C’est l’été à Brighton. Le soleil est haut dans le ciel, la brise marine souffle vers l’intérieur des terres. Assise en terrasse d’un café sorcier, sur les planches de la promenade réaménagée pour accueillir des boutiques et attractions magiques, Myrthild a les yeux rivés sur la Manche. Une cigarette (sorcière, bien sûr !) entre les lèvres, elle est songeuse et inquiète, même si son visage n’en trahit rien (un avantage des métamorphomages habitué.e.s à contrôler les traits de leur visage, qu’il vente ou qu’il neige). Un Daily Prophet posé sur la table, qu’elle a lu distraitement, complète le tableau, tandis que ses yeux vert émeraude suivent avec quelque nostalgie les mouvements des enfants jouant à faire voler tout et n’importe quoi derrière eux sur la plage (pour l’heure, deux Boursoufs rose et mauve).

C’est elle qui a proposé à Imogen de la retrouver à Brighton, pour qu’elles puissent visiter ensemble le village devenu définitivement sorcier, depuis l’accroissement du repousse-moldus sur la ville autrefois mixte. Besoin de quitter la grisaille estivale de Londres, officiellement. Besoin de changer d’air pour de bon, officieusement. Besoin aussi d’avoir une raison pour ne pas retrouver sa fille cadette dans leur demeure familiale dont Myrthild avait été chassée sans autre forme du procès, par son propre mari. Autant dire que l’occasion d’aller au bord de la mer était bien tombée, et que cela rappellerait des souvenirs d’une enfance heureuse et insouciante.

Myrthild reprend une taffe de sa Centaurs, et souffle lentement la fumée bleue qui se superpose au ciel de l’après-midi. Un coup d’œil à la colonne sur laquelle elle s’est arrêtée, et la voilà qui s’inquiète encore et repense à la nouvelle qui l’a glacée jusqu’au sang, dont elle a appris connaissance le lendemain de l’attaque sur Gracefield, fin juillet : la disparition de Bertram depuis cette funeste nuit aux Battues.

Du mouvement dans le périmètre qu’elle a machinalement installé en se posant à sa table en traçant quelques runes dans les airs, et la voilà alertée, sortie de ses pensées bien sombres par un signal qu’elle seule peut percevoir. Sa mine ne bouge pas d’un iota mais ses iris se vissent presque immédiatement sur la silhouette qui s’avance vers elle, encore à une dizaine de mètres pourtant. Dès lors qu’elle reconnaît sa fille, la mine de Myrthild s’illumine d’un sourire sincère et la voilà qui récupère le journal et en débarrasse la table en le glissant dans une pochette sans fond, comme pour faire disparaître les preuves de son angoisse croissante. « Imogen ! Moi qui me demandais si tu allais essayer de me surprendre avec une autre apparence, je dois t’avouer que je suis ravie de te retrouver sous tes traits. Du thé ? » Tout en demandant cela, Myrthild se ressert une tasse fumantes liquide ambré et indique d’un signe de la main à un serveur de venir prendre la commande de sa fille.

Ce n’est que lorsque l’employé est reparti que la maître runiste s’enquiert de l’état de sa chair : « Comment vas-tu, ces derniers temps ? » La question est pratiquement rhétorique, tant la Travers peut aisément imaginer l’état de détresse et d’incompréhension dans lequel sa fille a pu se trouver après son départ, et encore plus maintenant que Bertram a disparu sur l’île de Gracefield. Elle a eu l’occasion, bien sûr, de voir sa fille à quelques reprises, avant ce tête-à-tête mère-file, mais cela fait bien deux ou trois semaines qu’elles n’avaient pas trouvé un moment pour passer un peu de temps ensemble.
(Et, tandis que son visage affiche une mine réjouie et sincèrement attentionnée, la culpabilité continue de la ronger en silence, sans qu’elle n’ose rêver à ce qu’elle aurait pu faire, si elle avait transféré l’avertissement de Shacklebolt à son propre époux.)

Ok, ça commençait mal. Très mal. Déjà qu’Imogen donne du « Mère » à sa génitrice, c’était peu commun. Mais en plus, il n’y avait rien dans son attitude qui avait l’air vraiment ravie d’être là. Et puis, bien sûr, les paroles incisives de la jeune femme tranchèrent dans le vif du sujet, comme une gifle portée à l’humeur de Myrthild, qui avait sincèrement espéré qu’elles passeraient un bon moment ensemble.
Fallait croire qu’Imogen avait appris la vérité, mais pas de la meilleure des manières, vu comment elle attaquait à la jugulaire sans prendre de pincettes et sans chercher à enjoliver son coup du sort.

