Diego laisse tomber les clefs et un juron s'échappe d'entre ses lèvres alors qu'il se baisse aussitôt pour les ramasser: et dans son geste un peu trop brusque, il se cogne le front contre la porte d'entrée avec violence. Le bruit résonne dans son crâne et il jure une nouvelle fois, s'appuyant au battant d'une main aveugle. Il reste quelques instants immobile à reprendre son souffle. Il a chaud dans son costume un peu défait, il sent la sueur couler le long de sa nuque dans le col de sa chemise couleur bleu ciel, et quand il ferme les yeux le monde tourne, tourne, tourne. Dans le lointain il entend les bruits de la ville, les voitures et les moldus qui s'agitent, ces insectes qui ne dorment jamais et font du bruit jusque tard dans la nuit... heureusement, dès que la petite porte du jardin de devant est traversée, la bulle de silence et d'invisibilité ternit le monde non-magique. Heureusement qu'ils ne doivent subir ni le bruit ni l'odeur de la vermine...
_____“
Diego, stop! Diego come here! ” Diego ne répond pas, glissant sur le plancher à toute allure, utilisant sa technique secrète des chaussettes sur bois pour déraper et, au dernier moment, attraper l'encadrement de la porte à sa droite pour faire un virage serré dans l'une des nombreuses salles de lectures de Castle Leoch, la résidence ancestrale des Prewett. Andrew lui jette un regard noir en le voyant passer. “
Idiot, ” grogne-t-il en lui lançant une boulette de papier tandis qu'il traverse la pièce en courant, suivi de près par Bonnie. “
Diego, get back here! Diego! ” Celui-ci se met à rire malgré lui, jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule en direction de sa tutrice qui a la tête de celle qui pense qu'elle n'est définitivement pas assez payée pour faire avec les caprices des petits riches tels que lui. “
Y-Y-Y-Y-You will never catch me-- ”
Il est interrompu quand sa petite forme de gamin de huit ans entre en plein dans quelque chose de dur, douloureux et désagréable. Il rebondit brusquement et est seulement stabilisé quand deux énormes mains l'attrapent par les épaules et le remettent sur ses pieds. “
Diego. ” La voix de son père le pétrifie totalement et il relève des yeux hésitants vers lui. Langford a les sourcils froncés en forme de V, la bouche pincée presque douloureusement et son regard des mauvais jours. “
Where are you going, Diego? ” dit-il avec humeur.
Très vite, Diego est ramené à sa salle de classe par son père, douloureusement tiré par l'oreille et ensuite ligoté à sa chaise par un sortilège douloureux mais nécessaire. “
You leave when she says you do. ” Bonnie n'en mène pas large mais ne proteste pas, regardant son jeune élève qui est... rouge. L'oreille est rouge, le visage est rouge, ses cheveux sont d'un rouge vibrant bien loin du auburn habituel. Langford quitte la pièce et Diego ne relève pas les yeux de son bureau. “
So... from the top... ” et elle reprend ses exercices d'articulation, tandis que le rouge des cheveux de Diego passe de l'embarras à la colère.
_____En parlant de vermine... Diego est en train de manipuler maladroitement ses clefs pour chercher la bonne et la faire entrer dans la serrure quand la porte s'ouvre d'un mouvement vif sur le visage émacié de Pixie, son elfe de maison. Il manque de s'écrouler sur elle mais se rattrape au dernier moment. “
Master? ” demande l'elfe faiblement, levant les mains pour l'aider à se tenir droit et, avec humeur et brusquerie, Diego la repousse pour entrer chez lui. “
Move. ” Le mouvement vif pour se débarrasser de l'elfe lui fait une nouvelle fois perdre l'équilibre et il se rattrape au meuble le plus proche, un buffet qui avait appartenu à son grand-oncle ou quelque chose comme ça... sa main glisse sur la surface marbrée et il fait tomber quelque chose qui explose sur le sol en dalles. Il essaye de regarder ce que c'est mais baisser les yeux lui donne le tournis alors à la place il se dirige vers la porte de la cuisine. “
Sort that out, ” ordonne-t-il à l'elfe qui referme la porte silencieusement et obéit.
