America rêve de sortir depuis des semaines, six en réalité, mais jusqu’à maintenant, tout le monde s’est ligué pour l’en empêcher. Entre sa baguette (qui n'était pas la sienne et était en plus bridée, certes) qu’on lui a confisquée et la sortie bloquée par la personne qui veille sur elle (parce qu’il semble que quelqu’un soit affecté à sa surveillance à chaque heure du jour et de la nuit, comme si elle était une putain de prisonnière), America n’a pas vraiment pu tenter d’évasion et encore moins en réussir une. Comme quoi, l’Ordre se proclame mieux que tout le monde mais répète les mêmes procédés que les autres : America se sent aussi prise au piège au M&S qu’au ministère.

Tout vient de changer pourtant, Vanya et Kaya lui ont annoncé qu’elle sortait aujourd’hui et America n’a jamais été aussi joyeuse depuis qu’elle a été embarquée ici contre son gré. Ce sera probablement aussi surveillé qu’une visite présidentielle mais tout de même, la blonde n’a pas vu la couleur du ciel ailleurs qu’à travers la baie vitrée depuis ce qui lui semble une éternité.

America attrape dans son armoire-casier un de ses T-shirt et l’enfile, pas question qu'elle fasse sa première sortie en jogging ; elle est aussitôt frappée par le parfum qui s’en dégage – certainement pas le sien, un qu’elle connaît pourtant. Elle reste figée un instant, les sens en alerte et le regard vagabondant dans la petite pièce où elle dort avec Arthur (apparemment la seule personne au sommeil assez lourd pour ne pas être réveillé par ses ronflements). Ses iris tombent sur l’orchidée en détresse qu’elle a récupérée. Izzie.

Une vive douleur lui traverse brusquement le crâne, America porte une main à sa tempe alors qu’elle ferme les paupières.

- Shit, not today, marmonne-t-elle. Not today fucking headache –

Elle se masse les tempes, se demande si le parfum du T-shirt n’est pas trop fort et donc la cause du début de migraine – d’ailleurs, pourquoi l’un de ses vêtements porte-t-il l’odeur d’Izzie ??? – en désespoir de cause, parce qu’un mal de crâne ne ruinera pas sa première sortie, elle change de T-shirt et en passe un qui ne sent rien que la lessive.

- Amy you ready? appelle Vanya depuis l’autre côté de la porte.

- Yeah.

--

- So, what are we doing again?

- I told you, you’re meeting someone, répond Vanya avec un regard en coin.

- Which someone? You’re tired of me already so you're sending me straight back to the ministry? That’s fine you know, at least they never grounded me.

- Oh my god Amy we’re not grounding you, we’re keeping you safe from the ministry!

- Sure, cause you’re super concerned about my wellbeing –

- Yes I am! That’s why you’re with us!

America se mure dans un silence boudeur alors que Vanya la conduit dans les rues de Portsmouth puis à l’intérieur d’un petit café-presse. La sorcière s’avance à l’intérieur, ses iris cherchent qui pourrait bien être son mystérieux rendez-vous. Outre les papas et retraités présents, une femme se détache du lot et America reconnaît aussitôt ses yeux, parce que les yeux ne changent pas, même dix ans après.

- Hey! lance-t-elle en s’approchant.

- I’ll be right here, prévient Vanya en s’asseyant à une table un peu plus loin.

America l’ignore royalement (elle l’a soulée), elle vient plutôt s’asseoir à la table d’Hannah (qui était blonde avant ? Ou peut-être qu’elle hallucine, ce ne serait pas la première fois, son cerveau ne fait que lui faire croire tout un tas de bêtises ces derniers temps)

- What are you doing here? I thought you weren’t with – with –

America regarde autour d’elle, les autres clients ne font pas vraiment attention à elles mais on lui a toujours dit qu’elle devait arrêter de parler si fort : elle a beau ne pas vouloir rester plus longtemps que nécessaire en la compagnie de l’Ordre, quelque chose lui dit qu'elle serait dans de beaux draps si la police la récupérait maintenant, un mois après sa disparition.

- Seriously, Hannah, you have to help me, I mean, I know we never talked since Hogwarts and stuff but – look they’re keeping me against my will, elle désigne Vanya d’un mouvement du menton avant de regarder à nouveau vers Hannah. I’m gonna be in so much trouble now, they’ve ruined everything, I weren’t a criminal anymore but here I go again because they fucking abduct me!

