Comme des papillons de nuit aux abois, les yeux de Nils se posent aussitôt sur la main réconfortante de Remy. Ça faisait longtemps qu’il songeait à lui demander (ça faisait désormais quatre ans que Liam avait quitté le navire); ceci dit, il ne s’était pas imaginé poser la question ainsi, de but en blanc, le cœur au bord des lèvres. Peut-être qu’il avait repoussé l’échéance trop longtemps. Peut-être qu’il avait peur qu’elle aille le répéter à sa mère, voire même à son père. Nils se méfie de ses aînés, depuis que leur mère a été capable de laisser l’un de ses fils s’enfuir, et pis encore, depuis qu’elle avait pris la Marque, et était en bonne voie pour la lui faire prendre à lui aussi.
"Je ne sais pas, non. Je ne sais pas ce que je ferais sans lui." Nils relève les yeux vers Remy. Il ne sait pas à quelle réponse il s’était attendu de sa journaliste de marraine, mais, naïvement, il ne s’était pas attendu à ce qu’elle perde ses moyens de la sorte. Il se doute que c’est un sujet lourd auquel réfléchir, sorti de nulle part, surtout en plein milieu d’un repas; mais d’un autre côté, la vivacité des émotions de Remy le rassure, le conforte dans le fait que ce n’est pas lui qui en fait trop; juste la situation qui est merdique. "Je ne sais pas comment il aurait fait si…" Nils fronce légèrement les sourcils, en comprenant que Remy imaginait la situation dans le sens inverse, dans l’hypothèse où c’était elle qui avait disparu.

Alors qu’elle va pour lui rappeler son terrible accident, Nils reconnecte également les wagons.
Il était effectivement bien trop jeune à l’époque pour comprendre exactement ce qui s’était passé. Il se rappelle que sa mère leur avait annoncé, à lui et Liam, que Remy ne viendrait pas dîner à la maison, ce soir-là et les autres soirs suivants. Elle était restée évasive, dans un premier temps, certainement le temps que le pronostic vital de son amie se stabilise. Nils se souvient que Liam avait ronchonné, et lui aussi un peu, parce qu’il avait prévu de lui raconter il ne sait quelle stupide histoire de fantômes.

Nils a lâché sa fourchette et sa seconde main vient se poser au-dessus de celle de Remy, pour la presser doucement. Il se souvient également que, longtemps après, il s’était demandé pourquoi Remy était revenue avec une canne. Il n’avait pas cherché davantage d’explications, émerveillé par le style que ça conférait à sa marraine, aveuglé par l’anticipation d’en avoir une aussi, un jour. Il jette un œil au pommeau finement ciselé appuyé contre le bord de la table.
"Je ne sais pas ce que j’aurais fait si la situation avait inversée : lui sous les décombres, entre la vie et la mort, et moi au dehors. Je crois que je serai devenue folle." Nils a un soupir dépité. "Oui, j’ai un peu cette impression, des fois..." Il se masse nerveusement la tempe, amarre de nouveau sa main à celle de Remy.

Elle en vient finalement à la triste et risquée situation des jumeaux. Aussitôt, un sentiment de malaise se tord comme un nœud dans son estomac; Nils sent le brunch lui faire des misères dans son ventre. "Votre lien est plus fort que ces questions de camp, gouvernement contre terroristes." Il ravale difficilement sa salive, coincée dans sa gorge étranglée. "C’est ce que je me suis dit, mais parfois... j’ai l’impression que c’est pas aussi simple... que le lien n’est plus aussi fort..." Parce qu’il se rappelle, la déception dans les yeux de son frère. Liam a toujours été très patient avec lui, n’a jamais paru importuné par sa réserve, par sa tranquillité. Mais Nils continue de penser que cette fois-là, la fois où il a refusé de partir avec lui, avait été l’hésitation de trop. Et depuis, Nils a l’impression que le lien avec son frère s’étiole...

Parce qu’à la différence du drame qui s’était abattu sur les jumeaux Lynch, Nils avait fait le choix de se séparer de son frère, et de fait, avait consciemment pris le risque de le perdre.
Mais comment peut-on perdre quelqu’un qui est encore en vie?

