Ça fait quelques jours que l'équipe de runistes a investi le Département. Malheureusement, ils n'ont aucun Langue-de-Plomb pour les accompagner et leur ouvrir les portes alors, d'après l'idée ingénieuse de Penelope, ils sont chacun suivis par une boule de cristal qui fait office d'oeil espion qui permet à Abbas de surveiller ce qu'ils font — et, en cas de besoin, il envoie quelqu'un ou va les trouver pour les faire sortir d'une pièce et rentrer dans une autre. Il lui arrive parfois de jeter un coup d'oeil à la boule de cristal posée sur son bureau pour vérifier ce que fait quelqu'un avant de vite retourner à son propre travail — Penelope en a une similaire et il est sûr qu'elle verra plus rapidement que lui si quelque chose ne va pas. C'est bien pratique, que le Département des Mystères soit si bien protégé, mais c'est vrai que c'est pas évident d'y faire circuler des contracteurs quand les seuls à avoir une clef passe-partout sont Abbas et le Lord lui-même.
Jusque là, il n'y a pas eu d'accident. Abbas, qui a quelques connaissances en runes après avoir assidûment suivi les cours de M. Harris à l'école et avoir avalé la moitié de sa bibliographie (celle à peu près compréhensible au commun des mortels), a jeté un coup d'oeil rapide aux runes tracées jusque là: parfaites, bien entendu. Il y a intérêt, vu le généreux tarif qu'ils demandent...

Comme tous les jours après sa leçon avec Penelope et après avoir mangé, Abbas va faire sa ronde pour vérifier que tout va bien avec les trois runistes qui se trouvent le Département. Ils ont tous signé une clause de Langue-de-Plomb mais il sait que déjà, il y a eu quelques remarques auprès de ses chercheurs et mages-tortionnaires... (Abbas n'arrive pas à croire qu'il les appelle les siens et encore moins des tortionnaires).
Il visite les deux premiers rapidement, s'assure qu'ils ne gênent pas le déroulé des opérations habituelles, et salue quelques uns de ses employés avant de sortir sa boule de cristal de poche pour vérifier où se trouve le troisième runiste. Il la reconnait sans mal et se souvient qu'elle se trouve au plus profond des tripes du N9: les anciennes geôles.
Depuis l'évasion de trois résistants début 2004, l'endroit a été abandonné et les prisonniers déplacés dans les Bureaux en ayant besoin. Parce qu'elles se trouvent au plus profond du Département, Abbas trouve qu'elles sont aussi les plus vulnérables en cas d'une attaque souterraine (Abbas ignore si c'est possible mais il n'est pas prêt à tenter sa chance). Et puis, vu comme vont certaines activités, autant toujours avoir accès à ces cellules...

Il utilise sa clef dorée pour passer à travers le dédale de portes qui y mènent, s'y repérant sans problème (il a retenu la carte magique du Département, qui se trouve sous scellé dans son bureau) jusqu'à trouver le long couloir où desservent la vingtaine des anciennes cellules du niveau neuf. Il ne tarde pas à trouver Rosier et elle se redresse en entendant ses pas. “ Je venais juste vérifier que vous ne vous étiez pas perdue, ” dit-il, lui offrant un ton et sourire aimables avant de détourner les yeux pour observer les runes sur lesquelles elle était en train de travailler. Il connait Rosier Jr de réputation et de vue: ils se sont brièvement parlés ce matin quand elle s'est présentée et qu'il est allé lui ouvrir quelques portes avant de la remettre entre les mains d'un de ses employés. Il connait un peu mieux sa mère, qui travaille pour lui, et la connait surtout des Battues auxquelles elle semble prendre un certain plaisir... quand elle ne manque pas de se faire exterminer par un impur.
Peu importe, Abbas n'est pas du genre à lui rappeler un écart qui, il en est sûr, lui a été fait remarquer plus d'une fois. “ Vous n'avez pas pris de pause pour manger, ” précise-t-il toutefois mais il ne lui en veut pas: le temps semble passer à la fois très vite et très lentement dans cette partie du Département, assujetti semble-t-il à une magie temporelle ancestrale. Comme pour appuyer son propos, il tend la main en avant et regarde sa montre, la pointant de l'index. Il n'est pas si tard — lui-même mange tôt, à douze heures pétantes, et l'aiguille va lentement pour indiquer une heure et demi. “ Vous devriez peut-être y songer: je sais qu'il est dur de se défaire d'une tâche passionnante mais... ” Il lève le doigt en air hausse les épaules. “ Il faut se nourrir. ” Il jette un petit regard autour d'eux.
L'endroit est sombre, humide. Abbas ne sait pas si c'est son imagination ou si sa Légilimancie avancée lui permet effectivement de le ressentir mais il a presque l'impression que les murs suintent du désespoirs des prisonniers qui y ont croupi, certains pendant des années. “ Et c'est vrai que vous méritez au moins une petite pause, ” marmonne-t-il d'un air gêné, comme pour s'excuser de l'ambiance un peu lugubre.

