a little party
never killed nobody (?)

Assouan, EGYPTE - 1977

cw: léger mépris de classe, mention explicite
Le vent chaud d’Egypte vient caresser la peau pâle de l’irlandais, confortablement assis dans un fauteuil en lin blanc. Une clémence qu’il savoure en fermant les yeux derrière les épais verres noirs de ses lunettes. La gorgée de karkadai amplifie cette impression de fraîcheur qui le traverse de haut en bas, jusqu’à la pointe de ses pieds nus. Ils se sont couchés à l’aurore mais le voilà déjà debout, frais comme un gardon (l’illusion est en tout cas parfaite, nonobstant ce troisième verre de thé à l’hibiscus qu’il dose à chaque fois de quelques gouttes de potion - soi-disant anti gueule de bois, mais il se demande s’il ne s’est pas fait arnaquer, et si c’est bien le cas, alors chapeau bas au marchand pour cet exploit).

Un peu plus loin, en contrebas de l’hôtel de luxe dans lequel ils séjournent, passent deux felouques et trois oiseaux du Nil. Il les contemple un moment, absorbé par la délicatesse de leurs mouvements et la douceur des reflets matinaux embrassant l’eau, les coques, et les ailes animales. Soupir. Le contentement qui l’étreint lui pourrait être celui d’un romantique s’il n’était pas déjà la vanité personnifiée. Qu’il est bon d’être riche. De vivre d’hédonisme et de karkadai frais, à des milliers de kilomètres de la grisaille londonienne et des champs boueux d’Irlande.

"Sir?" Djehuti est apparu derrière les hautes colones en marbre de la terrasse, l’air contrit. Il prend ses responsabilités de valet au sérieux, ce que Glenn, européen progressiste et non moins technocrate, sait apprécier. A fortiori qu’il a confié à Djehuti une tâche des plus sensibles : sortir Aphrodisia Avery, excusez, Fawley (il ne s’y fera jamais) du lit, au lendemain d’une soirée arrosée. "She refuses to get up." Glenn joue les étonnés. Il se fend d’une expression désolée à l’endroit du valet. "Does she now?" Puis se replonge dans la lecture de son journal. "As in: she wants to stay in bed? Or as in: she wants to fool around with her lovers a little longer?" Le silence qui s’ensuit oblige Glenn a lever le nez de ses articles nationaux (qu’il s’efforce de ne pas traduire magiquement, ce qui rend la lecture particulièrement laborieuse, précisément au lendemain d’une soirée arrosée). Djehuti est penaud. Le rouge lui est monté au joues. "Oh come on, don't be embarrassed, one must have some fun once in a while, right?", dit-il avec légèreté, sans tout à fait savoir à quel point son amie et mère de famille a poussé le vice - il se souvient de ces quelques invité.e.s avec qui ils sont revenus de la fête éminemment luxueuse (dans tous les sens du terme) mais le reste est assez flou. Il s’est lui-même réveillé aux côtés d’une héritière locale dormant comme une souche sans savoir s’il l’avait assommée de prouesses sexuelles, ou de monologues passionnés sur la politique 'fantasque mais audacieuse' du Ministère de la Magie Egyptien (très probablement la seconde option, attendu qu’il est encore plus bavard ivre que sobre, et qu’il s’est surtout réveillé habillé - ce qui n’était pas le cas de mademoiselle mais ne poussons pas plus loin l’enquête).

"I--I think she wants to stay in bed…? - That’s adorable. Please try again. Here", il se penche de côté pour sortir de sa poche de pantalon beige une liasse de laquelle il tire quelques billets qu’il tend ensuite à Djehuti, "I’ll double your bonus if you make it happen." L’argent est récupéré sous une paire d’yeux ronds. C’est déjà beaucoup : le double sera énorme. "Right away sir!" Djehuti s’éclipse avec la rapidité d’un ethonan dopé (il en sait quelque chose, certains paris hippiques du gang reçoivent parfois l’un de ses fameux coups de pouce). Il sourit. "Attaboy." Se ressert un verre de karkadai avec double ration de potion. Le Shedeh frappe deux fois, leur a dit leur hôte d’hier soir, Rensy, fils de l’illustrissime Ouadji Hamnep, Archimage du Temple de Rê (un aréopage de maîtres runistes mondialement connus et paradoxalement très secrets dont la fonction primaire est de protéger le savoir ancien). La première, quand on le boit. La seconde, quand il nous envoie dans la tombe. Glenn a pris ça pour du bluff, s’est dit qu’au pire, rien n’égale le caractère bien trempé de leur firewhisky : grave erreur.

"Ah!" Aphrodisia lui fait enfin grâce de sa présence. Il repose son journal, se lève, camoufle son tournis derrière une suite de pas souples, et tire la chaise identique à la sienne avec force galanterie (non sans discrètement glisser le bonus supplémentaire promis à Djehuti - brave garçon, il a fait montre de courage). "I'm delighted to see you awake dear." C’est en effet heureux et à l’entendre il n’y est pour rien. "Don't mope, I've got a surprise for you." Il se rassoit tranquillement et sert un verre de karkadai à Aphrodisia sans se départir de son fin sourire tant charmant que félon. Sans s’attarder sur les corps qui traînent dans leurs couches respectives et les folies probables qui ont été faites dans la nuit, il précise. "Remember Rensy, from last night? And that story about the Apophis tomb that his father and associates recently discovered? And how secret and impossible it is to visit?" Glenn se souvient des insultes qui se sont ensuite abattues sur Rensy ('la faute au Shedeh', s’est excusé Glenn, emmenant avec lui une Aphrodisia remontée - et en effet déjà bien frappée). "Well." Il congédie Djehuti d’un petit signe de main. "I know someone who can give us a tour." Glenn connaît toujours quelqu’un. Pour vous faire entrer dans les soirées les plus mondaines qui soient où même un Malfoy serait toisé de haut en bas. Pour vous dégoter ce grimoire que les historiens les plus férus pensaient perdu à jamais. Pour vous obtenir un accord dérogatoire contre lequel aucun juge du Magenmagot ne peut rien faire.

Coup d’oeil à sa montre hors de prix. "He’ll be here in an hour." C’est extrêmement généreux et habile de sa part ; il ne s’en cache certainement pas, si bien que, même sous lunettes noires, son regard transpire d’orgueil. Mais tout n’est pas toujours une question de vanité. S’il est vrai qu’il aime et nourrit cette compétitivité dont leur amitié est faite, il estime aussi Aphrodisia (à un niveau qu’il s’avoue en revanche difficilement, car ce serait aussi s’avouer le regret ne pas être celui qui peut parler d’elle comme de son épouse). Il espère que cette expédition improvisée la changera de son quotidien morne où son potentiel gît entre des couches pleines qu'il faut changer et des repas pour monsieur à préparer. "That should give us enough time to get ready, and…", il tourne le visage vers l’intérieur de leur suite de luxe, le sourire éfilé, "dismiss our guests." Ses lèvres se pincent cependant en un ersatz de grimace. "Mine is dreadfully lazy", se plaint-il, d'ores et déjà ennuyé par l'effort qu'elle va lui demander. Peut-être demandera-t-il à Djehuti de s’occuper de ce cas-là aussi… Il tourne la tête vers Aphrodisia, sirotant d’une main son verre de thé frais, et de l’autre lui passant la potion (bof magique). "Yours?"