Elle a haussé le ton à mi-tirade, l’a baissé à nouveau sur les derniers mots pour que sa voix ne soit réduite qu’à un murmure. America s’est penchée sur la table comme si sa proximité avec son interlocutrice allait aider à donner du crédit à ses paroles.

Elle a besoin qu’Hannah l’aide : c’est une civile (non ??), une fille intelligente, elles se connaissent depuis longtemps (avec une courte pause d’une décennie entre temps, certes), peut-être qu’elle voudra bien l’aider à s’échapper. Et après ? Yolo, ça a toujours bien fonctionné pour America, elle n’a jamais réfléchi des heures avant de prendre une décision et préfère voir ce qu’il se passe une fois lancée, cette fois ne peut pas être si différente, elle trouvera bien comment faire amende honorable auprès du ministère pour ne pas rester une fugitive toute sa vie.

Vanya l’a prévenue. “You’ll see, she’s not the same. Well, she kinda is but... they did some shitty things to her. She doesn’t remember.. If you know what I mean.” and Hannah does. Ce n’est pas la première victime du gouvernement et ce n’est sans doute pas la dernière qu’ils seront amenés à croiser avec Ernest. Depuis que cette partie submergée de l’iceberg s’est révélée à elle, Hannah se prend à observer les gens dans la rue et ceux qui viennent à l’hôpital, à imaginer ceux qui pourraient avoir vécu cette attention du gouvernement. Peut-être que cette sorcière qui attend dans le couloir que son mari se réveille n’est pas entièrement là, peut-être que cet homme qui attend devant le café en bas de l’hôpital non plus ? Peut-être, peut-être, peut-être. Une fois qu’on ouvre les yeux, on ne peut plus jamais les refermer. Hannah maintenant voit de l’autre côté du miroir et ce qu’elle constate ne lui plait guère.

Au moins avec Ernest, ils tentent d’aider. C’est ce qu’elle se répète quand son syndrome d’imposteur l’emporte sur le reste, qu’une séance se solde sans avancée ou qu’elle attend des nouvelles de Susan. Susan qui se bat tous les jours, Susan qui lui manque d’autant plus maintenant qu’il y a eu la plage et qu’elle en vient même à se demander si elle n’a pas imaginé ce moment si surréel. La médicomage se plonge d’autant plus dans son travail, se perd dans les séances avec Ernest, s’oublie un peu. Le temps passe et aide à refermer les inquiétudes qui la prenaient depuis son agression. Le temps guérit un peu, le reste aide beaucoup.

Aujourd’hui c’est différent cependant, car pour la première fois la personne qu’on lui a indiqué est une ancienne camarade de Poudlard, une copine de celles que l’on perd de vue en grandissant et en empruntant des chemins différents mais dont on garde précieusement quelques souvenirs tendres. Qui, si on la recroise un jour par chance, fait éclore un sourire sur nos lèvres et fait naître une série de questions. How are you? How is life treating you? Ce genre de choses. Pas cette fois. Parce qu’ils ont fait à America ce qu’ils ont fait à tant d’autres.

L’artifice est si bien construit que lorsque Hannah qui est arrivé un peu en avance voit apparaître America debout dans l’entrée du café-presse, rien ne pourrait dénoter d’une quelconque amnésie. Elle est la même - avec quelques années de plus - et Hannah doit avoir même plus changer que l’autre femme avec sa révolution capillaire qui commence déjà à s’estomper laissant ses cheveux hésiter entre brun et blond. Mais tout est clair dès les premières phrases qui franchissent ses lèvres. Elle croit à tout ce qu’elle dit, ce n’est pas une façade, pas un délire paranoïaque, pas un mensonge - ou plutôt celui-ci est si bien enraciné dans son cerveau qu’il paraît réel. “Hey, it’s been a while hasn’t it,” commence-t-elle en un sourire avant que celui-ci ne s’efface d’un coup en entendant les propos de son ancienne camarade d’école. “Wait,wait,wait… Calm down. I-I don’t understand, what are you talking about?” Sa question est elle bel et bien factice. Car elle sait, Hannah. On lui a expliqué toute la situation, America n’est plus la même depuis qu’on l’a attrapée, qu’on l’a remodelée et qu’ensuite on l’a relâchée dans la nature sans autre forme de procès. Est-ce une justice pire que la mort ? Et dans quel but ? Hannah n’est pas ici pour répondre à ces questions, mais pour tenter de briser la glace - un visage du passé c’est rassurant, on peut lui faire confiance. Ils ont besoin de cela. America a besoin de cela.