On lui a ouvert les portes le matin, à son arrivée ; à chaque pièce, comme un pallier franchi, Eun-Ji a eu l’impression de s’enfoncer un peu plus au cœur du Ministère. C’est dans un silence quasi-religieux qu’elle a suivi son guide, découvrant les lieux pour la première, et, elle l’espère tout en le regrettant, la dernière fois de son existence. Une visite privilégiée dans le ventre du gouvernement -c’est un événement, pour une civile, toute Mangemorte qu’elle soit. Eun-Ji en signant la clause de Langue-de-Plomb a envisagé un instant qu’on ne les cueille d’un sortilège d’Oubliettes, à la sortie des travaux runiques. Ce ne serait pas la première précaution que l’on prendrait, à un aussi haut niveau de confidentialité. Eun-Ji a rapidement chassé ses craintes, et, promue par cette marque au bras qu’elle est la seule, dans l’équipe, à posséder, on l’a gentiment redirigée à un autre niveau -l’emphase a été mise d’un air entendu par le Langue-de-Plomb affilié.

Effectivement, les sous-sols du niveau neuf sont peu ordinaires.

Eun-Ji, aussi vite qu’elle les remarque, détourne prestement son attention des traces, sur les murs. Il y a celles, les plus sobres, de sortilèges ayant esquinté la pierre ; puis il y a les autres, comme de petits accrocs dans la chair dure des geôles -des accrocs à l’origine humaine. Y laisser traîner trop longtemps le regard serait risquer sa tranquillité sur tous les points. La réponse est cette fois encore la même : faire comme si de rien n’était. Fermer les yeux est devenu une habitude -à la maison, au Ministère, au moindre défaut susceptible de faire s’effondrer le système.

« Monsieur Shafiq », fait-elle, marquant sa surprise avec politesse. L’arrivée du Directeur signifie qu’elle a passé dans les geôles plus de temps qu’elle ne le croyait ; elle a l’impression de s’être mis seulement aux travaux il y a une petite heure. Un coup d’œil au travail abattu lui indique qu’elle s’y trouve depuis, au moins, deux à trois heures. « En effet. » La présence d’Abbas Shafiq la sort du cocon lentement tissé autour d’elle, par la magie des runes, et celle, plus viscérale, des geôles -elle a parfois jeté des coups d’œil par-dessus son épaule, avec l’impression soudaine d’être observée. On a dû la voir lancer un regard au vide, plus d’une fois dans le cristal.