"Tu veux connaître le secret ultime des jumeaux ?" La main de Remy sur sa joue le tire de ses émois silencieux. "Ce n’est pas parce qu’on est séparés que l’on est seul. Si j’ai tenu, alors que vraiment rien ne m’y prédestinait, c’est parce que je sentais Darragh avec moi. Ces histoires comme quoi les jumeaux ont un lien magique spécifique, c’est pas des conneries, ou alors je me leurre peut-être, mais je crois, vraiment, qu’à ce moment-là, c’est Darragh qui m’a filé la force nécessaire pour tenir. Comme toi et Liam le ferez peut-être un jour." Le jeune homme hoche la tête; la ligne naturellement soucieuse de ses sourcils se crispe un peu, bien qu’il laisse sa joue reposer un temps contre la tiédeur réconfortante de la paume de Remy. "Tu as sans doute raison; j’ai toujours trouvé que ma magie se comportait différemment en présence de Liam..." Une théorie qui l’avait un peu inquiété, du temps de Poudlard, alors que les deux garçons n’étaient pas parvenus à finir dans la même maison. "Je crois que j’ai justement un peu peur de ce qui risque de se passer..." Il hésite, dégage son visage de la main de Remy, comme pour mieux épingler son regard sourd au sien, "le jour où l’un de nous deux donnera la force nécessaire à l’autre pour faire un choix sur lequel il ne pourra pas revenir..."

Se faisant, Nils avait retourné sa main reposant encore sur celle de Remy, exposant brièvement l’intérieur de son avant-bras couvert, là où la Marque ne s’était pas encore inscrite. Il laisse passer un temps, avant de l’amener à son visage pour se masser les paupières, comme soudainement tiré de la pénombre. "Uh, désolé Remy, j’ai un peu plombé l’ambiance, ah! On m’a dit de travailler sur mon small talk, mais je pense que j’ai encore des progrès à faire!" Il se met à ordonner pensivement ses couverts, compte un peu les miettes écrasées dans son assiette. "Ton assistant s’occupe toujours de la rubrique des faits divers? Je pourrais lui envoyer quelques unes de mes histoires, avec Hallowe’en qui approche!"

Elle comprend bien la situation terrible dans laquelle se retrouve son filleul. L’avantage qu’elle et Darragh avaient eu en 1986 (et ont toujours, quoiqu’en pensent les sceptiques), c’est qu’ils étaient du même côté : celui des vivants. La difficulté des jumeaux Fitzroy, c’était bel et bien qu’ils s’étaient scindés, de façon irrémédiable pour l’heure. Quand bien même Grainne donnait l’impression d’être une sympathisante du régime, si elle avait su ce que faisait Darragh, à savoir renseigner l’Ordre du Phénix comme il pouvait, elle n’aurait pu qu’approuver ce genre de comportements, même si c’était risqué, même si ça pouvait leur retomber dessus à tout moment. Les Fitzroy ne pouvaient pas en dire pareil, puisque Liam avait rejoint l’Ordre et que Nils… et que Nils devait prendre la Marque, pour contenter ses parents. (Rien qu’y penser lui plombait le moral.) C’était bien pour ça qu’elle tentait quand même de le rassurer sur leur lien fraternel, mais ça ne marchait pas vraiment, si on croyait ce qu’il disait… "C’est ce que je me suis dit, mais parfois... j’ai l’impression que c’est pas aussi simple... que le lien n’est plus aussi fort..." Tenant encore fermement la main de Nils dans la sienne, la journaliste comprend bien ce qu’il veut dire, mais ne perd pas espoir. Elle hoche la tête, esquisse une moue qu’elle n’accompagne pas d’un commentaire, jusqu’à finalement caresser la joue du jeune Fitzroy avec un sourire, pour lui glisser ce secret que les jumeaux partagent.

Il y a bien des choses qu’elle voudrait faire pour lui. Mais rares sont les projets qu’elle pourrait vraiment mettre à exécution, sans se mettre directement en difficulté avec Beth. Elle écoute attentivement le jeune homme reprendre la parole, confirmer les impressions qu’elle a pu avoir avec le temps, quant à la magie spécifique qui la liait à Darragh, et qui le liait à Liam. Il confirme d’abord, avant d’exprimer des craintes qu’elle ne lui connaissait pas jusque là. "Tu as sans doute raison; j’ai toujours trouvé que ma magie se comportait différemment en présence de Liam... Je crois que j’ai justement un peu peur de ce qui risque de se passer... le jour où l’un de nous deux donnera la force nécessaire à l’autre pour faire un choix sur lequel il ne pourra pas revenir..." Ses yeux bleu océan restent plantés dans ceux du jeune brigadier, alors que dans le bas de son champ de vision, elle repère le mouvement qu’il esquisse, en dévoilant l’intérieur de son avant-bras. " Je sais bien, Nils, je sais. " trouve-t-elle seulement à dire, alors qu’elle voudrait pouvoir le rassurer de façon plus pérenne. Elle ne pourrait pas lui dire ce qu’il en sera, à ce moment-là. Elle n’est pas sûre de vouloir le savoir, à vrai dire. Remy veut croire que les jumeaux ne se déchireront pas en luttes fratricides pour une histoire de combat entre le phénix et les ténèbres. Sa mine est également assombrie, et ce sont les mouvements de Nils qui lui permettent de s’arracher à la contemplation d’une bien triste histoire.

