juin 2006 | Jeju

Les bulles s'accumulent à la surface avant que la brune ne crève l'étendue d'eau, la gorge en feu d'avoir trop retenu son souffle. Elle se laisse tomber sur le dos, bras en croix, regard tourné vers le ciel sans même avoir ôté son masque  et respire profondément. Le filet accroché à sa ceinture de plombs est rempli de coquillages mais aussi de déchets. Les humains sont des porcs, hypothèse plus que confirmée par les années. Quelques minutes s'écoulent avant que Dan-bi ne bouge enfin, fatiguée de sa longue matinée passée sous l'eau. Il est dans les treize heures semble indiquer le soleil. Elle enlève son vieux masque de ses yeux pour le laisser autour de son cou avant de prendre la direction de la plage. Aegiya l'y rejoint comme à son habitude et Dan-bi ouvre son filet pour donner à l'oiseau le poisson qu'elle a spécialement péché pour lui. D'autres goélands les rejoignent en piaillant, jaloux du traitement de faveur et ne récoltent que le rire de Dan-bi. Elle les adopterait bien tous mais n'est pas certaine que sa fille accueille si bien que ça la nouvelle.

Ses affaires - y comprendre une serviette, un maillot sec, une robe de plage et une paire de tatanes - sont planquées derrière un rocher. Elle s'y dirige d'un pas trainant, pas encore tout à fait repassée en mode terrestre. Elle tangue un peu, sa combinaison chauffe sous le soleil et colle à sa peau. Dan-bi se dépêche de l'enlever pour sécher allongée sur sa serviette.   Programme interrompu par l'arrivée d'un homme aux traits familiers (comme tous les habitants du coin sont familiers). Il est à bout de souffle, semble plus que préoccupé et ne prend même pas la peine de la saluer. "Y a un problème avec ta fille !" Instantanément la brune se redresse sur sa serviette, sang qui ne fait qu'un tour. "Elle s'est frittée avec un bateau de touristes et s'est faite embarquer !" Eclat de rire de Dan-bi alors que ses inquiétudes s'envolent. "Encore ?" répond-elle, mi-blasée, mi-amusée alors que l'homme face à elle ne semble pas du tout voir voir la partie amusante de la situation. "Ca va, ça va, je vais la chercher." Elle finit de se sécher d'un geste de la main, peau et cheveux encore salés de la mer (elle aime bien la sensation) et enfile tranquillement sa robe avant de se mettre en route vers la cahute qui sert  de QG à la police des plages.  

L'accueil qu'on lui fait est mitigé, policier un peu gêné de traiter la fille Choi en délinquante alors que Dan-bi a été en primaire avec lui. Il la mène jusqu'à Iseul qui est assise devant un agent que la sorcière ne connait pas (un nouveau du continent ?). Elle le salut poliment avant de se tourner vers sa fille pour s'adresser à elle en jeju (au regard interloqué de l'homme, elle le classe définitivement dans les continentaux). "Qu'est-ce que tu as fait cette fois ?" Pas une once de reproche dans la voix, plus de la curiosité complice (pour le rôle de la mère autoritaire, demander tout le monde à part elle). Elle s'assoie aux côtés de sa fille avant de toiser le policier qui se met à s'exciter sur le sujet de l'irrespect. Son collègue - celui que Dan-bi connait - semble vouloir disparaitre à l'autre bout du monde et trouve son échappatoire en offrant d'amener des boissons ce qui outre le premier. On n'a pas idée d'être aussi accueillant avec des délinquants.

Y'en a beaucoup qui disent que la méthode forte, ça fonctionne pas. Mais toi t'es sûre qu'à force de passer par les petits chemins de diplomates, on va nulle part. Y'a qu'à voir : ces touristes-là, ils ont rien comprit, depuis le temps qu'on le dit ! Ne pas jeter. Y'a des poubelles pour ça. C'est quand même pas compliqué ? Mais tu continues à retrouver des déchets flottants au large, et même que maman en ramène encore plus en remontant des fonds. Vraiment, heureusement que t'avais pas été en train de faire ton petit rorqual, parce qu'ils auraient prit cher !

Plus cher qu'ils ont déjà prit, on va dire.