C’est comme si elle retrouvait ses facultés motrices, sociales, intrinsèquement humaines, en déroulant le fil de leur discussion banale. Parler, manger -Eun-Ji doute de s’être seulement hydratée, penchée sur sa double-ligne de runes. Appuyant son propos, Directeur lui indique sa montre ; Rosier hoche vaguement la tête, en revenant, baguette encore en main, au cadre de la cellule devant laquelle ils se trouvent. Quelque chose la retient au lieu, après seulement quelques jours de travaux. Au-delà de l’amour du travail bien fait, il y a, indubitablement, un quelque chose. Eun-Ji s’y arrache, de la même façon qu’elle a balayé les traces au mur hors de son champ de vision, et revient à Abbas Shafiq. Ses joues manquent de prendre une autre teinte, en se rappelant que ses yeux sombres ont tout vu de sa déconfiture, aux dernières Battues. « Ne vous inquiétez pas pour moi, j’ai de quoi faire dans mon sac. Vous avez déjeuné ? » Cordiale, elle oublie de lui préciser qu’elle omettra certainement d’ouvrir ledit sac, une fois qu’il aura tourné les talons ; Eun-Ji préfère travailler d’une traite, une fois lancée. Un trait hérité des enseignements spartiates des Hwang. « Où en sont les autres ? » C’est surtout ça, qui l’intéresse. « Je devrais en avoir terminé, disons, d’ici un jour ou deux si tout se déroule comme prévu. » Elle s’excuserait presque de ne pas pouvoir aller plus vite. « Plutôt deux, en réalité. » Elle esquisse un sourire, poli, relevant légèrement le menton en se reprenant. « Les runes sont récalcitrantes. » En retenant un « ici » -déplacé, au nez du Directeur.

Rosier junior lui fait penser à sa mère, mais elle lui semble moins... intense. Carrément moins intense même: Abbas a appris à se méfier de Jae-Hwa, l'évitant soigneusement les fois où il n'a pas à la côtoyer et restant sur ses gardes quand ils sont dans la même pièce. Elle lui fait... peur. Elle lui fait un peu, beaucoup peur. Junior en revanche (il a oublié son prénom, se focalisant à la place sur son nom de famille puis que c'est tout ce qui l'intéressait quand il a rapidement lu son dossier) dégage clairement une autre aura. « Ne vous inquiétez pas pour moi, j’ai de quoi faire dans mon sac. » Il hoche la tête Il se demande pendant un bref instant si il ne vient pas d'être un peu condescendant et envahissant en essayant de la materner. Elle est un peu jeune mais pas non plus à outrance. Si elle a été envoyée ici, et si elle a la Marque, c'est bien qu'elle doit être d'une certaine trempe.
Bien malgré lui, pourtant, Abbas se souvient de sa chute, de sa baguette volant en l'air sous les rires gras des autres invités. « Vous avez déjeuné ? » La question le fait sourire pour une raison mystérieuse. “ Oui, j'ai mangé, oui. ” Il semble rire d'une blague qui ne fait de sens qu'à ses yeux.

Rosier n'attend par pour enchaîner. « Où en sont les autres ? » Abbas, en l'entendant, produit de la poche de son costume sa boule de cristal, mais il n'a pas le temps de répondre qu'elle reprend: « Je devrais en avoir terminé, disons, d’ici un jour ou deux si tout se déroule comme prévu. » Un ou deux jours, vu le tariff que son entreprise demande... c'est quand même un peu exagéré, on leur avait promis que ce serait fini demain. « Plutôt deux, en réalité. » Il lui jette un coup d'oeil en coin en faisant la moue et surprend un sourire sur ses lèvres. « Les runes sont récalcitrantes. » Il branle du chef comme si il comprenait de quoi elle parlait. Il a lu tous les livres (ceux accessibles pour le commun des mortels) de Harris et a eu une très bonne note aux NEWTs; ceci dit, il n'a pas pratiqué depuis la fin d'Hogwarts et n'a jamais mis en pratique ses connaissances théoriques étendues. “ Il me semble que ce ne soit pas mon problème. ” Si les mots ne sont pas très sympathiques, le ton l'est étrangement; un petit sourire d'excuses se hisse sur ses lèvres alors qu'il regarde Rosier avant de tourner de nouveau les yeux vers sa boule de cristal. “ Prenez le temps qu'il faut pour accomplir votre travail correctement, j'espère simplement qu'il sera à la hauteur de mes attentes et validera vos honoraires. Sinon, votre supérieur entendra parler de moi. ” Autant dire qu'il sera doublement exigeant dans deux jours quand il passera des heures à agoniser sur la puissance des runes tracées par Rosier et ses compères.

