tw: mention de bullying

Islene avait encore une vie, en dehors de la famille dont elle avait héritée. Suivre et gérer les tribulations de ses frères et de sa soeur lui prenaient un temps monstrueux, dévorant une partie de son quotidien à la fois chamboulé et familier, exhumé sans transition du passé – une partie à laquelle elle s’offrait avec un masochisme volontaire, savourant autant qu’elle détestait les altercations avec Isla et ses deux frères (Eomer, lui, restait fidèle à son rôle de fantôme).

Depuis des années, Rowan était une soupape facile vers laquelle Islene se tournait régulièrement – une véritable « bouffée de fraîcheur », comme elle l’appelait avec un sourire enjôleur (et faux), comme il était convenable de statufier dans le cadre de ces amitiés légères, où transpirait un net rapport de force aux yeux de Lean. Des restes de son séjour à la HEAD, sans doute ; elle s’était constitué un groupe de sorcières bien comme il faut à son retour à la maison, dont les membres avaient changé, au fil des rencontres (et des décisions parfois arbitraires d’exclure, comme au bon vieux temps, l’une d’entre elles).

Islene avait passé une cape d’un bleu turquoise et manqué d’ignorer la présence de Thain qui traversait le couloir de son pas traînant. "I will be out for the rest of the day," déclara-t-elle sans jeter un regard à son frère qui n’eut, en retour, pas l’air de l’entendre.

Elle transplana dans un craquement significatif sur le pallier du dernier étage, la lumière grise du temps d’hiver filtrant à travers la lucarne qui s’y trouvait. Islene toqua brièvement, replaça du bout de ses doigts gantées une boucle blonde à peine décoiffée par le transplanage, et posa ses yeux glacés sur Rowan lorsque la porte s’ouvrit sur elle. "Good afternoon, love", fit-elle en lui offrant un sourire qui ne grimpa pas jusqu’à son regard, avant de se pencher pour effleurer sa joue de la sienne en une bise plus élégante qu’elle n’était chaleureuse et franchir sans plus attendre le pallier pour pénétrer dans le studio de la présentatrice.

Ses talons firent grincer le parquet ancien, s’accordant avec la décoration pour le moins cosy de l’appartement : peu de décoration, si ce n’était une ribambelle de plantes en tout genre qui faisait se demander à Islene si Rowan n’avait pas un jour ambitionné d’être botaniste, ainsi qu’un assemblage de sécurité jurant sensiblement avec ce décor digne d’un cottage en plein Londres sorcier.

Le regard d’Islene embrassa rapidement ce décor familier, qui se trouvait immanquablement observé et jugé à chacune de ses visites comme s’il s’agissait de la première. "I bought a few treats on the way." Islene pivota et tendit à Rowan un carton de pâtissier paré d’un ruban violine, attendant qu’elle l’en déleste avant d’entreprendre de défaire l’attache de sa cape, son regard coulant sur la lignée de plantes installée près des hautes fenêtres et qui, en ce temps couvert, baignait sous le soleil factice d’un sort. "What a dreadful weather. Perfect for tea."

Quelques coups discrets contre sa porte d’entrée lui font lever les yeux vers la pendule qui semble s’être enfin décidée à se fixer à un mur. Depuis que les perturbations magiques frappent le pays, certains objets semblent n’en faire qu’à leur tête. L’autre jour, au bureau, il s’agissait des lampes qui s’étaient mises à se déplacer de pièce en pièce, comme si elles n’étaient pas satisfaites de leur emplacement. Dans son cas, il ne s’agit que d’incidents mineurs, même si la présence de moldus italiens sur le Chemin de Traverse quelques semaines plus tôt n’avait pas manqué de l’étonner ! Mais d’autres semblent avoir bien plus souffert des perturbations, d’après l’article qu’elle lisait sur l’une des applications de sa cristal avant d’être interrompue.

Islène est pile à l’heure, comme à son habitude. Un regard qui la détaille de haut en bas, le sien qui en fait de même, un sourire poli, une bise et le classique “Good afternoon.” Rien ne change de côté-là, et c’est tant mieux. Comme à son habitude, Islène laisse courir son regard sur les différentes étagères qui habillent les murs. Planches plus ou moins larges, d’épaisseurs variées, toutes soutiennent des touches de verdures et de couleurs. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’elle ait fait l’acquisition ou reçu en cadeau quelques nouveautés depuis sa dernière visite. Certains lui ont déjà fait remarquer que l’espace était peut-être trop chargé, elle le sait, et depuis plusieurs semaines, elle n’attend plus qu’une chose : son déménagement. Inès lui a assuré qu’elle allait lui trouver l’endroit idéal pour elle. Avec l’espace et la hauteur sous plafond pour ses plantes, bien évidemment ! Et si elle est chanceuse, ce sera dans l’un des nouveaux villages sorciers dont elle n’entend que du bien. Elle s’y voit déjà.

Rowan récupère la petite boîte cartonnée avec un sourire poli. “Aww, you shouldn’t have!” Assure-t-elle quand il aurait tout simplement été très mal vu, voire vexant, qu’elle se présente les mains vides. En bonne hôtesse, Rowan aurait bien évidemment sortie une boîte de petits biscuits achetés le matin même en prévision, mais elle aurait noté le faux pas d’Islene. Se serait probablement même régalée de pouvoir faire mieux lors de leur prochaine après-midi autour d’un thé.  "What a dreadful weather. Perfect for tea." Elle acquiesce, bien qu’on ne puisse pas dire qu’il y ait de mauvais temps pour prendre le thé, c’est en tout cas, ce que lui a toujours répété sa mère. Tout n’est qu’une question de prétexte.

D’un geste de la main, elle lui désigne l’un des fauteuils près de la table basse où les attendent déjà deux tasses encore vides. “Earl Grey? Green Tea? or maybe something else?” Elle lui présente un petit coffret en bois dans lequel reposent différents thés allant de parfums plus classiques à quelques fantaisistes. Alors qu’elle se saisit elle-même d’un sachet sur lequel on peut lire spiced winter tea. Un sort plus tard et l’eau dans la petite théière en fonte commence à chauffer. “I listened to your last show, the other day.” Elle écoute toujours, à ceux qui demandent, elle explique quand elle le veut, qu’il s’agit simplement d’avoir un fond sonore. A ceux qui la connaissent, elle ne s’embête pas à le faire. Ils savent qu’elle aime ce genre de contenu, même si elle n’osera jamais demander à Islène de lui faire une quelconque prédiction. Elle aurait trop peur qu’elle lui annonce quelque chose de mauvais – et elle a eu sa dose de mauvaises surprises. “It was pretty good. Hopefully, these people will soon have - .” Rowan s’interrompt pour fixer sa théière qui commence à sautiller sur la table basse. “Well, that’s new ...” Pas la théière, c’est un héritage familial. Mais le comportement de l’objet, lui, n’a rien d’ordinaire. Habituellement, lorsque l’eau arrive à la bonne température, elle siffle mais jamais, elle ne s’est livrée à ce genre de prestation. “Usually, it’s the clock.” Qu’elle commente avant de faire s’immobiliser la théière pleine d’eau bouillante, presque exaspérée par les perturbations magiques dont la capitale souffre de temps à autres. Il aurait été dommage que l’eau se renverse et ne vienne imbiber les pâtisseries ramenées par son invitée.