Y'a des fois où ça passe mieux, on dira. Mais là, c'était trop. Ca faisait deux semaines que tu faisais guide touristique pour pouvoir présenter ton chez toi aux continentaux, aux chinois, japonais, et même à des touristes venant d'au-delà de l'Asie de l'Est. C'était déjà pas mal d'essayer de leur montrer ce petit bout de paradis, pas vrai ? Tout en te disant qu'ils allaient forcément participer à sa destruction lente et progressive, par leur seule présence. Vraiment, c'était à double tranchant cette histoire, et t'avais pas besoin d'avoir tes ASPICs pour pouvoir comprendre. Tout ça pour essayer de les sensibiliser, pour qu'ils comprennent, pour qu'ils préservent eux aussi ce trésor qui est si important pour toi. Tu ne leur demandais pas de remercier Yeongdeung comme tu le faisais, hein. Tu leur demandais juste de ne pas jeter leurs déchets, de ne pas marcher sur les plages interdites, de ne pas faire vrombir leur moteur dans les zones fragiles, de ne pas fumer près de...

Mais t'en as vu un jeter son mégot dans la flotte, juste là, sous ton nez, et ça t'a mise hors de toi.

Sans transition aucune, tu lui as hurlé dessus quelque chose comme "Hé toi connard" dans un jeju parfait, et à en voir sa tête, il n'a pas comprit un seul mot de ce que tu disais. "Toi piece of sh*t !" mélange de coréen et d'anglais, à défaut de savoir mieux faire dans ces conditions. Tu l'attrapes par le col et tu le secoues, tes petits yeux lançant des éclairs. La petite foule dont tu t'occupais sont un peu interloqués, pour ne pas dire inquiets. "T'AS CRU QUE T'ETAIS DANS TA VILLE DE MERDE ?? TU VIENS D'OU ??? T'ES QUI ????" à en voir sa tête, il a comprit mais il est surtout prit par une émotion toute particulière, coincée entre la peur et la révolte ravalée. "Mlle Choi !" te hèle le pilote. Faut jamais t'appeler comme ça. "Calme-toi Iseul ! - (ça, c'est le vrai guide touristique qui te tutore) - NON J'ME CALME PAS" que tu brailles en poussant le jeune homme, sans le lâcher, suspendu dans un air d'anxiété et iodé. Bref, en gros, ça s'est passé comme ça, on vous a séparé, et voilà.

Non, en fait, tu l'as vraiment poussé dans l'eau, puis une fois accostés, tu as été chaleureusement accueillie par la police des plages (non). Petite brigade qui te connaît bien, depuis toutes ces années à maltraiter les touristes mal éduqués. La légende raconte que ton soupir a été entendu à 1km à la ronde. Il n'y avait plus qu'à prier pour que cette tête de con de touriste n'ait pas l'idée saugrenue de porter plainte, parce que là, maman sera vraiment très en colère ; et tu voulais pas dire ça à tonton quand il reviendra.

Donc, t'as passé un sale quart d'heure.

"Mlle Choi." regard un peu en l'air, les bras croisés, tu fais mine de ne pas vraiment entendre ce Mlle Choi que tu singes par un jeu de lèvres et une grimace équivoque, dès que l'agent a le dos tourné. GneugneugneuChoi. "J'parle que si y'a ma mère" répètes-tu pour la quatrième fois. Alors ils sont allés chercher ta mère, hein, bien sûr, parce que t'as quand même un minimum d'autorité sur cette île depuis le temps (non plus). En vrai, c'est surtout parce que y'avait qu'elle pour te sortir de là sans trop de problèmes.

"Steplaît dis-lui que vraiment le touriste il a abusé de ouf" minaudes-tu en jeju à l'agent que tu connais que trop bien - tu vois très bien comment il regarde maman, tu t'es même demandé un jour si c'était pas lui ton père ; juste avant qu'il ne parte aller la chercher. Il n'a pas dit oui, pas dit non, a fait genre c'était un truc pas important, histoire de ne pas se taper la pire discussion du monde avec son collègue continental en revenant. Collègue qui, on s'entendra, n'a rien comprit.

Et ça ne lui plaît pas.

Pendant le laps de temps où il a galopé pour aller chercher ta mère (berk si ça se trouve il va la reluquer si elle sort de l'eau ??? c'est l'heure, elle va bientôt manger)(enfin vous devez manger ensemble surtout) y'a l'autre qui te fait la morale en disant qu'il faut pas parler comme ça, que la violence c'est mal, que c'est grave, que c'est puni par la loi... "Ouais ben jeter un mégot dans la mer c'est aussi puni par la loi !!!!! Vous faites quoi là vous l'avez puni lui ??? J'le vois pas l'autre !!!!!!!!" laisses-tu échapper, te laissant retomber contre le dossier de ton siège, bras encore plus croisés que jamais. Il a le sifflet coupé, et c'est pile le moment rêvé pour que Dan-bi fasse son entrée.