Son visage se tourne à droite et à gauche comme pour essayer de démêler les mots de son ancienne amie, son regard prenant des airs inquiets qui ne sont pas difficiles à inventer quand elle ressent autant d’empathie pour la situation de la sorcière qui s’est assise en face d’elle. “It has been a while, I think I need more information than that, I don’t understand a thing you’re saying,” chuchote-t-elle en se penchant en avant, dissimulant ses mains tremblantes de nervosité sous la table. C’est la partie qu’elle déteste, même si celle-ci est nécessaire.

cw. détresse psychologique

Les journées sont terriblement longues pour America, elle était de ceux qui ne s’arrêtaient jamais pour se poser, qui fourmillaient d’idées et mourraient d’envie de tout voir, de tout tester. Elle est désormais condamnée à lire toute la journée (heureusement que tout le monde lui rapporte de nouveaux bouquins en permanence – une des raisons qui lui font presque changer d’avis sur les habitants) ou à les regarder travailler ou à regarder ses orchidées qui ont retrouvé la santé.

Le pire est qu’elle ne sait même pas quoi faire d’autre. Avant, elle avait un but, un mauvais but certes, mais elle ne pensait qu’à cela : trouver une prochain slogan, écrire un nouvel article, peindre les affiches, prévoir le nouveau collage et discuter avec les autres de leur prochain plan. C’était mal mais c’était sa vie et si America se sent coupable d’avoir un jour contribué à alimenter le pouvoir de l’Ordre, une part d’elle regrette l’époque où elle avait vraiment des convictions.

Aujourd’hui elle voudrait quitter le M&S mais ne sait pas pour où, elle n’a plus nulle part où aller, la planque a été sa maison pendant des années, l’Ordre a été sa maison pendant des années, mais ils l'ont trahie et désormais, America voit clair dans leur jeu. Elle ne peut plus supporter leur joug, croiser Liam lui rappelle qu’on l’a abandonnée et enterrée avant même de s’être assuré qu’elle était réellement morte, et maintenant, Amy ne peut plus rien faire que se résoudre à être une apatride, recherchée par un camps, poignardée dans le dos par l’autre. Elle a peur que Kenneth la retrouve, peur de voir des gens qu’elle aurait oubliés et qui la regarderaient avec de grands yeux désolés, peur que les habitants soient fatigués par ses humeurs et l’abandonnent à leur tour, parce qu’alors, elle serait réellement seule.

Elle n’a plus qu’un espoir, s’y accroche comme à un phare dans la tempête : ce sont ses parents. Ils sont partis à l’étranger lorsqu’elle a rejoint l’Ordre et fait peser un danger inconsidéré sur eux, elle n’avait pas la moindre idée de leur localisation actuelle avant que Vanya n’aille fouiller dans les archives pour la lui donner, maintenant, America voudrait les rejoindre. Si elle n’a plus de foyer, ses parents en seront un, comme quand elle n’avait pas encore fêté ses onze ans et été happée par le monde magique où elle n’a été qu’une imposteure (Kenneth le lui a assez laissé entendre pour qu’elle en soi désormais convaincue).

Lorsqu’elle arrive dans le café-presse, c’est comme si America entrevoyait une solution à son problème. Peut-être qu’Hannah peut l’aider, peut-être qu’elle travaille au gouvernement – aux portoloins même – et est capable de lui faire passer la Manche, peut-être que Vanya et les autres ont enfin décidé de laisser America tranquille et d’arrêter de s’acharner à la rendre comme avant quand elle ne veut surtout pas redevenir cette révolutionnaire naïve qui s’est laissée bernée par sa propre impudence.

- Hey, it’s been a while hasn’t it.

- Yeah, I’m so happy to see you, répond Amy avec un grand sourire.

Elle n’est entourée que de résistants au M&S et cela la met mal à l’aise : elle sait que ce qu’ils font est mal, elle voudrait qu’ils arrêtent, leur dire que ça ne sert à rien. Ils ne l’écoutent pas et tentent plutôt de lui rappeler qu’elle y croyait avant. C’est vrai, l’Amy d’avant était persuadée que ses posters changeraient le monde, mais cette Amy est morte entre les mains de Kenneth. Hannah est différente, elle n’a pas quitté Hogwarts en même temps qu’America et les autres, elle obéit et reste à sa place – America aurait réellement voulu faire comme elle et être raisonnable quand il était encore temps.