Elle compose une mine placide alors qu’elle relève la tête vers lui tandis qu’il lui présente ses excuses : "Uh, désolé Remy, j’ai un peu plombé l’ambiance, ah! On m’a dit de travailler sur mon small talk, mais je pense que j’ai encore des progrès à faire - Allons, allons, Nils, pas de ça… Je n’ai pas non plus cherché à améliorer l’ambiance, excuse-moi." Un clin d’œil, comme pour le rassurer, pour lui confirmer que la faute est bel et bien partagée pour ce qui est de plomber l’ambiance. D’une main, elle prend le verre de jus de citrouille qu’il lui a servi plus tôt, en prend une gorgée, et l’observe avec minutie. Sans se douter des précautions qu’envisage d’employer sa marraine, Nils continue : "Ton assistant s’occupe toujours de la rubrique des faits divers? Je pourrais lui envoyer quelques unes de mes histoires, avec Hallowe’en qui approche!" Il raccroche les wagons du Poudlard Express, arrache un sourire à Remy, qui tousse brièvement pour s’éclaircir la gorge : "C'est toujours Diarmuid qui s’en charge, oui" Merlin que ça lui fait bizarre d’employer le prénom du jeune Ward en entier ! Mais il s’agit quand même de ne pas trop préciser le lien de proximité qu’elle peut avoir avec celui qu’elle a embauché pour lui éviter de continuer ses louches manèges qui auraient eu tôt fait de l’envoyer non plus à un étage de soins de St Mungo’s, mais bel et bien dans la morgue de l’hôpital sorcier. "Ça pourrait l’intéresser, oui… Tu peux lui envoyer ça sous forme écrite, si tu préfères, ou— … Non, il vaut même mieux que tu ne lui envoies cela que sous forme écrite, il serait capable de raconter complètement autre chose si jamais vous faisiez un entretien oral." Elle se racle la gorge une nouvelle fois, pinçant brièvement ses lèvres, consciente des travers ponctuels de son assistant. Songeuse, elle reste quelques instants silencieuse, et puis interroge finalement Nils, comme pour s’assurer que malgré l’absence de son jumeau, il n’est pas complètement seul non plus. Mais puisque mettre les pieds dans le plat brutalement serait fort peu courtois ni même très subtile, tu reviens à un élément qu’il t’a glissé en passant plus tôt, et sur lequel tu te dis que ça pourrait être pas mal de creuser, même un tout petit peu : "Tu avais l’air de dire que c’était devenu le chaos à la Brigade : rassure-moi, y a quand même des gens sur lesquels tu peux t’appuyer, si besoin ?" Elle ne pense certainement pas à ce cher Corban Yaxley, ni même à cet abruti de Buck, mais il doit bien y avoir des personnes (des Hounds peut-être ? careful now girl, il ne faudrait pas risquer de se griller aussi elle se garde bien d’aller sur ce terrain) qu’il estime vaguement et avec qui il a développé un semblant de relation professionnelle, non ?

"Et bien! Si j’avais su que t’avais embauché une Rita Skeeter jr! Ça doit pas être facile tous les jours de surveiller ce qu’il écrit!" "Oh tu sais, ça pourrait être pire.”, dit-elle avec un sourire adouci tandis qu’elle songe à Diarmuid. Elle aimerait bien qu’il soit plus appliqué par moments, mais elle ne va pas non plus lui demander l’impossible : certains éléments de sa vie font qu’il peut parfois être distrait (et encore, à l’instant où ils brunchent, les parents de Dee n’ont pas encore refait leur apparition). "Bon, ça n’est pas vraiment devenu le chaos;." Quel dommage, songe-t-elle sans mot dire. Elle préfère quand la Values Brigade ne tourne pas bien, ou tourne en rond sur elle-même. Ça évite qu’elle soit trop efficace et menace certains intérêts de l’An Lucht Siúil. Elle n’en laisse néanmoins rien paraître, se penchant un peu vers son filleul, comme pour l’enjoindre à poursuivre ses explications. "disons que ça n’a jamais été un service très calme, de base. Et là, vu qu’on leur a retiré une figure d’autorité, disons que ça n’aide pas à discipliner les troupes..." Hochant la tête d’un air sérieux, elle se réjouit d’apprendre que la décapitation partielle de la tête de la brigade la fait courir comme un poulet. Pourvu que ça dure encore un peu.

