« ARRRHEUUUUUHA !* » entendit-on sur la plage. « ARRRHEUUUUUUUUUUU ARR ! » Tonitruant, le klaxon était reconnaissable entre mille. C’était le klaxon d’un très vieil engin moldu. Mais que faisait-il ici ?
Mildred l’entendit de dehors, alors qu’il avait les pieds dans la marée haute glaciale du mois d’avril. Il fit volte-face pour essayer de comprendre ce qu’il se passait, immobile et attentif. Ce n’était pas normal d’entendre ce genre de bruit chez lui, lui qui habitait si loin de tout. Il n’aimait pas cela, entendre autre chose que le bruit des vagues qui s’échouaient sur sa plage, ou la voix apaisante de sa femme, ou la voix rieuse de son fils. D’un coup, il était inquiet. Le « ARRHEU ARR ARR ARRHEUUUUUUHA » qui suivait venait de la maison. Mildred ne réfléchit donc pas un instant. Il laissa tomber sa tasse d’Earl Grey dans l’eau salée et couru pieds nus jusqu’à la maison. Quelque chose n’allait pas, il devait récupérer sa baguette.

« Ian ! Ian where are you ? » criait Mildred à peine eut-il franchi le pas de la porte. Il remplissait son entrée de sable, il allait se faire disputer s’il ne nettoyait pas cela très vite, mais il avait d’autres priorités. Où était sa putain de baguette ?!
« ARRRHEUU ARRHEUUUUHA ARREUHA » fit la cuisine, et Mildred s’y engouffra. A l’intérieur, il n’y avait qu’Ian. « Ian ! Are you all right ?! » lui demandait son père. « What’s going on ? » insistait-il, avec le ton inquisiteur qu’avaient tous les pères inquiets. « ARRHEUHA ARHEUUUUUUUHA ARR » fit Ian quand il ouvrit enfin la bouche, à un volume assourdissant. Mais si de sa gorge ne sortait que klaxon tonitruant, ses yeux exprimaient peur, inquiétude, avec un soupçon de culpabilité.

Mildred savait lire son fils peut-être même mieux qu’un livre ouvert. Sous les boucles indomptables qu’il avait volé à son père, il avait les yeux de biche de sa mère, miroirs de l’âme qui laissaient le loisir de s’y plonger pour en tirer les pensées exactes du petit garçon. Et pour savoir ce que pensait son fils, Mildred était imbattable. Et pire encore, il était influençable. Que le garçon soit heureux, et son père verrait la vie en rose. Qu'il soit triste et son père broierait du noir.

Mais là, l’enfant avait peur, et en un instant Mildred avait la boule au ventre. « Ian, what happened ? » demandait-il, s’approchant de son fils en le regardant droit dans les yeux. Et en guise de réponse, il n’eut qu’un « ARRHEUUUHA » court et gêné, et un doigt pointé vers la fiole vide qui roulait sur le carrelage de la cuisine. Sur l’étiquette, on pouvait lire « Huile de jonquille klaxonnante ».
Mildred s’immobilisa un instant. Il n’avait aucune idée des effets à long-terme de cette potion, il ne savait même pas qu’il en avait dans sa cuisine. Qu’est-ce qu’elle foutait ici ? A quoi servait-elle ? Mais il n’était pas quelqu’un à perdre son sang-froid trop longtemps, Mildred. Ni une ni deux, il ramassa la fiole de sa main droite, la fourra dans sa poche. De sa main gauche, il prit le bras de son fils qu’il tira derrière lui. « ARRHEUHA » protesta-t-il beaucoup trop fort. Mildred sauta dans ses pantoufles, lui qui avait toujours les pieds pleins de sable, mis enfin la main sur sa baguette qui traînait dans le salon, sorti de la maison avec son fils, et en un instant ils n’étaient plus là.

Sainte-Mangouste était toujours bondé. Il n’y avait jamais eu une seule visite pendant laquelle Mildred n’avait pas été pris de court par le peu d’espace que laissait cet endroit. A peine y avait-il apparu que son vaste chez-lui, sa plage déserte, lui manquait déjà. Les gens courraient partout, ils parlaient fort aussi. Mais pas aussi fort qu’Ian, qui ne manqua pas d’attirer l’attention des infirmiers et infirmières. D’un long « ARRHEEUUUUUUUUUHAAAA » il laissa derrière lui quelques instants de silence et un sifflement dans les oreilles de son père juste à côté de lui.

Rapidement, une infirmière vint les chercher et leur demander ce qu’il se passait. Et à peine eut-elle lu l’étiquette de la fiole que Mildred avait apporté avec lui que son visage changea du tout au tout. Ses sourcils se froncèrent, sa bouche se tordit en une moue exaspérée qui lui donnait un air pas franchement sympathique. A la voir, elle n’avait pas que cela à faire que de s’occuper de l’enfant malade, et autant dire que cela refroidit un peu le père. « What do you mean it’s not an emergency ? My son is honking ! ... How is this not dangerous ? What if he never stops honking ?… Oh it’s going to stop eventually… Well… Fine... Could we get something to make it stop faster, please ? »

Et voilà comment ils avaient terminé tous les deux en salle d’attente du service des empoisonnements. Le père en pantoufles pleines de sables et le fils qui klaxonnait. Ils faisaient la paire, à attendre leur tour pour que quelqu’un puisse permettre à son fils d’arrêter de faire le bruit d’un vieux tacot moldu…