Bien mise avec une robe de sorcière que j’avais dû porter pour la dernière fois quand j’avais fait les entretiens pour trouver un emploi dans le cristal-réalité, les cheveux violets attachés en un chignon, je suis sur place avec beaucoup d’avance. Les conseils de mes parents ont payé là-dessus : avec le temps et des rappels à l’ordre fréquent pour la détendue que je suis, j’ai appris à être deux fois plus ponctuelle que les autres, pour aller contre les préjugés qui voudraient que les membres de la communauté afro-américaine dans la société magique comme dans la société no-maj soient toujours en retard. Je dois l’avouer, je ne m’attendais pas à obtenir un rendez-vous avec le Directeur de la Coopération Magique, mais il s’agit de se mettre bien avec ceux qui décident des portoloins longue-distance et pourraient avoir une raison de nous renvoyer aussi sec chez nous s’ils découvraient ce que l’équipe d’ondes cristal qu’on compose était vraiment venue faire en Angleterre. Faire croire à des vidéos de propagande, ça peut être marrant, mais ça peut être tendu aussi. Toujours est-il qu’il va falloir être adroite et que je me désole presque de l’absence de Jorge à mes côtés. Après tout, il aurait sans doute su me rassurer quant à l’issue de cette entrevue, voire aurait probablement su mieux baratiner que moi.

Arrivée en avance au Ministère de la Magie britannique, j’ai passé les contrôles sans aucun problème, quoiqu’on m’ait adressé un regard circonspect au niveau de la sécurité du hall principal, où tout sourire je m’étais présentée avec une copie de la lettre de confirmation de rendez-vous. Sans doute qu’on trouvait que j’étais trop atypique, mais le sceau du Département de la Coopération Magique avait fait son effet. Les ascenseurs continuaient de m’étonner mais il fallait que je m’y habitue rapidement, parce que je n’allais pas non plus y passer ma vie, même si j’étais poussée par une envie absurde d’en découvrir les dessous. Fort heureusement, la cage métallique me transportant finit par atteindre le niveau qu’elle visait, et j’en sortais en me félicitant d’avoir pris de l’avance, ce qui me permettait de ne pas être en retard à cause des divagations des ascenseurs, ainsi que de me préparer mentalement à rencontrer le tout puissant Wolfram Von Bäume, dont j’allais devoir attirer les faveurs, pour le bien de notre entreprise périlleuse.
Tant que je ne mentionnais pas malencontreusement ma mère no-maj, tout se passerait bien, tentais-je de me convaincre alors que j’avançais en direction du bureau de ce brave Monsieur Von Bäume.

Devant l’entrée du bureau du Directeur du département, telle un Cerbère domestiqué et engoncé dans un tailleur de facture sorcière, tiré à quatre épingles de surcroît, celle que j’avais déjà appris à connaître par lettres interposées, à savoir la secrétaire du directeur, trônait. Ou son assistante personnelle. Les titres changeaient selon les secteurs et l’ouverture d’esprit des hommes au pouvoir, avais-je pu constater. Les salutations d’usage passées, je n’avais pu réprimer un sourire en voyant le mug posé sur un coin du meuble et j’en avais profité pour décliner l’offre d’un café tout en affirmant que j’étais surtout en avance parce que j’avais eu peur de me perdre. Ne pas avouer aux extérieurs que je me méfie de ce qu’ils peuvent penser dans leurs schémas bien blancs et policés. J’attends, je feuillette le Daily Prophet que j’ai acheté ce matin, histoire de me tenir au courant de ce qu’il se passe d’officiel dans le monde, histoire de ne pas dire de conneries devant un type qui est au fait des derniers événements internationaux.

Une silhouette masculine sort du bureau et je me redresse sur mon siège lorsque je reconnais le visage du type que je suis venue voir -à qui j’ai clairement forcé la main avec la ténacité d’un niffleur. Barbu, le crin blanc, beau mec, mais clairement pas mon type en termes d’âge. À ce que j’entends sans vraiment donner l’impression d’être une sale fouineuse, je comprends qu’il avait prévu de me faire faux bond. Un mépris pour les Américains, le vieil Allemand ? Pas surprenant le moins du monde, faut avouer. Droite sur mes pieds, je m’approche de lui en tendant la main, avec professionnalisme et révérence. Je vais pour me présenter, mais le mec me coupe sans aucune délicatesse. Vieux et con, c’est ça que je dois comprendre du bonhomme ? Ça va être marrant, là. Je ne parviens pas à retenir un rictus un rien satisfait lorsqu’il mentionne notre cher Ambassadeur que j’ai à peine tanné, lui aussi. Quand il faut se bâtir une couverture solide, on n’y va pas de main morte. Je sens que je n’ai pas encore le droit d’en placer une, aussi j’attends qu’il m’autorise à lui répondre pour ce faire : « Monsieur le Directeur, je comprends bien que votre temps est précieux, aussi je ne le gâcherai pas davantage en excuses inutiles. » Allez, t’es lancée, mobilise tous tes dons en baratin acquis durement avec ce bon vieux Jorge : « Si j’ai tant tenu à vous rencontrer, c’est parce qu’aucun des gratte-papiers de la gestion des médias n’aura l’impact que j’espère que votre aura confèrera à notre entreprise et à notre projet. Nous cherchions à avoir une certaine discrétion dans nos repérages pour ne pas que notre propre gouvernement commence à nous mettre des bâtons dans les roues, mais pour le mener à bien, nous avons besoin d’un homme de votre stature. » Air de connivence, je replace une mèche bouclée violette derrière mon oreille avant de nouer de nouveau mes mains dans mon dos. Toujours droite comme un i, je pourrais lui faire un rapport tout à fait différent que celui que j’ai servi à l’ambassadeur, mais je jette un coup d’œil à sa secrétaire avant de reprendre :  « Ce que j’ai à vous dire n’est su ni par son Excellence l’Ambassadeur, ni par le MACUSA, et la société que je représente souhaiterait que cela reste ainsi, ce que vous comprendrez bien assez tôt, Monsieur le Directeur, si vous daignez m’accorder le bénéfice du doute pour quelques minutes. Je suis certaine que cette entrevue nous sera bénéfique à tous deux. » Et c’est une gamine de même pas vingt-cinq ans qui dit ça à un homme qui a le double de son âge. J’espère juste que la conviction et la fourberie que je m’efforce de renvoyer vont obtenir ses faveurs, ou en tout cas, son intérêt.