Les deux sorciers transplanèrent dans un bruit d'éclair au milieu du petit village. Harry eut un bref vertige et s'éloigna de l'autre sorcier sans hésiter — plutôt mourir que de s'accrocher à lui —, posant à la place une main sur le promontoire en marbre d'une statue. Il grimaça un peu avant de se redresser, ses yeux verts balayant la place déserte, les quelques maisons et échoppes qu'il pouvait apercevoir, avant de se poser sur le visage pâle de Lord Voldemort.
Pensif, celui-ci observait la statue à côté de laquelle Harry se tenait. Avec lenteur, le Survivant s'en détacha pour prendre un peu de recul et pouvoir à son tour observer la statue. “ Phineas Nigellus Black. ” Harry arqua les sourcils en entendant la voix éraillée du Lord, qui toussa un peu avant de reprendre: “ your godfather's ancestor. You know him, don't you? — Yes. I've met... I mean... I've talked to his portrait. ” C'était il y a si longtemps... dans la maison de Sirius. Grimmauld Place. Sans mal, Harry se souvenait du long été qu'il y avait passé, des repas préparés par Molly, et de Noël aussi! Même si ternie par l'hospitalisation d'Arthur, ça avait été l'une des meilleures époques de sa vie. Le Lord agita sa baguette et lentement, comme un automate rouillé, la statue s'anima: elle leva un bras, puis deux, tourna la tête, se mit sur la pointe des pieds et s'étira jusqu'à ce qu'un craquement résonne. Enfin sembla-t-elle satisfaite et reprit place sur son tabouret, tournant ses yeux de bronze vers eux. “ Can he speak? ” Harry s'entendit-il demander, fasciné par ce spectacle. “ Merlin, no. ” Le Lord se détourna dans un mouvement de cape. “ Follow me. ” Sans se le faire dire deux fois, Harry lui emboîta le pas.

En marchant, il observa d'un peu plus près les maisons. Certaines étaient majestueuses, d'autres plus discrètes. Elles étaient toutes différentes — c'était bien différent de Privet Drive où toutes les maisons se ressemblaient, ne put-il s'empêcher de penser — mais vides. Il pouvait voir des devantures de magasins, ainsi qu'un parc un peu plus loin. Mais rien, personne. Aux murs se trouvaient parfois des notices et des posters incitant les visiteurs à rentrer en contact avec une compagnie d'assurance si ils voulaient acheter ou louer une habitation à proximité. Les rues étaient étroites et joliment pavées: personne n'aurait pensé à y faire rouler une voiture mais elles étaient bien entretenues, destinées à la marche et aux éventuels vélos magiques. Des lampadaires ornementés s'allumaient sur leur chemin, s'éteignant derrière eux, donnant un aspect quasi-christique à leur avancée.
Après quelques minutes de marche en silence, ils finirent par arriver sur une route bien moins peuplée de maisons. Des champs s'étendaient partout autour, Harry pouvait même apercevoir une forêt au loin. Lui qui avait toujours vécu en ville aimait bien cette atmosphère, cette impression d'être seul au monde.

La rue qu'ils remontaient menait à une petite maison. Il y a avait une porte en bois qui s'ouvrait sur un chemin de pierres qui menait à un petit perron aux discrètes mosaïques nacrées. La porte rouge avait un numéro en fonte d'accroché sous son judas: le sept.
“ This is yours. ” Le Lord le regardait avec curiosité et Harry se sentit embarrassé à l'idée d'avoir ainsi été observé. Il se força à conserver un visage neutre, comme il avait vu Draco le faire tant de fois. “ Pardon me? ” demanda-t-il d'une voix égale. Le Lord désigna la maison d'une main. “ This house. It's yours. ” Harry reposa ses yeux dessus, les mots ayant du mal à trouver leur chemin jusqu'à sa caboche. “ What do you mean... ” Harry commença sa phrase mais ne la finit pas, posant plutôt la main sur le portillon en bois pour le pousser et s'engager dans la petite allée de gravillons. Le jardin de devant était entretenu mais il y avait de nombreuses plantes qui y poussaient tout de même, certaines fleurs que Harry n'aurait pas pu nommer mais qu'il trouvait jolies. Il repensa à la maison des Dursley, qui ressemblait à toutes les autres maison de Privet Drive. Il repensa à leur carré de jardin, le gazon coupé quatre centimètres au-dessus du sol, les petits pots tous de la même couleur, les moues effarées de sa tante à chaque fois qu'un gravier osait quitter son allée pour se mélanger à l'herbe. Cette pensée le rendit triste, mais il eut du mal à comprendre pourquoi.

