Camden Town | Aout 2006

It glows at night, it's just a start. I'm not surprised it shook us up. We like to keep some places wild, like battlefields where no one fights.

Depuis que Wei est mort, Feng trouve que la vie est devenue beaucoup moins cool qu'avant. Pas qu'il apportait directement quelque chose de sympa à son existence,  mais c'était quand même plus simple quand il était là: il s'occupait de tout, ne lui disait jamais non, et ne lui demandait jamais rien. Chen n'est pas comme Wei. Chen veut tout changer: il veut qu'elle achète moins de vêtements, qu'elle arrête de s'engueuler avec Bao, qu'elle soit plus sérieuse et attentive, qu'elle travaille plus la légilimencie, qu'elle soit plus investie. Investi. C'est quoi encore cette connerie ? Personne n'est plus investi que Feng. C'est elle qui passe ses soirées à jouer avec des adversaires sans intérêt pour leur rapporter du fric, et quand elle ne joue pas c'est elle qui prend le temps de sonder tous les branleurs des salles de jeux, pour être sur qu'aucun idiot n'essaiera de tricher, quitte à se taper des migraines atroces.

C'est plutôt à Zhang qu'on devrait parler d'investissement. Monsieur passe son temps à se la couler douce dans son club, à boire du whisky et à mater des putes en donnant des cacahuètes à son singe insupportable; mais comme monsieur a réussi à amadouer le nouveau Daddy de la famille, personne ne lui dit rien à lui. Et puis, sérieusement, Zhang ? Red Pole ? Quelle connerie ça aussi. Ça fait enrager Feng. C'est injuste, Bao va en profiter à fond et pendant ce temps c'est Feng qui va devoir se taper les jobs les plus chiants de l'histoire de la mafia. Quon lui a dit de mettre de l'eau dans son vin. Feng trouve que cette expression est vraiment merdique. Qui met de l'eau dans son vin ? C'est dégueulasse, sans intérêt; au sens propre comme au figuré. Pourquoi ferait-elle ça ?

Parce que Wei est mort, et que Chen est le chef maintenant, et que l'année dernière elle a aidé Ana à s'enfuir. Blablabla, c'est bon, elle a pigé le topo. Elle met de l'eau dans son vin. Franchement, c'est répugnant, mais à priori elle n'a pas trop le choix.


Le petit paquet d'Opium que Quon lui a donné est dans la double poche magique de sa veste. C'est un bomber en satin vert kaki doublé orange qu'elle a mis sur un short en jean déchiré, taille haute, avec des grosses bottines à lacés. Cloue de la tenue: une casquette noire du Chelsea Football Club. C'est pas parce que le job est pourri qu'il faut être mal sapé.  Elle se fond dans Camden mieux qu'un sang pur à une soirée mondaine, slalomant tranquillement entre les punk à chiens et les touristes, mains dans les poches; jusqu'à s'éloigner un peu de la zone effervescente du quartier pour rejoindre un arrêt de bus aux néons clignotant. Quon lui a dit de prendre le 24.

Derrière elle, un type s'acharne sur un distributeur qui a décidé de garder en otage la barre chocolatée à 2.5 livres qu'il vient de payer. Il tape dedans à plusieurs reprises avant de se décourager et de venir se laisser tomber, avec un profond soupir, sur le banc à côté d'elle. C'est un gamin. Feng lui donnerait pas plus deux vingt ans et c'est déjà bien sympa de sa part. il porte un vieux sweat à capuche et son sac à dos à l'air aussi pourrit que ses vieilles baskets quasiment trouées. Feng a passé assez de temps dans la rue pour savoir que les 2.5 livres étaient ses dernières.


Elle se lève et va jusqu'au distributeur. Elle jette un oeil autour d'elle, et tapote la boite du bout de sa baguette. La machine se met en route: la barre de chocolat coincée tombe, puis une seconde, une troisième et une quatrième. Elle les récupère et retourne sous l'arrêt de bus. « Tiens. » Elle dit en tendant une des barres au garçon. « C'est cadeau. » Elle ajoute en faisant un mouvement insistant pour qu'il la prenne. Ce n'est pas cadeau du tout, il l'a payé après tout, mais peut importe. Le service est gratuit. Feng ne sait pas trop pourquoi elle fait ce genre de choses. C'est comme avec Ana. Elle se dit que c'est parce que ça ne lui coute rien, que le bus ne va pas arriver avant au moins dix minutes. Parce qu'elle est cool, pas comme Zhang et Bao. Et puis parce qu'après tout c'est un peu comme ce que Wei a fait avec elle.

