Son appartement à Brighton est à la hauteur de son nouveau salaire. Une vue imprenable sur la jetée et surtout, de l’air iodé matin et soir. Axel a tout pour être heureux, et pourtant, dès qu’il passe le seuil de sa demeure, il ne peut s’empêcher de broyer du noir. Tout, même une simple paire de chaussettes, le fait penser à sa famille. Il se sent coupable d’avoir laissé les siens. D’avoir abandonné cette femme qu’il aimera sûrement toute sa vie. D’avoir quitté la vie de ce fils souriant et joyeux, et de n’avoir jamais pris place dans la vie de cette enfant. Axel a longtemps critiqué son père et avait sincèrement espéré élever ses enfants comme sa mère s'était efforcée de s’occuper de lui avant de perdre la vie. Malheureusement, il marche dans les pas de son père, le surpassant même dans les actes.
Il a tourné le dos à sa famille pour les protéger. Il ne cesse de répéter ces quelques mots pour se rassurer et avoir la force d’affronter les regards des autres. Beaucoup le considèrent comme égoïste et dénué d’empathie. Ambitieux, il ne l’a jamais vraiment été, mais pour canaliser son père, il accepte de le devenir. A la Household Travers, il travaille dur, afin de gravir les échelons. Maintenant qu’il a tout perdu, rien ne compte plus que ce poste et sa future ascension.
Tel une marionnette, il mélange ses rêves à ceux de son père. Axel ne veut plus souffrir. Il met de la distance avec les autres. Plus il se détache, plus son sourire devient mécanique. Il a toujours su charmer les autres, une qualité que son père n’a jamais eu, mais qu’il a toujours convoitée. Quelque part, le français sait que son paternel a épousé sa mère car elle savait plaire et attirer la sympathie des autres. Une arme redoutable dans les affaires et encore plus au sein de la famille Travers qui à défaut d’être dans la sympathie, excelle dans la sournoiserie.
Le plan est clair. Obtenir la place de directeur. Pour y arriver, Axel doit gravir les échelons. Briller par ses actes et devenir, peu à peu, une évidence. Afin de ne pas éveiller les soupçons, il doit passer pour une personne inoffensive. Alors il travaille avec enthousiasme, tout en se pavanant tel un paon. Il joue l’épicurien, celui dont la bonne humeur ne peut être affectée, même par son changement de vie radicale. Il berne les autres par son jeu d’acteur. Pour autant, il sait que certains ne seront pas dupes. Il doute que son père baisse si facilement sa méfiance envers son fils rebelle, tout comme il doute que sa tante lâche l’affaire si tôt.
Seul dans son confort, il occupe sa pensée avec des livres qu’il n’apprécie même pas. La musique en fond lui rappelle son enfance en France, lorsqu’il avait encore sa tendre mère pour l’éloigner de son père. Au même moment, une lueur survient de la cheminée et il devine l'arrivée d’un membre de la famille. De toute manière, hors la famille, qui pourrait bien venir à sa rencontre après ce qu’il a fait à sa famille ?
Adèle ne tarde pas à s’annoncer. C’est grâce à elle qu’il est entré à la Household Travers. Elle ne le sait pas, mais elle a indirectement participé au plan de son père. Ironie du sort. Axel a toujours apprécié sa tante, pour autant, il refuse de lui montrer sa tristesse et reprend son sourire charmeur. « Adèle ! C’est toujours un plaisir de prendre les thé avec toi. » Il referme son livre peu intéressant et le laisse sur l’accoudoir du canapé. D’un pas sautillant, il vient à la rencontre de sa tante et lui offre une bise à la française.
« C’est l’air de la mer qui t’a donné envie de passer ? » Accueillant et surtout vigilant à l’idée de plaire, il l’aide à retirer sa veste afin de la poser sur un cintre. Sans attendre, il lance la bouilloire à l'aide de sa baguette, afin de commencer à préparer le thé. « Ca me fait plaisir de te voir. » Axel ne ment pas. Oui, il fait semblant que tout va bien, mais avoir de la visite lui fait du bien. Pour lui, c’est une occasion de penser un peu moins fort à sa famille. Il aimerait les oublier. Il a déjà pensé à les sortir de ses souvenirs, mais pour le coup, il trouverait ce choix bien égoïste. Axel n’a pas le droit des oublier. Il doit vivre avec ce fardeau et assumer sa décision.