Tu te fiches bien des politesses qu'elle lui rend. Tout ce que t'entends c'est le rire retenu dans ses mots : "Qu'est-ce que tu as fait cette fois ?"
Soupir.
Tu pivotes avec excès dans sa direction, avec les jambes en prime, sur ta chaise. Les bras toujours croisés. La mine renfrognée. Et un regard qui a envie d'éclater de rire, alors qu'il s'aimante à celui de sa mère. Mais faut avoir l'air triste et pas contente d'abord, c'est comme ça que ça marche par ici. Manège bien rôdé s'il en est. "Ouais ben y'a un touriste j'étais en train d'expliquer à tout le monde c'était quoi l'endroit hé ben il a lâché son vieux mégot dans l'eau genre comme si j'allais pas le voir ???" l'audace. Et à en voir l'éclat du regard de Dan-bi, elle doit se demander comment t'as fait pour pas le taper. Le secouer et le jeter dans l'eau, c'était plutôt gentillet. "Du coup ben, je me suis énervée, je l'ai un peu secoué, je lui ai demandé d'où il venait comme ça lui pour faire ça, puis après j'avais plus de force et je l'ai lâché et il est tombé-- - Dans l'eau" appuie l'agent, le plus gentil des deux (enfin, le plus corrompu aussi, quoi). Tu te retournes vers l'agent et fait une comédie vaguement convaincante : "Mais j'ai pas fait exprès !!!! Vous avez vu mes bras non ?? Sont tout petits !!!!" des bras de haenyeo en herbe, mais c'était pas obligé que le continental le sache, pas vrai ? Le gars était plus grand que toi, et les gars croient toujours qu'ils sont plus forts que les filles. Alors que là c'est toi qui était plus forte que lui. Il te croira forcément !

"J'te jure maman" ton ton s'est un peu adouci, et tu baisses la tête en regardant tes jambes qui se balancent un peu nerveusement. "J'vous jure m'sieurs les agents..." Bon, à ce stade, tu sais pas trop ce que tu pourrais dire de plus pour ta défense.

Avec un rien de nonchalance, Dan-bi accroche sa combinaison au porte-manteau des lieux, pose son filet juste en dessous si bien qu'une flaque se forme au sol. Le regard du policier inconnu vire au furibond, Dan-bi ne relève pas, s'octroie même la chaise la plus confortable. Ici, la loi ne dépend pas des gens du continent. "Ouais ben y'a un touriste j'étais en train d'expliquer à tout le monde c'était quoi l'endroit hé ben il a lâché son vieux mégot dans l'eau genre comme si j'allais pas le voir ???" Grimace, claquement de langue réprobateur. "Un mégot ?" en question rhétorique avant que son regard ne passe au policier. "C'est cinq cents litres d'eau pollués, vous savez ?" explique-t-elle parce que les étrangers ne connaissent rien à la mer. D'ailleurs, le ton monte à la fin de sa tirade. Un peu agacé, un peu outré, faut dire que ça fait des années qu'il y a des campagnes de prévention, que l'on distribue des cendriers de poche, que l'on prie pour que les fumeurs qui jettent leurs clopes n'importe où meurent vite d'un cancer.

"Du coup ben, je me suis énervée, je l'ai un peu secoué, je lui ai demandé d'où il venait comme ça lui pour faire ça, puis après j'avais plus de force et je l'ai lâché et il est tombé-- - Dans l'eau" Sourire radieux au policier qui revient et qui lui donne la tasse de thé la moins ébréchée du commissariat. Dan-bi hoche la tête. Une chute dans l'eau, ce n'est vraiment pas grave. "Mais j'ai pas fait exprès !!!! Vous avez vu mes bras non ?? Sont tout petits !!!!" Le rire est réprimé de justesse. Bien sûr que les bras d'Iseul sont tous petits, c'est son bébé, elle sera toujours toute petite dans l'esprit de Dan-bi (mais costaude, comme toutes les haenyeo et sa mère en est fière). "J'te jure maman." Toute la vérité, rien que la vérité, hein ? Elle est à peu près sûre que la chute dans l'eau n'était pas accidentelle mais très méritée. "J'vous jure m'sieurs les agents..." Le regard de Dan-bi passe du visage de sa fille à celui de son ami. "Ce n'est pas bien grave Ji-woo, si ?" qu'elle demande en jeju.