Camden Town | Aout 2006

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Un profond découragement le saisit, quand il comprend que cette putain de barre chocolatée restera éternellement coincée derrière l’anneau métallique. Il manque quelques millimètres, un souffle de chance ; Cat secoue le distributeur (ou plus exactement, se secoue contre le distributeur qui ne bouge pas d’un pouce, inébranlable par son poids plume), y donne un coup de dépit -et se fait mal. La putain de barre chocolatée, avec ses cacahuètes onctueuses, sa texture fondante et sa déferlante de sucre, noyant tous les arômes sous sa force brute, ne terminera jamais dans sa bouche affamée. Le cosmos a gobé sans ménagement ses deux livres et ses cinquante cents. Cat, détruit par son caprice inassouvi, se laisse choir sur le banc voisin dans un soupir à fendre l’âme.

Il fixe le sol à un mètre, un air morose vissé sur les traits. L’impression est renforcée par la capuche rabattue sur sa tête, cachant ses boucles crasseuses passées rapidement à l’eau le matin-même ; l’image veloutée de l’extase sucré a laissé place à une moisissure grise et terne, parasitant son esprit. La déception révèle dans son entièreté la mauvaise humeur latente de ces derniers jours -comme un abattement qui dure, depuis la visite à Sylas. L’entrevue lui a laissé, après-coup, une sensation d’impuissance terrible, ravivant la crainte d’être rattrapé -et de finir sa vie comme un légume, lui aussi.

Putain de barre chocolatée. Il ne se fait pas d’illusion, elle n’aurait pas fait des miracles ; mais il comptait sur un coup de pouce, de quoi lui donner assez d’élan pour tenter de se tirer, un peu, de ce trou de cafard où il est tombé, aplati par son moral en berne. Putain de barre. Putain de chocolat. Et ces putain de cacahuètes, quand la première couche de chocolat au lait a fondu, sur la langue et libère enfin ces putain de cacahu… « Tiens. »

Francis papillonne ; brusquement tiré hors du train de ses pensées hargneuses, il relève un peu vivement la tête. « C’est cadeau. » Elle insiste, en poussant la main vers lui ; mais Cat ne voit pas la barre, Cat n’entend pas les mots -Cat ne voit et n’entend qu’elle.
Birdie.

Ses yeux devenus soucoupes passent de son œil droit à son œil gauche ; son cœur fait un bond violent dans sa poitrine, en reconnaissant le visage de Birdie. Il n’y a pas de doute, c’est bien elle -il peine à y croire, il… « Birdie. » Un sourire s’épanouit brusquement sur ses lèvres, va jusqu’à contaminer ses traits jusqu’alors tirés par le mécontentement. « J’arrive pas à y croire ! C’est toi ? » Et Cat se lève, comme s’il s’apprêtait à lui dire bonjour -sauf qu’il n’est pas certain de trop comment faire, est-ce qu’il doit la prendre dans ses bras, la toucher, ou alors… Son teint prend une légère teinte rouge quand son regard remonte précipitamment de ses lèvres à ses yeux en amande, rabattant sa capuche en arrière plutôt que de se risquer à l’indésirable, réfrénant l’élan de son corps qui a tangué vers elle. « Mais qu’est-ce que tu fais là ? Comment tu m’as retrouvé ? J’arrive pas à le croire ! » Il tremble un peu, quand il passe une main rapide dans ses boucles désordonnées ; en la regardant dans sa tenue à la pointe du style, il a soudainement conscience de ses vieux vêtements, de son hygiène douteuse, des signes flagrants de son changement de situation pour le moins radical.