Elle prend une gorgée alors que Nils remarque que ça ne le concerne pas vraiment, la direction de la brigade à laquelle on l’a adjoint. Les noms qu’il égrène sont connus, parfois plus que d’autres : "Mais sinon, oui, ça va, on est plusieurs brigadiers autour du même âge; Al-Massri, il m’arrive de discuter un peu avec elle. Wickham n’est pas particulièrement désagréable non plus, quand il n’est pas flanqué de ses deux autres zouaves..." Si le nom de Felix lui a ourlé les lèvres d’un sourire furtif, celui-ci disparaît aussitôt que le jeune Fitzroy mentionne les « deux zouaves ». Elle connaît plutôt bien la composition des Brigades ministérielles (parce qu’il vaut mieux savoir qui bosse où, dans son milieu clandestin) et imagine sans peine que les gusses dont Nils parle avec un mépris qui ne se cache guère sont vraisemblablement ces chers Buchanan et Prewett, qui brillent par bien des attributs qui ne devraient pas être ceux d’agents des forces de l’ordre (quoi ? la malhonnêteté et les compétences douteuses ? franchement, c’est leur faire un procès d’intention.) Elle couve d’un regard compatissant le jeune homme et hoche la tête brièvement de haut en bas, comme pour lui signifier qu’elle comprend et a pu connaître le même dépit que lui par moments. Elle ne l’interrompt pas pour autant, parce que sans le savoir, sans s’en douter, il complète certaines de ses connaissances, qu’elle ne manquera pas de transmettre à ses collègues du Triumvirat criminel. "Et puis, quoi qu’en disent les têtes du département, les hounds ne sont pas toujours les pires... Je veux dire, certains hémovores sont pourvus d’une telle longévité que ce serait vraiment trop bête de ne pas en profiter, tu ne crois pas?" "Certes mais évite quand même de rester trop près de tout cela, il y a quand même des précautions à avoir et, à ce que je sache, et à moins que ça ait changé avec la direction, tu n’as pas vraiment de pouvoir de contrition sur les hounds, si ?” La précaution fait sans doute écho à celles qu’a pu prononcer Beth des semaines (voire des mois) plus tôt, sans que les deux femmes ne se concertent. Elle aurait pu creuser, mais elle ne le fit pas, sentant l’heure qui avait tourné et étant pleinement consciente que Nils gardait encore quelques secrets pour lui, sans les diffuser à sa marraine. Peut-être un jour en saurait-elle plus… "C’est l’avantage quand on est le médicomage de service; on a le droit d’éplucher tous les dossiers. Et crois-moi, certains parcours auraient leur place dans les rubriques morbides de Dirm- Darmee— de ton assistant!" "Garde-toi de trop m’intriguer, Nils…”, souffle-t-elle même dans un rire.

Lorsque le serveur réapparaît et s’enquiert de savoir s’ils veulent autre chose, elle fait mine de réfléchir quelques instants, puis, une fois que Nils a décliné, elle va pour décliner à son tour, mais puisque Nils l’informe qu’il va bientôt l’abandonner, elle retient le serveur et se contente de demander : "La note, s’il vous plaît, dans ce cas-là !” Avant de revenir au Fitzroy, et d’être frappée un instant par l’air de ressemblance qu’il a, dans la lumière et l’angle pris, avec sa mère. Le sourire de la marraine s’élargit, attendri, et elle lui glisse : "Tu demanderas à Beth de te montrer des photographies du moment où elle est devenue avocate : c’est terrible comment tu lui ressembles aujourd’hui.” Et d’ajouter, un air un peu plus malicieux : "Bon, ne lui dis pas ça, bien sûr. À l’époque, elle avait essayé une coupe de cheveux à la garçonne et le résultat n’avait pas été exactement celui escompté !” Un petit ricanement moqueur, d’une amie qui profite du fait que la mentionnée est actuellement absente, et ajoute, un peu distraitement, alors que l’addition se matérialise sur leur table et qu’elle sort sa bourse pour payer : "La prochaine fois qu’on se verra, tu me raconteras si un joli cœur comme toi a quelqu’un d’important dans sa vie en ce moment.” Elle dit ça en lui lançant une œillade malicieuse alors qu’elle compte les pièces au fur et à mesure qu’elle les dépose sur la table pour régler, avec un rire sincère qui indique que la menace n’en est pas vraiment une, et ajoute, avant de lui donner congé, une mise en garde : "Et ne commence pas déjà à trouver des raisons pour m’éviter, maintenant que tu sais ça ! Peut-être qu’en échange je te raconterai des choses que tu ignores encore sur ta mère… Ou sur moi, mais je suis un livre ouvert.” Elle se lève de la table, enlace Nils avec douceur, lui caresse la joue alors qu’ils s’écartent et le salue d’un dernier clin d’œil : "Allez, va sauver ce qu’il reste du Ministère !” puis s’empare de sa canne et repart vers les bureaux du Witch Weekly, plus haut sur le Chemin de Traverse.