“ Vos collègues sont sur la fin, je crois, et auront fini leurs tâches ce soir. ” Un peu de reproche dans la voix, mais pas trop. “ Quand vous dites que les runes sont récalcitrantes... ” Il pince des lèvres en rangeant la boule de cristal dans sa poche, fronçant les sourcils en réfléchissant à la suite de sa phrase. Il se demande en réalité si c'est les runes qui sont récalcitrantes ou les murs eux-même de cette prison improvisée. Après tant d'énergie négative et de malheur, et de souffrance, et de douleur... est-ce que ça n'aurait pas un impact sur la magie? “ Ce ne sera pas un problème, n'est-ce pas? Vous aurez besoin d'aide? ” Il ne sait pas comment elle fait: lui-même, qui est sensé diriger l'endroit, est mal à l'aise entre ces murs.

En l’entendant, Eun-Ji se rend compte qu’elle a outrepassé ses droits -la fatigue sans doute, et l’effet étrange de ces geôles… Non, toutes les excuses du monde ne pourraient expliquer son manque de professionnalisme cuisant. Et, en dépit du ton sympathique et du sourire équivoque, la runiste gomme immédiatement la ridule de politesse sur ses lèvres, détournant son regard de concert avec Shafiq. Le supérieur de sa mère, Mangemort éminent, ancien gardien d’Azkaban, détenteur des secrets des Mystères ; plus la liste se déroule à son esprit, plus Eun-Ji reprend son expression impassible, une honte poisseuse lui collant au corps. Il pourrait faire l’erreur de croire qu’elle a pris confiance, en étant choisie pour s’occuper de ce lieu sous haute-surveillance -ou, allons bon, qu’elle a assez pris d’assurance pour tenter de le charmer.
Quelle horreur.

« Prenez le temps qu'il faut pour accomplir votre travail correctement, j'espère simplement qu'il sera à la hauteur de mes attentes et validera vos honoraires. Sinon, votre supérieur entendra parler de moi. » Eun-Ji hoche la tête avec sobriété. Il y a, lors de ses missions au Ministère, une pression supplémentaire, comme si l’on grimpait d’un cran sur l’échelle des attentes. L’accessibilité des runes, à tous les âges, à toutes les strates (il existait de brillants runistes Nés-Moldus) a réduit leur profession à une lutte constante, afin de prouver qu’elle n’était pas obsolète. Qu’est-ce qui distingue, au final, leur travail avec celui de runistes amateurs ? La moindre erreur pouvait remettre en question la légitimité même de leur métier -remettre en question les capacités d’Eun-Ji, et par extension celles de sa mère et des Rosier. Jeter l’opprobre sur sa famille car l’on a mal tracé une rune, c’était un fardeau qu’elle ne pouvait imaginer porter. « Bien entendu », répond-elle. Shil remue légèrement à l’abri des regards -à l’image de la nervosité d’Eun-Ji, rendue invisible sous ses traits fixes.

Ses oreilles frisent. Placée du côté de sa bonne oreille (l’autre semble mal fonctionnée, comme si la magie de sa rune fonctionnait différemment dans les cellules), Eun-Ji a l’impression d’entendre le mot « retard », quand en réalité et elle le sait, sa tâche est difficilement comparable à celles des autres -les regards (envieux, curieux, inquiets, qu’en sait-elle si ce n’est qu’ils étaient insistants) dans son dos le lui ont bien fait comprendre, encore ce matin. Elle tourne la tête vers Shafiq, qui tarde à continuer sa phrase, l’observant poliment -et quand il l’achève en fronçant des sourcils, elle détourne un instant le regard, faisant mine de réfléchir.

Son ego est froissé, à l’idée de quémander de l’aide. Non, à l’idée qu’il lui propose de l’aide, alerté par sa remarque -les « runes récalcitrantes » et son propre sourire lui apparaissent d’autant plus comme deux fautes brûlantes. Elle lui a mis le doute en un souffle. Pas très Rosier, tout ça -pas très Eun-Ji. « Non, ce ne sera pas un problème. » Ses pupilles retrouvent celles du sorcier -si Abbas Shafiq est le legilimens de talent qu’on dit être, il pourra aisément lire qu’elle est farouchement déterminée à ce que son travail n’en devienne pas un. « Je suis désolée, il semble que je vous ai faussement alerté… Tout sera fait dans les règles, dans les délais, et selon les exigences du contrat, Mr. Shafiq. » Motus et bouche cousue -et le travail sera exécuté avec une précision dont même Mr. Harris pourra faire les louanges, dans sa prochaine publication.