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Feng n'a jamais vu quelqu'un aussi heureux de bouffer une barre chocolaté. Le mec l'a même pas attrapé qu'il a déjà l'air au septième ciel. Elle comprend que ça n'a pas grand-chose à voir avec l'idée de manger. On dirait qu'il a vu la vierge. Mais à priori la vierge en question s'appelle « Birdi. » Feng jette un œil derrière elle comme pour être sûr qu'il n'est pas en train de s'adresser à quelqu'un d'autre. « J’arrive pas à y croire ! C’est toi ? » Alors, non. Mais elle n'a pas le temps de répondre de toute façon, il se lève et amorce un mouvement en avant, comme s'il voulait la prendre dans ses bras, mais se stop en plein élan. Elle attrape le regard qu'il passe sur son visage, ses lèvres et esquisse un sourire. Il est mignon. « Mais qu’est-ce que tu fais là ? Comment tu m’as retrouvé ? J’arrive pas à le croire ! » Ça tombe bien, il peut arrêter d'y croire, ce n'est pas elle. Visiblement, il y a erreur. Mais elle ne le dit pas tout de suite parce qu'elle sent qu'il va être vraiment très déçu, le pauvre.

Feng continue de sourire. Merde c'est vraiment triste. « Heyyy ! » Elle dit en faisant un pas en avant pour terminer ce qu'il avait commencé. Elle hésite une seconde à l'embrasser mais le pauvre ne s'en remettrais surement pas, ça serait pas cool. Or, Feng est cool. Alors elle le prend juste dans ses bras, comme un vieux pote. Parce que de toute façon Feng est amie avec tout le monde. Et peut-être que ce le réconfortera un peu. Elle s'éloigne de lui gardant ses deux mains sur ses épaules. Elle continue de sourire tout en lui offre une grimace gênée. « Je suis vraiment désolé mais... C'est qui Birdie ? » Parce que, ce n'est pas elle. « Mais si ça peut te consoler, tu peux avoir une autre barre de chocolat. » Elle ajoute en hochant vivement la tête. Sois pas triste petit. Elle frotte son épaule dans un geste qui se veut réconfortant. En se disant que quand même, il avait l'air vraiment sûr de lui. C'est qu'elle devait vraiment lui ressembler, sa Birdie. Feng n'aime pas l'idée quelqu'un d'autre dans cette ville lui ressemble. Feng est unique, personne n'est comme elle.

Sauf Ana.
Elle y pense de plus en plus souvent, à Ana. Depuis que Wei est mort, il y a comme un écho partout où elle va; ça murmure le nom d'Ana. Ana qui faisait tout comme elle. Qui s'habillait comme elle, qui parlait comme elle, se coiffait comme elle, se maquillait comme elle. Ana qui souvent, pour sortir, prenait un cheveu sur le peigne de Feng et une petite fiole de polynectar dans le tiroir et partait se balader avec son visage. Ça l'a toujours amusée, Feng, de se voir elle-même comme ça. Ana était sa copie, son double, sa sœur. Une vrai sœur, pas comme Bao. Est-ce que Birdie était Ana ? Est-ce que Ana a quelque chose à voir avec la mort de Wei ? Est-ce que Wei est mort à cause de Feng ?

Elle se reprend soudain, son regard avait glissé dans le vide derrière l'oreille du garçon. « Ta Birdie, c’était quand la dernière fois que tu l'a vue ? » Elle demande sur un ton plus sérieux, son sourire s’est estompé. « C'était y a longtemps ? » Peut-être qu'il pourrait la retrouver. Peut-être que Feng pourrait la retrouver. Ça lui parait fou, jamais elle n'a pensé à essayer de retrouver Ana. Elle était partie, c'était comme ça, Feng avait continué sa vie. Mais n'avait jamais pensé non plus que Wei se ferait assassiner.

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Les bras de Birdie se referment autour de lui. Et un instant, Cat en oublie toutes les barres chocolatées coincées par le destin, transporté par un bonheur qui trace sur ses lèvres un immense sourire. Incrédule, bêtement heureux d’être là, dans le cocon des bras de celle qu’il cherche inconsciemment depuis sa fuite ; Birdie est l’étincelle de lumière de l’extérieur. Chez Dolohov, il avait ses repères -Ruth et Hauata, de vrais puits de lumière pour l’aiguiller et l’ancrer dans l’existence. Antonin lui-même en était, comme un soleil de canicule à la lumière agressive, aveuglante, forçant Cat à plisser les yeux en continu. Mais hors de la maison, il n’y a plus rien ; plus de soleil, ni de lueur, si ce n’est le souvenir envoûtant de Birdie, en double-teinte. Une lueur à la fois chaleureuse et terriblement tiède ; comme si elle n’était jamais assez chaude, jamais assez fraîche.