_____“
Oh my god Diego we were so scared, what were you thinking running away like that?! ” Diego ne répond pas et fond en larmes dans les bras de sa mère qui continue dans une diatribe énervée et émotionnelle en espagnol de l'engueuler, de s'inquiéter, de remercier Merlin et d'enfin de s'émerveiller de son retour. Ils sont en Nouvelle-Zélande, les enfants et Simone — malgré son rôle d'assistante de l'ambassadeur, elle a eu moins de mal à se dégager de son emploi du temps chargé que Langford coincé à Edinburgh —, et ça fait presque vingt-quatre heures qu'ils ont signalé la disparition de Diego aux autorités locales. D'après ce qu'ils ont entendu, le gamin a été retrouvé à trois kilomètres de leur camp de vacances sorcier hyper sécurisé... ils ignorent encore comment parce que Diego n'a pas voulu dire quoique ce soit.
Et il ne va pas commencer maintenant, vu le volume et la cadence de ses pleurs qui semblent interminables. Il finit par se calmer, les policiers kiwis par partir et la sécurité du camp de vacances à les laisser tranquilles. “
What were you thinking, pollito? ” lui redemande sa mère quand ils sont de nouveau seuls, Elisabeth et Andrew éloignés en train de faire une activité quelconque pour les laisser tranquilles. “
I-I-I-- ” Les pleurs reviennent, et n'aident en rien le bégaiement déjà maladif du garçon. Il s'arrête comme on lui a appris, reprend la phrase différemment. “
It was for Hauataaaaaaaaaaa, ” geint-il alors que le visage de Simone s'assombrit déjà. “
What do you mean it was for Hauata? —
I wanted to find a Taniwha and I wanted to get his voice back and I wanted to trade this, ” fait-il en produisant de sa poche ce qu'il a volé en sortant de chez lui: la chevalière précieuse de son père, qu'il a obtenu de son père qui l'a obtenu de son père qui l'a obtenu de son père et cetera et cetera, frappée aux armes des Prewett, “
for his voice and then he would be able to talk and he would talk and then he would get his dad back and then he can go home with Tamati and-- —
Diego! ”
Les mains de Simone se serrent avec force sur les épaules nues de son fils, ses doigts s'enfonçant un peu dans la chair et celui-ci geint encore plus. Sans rien dire, elle l'attire contre elle pour l'enlacer avec force. Elle avait peur qu'il se soit perdu et maintenant elle est terrifiée à l'idée qu'il était sur le point de faire une terrible et mortelle erreur... “
Those are not forces you can deal with. —
But Hauata he-- —
But Hauata nothing! Please promise me you will never do something like that again? —
I... I... I... ” Il s'interrompt et grogne quand sa mère se détache brutalement pour le regarder dans les yeux. “
Say it, Diego! —
I will... never... do something like that... again... ” marmonne-t-il en regardant le sol. “
Can you let me go now? ”
_____La lumière dans la cuisine lui brûle les yeux et il grogne un peu en titubant à l'intérieur, se dirigeant droit vers l'évier pour commencer à laisser couler l'eau et s'en passer un peu sur le visage puis dans les cheveux. Le geste, qui se veut salvateur, lui donne encore plus le tournis quand il se penche en avant... il s'agrippe aux rebords en porcelaine quand la nausée lui retourne l'estomac, fermant les yeux pour essayer d'empêcher le monde de tanguer comme un bateau en pleine tempête. Quand ça se calme, il se redresse et attrape un verre dans une étagère, le remplit d'eau et le boit d'une traite... le liquide lui laisse un sale goût dans sa bouche aux lèvres parcheminées. “
Master, is everything alright? ” Il marmonne quelque chose à l'adresse de l'elfe, rouvrant les yeux avec un temps de retard. “
S'alright, Pixie. I'm just... ” Il ne finit pas sa phrase, sombrant douloureusement dans l'inconscience.
_____B-B-But I don't understand you said you would stay at least for ten days! I said a week, Diego, and it's been a week. Diego, frustré, dans un mouvement qui n'est pas très mature, tape trois fois du pied, détestant le fait que pour une fois Hauata ne cède pas à un de ses nombreux caprices. Le géant se détourne sans un mot pour continuer d'enfiler sa veste et de quitter la maison, mais Diego n'en a pas fini et le contourne pour se planter devant lui, ses mains s'agitant à toute vitesse. Hauata pourrait l'entendre bien entendu mais il préfère signer quand il est énervé: au moins, avec ses mains, il ne bégaye pas, même si elles tremblent comme des feuilles en cet instant précis...
