’il avait préparé et, désignant le vide au-dessus de son épaule du pouce, il se lance: "Aye, that wee one’s new..." Même s’ils étaient censés être invisibles, Dee avait parfois l’impression que les spectres que seuls les gens du Sidh pouvaient ressentir pouvaient se dessiner comme des silhouettes transparentes... à moins que ça ne soit son cerveau qui meuble un vide qui n’avait pas lieu d’être. "But he’s not really annoying... I mean, he doesn’t even know how to talk..." Il renifle, jette un regard par-dessus son épaule; un regard doux, et profondément triste. Dee ne regardait jamais ses fantômes. "But he’s not mine, you know..."
Il plante finalement son regard dans celui d’Attia. Elle peut y lire la confusion et la peine qui agitent le patchwork de bleus pâles de ses iris. "You’ve seen that before, doc?" Dee avait pris l’habitude de surnommer ainsi Attia, du fait du puits de connaissance qu’elle représentait (cherchez pas, ça sonnait bien...). "That wee wain ghost, it was my ma’s... She was gone, and then she came back with him, and then he came to me; is that even a thing to do??"

*précision quant au tw:

"Hold your horses, mate. Your mother’s back?!" Dee remue du chef de haut en bas, les yeux agrandis comme pour montrer tout l’amour et la stupéfaction que ça avait suscité chez lui... si seulement il était sûr de ce que ça avait suscité chez lui. S’il avait été avare d’explications quant à la disparition soudaine de ces parents, il n’a pas l’air plus bavard ni ouvert sur la question de leur retour. Même Fiona et Connor n’avaient pas réussi à gratter le vernis de cette situation. Dee se retrouvait avec un deuil plus gros que lui dont il devait se débarrasser; et un fantôme plus petit que lui dont il ne voulait pas se débarrasser. "I’m not even sure you’re supposed to know but, well... I’m pretty sure you and aintín Remy were talking about the bars when I wasn’t there..." Il imite un genre de ricanement un peu gêné qu’il avorte d’une rasade de thé encore un poil trop chaud. Il s’essuie les coins de la bouche d’un revers de manche de son survêtement.

"Well shit, that can explain this kind of ghost I’d never seen before, anyway… - Yeah, well, I could have lied to you and pretended nothing happen but hmmm, seeing each other’s ghosts as if we could hear through walls doesn’t make us great liars..." avoue-t-il sans embarras, cette fois-ci. A ses débuts, bien entendu, il avait voulu jouer au plus malin avec Attia, essayant de lui cacher absolument tout et n’importe quoi, jusqu’à lui mentir sur des informations anodines, genre son âge. Un processus de défense que la sorcière du Sidh lui avait très vite fait déconstruire, en le mettant généralement en face de ses incohérences (le nombre de fois où, à la fin de leur séance, elle le regardait bien droit dans les yeux, avec un air doucement mutin "I know what you’re trying to do, but you do know that we’ll have to talk about it, somehow; I’m not giving up on you, son.") (oui, elle l’avait appelé son et Dee s’était fait une joie de ne rebondir que sur cette partie de son discours).

Cette fois, il a l’air de l’écouter pour de bon, tandis qu’elle lui explique la puissance des liens reliant les gens du Sidh au monde des morts, et par la même occasion, reliant les gens du Sidh entre eux. Pendant longtemps, avant qu’il ne soit pris en charge, Dee s’était senti irrémédiablement plus proche des morts que des vivants. Encore aujourd’hui, parfois, lorsque Fiona dormait contre lui, il écoutait les battements de son cœur et se surprenait ensuite à écouter plus attentivement encore le silence entre chaque pulsation.
Et l’arrivée intempestive de ce petit revenant ne l’aidait pas à chasser ses vieux démons.

"When you’re standing next to someone who’s carrying ghosts without even knowing it, these spirits leave the ones they haunted, and come in your area. Probably because they feel that you will hear them… Don’t ask me how, I wouldn’t know, though… Did you read the book I gave you, some years ago?" Là encore, Dee grimace dans son thé, comme s’il en appréciait tout juste l’amertume, alors qu’il venait de se siffler presque l’intégralité de la tasse (histoire de cacher son visage et le remous de ses émotions bien à l’abri derrière la céramique délicate de son aînée). "Aye, you said it yourself, Doc; it was some years ago. I’m not the best at that reading thing, y’know? My brain gets all fuzzy when there’s no pictures and all..." A vrai dire, le bouquin devait présentement servir à caler de temps à autre la porte du placard dans lequel il enfermait Megan quand elle poussait un peu trop la chansonnette. "But I think I get you, now... Even though this wee wain hasn’t told me anything I could hear so far..." De nouveau, son regard effleure son épaule; le seul son émis par son fantôme est un léger bruit de succion, et on devine le petit pouce transparent fourré dans une bouche assoupie.