Il aurait dû le sentir. L’étreinte est étrangement agréable, entière. Cat met le naturel déstabilisant du geste sur le compte des retrouvailles. Birdie, qui semblait perpétuellement forcée à quelque chose, s’est défait de ses artifices et le serre contre elle. Son odeur a légèrement changé ; il met ça sur le compte du temps, plutôt, et la serre contre lui en retour, plongeant dans ce câlin inespéré, s’accrochant à ce rai de lumière. « Tu m’as manqué », confie-t-il en un murmure. Puis trop vite, elle l’écarte délicatement d’elle. Cat se détache à contre-cœur, rechignant à replonger dans la rue qui lui apparaît bien froide.

Puis c’est la douche. Pas Birdie. « Hein ? » Il rigole un peu ; c’est encore un des jeux dont elle a le secret, qu’il a parfois du mal à décoder avec son champ de vision restreint. Elle a un sourire gêné, et le regarde d’une drôle de façon. Comme si elle le voyait pour la première fois.
Le sourire de Cat dégringole de sa bouche. « Comment ça ? » Son cœur bat à toute allure. C’est une mauvaise blague ; Birdie est Birdie, il s’en assure même en lui jetant un coup d’œil rapide. « C’est toi Birdie », répond-il -au cas où elle ait oublié qui elle était (parfois, Cat l’avait vu buter sur son nom, et d’autres, peiner à se rappeler ce qu’elle faisait là). Et comme si son identité à lui pouvait être le problème, il ajoute en se désignant d’une main sur le torse : « C’est moi Cat. Francis. » Birdie ne l’a jamais appelé par son patronyme de naissance ; il n’est même pas certain qu’elle s’en souvienne, ou l’ait même entendu un jour, mais sur l’instant rien ne lui paraît trop absurde pour la ramener à elle.
Et être certain qu’elle est elle. Il la regarde fixement, une seconde.
Rien dans ses yeux.

Ce n’était pas Birdie.
Quelque part dans son torse, le cœur en surchauffe de Cat cala. Comme une vieille machine détraquée, il eut un bref sursaut, et tout sembla s’arrêter brusquement.

Sa main retomba. Il entendit à peine la voix de la fille. « Ouais. » Son ton était plus dépité qu’agressif ; dans un dernier coup d’œil vers elle (elle lui ressemblait comme deux gouttes d’eau), il enfonça une main dans sa poche, ayant égaré sa politesse forcée dans les rues de Londres. « J’peux avoir la barre ? », demanda-t-il en lui indiquant de son autre main -car rien ne pouvait entamer son appétit, ni joie ni peine. Chaque émotion était au contraire accompagnée par un plat, une sensation contre son palais ; le chocolat viendrait colorer son chagrin, à défaut de l’adoucir réellement.

La première bouchée inonda sa langue et ses papilles avec agressivité ; une explosion de sucre, de caramel, avec un vague goût de cacahuètes artificiel -exactement comme il se l’était figuré. Il fronça les sourcils à sa question, mâchant un peu en la considérant. « Pourquoi ? Je croyais que tu la connaissais pas. » Méfiant, il avala la cascade chocolatée, et mordit à nouveau dans la barre, sans quitter l’inconnue des yeux.

Camden Town | Aout 2006

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Feng tend à Cat - Francis ?- la barre de chocolat, puisque visiblement c'est la seule chose qui peut le consoler. Elle ne va pas le juger, elle est la première à se jeter sur le sucre en cas de besoin. " Pourquoi ? Je croyais que tu la connaissais pas. " il demande après une première bouchée.

Les seules fois où Feng avait vu des gens passer du bonheur à la déception aussi vite c'était autour de table de jeu. Le mauvais bluffeur n'arrivait généralement pas à masquer leurs dépits quand elle leur sifflait une victoire sous le nez. En général Feng aime bien ce moment-là. C'est quelque chose de très satisfaisant. Ça fait marrer Quon, il dit qu'elle ressemble à un détraqueur, à se nourri du malheur des autres de cette façon. Elle rétorque généralement, avec un rictus entendu, qu'elle ne se nourrit que de victoire.

