Elle avait voulu y croire, genre vraiment y croire. A quoi ? Qu’une instance supérieure la détestait au point de lui rendre la vie impossible de jour en jour. Mais elle avait fini par se résigner. Y’avait forcément quelque chose, quelqu’un pour tirer les ficelles de tout ce beau bordel. A quoi tout cela rimait sinon. Noël était passé, elle avait souri comme si de rien n’était, comme si elle s’estimait chanceuse d’être en vie. Elle avait souri, parce que c’est ce qu’on fait quand on est une fille bien élevée, quand elle avait eu ses quelques cadeaux. Elle repensait à ses parents. Le premier Noël qu’elle passait loin d’eux, sans eux aussi. Mais chaque jour un peu plus, elle se répétait qu’elle avait pris la bonne décision que de partir. Elle savait qu’elle finirait par trouver. Ni où, ni quand, ce n’était que des données abstraites pour le moment mais elle gardait cet espoir au fond d’elle, il était ce qui l’empêchait de sombrer petit à petit dans la folie. Et puis après Noël, c’était la nouvelle année. Aujourd’hui précisément, le premier janvier deux mil huit. Bonne année Jillian, bonne année tout le monde et puisse le sort vous être favorable. La vie était devenue un immense terrain de jeu dont elle ne maîtrisait pas les règles. Pas très fairplay tout ça. Mais au moins, elle ne passera pas la soirée toute seule, elle avait Azaël. C’était pas toujours facile d’avoir des amies dans ce monde compliqué mais elle, au moins, Jill savait qu’elle posait pas de questions, comme elle ne lui en posait pas. Elles pouvaient se plaindre l’une comme l’autre, ça faisait toujours un bien fou. Azaël, c’était son remontant à Jillian. Suffisait de l’apercevoir pour avoir aussitôt le sourire, comme en cet instant. Elle est là, à Heisenberg alors que c’est la Fawkes son domaine. Il arrivait à Jillian de faire des exceptions et de sortir en territoire inconnue mais quand Azaël acceptait de se déplacer, c’était tout aussi bien. L’américaine lâchait un rire, ne perdant pas pour autant son sourire. « Je te rappelle que je suis américaine. Noël, c’est un peu comme une religion chez nous. Et il n’était pas question de tout défaire dès le vingt-six, faut pas plaisanter avec ça. » Ce qu’elle ne dit pas, c’est que toutes ces décorations lui font du bien. Ca lui rappelle la maison et combien elle pouvait être heureuse, avant, il y a trop longtemps. Un voile de tristesse passe dans son regard mais elle le chasse rapidement en voyant tout ce qu’Azaël a ramené. « Ca va, t’en fais pas, je mange de tout. Je suis pas difficile, tant que c’est bon. » Et des bons repas, c’était pas toujours facile d’en avoir ou d’en trouver alors quand elle le pouvait, elle ne se faisait pas prier pour manger, un peu trop parfois mais ça faisait du bien. « Bonne année… ouais… c’est con tu ne trouves pas. Chaque année on se dit ça et chaque année, y’a une tuile voire plusieurs qui nous tombent dessus. On devrait changer le rituel. Dire autre chose. » Elle commençait déjà philosopher alors que la soirée ne faisait que commencer, qu’elles avaient pas encore bu une goutte d’alcool. « Ne me regarde pas comme ça, je suis sérieuse ! Quand une personne m’agace, je lui dis pas bonne journée, je fais pas la faux-cul. Je lui souhaite la journée qu’elle mérite. Ca devrait être pareil avec les années. Et avec tout ce qu’on a subit, on mérite une année calme, sereine, positive, pleine de bonnes choses. Alors Azaël… » Elle fait une pause, non sans retenir son sourire, à la limite du rire qui pointe de bout de son nez. « Je te souhaite l’année que tu mérites d’avoir ! » C’était dit et au fond d’elle, elle espérait que son amie aurait la meilleure des années possible.