Yes but you could stay for the weekend too! Diego I said a week and it's been a week. Diego, exaspéré, ferme les yeux.
C'est futile et stupide et sans le voir, il peut imaginer le regard si doux d'Hauata se couvrir d'agacement. “
Are they done gesticulating now? ” marmonne Langford dans son coin en faisant claquer la page du Prophet qu'il est en train de tourner. Papa n'aime pas vraiment quand on utilise la langue des signes à la maison: il est le seul à ne pas très bien la lire et encore moins la parler. Diego et Simone sont les plus à l'aise avec, suivis de près par Andrew et Elisabeth. Même si les parents de Diego ne l'avoueraient jamais, ils ont leurs préférés... Langford préfère de loin Andrew aux deux autres, et aime bien Elisabeth. Simone couve Diego comme pas possible, tout comme Hauata. Diego s'en fiche de son père, il est petit, il est moche et il est méchant. Il aurait préféré que Hauata soit son père, parce que c'est un héros et qu'il est gentil.
Bon, en cet instant précis, il est un peu énervé parce que Hauata a dit qu'il passerait les vacances avec lui mais que maintenant il part. Alors il ferme les yeux comme ça Hauata ne peut même pas répliquer, il ne le verra pas et il ne peut rien faire pour le forcer à l'écouter. Alors il devra rester!
Les mains de Hauata se posent sur ses épaules et Diego se débat. “
I want you to stay! ” s'écrie-t-il. “
I want you to stay I want you to stay I want you to stay ” et puis quand son père se met à intervenir pour lui dire de se calmer, il accélère: “
IwantyoutostayIwantyoutostayIwantyouto- —
DIEGO! ” rugit son père et malgré lui, Diego ouvre les yeux quand un sortilège le fait tressauter à la manière d'un petit courant électrique. Diego surprend un regard d'Hauata en direction de son père, il n'est pas très fan des punitions corporelles. Il le relâche pour lui parler.
I'm going home tonight Diego, you don't need to be upset: I'll be back Sunday for-- “
B-B-B-B-- I don't care! ” rétorque Diego à haute voix, attrapant les mains de Hauata pour qu'il arrête de parler. “
I want you to staaayyyyyyy. ”
Ce caprice, pour une fois, ne fonctionne pas; alors Diego court bouder dans sa chambre et fait la tête à son oncle pendant des jours. Mais il finit toujours par lui pardonner parce qu'après tout, la vie est bien morne sans lui.
_____Il se réveille avec un mal de tête encore plus terrible que quand il a perdu connaissance: chose qui semblait improbable jusqu'à ce qu'il essaye de se redresser et abandonne en poussant un gémissement de douleur. Il est dans le petit salon, allongé sur un canapé, et Pixie s'approche de lui en voyant qu'il a rouvert les yeux. “
Master? ” demande-t-elle doucement, en lui tendant quelque chose que Diego attrape sans regarder, comprenant rapidement que c'est une petite serviette humide d'eau qu'il peut déposer sur ses yeux et son front pour se sentir
vaguement mieux. “
Is Master okay? ” demande Pixie faiblement et Diego grogne en réponse, parvenant à rassembler assez d'énergie pour se redresser et s'asseoir sur le canapé. “
Where's my wife? ” demande-t-il d'une voix pâteuse. “
Off to bed, Sir. It's three am. ” Diego retire la serviette humide pour regarder l'hideuse face de l'elfe avant de lever les yeux vers l'horloge qui trône devant lui. Elle n'a pas menti. Il est presque trois heures et demi... “
Fuck. ”
_____Comme tous les étés, Diego se rend aux camps de vacances avec un énorme sourire aux lèvres. Il adore ces camps, puisqu'il y va tous les ans avec les mêmes personnes et il y a tous ses amis! Notamment Caliban et Elliott, mais aussi Cristina, Noor et Julian. Ils sont tous de sang pur, ou alors très dilué, et ils sont tous riches et de bonnes familles: alors ils finissent tous les ans à crapahuter dans les bois pendant les journées d'excursions, à cuisiner et vendre des cookies pour des causes charitables et à apprendre comment le monde est: les purs et les puissants et les riches au-dessus, et le reste en-dessous.