Le policier délaissé écume sur sa chaise, farfouille ses dossiers avant d'en sortir un qu'il laisse tomber théâtralement sur le bureau. Les adultes (l'enfant aussi certainement) ont la mine blasée. "Comprenez bien que le problème est que c'est loin d'être la première fois que cette jeune fille a des accrochages avec les touristes. Cela ne peut pas durer !  - Et je suis tout à fait d'accord avec vous !" L'haenyeo a l'air énervée si bien qu'il se dit que ça y est, la mère a retrouvé ses esprits et la petite brute va devoir assumer. Ji-woo ne sait que trop bien ce qui se prépare et semble hésiter à retourner chercher du thé. "L'irrespect des touristes est une honte et il faut y mettre un terme ! Ils saccagent notre île en toute impunité, polluent nos eaux et se fichent bien d'ancrer dans les aires protégées ! Vous savez combien d'algues sont arrachées dans ce genre de manœuvres ? Connaissez-vous au moins l'importance de ces habitats pour la biodiversité ?" L'agent fait non de la tête, tente de répliquer mais se fait couper l'herbe sous le pied. "Pourquoi ce n'est pas eux que vous arrêtez à la place de ma fille qui n'a rien fait de mal ? A-t-elle pourri cinq cents litres d'eau elle ?"

Dan-bi s'est relevée, les deux mains appuyées sur le bureau et toise le type de toute la hauteur de sa frêle silhouette (pour elle aussi, il ne faut pas se fier à l'apparence). "Et si on en restait là, hein ?" propose Ji-woo avant d'ajouter en jeju non sans avoir jeter un oeil inquiet à son collègue qui risquait de ne pas apprécier les cachotteries. "Laisse tomber Dan-bi, je m'en occupe, c'est pas la peine. Au pire la p'tite aura juste une... - Elle aura rien du tout !" répondu du tac-au-tac en coréen. "Parce qu'elle n'a rien fait de mal. Pas vrai Iseul ? D'ailleurs, qui dit que l'homme ne l'a pas brusquée, hein ? C'est encore une enfant !" Et un mogwaï nourri après minuit mais ce n'est qu'un petit détail.

"Ce n'est pas bien grave Ji-woo, si ?" c'est ce que maman dit en jeju, et c'est ce que maman dit souvent dans ces cas-là. Tu suis du regard chacun des protagonistes, tes bras s'étant décroisés lentement mais sûrement dans l'opération. Le feuilleton qui te donne le plus d'adrénaline, c'est celui-là, à n'en point douter. Ta mère qui te défend bec et ongles parce qu'elle sait que vous avez raison, et que la police est toujours du côté des touristes, parce qu'il faut bien graille ici tu comprends. Comme si vos coquillages et autres pêches ne suffisaient pas !
Ca ne s'annonçait pourtant pas si bien que ça, à en voir le geste mécontent du continental, à sortir ton dossier comme s'il s'agissait du plus gros cold case de la Corée du Sud. Toujours dans l'excès ces gens-là. Sous prétexte que c'était pas la première fois, c'était forcément illégitime. Et en attendant, l'autre qui a pollué votre eau bien-aimée se la coule douce à se faire masser les pieds. Où est la logique là-dedans ? T'as juste envie de casser quelque chose, tiens, ce petit pot de fleur tout moche par exemple ; mais faut pas, parce que sinon là ils auraient une bonne raison de t'envoyer au trou.
A la place, c'est maman qui prend les devants et explique la vie à l'agent. Il y a des étoiles dans ces yeux que personne ne regarde, puisqu'ils sont tous rivés sur la même chose : Dan-bi, puis la mine déconfite de celui qui se doit de l'écouter.

Ca commence même à chauffer dans l'atmosphère pourtant moite. Le gentil agent, lui, se dit qu'il est bon de réagir, alors il le fait - un peu fébrilement, mais quand même. Ji-woo c'est un vrai, il a bien comprit que son île est plus importante que les pépettes de touristes qui ne font que la détruire, en fin de compte (ou peut-être voulait-il éviter de se prendre une tarte empoissonnée de Dan-bi dans la figure, motif qui était tout aussi légitime). "Elle aura rien du tout ! Parce qu'elle n'a rien fait de mal. Pas vrai Iseul ?" tu secoues la tête à la positive, et il y a une certaine assurance dans ton geste. "D'ailleurs, qui dit que l'homme ne l'a pas brusquée, hein ? C'est encore une enfant ! - Il y a suffisamment de témoins pour nous l'indiquer si c'est le cas. Vous voulez peut-être que l'on en interroge quelques uns sur le sujet ?" répond le continental, qui a l'air aussi fâché qu'un crabe avec lequel on aurait fait un ricochet maladroit.  