Au moins, tout ce que pouvait dire Jillian avait le mérite d’être clair. Elle n’allait pas par quatre chemins pour formuler sa pensée, c’était inutile. Et puis avec Aza, ça l’était d’autant plus. Dès le début, le feeling était plutôt bien passé entre elles deux. Sinon, Azaël ne serait pas là en ce moment, en train de l’écouter blablater sur le coup du destin, sur le karma et d’en rire. Ca vexait pas l’américaine, fallait dire qu’elle avait des propos très clairs et directs. Elle observait un moment son amie avant de finalement hausser les épaules. « L’avantage d’être potionniste tu sais, c’est que la magie est un peu secondaire. On est tous capable de mettre des ingrédients dans un chaudron quand on suit une recette à la lettre. Après, niveau sécurité… je sais pas trop, j’ai préféré ne pas trop demander, j’allais encore flipper à l’idée qu’on vienne me kidnapper dans mon sommeil. » Elle voulait en rire et pourtant, elle était tout ce qu’il y avait de plus sérieux dans ce qu’elle racontait. Elle était peut-être une sorcière mais ça ne voulait plus rien dire à l’heure actuelle elle avait l’impression. C’était comme si ses pouvoirs n’étaient qu’une option qui aurait par chance été activée. Et que l’option pouvait être enlevée à tout moment. Elle soupirait, sortant de ses pensées pour se concentrer sur Aza. Là, ça l’intéressait. « Tu sais très bien que je ne peux pas résister à un bon restaurant. Mais… » Jill hésitait un instant, se mordant la lèvre comme si ça allait faire s’envoler tous ses doutes. « T’es sûre qu’on pourra ? Je veux dire sans surveillance, sans escorte, sans que sais-je encore. » Jill poussait de nouveau un soupir. Elle se sentait si naïve de parler ainsi, de donner l’impression de ne rien connaître et parfois, elle regrettait presque son pays natal, là où elle n’avait pas toutes ces craintes à avoir.  « Je serais ravie de pouvoir faire du shopping avec toi… tu sais que je ne sors pas beaucoup d’ici, ou en tout cas, seulement quand c’est nécessaire. » De nouveau elle se mordait la lèvre avant de croquer dans elle ne savait trop quoi de délicieux pourtant. « Ma dernière sortie, c’était pour voir ton frère. Et ça ne s’est pas éternisé. J’ai l’impression de ne pas avoir le droit en fait, que quelque chose peut mal tourner à chaque instant. Je suppose que c’est parce que je n’ai pas encore l’habitude et que si j’apprend ça ira mais… je ne sais pas comment l’exprimer, c’est plus fort que moi. Je vais marcher dans la rue et me retourner toutes les trente secondes. » Elle se laissait tomber de tout son poids sur le canapé le plus proche dans lequel elle restait affalée pour un moment, comme si c’était la position qui allait faire redevenir le monde comme il était avant. « Tu vas finir par me prendre pour une dingue et par ne plus vouloir me voir. » Cette fois-ci, elle riait de ses paroles, espérant au fond d’elle, qu’elle n’était pas la seule à ressentir ou à avoir déjà ressentis cela.