- Wait,wait,wait… Calm down. I-I don’t understand, what are you talking about?

- I'm saying that it’s bad, everything is, I shouldn’t be here with her, if Kenneth knew he’d be really mad, déballe-t-elle, ses coudes posés contre la table sur laquelle elle s’est légèrement penchée. Kenneth, he’s my psychologist, thanks to him I see right through them (elle fait un vague geste en direction de Vanya) and it’s bad. Hannah, it's bad, reprend-t-elle.

America soutient le regard inquiet d’Hannah ; au moins, elle n’a pas l’air de la prendre pour une folle, elle a même presque l’air de la croire. Pour la première fois, Amy voit de l’espoir.

- It has been a while, I think I need more information than that, I don’t understand a thing you’re saying.

- Okay listen, America croise ses mains sur la table, garde un instant les pupilles rivées dessus avant de les relever pour accrocher celles d’Hannah, you remember how I fled with them in 97? I’ve been with them since, but I got arrested because that’s what you get playing with fire. They left me there like I was nothing, Vanya said they were only like, five to try to find me and they even replace me when I wasn’t even dead!

America chuchotait avant de hausser la voix dans un élan d’émotion ; elle la rebaisse aussitôt pour reprendre :

- When I was with Kenneth, he cared about me, he wanted me to open my eyes and see that I only harmed myself trying to fight back when I should have accepted that my rightful place was with my family and not here. You understand? Demande-t-elle, soutenant le regard d’Hannah en espérant très fort qu’elle répondra par l’affirmative. I’m so fucked now, I can’t go back to London but I don’t want to stay here, and I don’t understand why I forgot so many people and why I have those scars (elle lève les mains pour exposer les cicatrices encore fraîches de brûlures importantes) I feel like I’m missing half my memories and I’m going crazy –

Ses yeux sont devenus humides alors qu’elle parlait, America renifle pour ravaler les larmes qui lui serrent la gorge et jette un œil vers Vanya. Elle croise son regard, détourne le sien pour le reporter sur Hannah. Elle ne sait même plus ce qu’elle attend d’elle, la sorcière n’est pas une sorte de Messie, elle ne peut pas résoudre ses problèmes et trouver une solution à sa mémoire défaillante, elle ne peut probablement rien faire du tout et pourtant Amy est soulagée de pouvoir lui parler. Hannah n’est pas comme les autres habitants, elle n’a pas de souvenir d’elle datant d’après 1997 et ça tombe bien parce qu’America a beaucoup de lacunes lorsqu’elle se concentre sur la même période. Enfin, Hannah, ne peut pas la noyer sous les informations et tenter de lui bourrer le crâne d’idées allant à l’encontre de tout ce qu’elle a compris avec Kenneth – ou peut-être qu’elle se trompe, peut-être que c’est un piège organisé par Vanya et qu’Hannah est aussi dans la résistance. Peut-être qu’elles ont bel et bien vécu des choses après 1997 et qu’Hannah va profiter de l’absence de souvenirs d’Amy pour la manipuler.

Cela rend brusquement America nerveuse, elle se recule légèrement contre sa chaise et sursaute lorsque le serveur vient leur demander ce qu’elles veulent boire. "A coffee please," demande Amy, profitant de la distraction pour dévisager Hannah et tenter de déceler une trace de fourberie sur ses traits. Tout cela lui donne envie de pleurer, elle voudrait tellement se débarrasser des migraines et ne plus se battre contre ses souvenirs manquants, elle voudrait être à nouveau à égalité avec tout le monde et pouvoir trancher : est-ce que Kenneth l’a manipulée comme le répètent les habitants du M&S ou est-ce que c’est eux qui veulent à tout prix la ramener à ce qu’elle était avant – idiote, naïve et bercée d’illusions ? Elle a besoin de savoir, ce vide béant dans son crâne la bousille et la laisse plus vulnérable que jamais, elle a l'impression que si elle ne le comble pas, elle pourrait en mourir.