L'une des raisons pour lesquelles il aime tant les camps aussi c'est parce que tous les ans, Isadora vient de l'autre bout du monde pour visiter son père. Et comme toute fille pure de bonne famille, elle vient aux camps pendant la journée. Et elle est belle, Isadora, avec son accent chaleureux qui s'enroule autour de ses mots en anglais, ses longs cheveux noirs qui ont l'air d'avoir une volonté propre, et l'énorme sourire qu'elle lui adresse quand elle le voit. Ils sont toujours heureux de se voir, et tristes de se quitter: mais tous les ans, elle est là et Diego ne pourrait pas être plus heureux.
Comme à chaque fin d'été, ils font une randonnée de deux jours avec des scouts plus âgés où ils doivent nommer et dessiner les animaux qu'ils ont vu pendant la journée. Ils vont toujours dans le même parc naturel mais c'est pas grave parce que les animaux changent souvent! Le soir ils peuvent même manger des marshmallows en partageant ce qu'ils ont trouvé. “
This is a Thestral! ” fait Diego d'un air malin en montrant à Dora un coin vide de sa page. “
Oh... yes it's really beautifully drawn. —
You can see it????! —
No I was just joking. —
Ah. ” Elle rigole un peu devant son air défait et il finit par rire aussi.
“
You're much better at this than I am, ” fait-il en comparant leurs dessins. Diego préfère faire des blagues et parler plutôt que dessiner: Dora, quant à elle, est une bonne élève qui a bien rempli son carnet et très vite, les deux amis se focalisent sur le sien pour parler de ce qu'ils ont vu. Ils sont un peu tristes d'avoir à se séparer pour aller dormir dans des tentes différentes mais Dora lui promet que demain, ils pourront faire le reste de la randonnée ensemble et se tenir la main, alors Diego va se coucher le coeur léger.
_____Il a fini par parvenir à se traîner jusqu'à l'étage, notant la présence de Pixie sur ses talons, prête à le réceptionner en cas de chute dans les escaliers. Il ouvre les portes aussi discrètement que se peut mais il se prend les pieds dans le tapis et manque de s'étaler, grognant et jurant à mi-voix en se rattrapant au mur le plus proche. Il finit par trouver la porte de la chambre d'Abel et par l'entrouvrir pour jeter un coup d'oeil à l'intérieur. Le berceau flotte toujours paresseusement à un mètre du sol et en s'approchant, Diego peut voir que son fils dort en s'agitant un peu, ses petits doigts adorables se fermant et s'ouvrant tandis que ses yeux bougent sous ses fines paupières. À proximité de son berceau, une boule de cristal est constamment reliée à une autre dans la chambre parentale; et dans un coin de la pièce se trouve le lit de Pixie. “
No trouble? ” demande Diego en refermant la porte de la chambre et l'elfe secoue la tête. “
No trouble, Sir. —
That's good, ” qu'il grogne en redescendant les marches et en allant droit au cabinet dans le petit salon qui contient les bouteilles de whisky.
_____Après avoir fait le tour des tentes pour vérifier que tout le monde allait bien, que personne n'avait peur dans le noir et qu'aucun gamin n'allait se réveiller quelques dix minutes plus tard pour se plaindre, Diego s'étire en adressant un coup d'oeil à Dora, petit sourire aux lèvres. Maintenant qu'ils sont grands, et que c'est leur dernière année, c'est à eux de s'occuper des enfants pendant la journée randonnée de fin d'été! C'est un grand honneur et il en est très fier.