Bien qu’elle essayait d’être la plus sérieuse possible, elle avait du mal à garder son calme et son visage impassible quand tout dans les propos d’Azaël était fait pour la distraire. Elle se saisit alors de la première chose qui lui passait sous la main, un petit coussin, qu’elle n’hésitait pas un instant à lancer au visage de son amie. Elle n’avait pas de rancune Jillian, elle avait juste besoin d’évacuer ses craintes, de pouvoir se livrer sans craindre un quelconque jugement. Ce n’était pas avec tout le monde que ce genre de chose était possible et elle espérait que cela pourrait durer encore longtemps ainsi entre elles deux. Lorsqu’elle vivait encore aux Etats-Unis, Jillian n’avait jamais eu à avoir peur de quoique ce soit. Elle pouvait sortir quand elle le voulait, n’avait pas besoin de se retourner dix fois quand elle marchait dans la rue pour vérifier qu’elle n’était pas suivie ou qu’on n’allait pas l’attaquer au détour d’une rue. C’était ça la liberté, quelque chose qui lui manquait très franchement et aujourd’hui, elle payerait cher pour retrouver un semblant de cette liberté. Ici, au Royaume-Uni, tout était bien plus sérieux, bien plus strict et surtout, bien plus régit par des règles dont elle n’avait pas encore le secret. Parfois, elle avait même l’impression qu’il lui fallait demander l’autorisation si jamais elle désirait aller aux toilettes. Ce qui, il fallait bien le reconnaître, était totalement absurde. Quand elle entendait les réponses d’Azaël, Jill se sentait tout bonnement stupide d’avoir pu imaginer toutes sortes de complots, que ça soit à son égard ou simplement en général. Mais quid des autres, de ceux qui n’étaient pas vraiment fréquentables dans ce monde et qui, elle ne se voilait pas la face, voulait sa mort bien qu’ils ne la connaissent pas. Voilà les mots justes, ils ne la connaissaient pas après tout alors comment pouvaient-ils savoir quoique ce soit la concernant, notamment qu’elle ne les soutenait pas ? Jillian réfléchissait beaucoup trop et ça se voyait quand elle commençait à avoir le regard dans le vide et à se mordre la lèvre. Il fallait qu’elle passe à autre chose, pour son propre bien mais aussi pour le bien de son amitié avec Azaël et de cette soirée entre filles. Alors, Jill lâchait un léger rire, une phrase un peu bâteau en se passant la main sur la nuque, un peu gênée d’être aussi angoissée par tout ce qui se passe. Azaël avait raison, elle avait besoin de prendre l’air et rapidement. « Pourquoi tu voudrais que j’aille demander quoique ce soit à ton frère ? Ca ne s’est pas forcément super bien passé la dernière fois que je l’ai vu… » Une grimace tordit les traits de Jillian au souvenir de sa dernière rencontre avec le frère jumeau de son amie. C’était un peu comme mélanger de l’huile et de l’eau, c’était pas forcément très concluant. Et pourtant, on aurait pu croire l’inverse quand on savait qu’ils évoluaient tous les deux dans le même domaine. Mais non, trop semblables, il fallait croire. Jillian hochait la tête et finit par lever les yeux au ciel aux propos de son amie. Aza avait de la chance que Jill ne soit pas du genre à se vexer trop facilement quand elle était en bonne compagnie, cette discussion aurait rapidement pu virer au drame dans le cas contraire. « Donc je note, ne pas attendre d’autorisation de Sofia ou Kingsley, penser à ma santé mentale et surtout, surtout ne jamais te parler de choses aussi sérieuses sous peine de te voir te moquer ! » Évidemment que ce n’était pas fait en pensant à mal et en prononçant ses mots, Jillian tirait la langue à son amie. Ca faisait du bien une fois de temps en temps de ne se soucier de rien, de donner l’impression que tout était normal, à l’intérieur comme à l’extérieur bien qu’elles sachent toutes les deux que ce n’était pas vrai. Alors que Jill allait se servir un truc à manger dans ce qui était posé devant elle, son geste fut arrêté en plein milieu. « Pardon ? » Ce fut bien tout ce qu’elle fut capable de dire, ça et de regarder Azaël comme si elle venait d’une autre planète. « Non mais il fait super froid pour sortit maintenant. Et et.. et notre soirée, hein ? Tout était bien prévu, bien réglé. » En réalité, elle essayait de trouver n’importe quelle excuse pour rester à l’abri des regards, à l’abri de tout pour ne pas avoir peur que quoique ce soit arrive. Et la panique devait se voir sans grand mal dans son regard à en croire la réaction d’Azaël et les paroles rassurantes qu’elle prononçait. « Je reste convaincue que deux jeunes femmes, seules en pleine nuit, dans des rues pas du tout sûres, c’est absolument, certainement, irrémédiablement et tous les trucs en -ment que tu voudras, pas une bonne idée. » Et pourtant, malgré toutes les pensées contraire que son esprit lui envoyait, Jillian était debout, avait enroulé son écharpe autour de son cou et commençait à chercher son manteau du regard, bien plus emballée par cette idée de sortie nocturne qu’elle ne voudrait bien l’imaginer.