Hannah ne s'attend pas du tout à ce qu'America se lance dans un discours aussi détaillés des récents événements ; elles ont été amies un jour mais cela fait longtemps depuis la dernière fois qu'elles se sont vues et n'importe qui aurait quelques réserves à s'épancher ainsi avec le fantôme d'une amitié. D'ordinaire, les retrouvailles de ce genre se passent plutôt avec une certaine gêne, des demi-sourires et des mondanités qui sont échangées avant que chacun et chacune ne reparte suivre le cours de sa vie en promettant à l'autre de ne pas se perdre de vue à nouveau (parfois honnêtement, parfois non). Mais la vitesse avec laquelle son ancienne amie se confie n'est qu'une preuve de plus d'à quel point le gouvernement lui a retourné le cerveau. Les traits d'Hannah se plient d'inquiétude en l'écoutant, sa bouche gardée résolument fermée pour ne pas dire trop tôt et trop vite des choses qui compromettraient le plan.

Cela ne l'empêche pas de fulminer intérieurement et d'hocher vivement de la tête quand la sorcière en face d'elle lui demande si elle comprend, ou encore de serrer des dents le reste du temps. Cela ne fait pas bien longtemps qu'ils se sont lancés dans cette aventure avec Ernie et à chaque fois les prouesses du gouvernement la surprennent. Les dégâts qu'ils causent sans une once de remords persuadés d'être dans leur bon droit, comme s'il n'avait pas en face d'eux des humains mais de simples pantins à utiliser à leur guise. Elle n'est pas du genre vindicative ou violente Hannah, loin s'en faut, mais dans ces moments la médicomage pourrait presque le devenir.

A la place, son cœur trop grand saigne pour cette amie à qui on a arraché des bouts de vie et qui de fait ne peut plus faire confiance à personne. Croit que ses amis sont ses ennemis et vice versa. Tout particulièrement, Hannah songe à ce psychomage qui n'a aucun scrupule et à ses réactions qui passent à vive allure sur son visage et dans ses mots. Hannah voudrait la prendre dans ses bras, mais n'en fait rien. "It does seem so messed-up, I'm so sorry that you're feeling this way," finit-elle par avancer lentement après que son amie l'a dévisagée pendant quelques secondes (Hannah s'empêchant de remuer dans son siège, rien de mieux pour avoir l'air suspicieuse). Son regard accroche celui d'America alors qu'elle mordille un instant sa lèvre inférieure pour tenter de trouver quoi dire, par où commencer, vers quoi ne surtout pas s'aventurer. "How did you meet Kenneth? Does he still help you with your memory?" Demande-t-elle ensuite, se gardant bien d'apporter un avis sur les méthodes du psychomage en question et le manque de neutralité dont il a semblé faire preuve. Hannah s'étonne même d'arriver à prononcer son prénom sans une once d'amertume. Que des professionnels de la santé utilisent leur influence et leur statut pour de funestes desseins la débecte plus qu'autre chose.

elle prend quelques secondes de plus pour réfléchir. Choisit de ne pas parler d'Ernie tout de suite. Mieux vaut prendre trop de temps que de se précipiter, Hannah a l'impression d'être de nouveau face à ses examens à Poudlard, une seule chance de succès et beaucoup d'anxiété. Sauf que les enjeux sont bien plus importants aujourd'hui...

La serveuse revient et dépose une tasse de café devant America, une fois qu'elle est partie, Hannah reprend en s'avançant un peu sur la table, "I want to help you. What can I do?" La phrase est affirmée avec un sourire. En définitive, le meilleur moyen pour avoir l'air sincère et authentique c'est encore de dire la vérité.

America voit sa première porte de sortie depuis longtemps. Elle est convaincue qu’Hannah peut et va l’aider, parce qu’Hannah sait ce que ça fait de ne pas vouloir s’engager sur la pente glissante de la résistance, elle sait ce que ça fait de ne pas vouloir se mettre le gouvernement à dos et qu’il est valide de ne pas vouloir subir les foudres du régime. Hannah ne le sait probablement pas comme Amy le sait, elle n’a pas vécu l’isolement et les interrogatoires, mais elle doit pouvoir comprendre, ce que personne au M&S ne semble prêt à essayer de faire.