Pourtant, rien sous cet arrêt de bus n'a un goût de victoire. C'est même un peu l'inverse. Feng hausse les épaules. "Je connais pas de Birdie, non. Mais tu sais, moi je connais des gens qui changent autant de noms que de gueule." Elle se relaisse tomber sur le banc. "J'avais une sœur avant. Y a que elle qui aurait pu se balader avec ma  tête. Mais je l'ai pas vue depuis des je sais pas combien de temps alors... " Elle ne termine pas sa phrase. Alors quoi ? Alors rien. Les Ana disparaissent et les Birdie s'envolent.  Elles passent comme ça, et elles se volatilisent aussi vite qu'elles sont arrivées. Pas le temps de les voir ni de les rattraper. Et puis peut-être qu'elle refont surface un jour, sans même qu'on s'en rende compte. Peut-être qu'elles volent des barrent de chocolat ou qu'elles tuent des paraient de mafia. Pour ce qu'elle en sait Feng. Et pour ce que ça change surtout ? Elle n'est pas sûre en fait, de vouloir savoir.

Elle enfonce ses mains dans ses poches et ses doigts se referment autour du petit sachez  d'opium. "C'est quoi ton nom ? Cat ou Francis ?" elle demande et relevant les yeux vers la route, scrutant la rue encombrée par le trafic et les passants. De l'autre côté du carrefour, un grand bus rouge affiche le numéro 24 et met son clignotant pour se ranger sur le bas côté. Feng se lève, les mains toujours dans les poches, elle s'avance vers là où la porte du bus s'ouvrira dans quelques secondes. "T'as l'air d'avoir besoin d'une petite aventure. Je te paye le trajet, allé. Pour me faire pardonner de pas m’appeler Birdie." Elle dit en faisant un signe de tête vers la route. Le bus s'arrête et la porte s'ouvre. "Alors, tu viens ?" Elle fait en montant la première. Elle ne se retourne pas. Il fait bien ce qu'il veut, après tout. Mais elle, elle encore du travail.

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La barre chocolatée fut engloutie en deux bouchées. Cat avalait ses trouvailles avec une rapidité qui tenait plus de la crainte de la voir disparaître que de la faim elle-même ; le réflexe restait, quand bien même celle qui n'était pas Birdie ne semblait pas avoir l'intention de la lui reprendre des mains. C'était déjà arrivé, chez Antonin.

Cat considérait son visage du coin de l'oeil, comme s'il pouvait y lire un indice pour comprendre le mystère et l'aiguiller, peut-être sur le chemin de Birdie – quelques minutes avaient suffi pour infirmer ses doutes : ces longs cils, ces yeux en amande, ce profil reconnaissable entre mille étaient bien ceux qu'il avait connu... Et admirés, chez Birdie. Ce qu'elle lui dit ne fit que confirmer l'étrangeté de la situation. Une sœur qui changeait de gueule ? Cat prit peur devant son ton bourré de sous-entendus – de sous-entendus qui ressemblaient plus à une sorcière qu'à une personne normale (car c'était bien ce qu'étaient ceux qui n'avaient pas de pouvoirs, n'est-ce pas ?).

Il ne dit rien, et, le bien consommé depuis plusieurs bonnes secondes, considéra le papier froissé entre ses mains. C'était le choc, la fatigue, la méfiance – mais après tout, qu'est-ce qu'on s'en foutait ? Si elle avait voulu lui faire du mal, elle s'y serait pris autrement qu'en le gavant de sucré. « C'est quoi ton nom ? Cat ou Francis ? » « Cat », fit-il en lui jetant un œil alors qu'elle se levait. Il n'eut pas le temps d'en demander plus – elle l'invitait à le suivre pour une aventure. Il avait bien entendu ? Il en avait assez soupé, comme ça, des aventures, il aurait plutôt voulu qu'elles arrêtent de lui tomber dessus sans prévenir et qu'elles lui lâchent ses vieilles baskets pourries avec leurs Damocles, leurs Dolohov et leurs Birdies. Si ça se trouvait, elle allait l'entraîner dans une combine craignos, après l'avoir appâté avec de la bouffe de distributeur. Bien que Cat n'espérait pas une mort particulièrement glorieuse, il aurait été tout de même con de crever pour un Snickers.