"Doc... Il garde ses yeux rivés par-dessus son épaule, refusant d’affronter ceux d’Attia (il y a toujours eu quelque chose de plus rassurant chez les morts). Ma was pregnant when she was arrested... I think this lil guy is my brother..."

Lorsque les parents de Dee lui avaient annoncé qu’ils allaient accueillir un quatrième membre dans la famille, le jeune homme avait été saisi de sentiments mixtes. Il n’avait pas pu s’empêcher de se dire qu’ils aimeraient davantage leur enfant biologique que leur enfant adopté. Parce qu’un petit bébé tout mignon qui a pris les yeux de son père et la forme du visage de sa mère, c’est toujours plus touchant que le marmot récupéré en des circonstances morbides, biberonné dans un orphelinat inquiétant, et de fait, fourbu de problèmes dès son plus jeune âge.
Des terreurs inhérentes à son jeune âge que ses parents auraient soigneusement écarté s’il leur avait simplement expliqué ce qui le tourmentait.

"Are you telling that to me... because you feel like you can’t talk to your mom about it? As in you don’t want to burden her with that?" Dee a reposé la tasse de thé, de peur que sa fébrilité ne la réduis en miettes. Il se frotte le visage. "Man, of course I can’t! I mean, there’s no doubt the baby died when she was… wherever she was and she probably felt him dying and she felt the pain and the sadness and the injustice! and she’s probably still feeling it!"
Sentant qu’il s’emporte trop, Dee bondit sur ses pieds et se met à faire les cent pas dans la pièce, secouant de temps à autres ses mains, comme s’il chassait des mouches invisibles et autant de revenants parasitant son champ de vision magique.

"I just can’t wave that silly little ghost in front of her. We are used to it by now; we know how they work, we even know how they look, and we know that, at some point, they’ll go away…" Le ton de sa voix avait baissé pour cette dernière partie, soit parce qu’il ne voulait pas que son petit frère l’entende (bien qu’il ne puisse même pas le comprendre à ce stade), ou parce qu’il n’était pas sûr qu’il veuille le laisser partir. "But for her… it’s going to follow and haunt her for the rest of her life. It’s one thing to carry a ghost at your side, but she is carrying hers inside her heart."
Il revient finalement au niveau du canapé, derrière lequel il reste planté, s’accoudant sur le dos de l’assise, soupirant lourdement, comme s’il reprenait son souffle, après s’être exprimé avec autant de verve; un comportement qui, Attia en conviendrait, ne lui ressemblait pas.

"It’s okay. I’ve dealt with weirder ghosts than this wee one. I can understand. But I guess him being here hasn’t helped you concentrate, has it?" Dee hausse les épaules. "Well, usually I don’t care about them. I mean, I do, because they’re a pain in the ass sometimes, you know… I mean, try to have sex with ghosts lurking over your shoulder? It’s gross! Un silence, tandis que Dee réalise qu’il n’a jamais vraiment croisé qui que ce soit d’autre chez Attia, et que la connaître ainsi avec tous ses bouquins sans images et son thé, elle irradiait des airs de vieille, but you know, in a cool, badass way. But, err, I guess occlumancy and exercising are helping… until he popped out; I can not not care about him. I know him… I— I could have known him."

Bien entendu, après avoir passé en revue les craintes qu’il avait nourri vis-à-vis de l’attention qu’un nouveau-né aurait pu attirer, Dee avait été heureux, à sa manière, sans son sourire, embrassant sa mère pendant des heures, des jours.  Il avait élaboré des plans sur la comète pour cet adelphe à venir, lui planifiant tellement d’activités et de bêtises et de passions et de fashion faux pas.
"Doc, we do share some memories with our ghosts, from time to time, right? Et enfin, au fond, tout au fond de lui, avait germé une peur croissante, un instinct funeste, la certitude terrifiante que quelque chose allait mal se passer. But in this case, it’s like… like I could see his future, because he doesn’t even have memories…" Et Dee ignorait si cela faisait partie des effets indésirables de son bancal don d’Outre-tombe, ou juste une manifestation inconsciente de son deuil.