Elle avait longuement réfléchit à ce qu’elle devait faire après la petite conversation qu’elle avait eu avec sa mère. C’était compliqué, c’était la seule conclusion à laquelle elle était parvenue une fois qu’elle eut été posée tranquillement sur son lit, dans le manoir familiale. Son père lui avait avoué les raisons de ses absences, elle comprenait, même si elle aurait aimé savoir tout cela dès le début et qu’on lui cache pas la vérité comme si elle n’était encore qu’une enfant. Mais pour sa mère, finalement, c’était peut-être mieux si elle se tenait éloignée de ces murs, c’était sans doute préférable pour tout le monde si on ne voulait pas qu’un drame ne se produise, par accident bien évidemment. Aujourd’hui, elle avait finalement pris une décision, ou plutôt elle était parvenue à la seule conclusion qui lui était satisfaisante. Elle devait partir. Elle avait beau aimer de tout son coeur son demi-frère, qu’elle continuerait de considérer comme son frère, elle n’arriverait plus à rester entre ces murs qui, pendant toutes ces années, s’étaient imprégnés de tous ces mensonges. C’était la raison pour laquelle elle avait purement et simplement fait ses valises, qu’elle avait pris tout ce dont elle pourrait avoir besoin et qu’elle avait mis les voiles, avec comme seul signalement, un mot laissé dans l’entrée. Après tout, on ne lui disait rien à elle, pourquoi devrait-elle prévenir. En cet instant, elle foulait les pavés de l’entrée de chez son oncle. Elle n’avait pas réfléchi bien longtemps pour savoir chez qui elle serait le mieux, c’était venu naturellement. Aussi, elle n’hésitait pas à frapper plusieurs coups à la porte. Elle aurait pu se dire qu’un elfe lui ouvrirait mais elle fut rapidement soulagée de voir que c’était bien Marlon, qui se tenait devant elle. « Salut tonton ! Je viens m’installer chez toi ! » Elle ne lui laissait même pas l’opportunité de répondre, elle fit simplement comme si elle était chez elle, passant sous son bras qui tenait toujours la porte pour se faufiler à l’intérieur de la demeure. « Je peux choisir ma chambre ? Oui ? Merci ! » Encore une fois, elle faisait à la fois les questions et les réponses mais ce n’était pas surprenant quand on la connaissait. Gamine enjouée depuis toujours, elle avait cette facilité avec les gens qui était parfois incompréhensible pour son entourage. Mais surtout, ça lui permettait d’oublier, ou plutôt de laisser de côté pour quelques instants les raisons de sa présence ici. Jusqu’à ce qu’il pose des questions. Ou que Freya en pose si elle n’était déjà pas au courant de la petite entrevue mère - fille. « Y’a un truc à manger en cuisine, j’ai trop faim. » Ca aussi c’était digne de la Prewett, changer de sujet comme elle pourrait changer sa couleur de cheveux, grâce à son don de métamorphomage.

Cela faisait près d’un mois que tu avais repris le travail, après avoir frôlé la mort sur l’île de Gracefield. Autrement dit, un mois de plus que ton voyage de noces avec Freya se voyait repoussé. Mariés depuis mai dernier, votre existence avait une nouvelle fois été une succession d’imprévus et de complications. Tu avais d’abord tout laissé en suspens pour partir à la traque des hybrides de la NSFW qui avaient gâché votre cérémonie; tu avais dû affronter la vieille harpie qu’était ta cousine Maddy, puis il y avait eu Gracefield. Le couteau venu se ficher dans ta chair, l’avada kedavra, le néant, puis le réveil à Sainte-Mangouste. Évidemment que la discussion qui s’en était suivi avec ton épouse, agent-double pour l’Ordre du Phénix, n’avait pas été de tout repos. Rien n’était jamais simple avec Freya. Et c’était aussi pour cela que tu chérissais votre relation. Mais tu n’avais pas non plus oublié le guet-apens qu’elle t’avait tendu avec Jarod. Si tu étais longtemps demeuré en colère à son encontre, tu avais fini par comprendre les motivations qui l’avaient poussée à en arriver là. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, tu étais enfin décidé à faire un pas dans sa direction pour lui prouver ta bonne foi. C’est ainsi que tu t’étais retrouvé à quitter le Ministère plus tôt que d’ordinaire. Il y avait beaucoup à faire afin de s’assurer que tout soit parfait. Ce soir tu avais prévu d’annoncer à Freya, que votre voyage de noces allait enfin avoir lieu. Tu étais prêt à partir à tout instant, dès lors qu’elle le serait elle aussi. Tu laisserais ton travail en suspens durant quelques semaines, tu confierais les rennes au brigadier dont la trombine te reviendrait alors le mieux, et surtout tu prierais Merlin pour que la Marque des Ténèbres ne s’agite point sur ton avant-bras.

