Padma est seule. Affreusement seule. Elle ne l’a pas souvent été dans sa vie. Constamment entourée et protégée. Toujours au moins une épaule sur laquelle s’appuyer, toujours au moins une oreille pour l’écouter, toujours une présence à ses côtés. Ces dix dernières années, elle a été une solitaire, mais elle savait qu’il y avait toujours quelqu’un près d’elle, prêt à l’accompagner. Mais, le temps s’égrène et le nombre de ses connaissances aussi. Elle n’arrive pas à les retenir. Ils la fuient tous. Ils s’éloignent. Ils l’abandonnent. Comme un retour d’ascenseur. Comme si le karma lui revenait en plein visage. Elle a abandonné sa sœur et ses garçons, à son tour de l’être. Elle pensait avoir déjà payé sa lâcheté, mais il semblerait que non. Sa dette lui semble éternelle. Hannah qui a toujours été là comme une ancre, qui était devenue une véritable amie, sans doute sa meilleure et sa seule? Partie. Ernie qui savait ce qu’elle avait traversé et qui se trouvait dans une position semblable à la sienne? Parti. Terry qui est revenu dans sa vie comme une fleur, un triangle marron étampé sur la joue et qui l’a chamboulé beaucoup plus que de raison? Re-Parti. Mengwu a qui elle a donné sa confiance et son amour, qui a été une bouffée d’air frais qu’elle n’attendait plus? Parti. Sans parler des gens de passage à qui elle n’a jamais trouvé le courage ou la motivation de faire entrer dans sa vie.

Là voilà donc le premier janvier assise dans son canapé fixant le vide, nostalgique de ses amis disparus. Exactement dans même position que le soir du vingt-cinq décembre. Elle aurait dû être en train de danser avec son ancienne voisine. Elles ont parlé de la soirée du nouvel an lors de leur soirée pyjama et Pad se faisait déjà un plaisir d’aller s’amuser avec la poufsouffle, mais cette dernière avait changé de plan à l’avance. Sans avertissement et avec précipitation. Un simple parchemin griffonné à la va-vite glissé sous sa porte. Elle pourrait sortir, aller marcher, prendre un mocktail, prendre de l’air, voir des gens, mais elle en est incapable. Elle est collée à ce divan, immobilisée par une force invisible qui n’a jamais été aussi puissante. Jamais elle n’aurait pensé que sa vie prendrait cette tournure. Misérable, tétanisée, isolée. Une larme unique se forme sous son œil et glisse le long de sa joue devant cette constatation que sa vie est un échec qu’elle n’aurait pas pu prédire. Elle était pourtant vouée à un brillant avenir. Serdaigle de pacotille. Une deuxième, puis une troisième larme viennent rejoindre la première. Padma se laisse aller à sa tristesse. Puis, venant de nulle part, une pointe de détermination se montre le bout du nez. La voix de sa patronne s’insérant dans sa tête, juste avant le départ pour leur congé des fêtes. « Profitez en donc pour sortir, mademoiselle Patil, vous êtes pâle. » Oui. Elle décide d’écouter Rosemary. Elle doit en profiter avant qu’elle ne s’évapore. Padma se lève. Elle observe son appartement qui est dans un état lamentable. Elle doit sortir d’ici. Elle enfile des vêtements à peu près convenables, se coiffe d’un chignon décontracté, attrape son manteau, un bonnet et des gants et sans plus réfléchir sort à l’extérieur.

Elle se sent d’abord dépaysée, comme si elle ne comprenait pas ce qu’elle faisait là. Sa tête lui dit de rentrer, mais pour une rare fois depuis les dernières années, la belle ne l’écoute pas. Elle se rend au Chemin de Traverse, déjà très en fête. Sa capuche bien sur sa tête, elle se faufile parmi la foule. Elle est à l’extérieur, cela ne signifie pas qu’elle veut discuter. Elle voit au loin un chapeau avec une plume. On lui a déjà parlé de ce vendeur mystérieux qui n’apparait qu’aléatoirement, mais dont les potions hallucinogènes sont très fortes. En temps normal, elle aurait fuit dans la direction opposée au dealer, mais elle n’a pas le temps de réfléchir qu’elle se trouve devant lui et demande dans un murmure la plus forte de ses fioles. Il lui sort une au liquide argenté. Elle le paie et glisse le flacon dans sa poche. Une montée d’adrénaline fait battre son cœur à toute vitesse. Il y a longtemps qu’elle ne s’est pas sentie aussi espiègle. Plus de dix ans qu’elle n’a pas défier les règles et qu’elle est entrée dans les rangs. Elle n’est pas certaine d’avoir fait la bonne chose et elle a bien envie de tourner les talons et d’aller reporter la potion. Qu’est-ce qu’elle est entrain de faire? Il y a à peine vingt minutes, elle ne faisait qu’un avant son canapé. Une vraie loque incapable de bouger et maintenant, elle s’achète des potions illégales et dont elle ignore les effets. C’est insensé. Elle perd les pédales. Ça devrait la rendre malade, ce mélange d’émotion intense, cette humeur changeante qui s’empare d’elle, mais elle continue. Autant continuer dans l’absurde, autant s’enfoncer. Et elle fonce. Dans une dame qui se retourne pour vérifier qui est la malheureuse qui ose la déranger.