Merde, c'est qu'il était salement devenu parano.

Cat relâcha le papier (on l'engueulerait plus tard pour la planète) et s'engouffra dans le bus juste après elle. « On est deux », fit-il au chauffeur, et son regard croisa celui de celle qui n'était pas Birdie – ça commençait à être pénible, comme surnom, aussi Cat embraya-t-il, en allant attraper une des poignées du bus. « On va où ? » Avant toute chose, s'assurer de sa destination. Puis ensuite : « Et toi tu t'appelles comment ? » Son regard noisette dans le sien, il cilla légèrement. Si elle lui donnait son nom, si elle rendait officiel le fait qu'elle n'était pas Birdie, alors peut-être que son cœur pourrait arrêter de rouler dans son torse comme les bottes de foin des westerns.

Camden Town | Aout 2006

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Et Cat monte dans le bus.  « On est deux », Freng l'entend dire au chauffeur, qui n'a pas l'air d'en avoir grand-chose à foutre. Ça fait longtemps que Feng s'emmerde plus avec les moldus, lancer un sortilège de confessions c'est beaucoup plus facile que d'essayer de passer inaperçue.  Elle se retourne, un léger sourire au coin des lèvres. Cat la regarde et pour la première fois, elle n'a pas l'impression qu'il a envie de voir quelqu'un d'autre à sa place. « On va où ? » Il demande avec cette voix un peu naïve. C'est mignon. " Je sais pas encore, laisse moi réfléchir. " répond Feng en  haussant les épaules. Elle avance le long du couloir et il lui emboite précipitamment le pas. « Et toi tu t'appelles comment ? » Elle lui jette encore un coup d'oeil et croise à nouveau son regard. C'est pas surprenant si Ana s'est attaché à lui. Il la lui rappelle à vrai dire: l'air un peu perdu un peu effrayé et pourtant il y a quelque chose dans ses yeux... quelque chose qui brule. "Xifeng" elle dit sur le ton de la conversation et reprenant sa marche. Contrairement à Ana, elle ment rarement sur son nom quand elle porte son propre visage; elle joue déjà bien trop de rôles avec ceux des autres. Et puis elle l'aime son nom. Après tout c'est Wei qui le lui a donné et ça a quelque chose de réconfortant, maintenant.  "Mais la plupart des gens m'appellent juste Feng." elle ajoute en s’asseyant au dernier rang, contre la vitre.

Elle plonge la main dans sa poche pour vérifier que l'opium est toujours là. Elle le sort et le retourne un instant entre ses doigts sans rien dire. Elle n’a pas fait la mule depuis des lustres, elle déteste ce job. C'est surement le maillon le plus chiant de toute la chaine du trafic de drogue, si ce n'est de la mafia dans son intégralité. Le vie est devenu d'un ennui mortel depuis que Wei est mort. Vraiment, Feng donnerait n'importe quoi pour foutre un peu de fun dans ce bordel. Pendant une seconde elle pense à se tirer. Arrêter le bus, embarque Cat dehors, garde l'opium pour elle et voir ce que ça fait. Elle en a jamais pris de l'opium. C'était une règle de Wei. Interdis de consommer la marchandise. Est-ce qu'il faut continuer à respecter les règles des morts ? Elle ne sait pas trop. Ça ferait beaucoup de règles à abandonner. C'est aussi une règle de Chen mais vraiment, elle en a pas grand-chose à foutre de ce que veut Chen. Il n'est pas Wei, ne lui arrive même pas à la cheville.

Elle remet le paquet dans sa poche. Jette un œil à la liste des arrêts et invoque le peu de patience dont elle est capable de faire preuve. Normalement ça devrait aller vite. C'est juste un job comme elle en a fait des millions, y a pas de quoi vriller. C'est même pas compliqué. C'est juste sans intérêt, mais c'est pas compliqué. Et puis elle est avec Cat. Elle lui jette un oeil de biais; il a les yeux fixés sur sa poche et ça la fait rire. Comme ça, facilement. Peut-être qu'en fait ce soir sera beaucoup plus amusant que ce qu'elle avait imaginé. "Dis-moi, Cat", elle demande ignorant son regard. "T'es déjà allé dans un Casino ?"