Comme toujours lorsqu’il s’agissait de ta seconde épouse, tu voyais les choses en grand. Tu avais dressé le menu à l’avance, afin d’être certain que ton elfe de maison ait tout ce qu’il lui faut pour préparer les mets favoris de Freya. Alors que la petite créature s’affairait en cuisine, tu passais en revue la salle à manger, spécialement réaménagée pour l’occasion par les décorateurs de Rosier Events. Ambiance tamisée, chandelles, couronnes de jasmin (la fleur préférée de Freya) disposées au centre de la table, tout était presque parfait. Il ne manquait plus qu’un dernier détail, dont tu te chargerais toi-même, afin de t’attribuer tout les mérites de l’organisation. D’un vif mouvement de baguette, tu ensorcellas le piano qui trônait de l’autre côté de la pièce, et les touches commencèrent à jouer la mélodie favorite de Freya. Une expression mêlée de satisfaction et d'appréhension vint se glisser sur ton visage alors que tu jetais un dernier coup d'œil aux alentours. Alors que la boule de cristal juchée sur l’un des guéridons indiqua que l’on venait de franchir le portail du manoir, tu te hâtas de regagner le hall d’entrée, prêt à accueillir ton épouse. Un rapide regard en direction du miroir confirma que le nouveau costume que tu avais acheté chez Parkinson pour l’occasion, t’allait à la perfection. Mais alors que tu t’attendais à voir Freya franchir le seuil, tu fus surpris d’entendre que l’on frappait à la porte. En toute logique, ce ne pouvait donc pas être elle. Le sortilège de protection était censé la laisser passer. Tu avais toi-même modifié l’enchantement lorsqu’elle avait emménagé, et elle était désormais la deuxième personne à pouvoir ouvrir la porte d’entrée.

Constamment sur tes gardes, tu avances en direction de la porte, une main serrée sur ta baguette magique. Au moment où tu enclenches la poignée, tu ne t’attends alors absolument pas à la tornade qui est sur le point de s’abattre sur les flancs du manoir. “Imogen ?” Impossible de cacher ta surprise devant la silhouette agitée de ta nièce, que tu n’avais pas véritablement revue depuis le mariage. Pardon ? Elle voulait s’installer chez qui ? Chez toi ? Non, pas possible, tu avais du mal comprendre. Mais avant même que tu n’aies eu le temps de l’inviter à entrer, voilà qu’elle se glisse sous ton bras et se fraye un chemin à l’intérieur. Songeant à la soirée que tu avais préparé pour Freya, tu paniques quelque peu devant la visite inattendue d’Imogen. Tu ignorais ce qu’elle te voulait, mais il allait falloir que tu abrèges d’une façon ou d’une autre. “Euh… Attends… Que s’est-il passé ? Bart et ta mère vont bien ?” Cela faisait bien longtemps que tu ne faisais même plus semblant de te soucier un tant soit peu de l’existence de cette vermine de Bertram Prewett. Oh bien sûr que tu t’étais secrètement réjoui lorsque tu avais entendu Myrthild pleurnicher sur la disparition de son époux après le désastre des Battues. Mais évidemment, son cher mari avait fini par réapparaître d’entre les morts. Quoiqu’il en soit, tu n’avais nullement envie d’entendre parler de lui, et surtout pas ce soir. “Est-ce que ta mère sait que tu es là ?” Tu savais pertinemment que Myrthild ne voudrait pas voir sa fille exposée à ton influence. Votre relation avait beau s’être arrangée, vous ne vous feriez certainement jamais pleinement confiance. Alors si elle venait à apprendre qu’Imogen avait l’intention d’emménager chez toi, pour Merlin sait quelle raison, elle ferait certainement tout pour l’en empêcher. Et toi, tu