Le sang de Padma ne fait qu’un tour. C’est elle. Ce regard, elle ne va jamais l’oublier. Il la hante depuis le jour un. Il est la source de tous ses malheurs. Jusqu’à maintenant, son épouvantard était resté un songe, un cauchemar. Il n’était pas tangible. Il était dans son imagination. Elle se créait elle-même des peurs, mais Alecto est là, juste devant. Elle la fixe, mais n’a pas de réaction. Juste des gros yeux un peu ailleurs comme si elle était dans les vapes. La reconnait-elle? Au fond d’elle, Pad sait qu’elle doit filer pour ne pas lui donner la chance de réagir. Elle recule, la panique sur le point d’exploser, mais elle la retient de toutes ses forces. Elle la ravale. Pas question de faire une crise ici, devant le monstre. Elle fuit, surprise par ses pieds qui semblaient être collés au sol quelques secondes auparavant. Elle fuit sa nemesis, la foule, la panique et s’engouffre dans une ruelle pour reprendre ses esprits. Elle pleure en se frottant les mains de dégout d’avoir touché son bourreau. Ses doigts attrapent la fiole et elle la boit. Oublier. Tout oublier. Elle essuie sa bouche du revers de la main. Elle marche un peu au hasard jusqu’à tomber sur l’affiche lumineuse du Magic Casino Club et encore une fois, question de continuer cette soirée qui ne fait aucun sens, elle s’y dirige.

Pour la première fois, elle entre à l’intérieur. Elle se faufile parmi les joueurs, puis tout devient flou. Tout devient lent. Les clients prennent des formes bizarres. Elle se sent observée. Il y a des voix, des dents. La tête lui tourne et elle s’effondre.

Elle a l’impression d’être quelqu’un d’autre, qu’on a pris possession de son corps. Padma n’aurait jamais fait ça. Elle n’aurait jamais été de son plein gré se procurer une potion hallucinogène et ne l’aurait certainement pas bu d’un seul trait. Elle n’aurait jamais osé. C’est illégal. Et elle ne fait rien qui est passible de représailles. Elle a bien trop peur. Elle ne veut pas être remarqué. Elle veut être un fantôme qui suit une ligne directrice qu’elle ne dépasse jamais. Elle veut qu’on l’oublie. Elle veut être une ombre qu’on ne voit pas et qu’on entend pas. Elle veut faire ses petites besognes sans qu’on s’en rende compte. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait depuis une décennie. Elle frôle les murs et ne parle pas plus fort que les autres. Ça ne lui a pas toujours plu, elle s’est souvent sentie seule, elle a souvent eu l’impression être passée à côté des bonnes choses, même qu’elle a peut-être raté sa vie, mais c’est le prix à payer pour protéger ses proches. Se protéger. Et voilà qu’elle vient de détruire tous ses efforts pour une seule impulsion. Pour un seul moment de faiblesse, car oui, c’est bien elle qui a pris cette décision idiote. Elle voudrait croire qu’on l’a forcé, mais il n’en est rien. Elle est la seule responsable. Et elle le paie cher.

Padma a l’impression de nager. Ou de flotter peut-être. Elle se sent molle. Sa tête est lourde. Ses pas zigzaguent et elle ne les contrôlent plus. La musique lui donne mal à la tête. Il y a des gens partout. Ils sont bizarres. Ils ont des grandes bouches et des toutes petites têtes. Ils ont huit yeux et trois jambes. Elle devrait avoir peur, mais se contente plutôt de les dévisager. Elle rentre dans les créatures. On la repousse, on lui crie des choses dans une langue qu’elle ne reconnait pas. Elle rêve. Ça ne peut pas être vrai. Elle s’accroche. Elle a chaud. Elle a froid. Elle est perdue. Son estomac se tord. Elle a l’impression que son cœur s’arrête. Elle veut que tout s’arrête. C’est à cette pensée qu’elle se laisse tombée sur le sol. Elle entend des cris, elle voit des ombres se refermer sur elle. Comme pour se protéger, elle se déconnecte elle aussi.

Son esprit s’éveille doucement. Les bruits, les sons, les cris ont disparu ou du moins, semblent lointain. Elle est allongée sur un meuble plus confortable sur que le sol collant de la salle principale du casino. Elle sent quelque chose entre ses doigts qu’elle remuent. Elle sent une présence à ses côtés. Un souffle. Une odeur qu’elle reconnait. Puis, une voix qui lui brise le cœur. Elle se force à ouvrir les yeux, même si elle préfèrerait les laisser fermer à tout jamais. D’abord, il y a deux Mengwu. Elle cligne plusieurs fois des yeux pour n’en avoir qu’un seul. Elle a l’a l’impression de voir un prince charmant. Elle a soudainement honte. S’il y a bien une personne qu’elle  ne voulait pas qu’il l’a voit ainsi, c’est bien lui. À moins, qu’elle ne souhaitait que ça : qu’il l’a voit dans son état lamentable. Elle enlève sa main de sa prise en fuyant son regard. "Je suis désolée. " Semble la meilleure chose à dire dans les circonstances.