Elle en avait des choses à raconter dans ce Manoir, sur lui mais aussi et surtout sur les personnes qui le peuplaient. Les Crain avaient beau être des personnes d’église, ils étaient comme tout le monde, plein de secrets et de mystère et Mary-Eunice veillait à toujours avoir une longueur d’avance sur les autres. Elle n’avait jamais aimé les surprises alors se tenir informée de tout ce qu’il se passait au détour d’un couloir était le meilleur moyen qu’elle avait trouvé afin de ne jamais être prise au dépourvu. Et jusqu’à aujourd’hui, ça avait très bien fonctionné, elle n’avait jamais été déçue par ce qu’elle avait pu entendre d’elle-même ou ce que les adeptes avaient pu lui rapporter. Ils lui étaient toujours d’une grande aide, ils savaient toujours comment satisfaire son besoin de connaissance et jamais ils n’avaient échoué. Elle n’avait même plus besoin de demander, c’était devenu instinctif, un peu comme une routine en fin de compte. Aujourd’hui, pendant sa routine habituelle du ménage dans les chambres, elle avait cependant trouvé quelque chose des plus intéressant. Des secrets, toujours des secrets, c’était quelque chose d’habituel par ici. Mais cette fois-ci, elle tenait quelque chose qu’elle ne pouvait pas laisser de côté et oublier. L’Alchimie c’était grave, c’était interdit et tous ici le savaient. Cela faisait maintenant quelque temps qu’elle avait des doutes concernant Frère Anastase. Elle le trouvait plus secret, plus étrange aussi, si ce dernier point était possible. Elle n’avait jamais voulu fouiller. Tout venait à point à qui savait attendre, elle y avait toujours cru et y croyait encore aujourd’hui. Elle devait simplement lui parler maintenant, elle devait essayer de savoir ce qu’il avait à lui dire, en toute sincérité. C’était peut-être le hasard qui voulait cela mais à peine la porte de la chambre qu’elle venait de ranger fermée, elle avait face à elle Anastase. C’était l’occasion ou jamais de lui tenir propos de ce qu’elle avait découvert. D’un signe de tête habituel, elle le saluait, elle le laissait même la dépasser alors qu’elle allait partir dans le sens invers et finalement, elle osait. « J’ai trouvé... » Trouvé était le mot adéquat car il était tout bonnement impensable que Mary-Eunice ait pu fouiller d’une quelconque manière, volontairement en plus de ça, dans les affaires d’un Frère ou d’une Soeur. Pour quoi passerait-elle si on venait à répandre de telles paroles dans le Manoir. Elle se raclait la gorge avant de reprendre. « Je disais, j’ai trouvé quelques revues d’Alchimie dernièrement. N’auriez-vous pas eu vent de quelconques pratiques de ce genre ? » L’Alchimie, une pratique prohibée au sein de ce Manoir, dans leur culte et tous le savaient très bien. Mais Mary-Eunice savait aussi ce qu’était Anastase avant. Aurait-il pu retomber dans ses vieux travers ? C’était une question à plusieurs millions, une question qui mettait sa curiosité à rude épreuve et à laquelle elle comptait bien obtenir une réponse.

Chacun avait ses vices, même lorsque l’on était un enfant du tout puissant. Mais parfois, il fallait savoir faire des concessions, plutôt accepter  que d’autres en fassent pour vous. Mary-Eunice ne demandait pas la permission quand il s’agissait de nettoyer quelque part, elle le faisait,  point. Mais avec Anastase, c’était toujours difficile. Ermite qui vivait presque exclusivement dans sa chambre, elle le soupçonnait de faire cela afin d’être sûr qu’elle n’y mette pas les pieds. Mais aujourd’hui, il y avait eu ce miracle, une aubaine. On lui avait rapporté qu’il était sorti, qu’on l’avait vu à l’extérieur en compagnie de Raven. Elle remerciait Dieu pour cela, c’était tout ce qu’il lui fallait pour aller dans cette chambre, ranger, pour ne pas dire fouiller. Elle n’avait évidemment pas été déçue, c’était une catastrophe. Cette chambre mériterait un nettoyage par le feu si on voulait un jour qu’elle redevienne une chambre mais elle n’était pas convaincue que cela soit bien accueilli par les autres Disciples. Elle s’était ainsi contentée du minimum, il lui aurait fallu plus qu’une balade dans le parc pour faire tout le nécessaire de toute manière. Un coup de balai, un coup de plumeau, une grimace face aux petites créatures qu’elle rêvait d’écraser sous une de ses chaussures. Mais elles étaient elles aussi des créatures du Seigneur, elles avaient le droit à la vie, bien qu’elles soient des plus répugnantes. Alors pour les oublier, Mary-Eunice fit ce qu’elle aimait le plus, fouiner. Une porte de placard, un tiroir, sous le lit. Voilà qu’elle trouvait le Saint-Graal. Pourquoi cacher ce genre de choses sous son lit si ce n’était pas pour des pratiques prohibées. C’était donc fière d’elle qu’elle était ressortie de la chambre, cachant de justesse son sourire, déjà prête à colporter quelques secrets dans le manoir. Un autre de ses passe-temps favoris à n’en pas douter. Mais Anastase était là, il avait fait vite pour revenir, à croire qu’il avait été prévenu (et elle n’avait pas de doute là-dessus). Elle devait savoir, elle devait le mettre face à ce qu’elle avait trouvé mais pour ça, elle usait de la