Mais rien ne peut être comparé à la fierté qu'il ressent quand Dora le regarde comme
ça et le laisse la prendre dans ses bras et l'embrasser avec tendresse. Ils se sont enfin avoués leurs sentiments au début de l'été et Diego passe les deux mois les plus parfaits de tous les temps. “
I love you. ” Elle sourit un peu et il n'existe pas chose plus belle sur Terre. “
I love you too baby. ” Elle le regarde comme si il était... comme si il était tout ce qu'il veut être. Grand, fort, protecteur, méritant. “
Hey... do you think... hm... maybe we could- we could share a tent tonight? ” Diego la regarde d'un air stupide pendant un petit moment, clignant des yeux avant que son cerveau ne redémarre. “
Y-yes. ”
Il n'y a pas de sensation comparable au corps nu de Dora pressé contre le sien, sa respiration égale contre son épaule tandis qu'elle dort accrochée à lui. Il fait un peu chaud et il a des fourmis dans le bras sur lequel elle s'est couchée mais il ne peut pas s'empêcher d'être heureux, très heureux, et d'avoir l'impression de véritablement être là où il
doit être. Dans ses bras. Avec elle. Ils ont couché ensemble pour la première fois ce soir. Non. Ils ont
fait l'amour. Et comme ils se le sont promis, ils vont rester ensemble même quand ils iront à l'université dans une semaine. Un jour, Diego se dit qu'il aimerait fonder une famille avec elle, l'épouser... Ils sont tous les deux purs, tous les deux riches, tous les deux
biens: et leur couple est si heureux et parfait que ça ne peut que faire sens qu'ils finissent ensemble. Et alors, ils seront heureux pour toujours.
_____Il s'est servi un verre puis s'est rendu dans la serre de Dora pour en profiter, fermant les yeux en écoutant le vent à l'extérieur et le rythme des plantes à l'intérieur. Il entend le bruit des pas de Pixie à proximité mais ne réagit pas et n'ouvre pas les yeux, se concentrant sur le bruit de son corps. Son coeur bat vite, trop vite, et son estomac gargouille... il n'a pas faim, mais il va être malade. Il n'a jamais été du genre à boire trop, les seuls excès qu'il s'est jamais permis, c'était avec Dora, quand ils pouvaient encore se permettre d'être stupides et innocents, et qu'ils volaient des bouteilles de vin à leurs parents pour se les partager dans les fêtes organisées par le beau monde sorcier. C'est la première fois qu'il sort tout seul depuis leur mariage, ses amis Caliban et Conor ont insisté. C'est pas parce qu'il est marié qu'il doit oublier de s'amuser! C'est eux qui lui ont servi le premier verre, puis le second, puis le suivant, puis le suivant. Et après ça... Diego rouvre brusquement les yeux en sentant la main de Pixie lui effleurer le coude. “
Everything alright, Sir? —
Leave me alone, ” gronde-t-il en se détachant brusquement, délaissant son verre encore à moitié plein pour retourner à l'étage se coucher.
_____Dora s'avance lentement entre l'allée formée par les bancs qu'occupent quelques rares invités. Leurs familles bien entendu, ainsi que leurs proches amis... Peu de gens sont au courant, même si la nouvelle de leurs fiançailles a fait le tour de la haute société... et a apporté avec elle son lot de problèmes. Même en n'y faisant pas attention du tout, il est bien dur de ne pas remarquer le ventre arrondi de Dora tandis qu'elle s'avance vers lui, quelques flocons de neige tourbillonnant paresseusement du ciel écossais sous lequel ils se marient. Ils sont dans le parc entourant l'imposante résidence ancestrale des Prewett, Castle Leoch, il y a des guirlandes allumées de fées boudeuses, des sortilèges pour réchauffer l'air et l'ambiance est... un peu maussade. On a hâte d'en finir: cette affaire de grossesse dure depuis bien assez longtemps déjà.
Dora est magnifique comme d'habitude, dans une longue robe blanche dentelée qui révèle ses épaules et le grain de beauté qu'elle a près de la clavicule. Elle le fixe et il la regarde sans rien dire depuis l'autel, près du mage qui va rapidement officier leur mariage. Il a envie de pleurer. De joie, de tristesse, d'anxiété, de colère. Il est heureux — elle est la femme de sa vie. Il est triste — il a dix-huit ans. Il est nerveux — bientôt, tous les regards seront tournés vers lui. Il est en colère — pourquoi, pourquoi eux?
C'est le genre de choses qui n'arrivent pas. Et comme elle en a parlé à sa famille avant de lui en parler à lui, maintenant ils doivent se marier. Bien entendu, il voulait déjà l'épouser. Mais plus tard! Quand ils auraient de l'argent, des emplois, du temps devant eux. Là ils ne font pas ça bien. Une réception en hiver, des fiançailles n'ayant duré qu'à peine trois semaines. Et il l'aime. Il l'aime vraiment, elle est l'amour de sa vie... et son premier amour. Et si il retombe amoureux? Et leur... enfant...