Elle ne pensait pas qu’Hannah Abbott lui ferait un jour l’impression d’un phare au milieu de la tempête, elle ne pensait pas non plus qu’elle aurait un jour besoin d’être sauvée (et de l’Ordre), elle a toujours été celle qui se jette dans la mêlée pour sortir les autres du pétrin, mais voilà, tout change et America a désespérément besoin des autres désormais. Pas de la même manière qu’avant, quand elle ne pouvait seulement pas se passer d’amis, de camarades de débat ou d’effrontés comme elle pour aller coller des affiches dans les lieux les plus en vus; non aujourd’hui, son besoin de contact humain la prend aux tripes, lui fait perdre la tête après des mois passés dans le silence et le solitude, il lui fait même regretter Kenneth et la complicité qu’ils ont partagée quand il était le seul à lui rendre visite dans sa cellule, quand il était le seul à être gentil avec elle.    

- It does seem so messed-up, I'm so sorry that you're feeling this way.

America esquisse un fin sourire et se rassied dans le fond de sa chaise, ses iris toujours rivés à Hannah. Elle jette un bref coup d’œil à la table où se trouve Vanya au moment où le venin insidieux du doute glisse dans ses veines : c'est une petite voix qui lui souffle de se méfier de l’Ordre, d’ouvrir les yeux une bonne fois pour toute sur ce qu’ils lui ont fait. Ils l'ont abandonnée en arrière, America a ouvert les yeux. Peut-être que c'est un piège, depuis le début, personne n’a jamais tenu compte de son avis et tout ce que ses ‘amis’ ont été capables de faire a été de lui imposer des choses : elle n’a pas eu le choix de revenir au M&S, n’a pas le droit d’en partir, on choisit pour elle qui elle peut voir ou pas et n’écoute pas sa volonté de ne pas être mêlée aux affaires de l’Ordre – rien ne lui dit qu’Hannah n'est pas qu’un pion de plus destiné à la faire changer d’avis, comme s’il était préférable qu’elle revienne à celle qu’elle était avant, une idiote brainwashée par une organisation faussement bienveillante. Mais America veut vraiment croire Hannah.

- How did you meet Kenneth? Does he still help you with your memory?

- It was after I got captured, I’ve been interrogated, c’est normal, elle était une terroriste. Elle a plutôt eu de la chance de s’en être si bien tirée. He was supposed to help me find my memories when no one else could, look what they made you do to yourself, you put yourself through this and for what? People who aren’t bothering to look for you? Kenneth disait. I’m sure we were close to find them and maybe I’d remember everything now, if it wasn’t for them, elle jette un regard noir du côté de Vanya qui détourne le sien aussitôt, reprenant sa lecture.

America repose les iris sur Hannah. Elle a l’air si sincère, si pleine de bonne volonté. Peut-être qu’elle travaille pour le gouvernement, peut-être qu’elle peut l’aider à se racheter auprès de Kenneth, qu’elle pourra retrouver la place qu’on lui a gracieusement offerte dans la société, là où elle aurait toujours dû être.

- I want to help you. What can I do?

L’espoir s’épanouit dans la poitrine d’Amy comme un bourgeon, elle se redresse un peu, un sourire venant étirer ses lèvres.

- Promise you won’t tell anyone first, réclame-t-elle d’un air soudainement mortellement sérieux avant de reprendre une fois certaine qu’elle ne sera pas trahie (encore) : I want to go to France. America veut retrouver sa famille, elle ne les a pas vus depuis dix ans, ne sait même pas si tout redeviendrait comme avant à leur contact, mais ses souvenirs les plus vifs sont avec eux et quitter le pays est son seul espoir de retrouver un semblant de vie. They won’t let me, they think I can be the person they knew but I don’t want to be that person again, see what I mean? I don’t want to be a fool anymore, or fight in a useless war, I want it to stop.

Ses propos auraient provoqué stupeur et désespoir chez n’importe lequel de ses amis, America n’abandonnait pas, elle adorait les causes perdues et croyait dur comme fer qu’elle pourrait changer le monde. Si seulement le n°9 n’avait pas sucé tout l’espoir qu’elle avait jamais pu avoir en un monde meilleur lorsqu’il l’avait mis face à l’insignifiance de sa personne. Elle ne changera jamais le monde, tout ce à quoi elle a dédié sa vie pendant la dernière décennie n’a été qu’une vaste plaisanterie, elle n’a jamais compté aux yeux de l’Ordre qui n’estime ni son travail ni même sa vie. C’est terminé, America Clarke ne sacrifiera plus rien au nom d’une organisation qui prend tout mais ne donne rien.