subtilité. Elle ne l’accusait de rien, jamais directement, mais elle émettait des doutes malgré tout. « De chaperonnage, je vois. » Elle voyait, ce n’était pas pour ça qu’elle était convaincue. Elle veillait toujours à ce que tout se passe pour le mieux dans le manoir, tant dans sa tenue que dans le bon respect de ses règles. Et l’Alchimie… elle ne préférait même pas penser à ce qu’il se passerait si on venait à découvrir qu’un des Disciples la pratiquait. Elle eu une pensée pour Mère Imelda, se demandant si elle était au courant de ce qu’Anastase lui racontait, se demandant aussi si elle ne devrait pas s’entretenir avec la Mère pour mettre les choses au clair, et surtout savoir si elle devait continuer de veiller au grain. Des questions qui lui passaient par la tête, bien vite remplacée par autre chose. Elle avait clairement l’impression qu’il se moquait d’elle ouvertement. « Vu l’état de votre chambre, je ne suis pas sûre qu’avoir des revues d’Alchimie jusqu’au plafond soit très judicieux. » Elle ne cachait pas son agacement face à ce qu’elle avait découvert en ouvrant cette porte qu’elle préférait définitivement close. « Et toutes ces bêtes… n’avez vous pas le moindre sous pour leur acheter un vivarium ou peu importe ce qu’il leur faut pour vivre ? Si elles étaient enfermées, je ne prendrais pas le risque de leur marcher dessus en essayant de faire mon travail. » Parce que c’était ça, elle essayait de faire simplement son travail, quoiqu’il en pense. « De plus... » Elle se raclait la gorge avant de reprendre, un petit sourire au coin des lèvres. « Je ne suis pas certaine qu’il soit très judicieux de garder tout ce qui concerne l’alchimie dans votre chambre.  Les vieilles habitudes ont la vie dure. » Elle l’avait prévenu au moins, il savait ce qu’elle soupçonnait, c’était à lui maintenant de lui prouver qu’elle avait tort.

Elle ne cachait pas le dégoût qu’elle avait ressentit quand elle était entrée dans la chambre de Frère Anastase. Il y avait des bêtes un peu partout et si elles n’avaient pas été elles aussi des créatures du Seigneur, probablement qu’elle ne se serait pas gênée pour leur ôter la vie. Peut-être qu’elle devrait se renseigner d’ailleurs, peut-être qu’elles n’avaient rien à voir avec des créatures de Dieu et qu’elle pourrait sans hésitation s’en débarrasser. Elle gardait en tout cas l’idée dans un coin de son esprit, pour plus tard. Aux mots qu’elle avait prononcés, elle voyait bien l’horreur sur le visage de son interlocuteur. Ce n’était qu’une idée mais s’il ne voulait pas qu’il les voit disparaître comme par magie il allait vraiment falloir qu’il se décide à faire quelque chose. Elle, elle était toujours dégoûtée, surtout quand elle vit la petite bête sortir de sous la porte pour venir rejoindre son… son quoi d’ailleurs ? Maître ? Ridicule. « Allons mon Frère, vous n’êtes plus un enfant, il faudrait songer à agir comme l’adulte que vous êtes supposé être. » Elle prit une profonde inspiration, un regard navré. « Je ne fais que mon travail dans ce manoir et estimez-vous heureux que je ne m’en sois tout bonnement pas débarrassée, que je vous laisse une chance de les garder en vie. » Mais ça ne durerait pas éternellement. Elle savait pourtant bien qu’aujourd’hui, elle avait eu une certaine chance de pouvoir pénétrer dans cette chambre qui trop souvent lui était tout bonnement fermée. C’était inadmissible, mais elle n’avait jamais rien dit, elle comprenait mieux maintenant pourquoi l’entrée lui était refusée. « Vous êtes vraiment têtu vous savez ? » S’il disait que ce serait contre-productif, elle le croyait. Elle ne connaissait pas ces choses et ne le voulait absolument pas du tout. En signe de résignation, elle levait les mains pour lui faire comprendre qu’elle abandonnait, pour le moment en tout cas. Mais parler des cafards et autres était une chose mais ça ne suffisait pas à lui enlever l’idée principale de cette conversation de son esprit. Il y avait ces revues qui l’intriguaient, les revues alchimiques qui n’avaient rien à faire dans ce manoir. Elle avait ce don de toujours dire ce qu’elle pensait, elle n’allait pas se gêner ici encore. Art prohibé chez les Crain, elle ne pouvait pas laisser passer, elle se demandait même si Imelda était au courant. « Ma chambre ? J’aurais plutôt pensé à l’âtre de la cheminée, ce serait bien plus leur place, ne croyez-vous pas ? » Elle haussait un sourcil interrogateur. Ses propos ne visaient qu’à savoir ce qu’il allait répondre, son comportement aussi. Elle avait des doutes sur plusieurs personnes dans ce manoir, l’impression que tous n’étaient pas aussi fidèles qu’ils le devraient. « Il n’est pas nécessaire de jouer au plus malin avec moi. J’aime peut-être parler, les ragots autour d’un bon thé mais ce n’est pas pour ça que je ne sais pas tenir un secret. » Le dos bien droit, la figure sans aucune trace d’émotions, elle gardait son regard sur lui pour lui montrer qu’elle n’allait pas abandonner si facilement. « Mais sachez que c’est dangereux ce que vous faites. Très dangereux… » Elle murmurait en se penchant légèrement en avant. Ce n’était pas une menace, juste un avertissement.