Dora monte les trois marches qui les séparent et Diego s'empare de ses mains, les amenant à sa bouche pour les embrasser avec douceur. Il lui sourit doucement, lâchant l'une de ses mains pour coller la sienne contre sa joue et se débarrasser d'une larme qui y coule. Le mage parle, ils ne disent rien. Il finit par agiter sa baguette et une pluie de ce qui ressemble à des paillettes tombe sur leurs cheveux et leurs épaules, alors qu'il sent au plus profond de son être sa magie se faire lier à la sienne. Voilà, c'est fait. En un quart d'heure, c'est fini. “
I love you, ” murmure-t-il faiblement en se penchant pour lui embrasser la joue. “
I love you too, querido. ” La gorge nouée, tenant toujours sa main, Diego se retourne pour faire face à leurs invités.
_____Il s'immobilise après avoir ouvert la porte de la chambre —
leur chambre même. Il a toujours du mal à la voir comme
leur chambre malgré les quelques mois depuis qu'ils ont emménagé. Diego reste dans l'encadrement de la chambre, regardant Dora dormir pendant quelques instants: elle moufte à peine dans son sommeil, bougeant un peu le bras mais, heureusement, ne se réveillant pas. Elle est belle, elle est toujours aussi belle, et il l'aime toujours autant... enfin il croit. Il ne sait plus exactement: il sait qu'il l'aime, de ça il en est sûr. Le reste... le reste n'est que du brouhaha, se dirait-il normalement. Sauf que ce n'est plus le cas. Le reste, les cours, Antonin Dolohov, l'hôpital, Abel, sa famille, sa soeur, sa famille à elle, tout... tout devient de plus en plus pesant. Et ces quelques verres sont parvenus à lui faire oublier ça... pendant quelques heures au moins. Pendant quelques heures il a oublié, il est redevenu l'adolescent, le jeune homme qu'il aurait dû être: avec le monde à ses pieds et la vie devant lui, capable de tout, prêt à tout. Pendant une soirée il a pu être insouciant et heureux... un peu trop. À ses amis, Diego a fait part de ses problèmes: les cours, le stage, la pression familiale et puis aussi comment lui et Dora ont finit par lentement s'éloigner l'un de l'autre... et après quelques blagues salaces, ils lui ont révélé pourquoi ils avaient tant insisté pour qu'il sorte. Un cadeau en quelque sorte: quelques minutes avec une fille engagée par les soins de Zabini, une porte fermée derrière eux. Il ne sait même pas pourquoi il a dit oui. Comment il a pu le justifier dans sa tête. Mais il a dit oui.
_____Diego est fatigué. Il est tout le temps fatigué. Quand il n'est pas en train d'étudier, il est en train de travailler et quand il n'est pas en train de travailler, il est en train de s'entraîner et quand il n'est pas en train de s'entraîner, il... ne sait pas quoi faire. Il s'écroule sur le lit et il dort pendant des heures, il passe en coup de vent jeter un coup d'oeil à Abel, embrasser Dora et puis repart ailleurs. La maison est un terrain dangereux, miné, qui le met mal à l'aise. Lui et Dora ont choisi certains meubles (surtout elle) et ils y ont ajouté des touches pour que ça ressemble à une véritable
maison: les photos encadrées, la serre qu'il a fait construire pour elle, les papier peints qu'ils ont arraché pour en choisir d'autres... et pourtant, quand il rentre, Diego sent une sueur froide lui dévaler le dos.
Alors il se jette dans ses études de toutes ses forces, dans sa formation à l'hôpital et chez Antonin aussi — enfin, M. Dolohov. Il est gentil, un peu trop, même si c'est un tuteur sévère. Il fait des progrès, Diego, depuis qu'il est sorti de Poudlard: tous les jours il essaye une teinte de cheveux différente, une forme de nez un peu plus droite, une bouche plus fine... tous les jours il s'entraîne même quand Dolohov n'est pas là. Parce qu'il lui a dit qu'ils avaient besoin de lui: le Lord, le Gouvernement, son père, son pays, tout le monde. Alors Diego donne le meilleur de lui pour les rendre fiers. Il ne pense pas que la destruction et la mort soient la solution mais il imagine que les pensants doivent mieux savoir que lui.