La mine de Myrthild resta néanmoins imperturbable, alors qu’elle avalait à l’instant plus de couleuvres qu’elle n’avait jamais cru pouvoir recevoir en une seule minute (quoique, ses entrevues avec Dolores Umbridge, sa vieille « « « amie » » » de Poudlard, avaient toujours suffisamment de mordant pour la journée entière). Mais disons qu’elle n’était pas habituée à ce genre d’attaque de la part de sa fille et qu’elle était assez surprise de voir à quel point sa progéniture pouvait avoir de rage en elle. « Enfin, si vous êtes bien ma mère ? Peut-être que j’ai été adopté. - Imogen, voyons… » soupira donc Myrthild, sentant que ça n’allait sans doute pas être la pire des piques que son enfant devenue jeune femme allait pouvoir lui cracher à la gueule. Au moins, elle s’était assise, ce qui était une victoire (petite certes, mais Myrthild prenait ce qui se présentait, ces jours-ci). Mais bon, à scruter les traits de la jeune Prewett, alors que cette dernière s’installait d’une façon qui n’aurait certainement pas été convenable lors d’un repas familial, la mère savait qu’elle allait en prendre pour son grade. Et justement, la nouvelle salve était lancée, avec aussi peu de délicatesse qu’un dragon dans une ferme de boursouflets. « Ou mieux encore, peut-être m’avez vous volé à un autre couple le jour de ma naissance parce que mon demi-frère ne vous suffisait pas. »

Très bien.
C’était donc bel et bien ça.

Paradoxalement, là où Myrthild avait trouvé ça très difficile d’annoncer la vérité à Bart alors qu’il ne s’attendait pas du tout à une nouvelle de cette ampleur, elle n’était pas à l’aise à l’idée qu’Imogen ait eu vent de la vérité par d’autres qu’elle. Les informateurs les plus probables étant Bertram et Bartholomeus, Mrs Travers n’était guère sereine à l’idée que sa fille sache et n’ait pas été informée par elle-même. Mais bon, l’erreur était de son côté : elle n’avait pas pris le temps d’en discuter avec Imogen alors que cela faisait bien deux mois qu’elle avait quitté le manoir familial. Certes, elles s’étaient vues entre temps, mais jamais vraiment longtemps, jamais suffisamment pour parler sérieusement. La faute était donc la sienne, et Imogen avait l’air d’en être également convaincue, vu comment elle y allait frontalement dans ce qu’elle avait décidé de transformer en affrontement.
Myrthild ne choisirait donc pas le terrain de cette bataille là, et c’était loin de l’arranger.

Pour autant, elle resta calme, les billes vert émeraude fixées sur le visage de sa chair et de son sang. Et elle finit par souffler un : « Bon, je suppose que j’ai bien mérité ces soufflets… Mais maintenant que tu as dit ça, on peut parler tranquillement ? » À son tour, elle pose les coudes sur la table et se penche vers sa fille. La cigarette se consume entre ses doigts sans qu’elle ne cherche à en reprendre une taffe pour le moment, ses prunelles plantées dans celles changeantes de la jeune métamorphomage. C’est fou comme elles se ressemblent parfois, et comment à cet instant précis, Myrthild a l’impression de ne plus reconnaître celle à qui elle a pourtant donné la vie, il y a plus de vingt-deux années. Elles se fixent, là, en chiens de faïence quelques instants, et puis Myrthild recule finalement, en portant sa cigarette à ses lèvres pour l’achever, avant d’écraser le mégot dans le cendrier au centre de la table. Elle souffle la fumée sur le côté, pour ne pas indisposer Imogen, et puis elle reprend la parole finalement, d’un ton faussement détaché, les lèvres légèrement pincées : « Bon… Donc tu sais, pour ton frère. » Qu’importe le sang qui coule dans les veines de Bart, Myrthild refuse de considérer que lui et Imogen ne sont pas de la même fratrie et c’est ce qu’elle essaie de faire passer comme message presque explicite. « Tu as vraiment besoin que je réponde à tes odieuses insinuations ? Ou tu as d’autres questions plus pressantes ? », demande-t-elle enfin, avec un sourire forcé, tandis qu’une lueur, un peu triste, un peu blessée, se terre au fin fond de ses iris verdoyants.