"J'ai défendu ceux qui peuvent pas se défendre." ça, c'est un truc que t'as emprunté à quelqu'un d'autre, mais qui est terriblement vrai dans ces circonstances. Tu t'autorises à prendre la parole parce que Ji-woo t'a regardé, et que maintenant, l'attention du trio est chapardée. "Je dois faire quoi alors ?" que tu demandes sans animosité apparente. Au fond, il y a un lion qui gronde. "Vous allez pas me demander de nettoyer la plage quand même ?" en travail d'intérêt général et à défaut de se taper des amendes, il y a un peu que ces trucs-là à faire. Repeindre vite fait la mairie aussi. Mais là ce serait le pompon. "Non parce que sinon faut que l'autre là il le fasse avec moi... putain c'est pas juste" grognes-tu, la fin de ta phrase en patois. "Ji-woo, m'sieur, c'est vraiment pas juste là" insistes-tu auprès du concerné, toujours en jeju. "Ca suffit." le continental se lève à son tour, comme pour faire barrage à la pression que lui foutait Dan-bi, ses mains encore bien appuyées sur son bureau. "Sortez-les quelques instants." alors tu sors avec maman, reste dans l'espèce de petit couloir tout moisi et mal isolé.

Vous entendez la discussion qui se trame là derrière. C'est houleux, mais Ji-woo s'entête à dire qu'il te connaît, que t'es pas une délinquante, que vous aviez "un peu raison", alors l'autre s'est tut à ce moment-là, et il a fini par dire un truc comme "s'il y a plainte, elle aura des problèmes". Ton oeil va chercher celui de ta mère, puis fait mine de n'avoir rien entendu lorsque la porte s'ouvre à nouveau sur Ji-woo. Il vous fait signe de rentrer à nouveau. Dans son regard, il y a quelque chose de dur, mais de plutôt rassurant. En mode 'j'en prends pour mon grade, alors arrêtez ça maintenant'. C'est pas comme ça qu'il allait pouvoir pécho maman, ça c'est sûr.

Debout comme des piquets, l'agent est derrière son bureau, dans la même position.

"Nous allons attendre deux jours ouvrés. Si la victime" (il a vraiment dit victime ???) "porte plainte d'ici là, nous devrons vous convoquer à nouveau." et discuter punitions et tout le tralala, apparemment. Le message était plutôt clair dans ta tête. Ca n'empêche que le touriste, lui, avait aucun souci à se faire en attendant. Alors qu'ils pouvaient très bien le garder pour lui faire un sermon, au moins. Juste ça ! "J'espère pour vous qu'on ne se reverra pas." il appuie de son index ton dossier. "Sur le continent, il y en a qui ont eu des peines pour moins que ça. Pensez-y." et gnagnagna le continent toujours le centre du monde. Une fois la discussion terminée, un rapport noté mais pas signé, on vous fiche dehors. De toute façon, tout le monde a la dalle à cette heure-ci, alors y'a plus qu'une seule chose à faire désormais... mais...

"Dis, Ji-woo..." commences-tu à demander un peu bas à ta mère. Ton regard va chercher son visage. "C'est lui mon père ou pas ?" tu demandes pas ça très sérieusement, de toute façon tu sais très bien qu'elle te le dira jamais vraiment. Mais tu peux pas t'empêcher d'imaginer ses contours, dans le mystère que maman lui laisse.

