| | | Dehors, le Soleil peinait encore à se lever, il peignait le ciel d’une tache d’encre rose diluée au-dessus des plaines vertes et des falaises noires. La rosée perlait sur les brins d’herbe et sur le toit en ardoises. Le sable était humide, compact, comme une épaisse couverture. Pas la moindre empreinte ne trahissait leur présence ici, elles s’étaient retrouvées effacées par la marée. Les vagues venaient se briser et se étendre en toute délicatesse sur la plage, elles la recouvraient d’écume blanche qui n’évoquaient que des nuages tombés trop tôt, qui finiraient bien par disparaître à leur tour. A l’intérieur, la lumière filtrait à travers les épais rideaux, et de son éclat tranchant elle peignait un portrait immobile, calme, que l’on paierait cher pour voir durer une éternité. On n’entendait que la douce respiration de deux cœurs endormis, bercés par le murmure des vagues. Roulé sous l’épaisse couverture, Mildred ouvrait à peine les yeux qu’il se rendormait déjà. Nonchalamment, il se retournait pour faire face à Bergamot et laissait le temps passer. Il n’était ni endormi ni éveillé, il voyageait d’un état à l’autre avec une telle sérénité que le monde pourrait s’effondrer sans qu’il ne s’en rende compte. Il tendait le bras vers elle et le posait sur son ventre. Il voulait sentir sa chaleur, sa respiration.
Les tracas du monde, ils étaient si loin, ils semblaient si improbables pendant ces moments-là. Et rien n’avait d’importance. Jamais on ne viendrait les chercher alors qu’ils se réfugiaient si loin de tout. La plage de Kearvaig avait cet avantage, c’était un autre monde, entièrement coupé du Londres sorcier étouffant ou des montagnes galloises dangereuses. Ici, rien ne venait les menacer, il n’y avait qu’eux, Mildred, Bergamot et Ian. Personne ne reprochait à Mildred d’avoir un monstre absentéiste en guise de père. On ne le regardait pas de travers, on ne l’épiait pas en espérant trouver quoi que ce soit de condamnable chez lui. Ici il était chez lui, en sécurité avec ceux qu’il aimait, avec Bergamot et Ian. Ici, personne ne viendrait lui reprocher le retard de son fils. On ne le menacerait pas d’avoir un enfant cracmol, il n’avait pas à s’inquiéter de voir son fils disparaître du jour au lendemain, comme c’était le cas pour tant d’enfants cracmols.
Non, ici ils étaient à Kearvaig, dans la petite maison sur le sable. Mildred avait grandi dans cette maison et il ne lui était jamais rien arrivé de mal ici. Il voulait offrir la même chose à son fils. Et lorsque l’on voyait le calme de cette douce matinée, Mildred se disait qu’il avait réussi. Il se glissait tout près de Bergamot, encore profondément assoupie. Il déposait un baiser sur sa tempe et plongeait son visage dans ses cheveux. Il voulait sentir le grain de sa peau, son odeur. Ce qu’il l’aimait, quand elle dormait si paisiblement. Elle lui rappelait la première nuit qu’ils avaient passé ensemble à Kearvaig, peu après avoir terminé Poudlard. Et à ses yeux d’amoureux, Bergamot n’avait pas changé. Plus de dix ans plus tard, le coin de ses yeux se plissait quand elle riait, et des lignes verticales s’étaient gravées entre ses sourcils parfois froncés, mais pour Mildred elle n’avait pas changé.
Il aimait se dire qu’il n’avait pas changé non plus, pour lui offrir ce si beau cadeau qu’elle lui offrait chaque jour, mais c’était faux. Mildred n’était plus le même que dix ans auparavant. Il avait été insouciant, intrépide, courageux, fou amoureux. Et au fil des années, il avait parfois senti le sol se dérober sous ses pieds, à ne plus savoir que faire. C’était un symptôme de l’héritage de son père, lui avait-on expliqué, mais il avait toujours refusé de l’admettre. Ça ne pouvait pas être aussi simple. Pour lui qui se retrouvait terrifié et abattu à l’idée que sa vie n’ait ni sens ni raison, son sang n’était pas une explication. Il se devait de trouver une réponse à tout cela, et il l’avait trouvée là où il avait toujours trouvé le bonheur : auprès de Bergamot, puis d’Ian.
Son secret pour se sortir de sa mélancolie d’une vie qu’il n’avait pas encore vécue, c’était sa famille. Cela avait toujours été le cas, et rien ne changerait avant bien des années. Il se glissa encore plus près de Bergamot et lui embrassa la joue. Sa main se baladait sur son ventre, elle remonta jusqu’à se loger sur l’un de ses seins. Il l’embrassait encore, il se fichait de la réveiller parce qu’il l’aimait. Il voulait sentir son amour. |
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