Eun-Ji attend, poliment, qu’il lui annonce qu’il s’en va ; elle n’a qu’une envie -celle de reprendre derechef les travaux, qui ne s’achèveront pas d’eux-mêmes d’ici le soir.

Abbas aime bien les choses bien faites et il ose espérer que la jeune Rosier en est capable: ce serait dommage, après tout, de glisser un mot de son incompétence à sa mère. Si l'atmosphère chez les Rosier est similaire à celle des Shafiq, Abbas ne doute pas que Rosier Jr en entendrait parler jusqu'à la fin de ses jours... « Non, ce ne sera pas un problème. » Elle relève les yeux vers lui et les plante farouchement dans les siens — Abbas, même si il n'aime pas le surnom de Basilik qu'on a murmuré de nombreuses fois à son passage, n'ignore pas la rumeur. Et il pense que Rosier non plus. Pas besoin d'aller fouiller ses pensées pour savoir qu'elle en est intimement convaincue alors il se contente d'hocher la tête avec un léger sourire satisfait. Lui qui n'aime pas ses fonctions se délecte pourtant comme un bienheureux du pouvoir qu'elles lui confèrent. « Je suis désolée, il semble que je vous ai faussement alerté… Tout sera fait dans les règles, dans les délais, et selon les exigences du contrat, Mr. Shafiq. » Nouveau hochement de tête. “ Très bien, Miss Rosier... ” Il s'apprête à continuer quand une porte s'ouvre.

Il fait trop sombre dans le couloir pour qu'il puisse voir le battant pivoter mais Abbas l'entend; ce simple son semble emporter avec lui tout l'air du monde. Abbas a l'impression que la température vient de chuter de dix degrés, et il sent les cheveux sur sa nuque se dresser désagréablement. Il ne sait pas trop pourquoi mais il se sent attraper le coude de Rosier Jr pour la tirer en arrière et se dresser entre elle et cette porte qui vient de s'ouvrir. Pendant un instant, Abbas imagine un prisonnier oublié, un monstre qui sort du fond des entrailles du Ministère, pour les attaquer... pour les tuer. Sa baguette se lève et une lumière blanche s'en échappe. Lentement, la lumière se détache du bout de l'artefact magique et vole le long du couloir... disparaît dans un chuintement de mauvais augure. Abbas resserre sa prise sur sa baguette, poussant Rosier toujours un peu en arrière, et ignore le désagréable fourmillement qui s'agite sous la peau de son bras gauche. “ Enfin... tu n'irais pas jusqu'à agresser ton Maître, Abbas, n'est-ce pas? ” La voix s'élève dans le noir et Abbas est déjà en train d'agiter sa baguette pour lancer un sort dans les ténèbres, avant de reconnaître la voix sifflante du Lord. “ Non, mon Seigneur. ” Dans la lumière blanche du sortilège qu'il a invoqué, le Lord apparaît enfin.

Même si il est à la tête du Ministère, Abbas sait qu'il passe la plupart de son temps dans son département, dans les bureaux si profondément enfouis dans les sous-sols du bâtiment que personne n'ose jamais le déranger — pas même lui. C'est le Lord qui vient à lui, pas le contraire. Abbas ne le voit pas souvent, mais plus souvent que le commun des mortels (malheureusement). Il est habitué à la peau blafarde, les yeux rouges, l'absence de nez, de cheveux, de lèvres, de tout le rendant humain en apparence. Alors qu'il s'approche, Abbas se recule pour faire front avec Rosier Jr. Il sait qu'elle porte elle aussi la Marque, il ne se fait pas de soucis pour elle. Les yeux reptiliens du Lord le regardent puis elle alors qu'il ne se tient plus qu'à un bras de distance d'eux, les dominant de dizaines de centimètres sans problème. “ Rosier... ” fait-il d'un ton pensif. Il l'observe un long moment et Abbas se fait aussi petit et inoffensif qu'une souris, rétractant toutes ses envies de laisser sa Légilimancie s'infiltrer nulle part. Pas le moment. “ Vous travaillez dur, je vois. Abbas? ” Plus que tout, il déteste entendre son prénom dans la bouche du Lord — une habitude qu'il a pris depuis sa promotion au rang de directeur. “ Oui, mon Seigneur? Elle était en train de renforcer les protections du Département. Si c'est un problème, je pourrais m'en charger moi-même et la renvoyer-- — Non... Suivez-moi. ” Et sans rien ajouter, il se détourne dans un mouvement de cape et retourne dans l'obscurité.