Bien sûr, Dan-bi se doute que l'on a pas touché à un cheveu de sa fille - la coiffure d'Iseul est aussi emmêlée par le sel et les embruns que d'habitude et il faudrait avoir des griffes sacrément affutées pour pouvoir y passer ses doigts sans être bloqué par les nœuds  - mais quand même, ça aurait pu. Quant à faire venir les témoins, elle a presque envie d'accepter, qu'elle rigole de comment un vieux mec naze (elle l'imagine vieux, peut-être qu'elle se trompe et que sa fille est tombée sur le modèle kéké du destructeur de biodiversité). "J'ai défendu ceux qui peuvent pas se défendre." Dans un autre contexte, la brune aurait applaudi - ce que c'est beau ce que dit Iseul, cet altruisme tout plein pour les créatures de la mer, une digne descendante de selkies. Dan-bi se contente d'hocher la tête, regard défiant braqué sur le continental (de Ji-woo, elle ne craint pas grand chose). "Je dois faire quoi alors ? Vous allez pas me demander de nettoyer la plage quand même ?" Elles le font déjà de temps en temps, quand c'est sale au point que chaque poisson du rivage ait son petit bout de plastique attitré mais même avec la magie ça prend des heures et le lendemain il y en a de nouveau. Foutus touristes. "Non parce que sinon faut que l'autre là il le fasse avec moi... putain c'est pas juste"  Nouvel hochement de tête de Dan-bi, toujours à fixer le policier d'un air féroce. "Ji-woo, m'sieur, c'est vraiment pas juste là. - Ca suffit." Tout à fait, qu'on arrête la mascarade pour aller cueillir les vrais méchants.

"Sortez-les quelques instants. - Ca ira Ji-woo, on sait où est la sortie !" A Ji-woo, elle glisse un petit sourire avant de poser une main sur l'épaule d'Iseul pour l'entraîner vers la porte. La combinaison suspendue à l'entrée n'a même pas fini de goutter à même le sol et Dan-bi en tire une satisfaction mesquine (elle espère juste que ce ne sera pas à Ji-woo de nettoyer). Les voilà dans le couloir et c'est à peine si la sorcière tend l'oreille. Elle se penche plutôt vers sa fille pour lui souffler tout bas : "Ne t'inquiète pas, t'auras rien." Parce que Ji-woo est dans la salle à négocier et qu'il a un peu peur de froisser Dan-bi. "T'as eu raison de toute façon" ajouté plus fort, comme si elle veut qu'on l'entende.

Retour dans le bureau, Dan-bi décroche nonchalemment sa combinaison pour l'essorer un peu, attendant le verdict. "Nous allons attendre deux jours ouvrés. Si la victime porte plainte d'ici là, nous devrons vous convoquer à nouveau." Carré ou presque. Qui irait se vanter d'avoir été attaqué par une môme ? "J'espère pour vous qu'on ne se reverra pas." Elle hésite à ajouter un de même mais si elle continue à chercher, c'est sur Iseul que ça risque de retomber alors elle préfère faire un petit geste de remerciement vers Ji-woo. "Sur le continent, il y en a qui ont eu des peines pour moins que ça. Pensez-y." Elle y pense mais n'en conclut absolument pas les mêmes choses que le flic. Plus un truc du style la loi est pourrie que la justice à Jeju est laxiste.

Dan-bi fait mine d'engueuler Iseul pour la forme en sortant du commissariat, que les gens voient qu'elle n'est pas si contente que sa fille soit une délinquante (mais les gens connaissent les Choi depuis des années alors ils ne se font aucune illusion) et une fois dehors, elle ébourriffe encore plus les cheveux de sa fille, sourire fier aux lippes. "Dis, Ji-woo..." Regard intrigué, Iseul a l'air sérieuse d'un coup. "C'est lui mon père ou pas ?" Dan-bi éclate de rire en secouant la tête. "Si c'était ton père, tu serais bien mieux élevée que ça ma chérie !" Ji-woo, le père d'Iseul ? Mais quelle idée. Comme si il y a quoique ce soit entre Ji-woo et elle. ils se connaissent depuis qu'ils ont trois ans, il l'a demandée en mariage à cinq, leur relation est on ne peut plus platonique. Puis ce n'est pas comme si elle avait caché quoique ce soit à Iseul : dans la famille, les pères ne sont pas là - que ce soit pour Conan, pour Iseul et pour Dan-bi - et ils n'ont jamais manqué, du moins Dan-bi en a l'impression. "Pourquoi ? Tu en veux un ?" En plus des innombrables oncles et tantes d'adoption qui l'ont vu grandir dans le petit village portuaire où elles habitent. En plus de Dan-bi qui fait office de mère à mi-temps (quand la lune est de son côté) et ce même pas forcément depuis le début (elle s'en veut un peu sur ça). Ses pas prennent machinalement la direction de la plage. En marchant les pieds dans l'eau après avoir zigzagué entre les touristes, elles seront chez elles en une vingtaine de minutes. "J'ai une de ces faims ! La prochaine fois, sois civilisée, fais toi arrêter après le déjeuner. Ou même pas du tout arrêter sinon je vais être obligée de sortir avec Ji-woo pour qu'il veuille bien continuer à te tirer d'affaire !"