pourrais tranquillement parler voyage de noces avec ton épouse. Mais c’était sans compter sur l'opiniâtreté d’Imogen Prewett, dont le manque de manière lui avait certainement été inculqué par son autre oncle, Langford. Voyant ta nièce s’avancer dans le hall, tu perds l’espoir de la voir repartir immédiatement et finis par fermer la porte du manoir. Puis, tu te précipites auprès d’elle et lui barres nonchalamment le chemin des cuisines. Pas question qu’elle sabote ton dîner aux chandelles avec son appétit de troll des montagnes. “Freya et moi ne cuisinons pas vraiment, mais je vais demander à notre elfe de te préparer quelque chose en vitesse. De quoi aurais-tu envie ?” Pourvu que le doux fumet des cuisines ne lui parvienne pas aux narines...

Est-ce qu’elle aurait du envoyer une petite note avant de débarquer comme elle venait de le faire ? Très certainement que oui. Mais elle devait bien avouer que voir la tête de son oncle lorsqu’il avait ouvert la porte et lorsqu’il avait entendu ses premières paroles, ça valait bien tout l’or du monde. Que Merlin lui pardonne de prendre du plaisir des futurs malheurs de son oncle, mais ça lui changeait les idées et lui permettait au moins de penser à autre chose durant quelques instants. Mais lui, en tant qu’adulte un tant soit peu responsable, il posait des questions. Elle détestait les questions, surtout celles auxquelles elle n’avait aucune envie de répondre. « Aucune idée. » Bon, elle savait que son demi-frère allait bien mais pour ce qui était de sa mère, c’était bien vrai, elle n’en avait pas la moindre idée et une part d’elle n’en avait rien à faire. Elle se mit d’ailleurs à rire quand il posait une nouvelle question la concernant. « Comment voudrais-tu qu’elle le sache alors qu’elle a déserté ? » Mais ce qu’elle commençait à réaliser surtout, c’était que peut-être Marlon n’était pas au courant, qu’il ne savait rien des déboires qui touchaient en ce moment la famille Prewett-Traverse. Peut-être que c’était tant mieux ainsi. Elle, tout ce qu’elle voulait dans le fond, c’était un toit où dormir, un endroit où elle pourrait se sentir comme chez elle, comme quand tout allait à peu près bien. Mais quand elle regardait Marlon, n’était plus certaine que ce soit le bon endroit pour cela. N’y avait-il donc personne dans cette famille pour ne pas poser de questions et simplement être humain ? « Tu n’es donc pas au courant ? » Elle posait la question comme ça, dans le vague avant de s’intéresser à autre chose. Elle avait faim. Elle aurait pu prendre un truc avant de partir mais ça n’aurait fait que retarder son départ. Et elle devait bien reconnaître qu’elle avait eu hâte de quitter ce manoir qui était devenu trop étouffant. « Alors, je peux rester ? Je prend pas de place. Il me faut juste une chambre, une salle de bain et… un bureau. Non, laisse tomber le bureau. Je prendrais le tien. » Encore une fois, elle s’invitait, elle faisait comme chez elle mais ça ne devrait pas étonner son oncle qui commençait à la connaître depuis le temps. Gamine pleine de vie depuis toujours, elle avait eu cette rune protectrice qui lui avait permit d’être un peu trop aventureuse, un peu trop casse-cou aussi au grand désarroi de beaucoup de monde. Et quand elle parlait autant, c’était la nervosité et l’angoisse qu’elle extériorisait. « Je sais pas, je veut juste un truc qui soit comestible. Hé ça sent bon ici, vous avez des invités ce soir ? » Peut-être qu’effectivement, elle aurait dû envoyer un mot avant de débarquer à l’improviste.