Il finit par arriver sur le perron et par s'approcher de la porte — dans son dos, il pouvait entendre le Lord le suivre à distance raisonnable. Sans un mot, il posa la main sur la poignée et comme le Lord ne l'arrêta pas, Harry ouvrit lentement la porte.
C'était bien plus spacieux dedans que ça en avait l'air dehors — comme toute bonne architecture sorcière. C'était plutôt impersonnel, les murs avaient été laissés blancs et les quelques meubles, quoique choisis avec goût, ne présentaient que quelques rares couleurs: beaucoup de doré et de rouge, sans aucun doute pour rappeler les couleurs de Gryffindor. Il fit un tour dans la cuisine ouverte, regarda la cheminée d'un drôle d'air, caressa un mur d'un air distrait, avant de se tourner vers le Lord, qui s'était installé dans un fauteuil dans le salon en le regardant tourner.
Harry le regarda, le regarda vraiment pour la première fois depuis des semaines. Le Lord lui semblait... fragile n'était pas le mot. Chétif? Ou en tout cas, plus mince qu'avant. Ses traits étaient un peu creusés, ses pommettes plus tranchantes que jamais. Ses yeux rouges étaient enfoncés dans leurs orbites et le dardaient silencieusement, attendant apparemment qu'il dise le premier mot. “ Am I to move here? ” Il secoua la tête lentement. “ No... you can stay at Malfoy Manor and Draco's. ” Harry sentit une rapide rougeur lui monter aux joues mais si le Lord la remarqua, il n'en dit rien. “ In the future, yes. — What about... Grimmauld Place? ” demanda-t-il, plein d'espoir dans la voix, le regrettant immédiatement. À ça, le Lord arqua les sourcils. “ It is Narcissa's, as far as I know. ” Son ton, quoique ferme, était plutôt gentil. “ You could ask her. ” Harry ne répondit pas, préférant se détourner pour continuer d'explorer la pièce, observant le jardin de derrière à travers une fenêtre. “ Do you like it? ” La réponse fut immédiate. “ Yes. ” Il pinça des lèvres malgré lui, énervé par sa propre excitation. “ It's... spacious. ” C'était spacieux, lumineux, joli, et surtout, surtout, c'était à lui.

Harry ne possédait pas grand-chose. Jusqu'à maintenant, il ignorait même si il possédait un futur. Et là... le Lord lui en offrait un. Un futur, une maison. Quand cette guerre serait finie, quand le monde sorcier règnerait en roi sur celui des moldus, quand la magie retrouverait sa puissance d'antan et que les justes auraient trouvé leur place... quand ses amis seraient revenus à la raison ou revenus à la maison... alors peut-être pourrait-il finir ici.
“ I would let you move here, but it seems it would be too dangerous, ” ajouta le Lord, répondant à sa question silencieuse. Harry, avec colère, repensa aux évènements d'avril dernier. Il avait été interdit de sortie pendant des semaines, Pettigrew, Narcissa et le Lord lui-même lui intimant de rester au manoir le temps que les choses se calment. “ You've created quite a stir. — It was to be expected. — It was. ” Harry déglutit en entendant le ton faussement détendu du Lord. “ How did it feel? Draco mentioned you almost seriously hurt Granger. ” Harry inspira profondément en fermant les yeux. Sa cicatrice le chatouillait légèrement. À moins que ce ne soit une migraine pointant le bout de son nez? “ She was searching for it. — Was she? What was she doing? — Are you a shrink now? ” demanda Harry avec humeur, se retournant vers le Lord avec un froncement de sourcils. Il n'avait pas bougé. “ I'm worried about you, ” dit lentement le Lord. “ Maybe you should go back to Scotland... ”

Le sang de Harry se glaça dans ses veines. Il repensa au noir, à la douleur, au froid, à la faim, à la douleur, au sang, à la douleur, aux pierres sous ses ongles éclatés, à la douleur, à la douleur. “ I don't want to go back to Scotland, ” dit-il d'une petite voix. “ Good. Have a seat. ” Harry obéit sans hésiter, son coeur battant la chamade. “ See, Harry, I need you, ” dit le Lord, avec calme mais intensité, le regardant droit dans les yeux. “ I need you to stay alive, and I need you to stay well. I don't need you running off in front of danger-- — I'm sorry-- — I'm not finished. ” Harry se mordit les lèvres. “ I was saying... I don't need you to endanger yourself or act recklessly. I need you to be nice, I need you to be brave, I need you to do what must be done. Do you remember why? — So that we can have peace? ” proposa-t-il d'une petite voix. Le Lord lui offrit un sourire chaleureux. Bonne réponse. Harry, rassuré, sentit quelques uns de ses muscles se détendre. “ Exactly, Harry. So that we can have peace. ”