Certains soirs, quand Dora l'évite, se trouve dans la serre, voit des amis ou simplement dort à l'étage — elle dort
beaucoup, surtout la journée, Pixie le lui raconte quand il rentre —, Diego s'immisce dans la chambre d'Abel pour le prendre dans ses bras et le regarder dormir. Une si petite chose. Son fils. Il pourrait passer des heures à le regarder. Il ressemble beaucoup à Dora. Mais de lui, il tient ses cheveux qui changent de couleur et son nom de famille. Diego n'arrive pas à croire qu'il ait voulu que Dora s'en débarrasse à un seul moment, ou qu'il ait contemplé l'idée de le donner à sa soeur Elisabeth et son mari. Il est si petit et si parfait et il est
son fils.
L'enfant se réveille, se met à pleurer et à crier et Pixie apparaît: Diego le lui donne sans hésiter avant de sortir de la pièce. Dora, un peu paniquée, est sortie de la chambre pour aller voir ce qui ne va pas. Elle semble surprise de le voir: il est rentré en avance par rapport à d'habitude. “
Is everything alright? ” est sa première question — rien d'autre qu'une mauvaise nouvelle aurait pu l'amener à rentrer plus tôt. “
All good, ” la rassure-t-il mais déjà elle le dépasse pour aller dans la chambre de leur fils. Il fait un mouvement pour la retenir mais se résigne. “
Tonight I'm going out with the boys, ” la prévient-elle et elle lui jette un regard en coin avant d'hocher la tête. “
Don't be home late. —
I won't. —
Okay. ” Elle va s'occuper de leur fils et Diego se détourner pour aller dans la chambre se reposer un peu. Il est tellement fatigué. Peut-être qu'il ne sortira pas ce soir...
_____Même les quelques gorgées de whisky qu'il a avalé ne lui donnent pas assez de courage pour se glisser dans le lit avec Dora: elle est si paisible qu'il n'ose pas la déranger, refermant la porte silencieusement avant de faire demi-tour, redescendant les marches encore une fois pour à la place retrouver le chemin du canapé sur lequel il s'est réveillé après être tombé dans les pommes quelques dizaines de minutes plus tôt. L'horloge montre déjà qu'il est presque cinq heures — depuis quand le temps file-t-il ainsi — et il a juste envie de se reposer une poignée d'heures avant de devoir se pointer chez Dolohov le lendemain... Pixie semble surprise de le voir et relève la tête de ce qu'elle était en train de faire pour le regarder. “
Master? —
What's this? ” demande-t-il avec humeur en la voyant tripoter un objet. “
Give it to me. ” Il attrape avec force et arrache l'objet de ses longs doigts osseux pour l'examiner. C'est ce qu'il a cassé en entrant... c'est une photo encadrée de Dora et Diego lors de leur mariage.
Ominous, songe-t-il, un frisson superstitieux lui dévalant l'échine. Pixie a réparé le cadre et le morceau de verre mais il y a une très légère trace sur le coin de la photo qui s'est pliée en sortant de sa prison. Elle a été retouchée pour ne pas trop montrer le ventre de Dora. Ils sont plutôt beaux, côte à côte, souriant d'un air gêné à la caméra, Diego tournant la tête vers elle pour lui embrasser la joue avec douceur. En regardant la photo, Diego se souvient combien il faisait froid malgré les sortilèges de chaleur, et combien ses jambes laissées nues par le kilt avaient été raides pendant des heures à cause de ça... il se souvient du silence de la maison lorsqu'ils y avaient pénétré pour la première fois une fois la journée finie. Il se souvient... il a l'impression que ça fait des années et des années et pourtant, c'était il y a à peine six mois. Leurs vies ont bien changées depuis... Il redonne la photo à Pixie. “
Put it back where it was, ” lui ordonne-t-il avant d'enlever ses chaussures, de ramasser le plaid tartan au pied du canapé et de s'y allonger, triste et fatigué, pour aller chasser le sommeil en réprimant ses larmes.