Tu avais toujours eu une sainte horreur des imprévus, de toutes ces petites choses qui échappaient à ton contrôle. Pires encore étaient ces moments où un évènement soudain venait contrecarrer tous tes plans. Comme l’arrivée impromptue d’Imogen, alors que tu étais sur le point d’essayer de te faire pardonner auprès de ton épouse. A mesure que la conversation se poursuivait, il devenait de plus en plus évident que ta nièce était tout à fait sérieuse lorsqu’elle parlait d'emménager au manoir. Et visiblement, rien de ce que tu pouvais trouver à dire, pas même ton flot ininterrompu de questions, ne semblait être à même de la convaincre de changer d’avis. Néanmoins, tu n’étais pas encore arrivé au bout de tes surprises. “Attends, elle a quoi ? Déserté ? Tu veux dire de votre manoir ?” A bien y réfléchir, tu ne vois pas bien de quel autre lieu Myrthild aurait pu s’enfuir. Mais l’idée qu’elle délaisse la maison familiale te paraissait si inimaginable, que tu préférais demander explicitement. “Au courant de quoi ? Ta mère et moi ne sommes pas les meilleurs amis du monde, on mange pas tous les jours ensemble à la cafet du ministère.” Si cette affirmation était tout à fait vraie, tu ne pouvais cependant pas prétendre que tu n’avais pas la moindre idée de ce à quoi Imogen faisait allusion. Il y avait bien un secret, qui aurait pu faire imploser l’existence toute entière de ta sœur, s’il venait à être révélé. Mais là encore, tu refusais d’y croire, il était impossible que Myrthild se soit levée un beau matin et ait décrété “ça me court sur la baguette de garder le silence depuis tout ce temps, Bartholomeus est en réalité le fils de Langford”. Non, cela n’avait aucun sens. Et ce qui en avait encore moins était le fait que sa fille cherche à s’approprier ton propre bureau, en plus de réclamer une chambre ! L’espace d’un instant, tu restes sans voix. Tu te passes une main dans les cheveux, symbole éternel de ton sentiment de malaise, un tic familial que tu partages avec ton frère et ta soeur. “Euh, oui, je suppose que tu peux rester.” Mais hors de question qu’elle mette un pied dans ton antre, dans cet endroit de savoir qui renferme bien des secrets. “Choisis la chambre que tu voudras dans l’aile ouest, tu y seras tranquille. Et tu pourras installer ton bureau dans l’une des pièces attenantes. Tu comprendras certainement que mes fonctions au gouvernement m’empêchent de laisser un libre accès à mon bureau.” Mieux valait qu’elle ait ses quartiers le plus loin possible de Freya et toi. Tu ne tenais pas à devoir insonoriser la pièce à chaque fois que ton épouse et toi auriez la moindre conversation. Il était des secrets qu’il valait mieux ne pas ébruiter, pour la survie de tous. Myrthild semblait désormais devoir apprendre cette leçon à ses dépends.

Maintenant que tu venais d’être mis devant le fait accompli par ta propre nièce (de quinze ans ?), il ne te restait plus qu’à essayer d’abréger sa présence avant le retour de ton épouse. “Non, aucun invité. Les elfes ont juste cuisiné pour Freya et moi. Tu peux prendre une assiette et manger dans ta chambre si tu veux être plus tranquille. Je comprendrais que tu n’aies pas envie de parler tout de suite.”