Abbas jette un regard en biais à Rosier qui n'a pas l'air d'en mener plus large que lui. “ Allez, ” lui dit-il avant de lui prendre le coude de nouveau pour la pousser en avant, sans douceur, lui emboîtant le pas nerveusement. Sa baguette les éclaire sommairement mais le Lord est invisible dans l'ombre, seuls bruits de ses pas leur indiquant qu'il est encore là. Les lieux semblent plus austères, la température dégringole, est-ce que les murs se resserrent? Abbas sent une angoisse sourde le prendre à la gorge alors qu'ils progressent vers la salle du Département que Abbas déteste plus que tout au monde. Arrivés à la porte, le Lord se tourne vers eux, les observe. “ Il faudra aussi renforcer la sécurité de cette pièce, ” dit-il lentement d'une voix sifflante. “ Et à qui pourrais-je demander cela si ce n'est qu'à mes fidèles serviteurs? — Bien sûr, mon Seigneur, ” répond aussitôt Abbas. Il déglutit en voyant les doigts osseux du Lord s'enrouler autour de la poignée. Il tourne la tête vers Rosier Jr et est soulagé quand elle lève les yeux vers lui et le regarde. Il a toujours sa baguette en main et le Lumos ne faillit pas alors qu'il informule un Legilimens. Vous n'avez pas de soucis à vous faire, dépose-t-il, difficilement, dans l'esprit de la jeune femme avant de s'en retirer quand le Lord ouvre la porte.

Aussitôt l'odeur âcre et métallique du sang agresse Abbas qui fronce du nez, momentanément abasourdi par la forte odeur qui se dégage de cet endroit. C'est une vaste pièce, bien plus grande que ce à quoi on pourrait s'attendre après un si étroit couloir, qui culmine à presque quinze mètres de haut. Tout semble taillé dans la roche, à la baguette, et suinte d'une eau qui vient de nulle part et d'ailleurs... Abbas ne veut même pas savoir où exactement ils sont, si ils sont encore à Londres ou sur Terre... cet endroit ressemble à l'Enfer. Sur le sol, tracé avec un mélange de craie, de sang et de terre, un complexe cercle alchimique qu'Abbas serait bien incapable de démêler.
Il a nettoyé depuis la dernière fois qu'il est venu: Abbas se souvient très bien des dizaines de cadavres les uns sur les autres qui s'empilaient un peu partout à des points stratégiques du cercle.

“ Elles ont perdu en puissance... ” La voix du Lord lui fait tourner la tête et il suit son regard du sien, le voix lever une main fébrile pour toucher les murs rocheux, ses doigts aux longs ongles bleuâtres crissant contre les pierres alors qu'il effleure de vieilles runes gravées à même les murs naturels. “ Vous pourriez les renforcer? ” demande-t-il en se tournant vers eux et Abbas hoche la tête. “ Bien entendu, mon Seign-- — Je ne t'adressais pas la parole, Abbas. — Bien sûr, mon Seigneur, mes excuses, ” dit-il aussitôt en baissant la tête, faisant un pas en arrière pour laisser à Rosier le feu du projecteur. “ J'ai besoin de vos talents ici et maintenant. Je dois m'absenter pendant quelques heures. À mon retour ce soir, je veux cette pièce sécurisée et prête à être utilisée. ” Il s'approche d'eux, ses pieds nus silencieux sur la pierre. Abbas garde les yeux vissés au sol quand il voit la main du Lord se lever, effleurer le menton de Rosier pour qu'elle le regarde. “ Vous ferez ça pour moi sans problème, n'est-ce pas Rosier? ”